Le 27 juillet 2006, Alternative libertaire (France) a diffusé un texte intitulé « Nouvelles du Liban : l’attaque israélienne » émanant de nos camarades libanais Al Badil al Chouyouii al taharrouri (Alternative communiste libertaire). Ce texte dénonçait la guerre d’Israël, les plans occidentaux de Grand Moyen-Orient et critiquait le Hezbollah en tant qu’organisation religieuse et réactionnaire. Il comprenait également, au sujet du mouvement dit du « 14 mars », une appréciation positive qui a provoqué quelque émotion. Sa formulation approximative laissait en effet supposer un soutien de la part d’Al Badil à la coalition politicienne dite du « 14 mars ».

Par « mouvement du 14 mars », nos camarades entendaient désigner les manifestations de rue contre l’ingérence syrienne qui ont suivi l’assassinat de Rafic Hariri et certaines aspirations à la liberté qui s’y sont exprimés. Il ne s’agissait en aucun cas de soutenir la coalition de partis politiques qui ont ensuite formé le « Courant du 14-mars ». Nous diffusons donc, ci-dessous et dans notre mensuel de septembre, leur point de vue dans une version remaniée et actualisée. Les positions d’Alternative libertaire sur la guerre de l’État israélien sont quant à elles développées dans nos communiqués de presse du 17 juillet « Liban/Palestine : Non à l’agression coloniale » et du 20 août : « Demain, la France assurera t-elle la "Pax Israelia" ? » disponibles sur notre site Web.

Alternative libertaire le 5 septembre 2006

Liban : un cessez-le-feu en trompe-l’œil

(publié dans Alternative libertaire n°154, septembre 2006)

Alors que les armes se taisent provisoirement au Liban, la « paix » qui se dessine est bel est bien une paix inique, une véritable prime à l’agression israélienne et un encouragement à la poursuite de l’entreprise coloniale et militaire dans la région, sous l’égide des puissances occidentales dont la France. Nous publions le point de vue de nos camarades libanais d’Al Badil al Chouyouii al taharrouri (Alternative communiste libertaire).

Les peuples libanais et palestiniens ont subi et subissent de plein fouet les conséquences de l’agression israélienne menée avec la bénédiction des puissances occidentales. De nouveau le Liban a été plongé dans une guerre dévastatrice. Le Hezbollah libanais, mouvement  politico-religieux chiite, ayant enlevé deux soldats israéliens le 12 juillet 2006 après avoir franchi les frontières dans le sud du Liban et tué huit soldats israéliens, il n’en fallait pas plus que cela pour  qu’Israël mette en œuvre son plan d’attaque préparé bien à l’avance, exactement comme ce qui s’était produit en 1982 lorsque Israël a envahi le Liban sous prétexte d’une tentative d’assassinat contre l’ambassadeur d’Israël à Londres.

Mais cette fois l’attaque d’Israël a été d’une envergure inégalée : ce fut du jamais vu au Liban. Pire que l’invasion du Liban de 1982 puisqu’il s’est agi d’attaques aériennes et maritimes partout au Liban. Mais vraiment partout : l’aéroport, les quartiers de la banlieue sud de Beyrouth, bastion du Hezbollah, les grandes routes qui lient les villes et régions du pays, les ports, les quartiers résidentiels, le sud Liban, la Bekaa, etc. À vrai dire, le but visé était de paralyser complètement le pays et de semer la terreur, ce qui ne pouvait se faire sans tuer des civils, près de 1 200 au moment de la cessation (provisoire ?) des hostilités. Un conflit qui était voulu dans la durée, puisque les pays occidentaux ont contacté dès le début de l’agression les États-Unis pour obtenir des Israéliens la permission d’évacuer leurs ressortissant(e)s (des milliers) ce qui ne s’est pas produit avec cette précipitation même lors de la guerre civile de 1975.

Cette attaque doit être vue sous un angle plus global : elle intervient à notre avis dans le cadre du projet américain sur le Grand Moyen-Orient, George W. Bush voulant créer une grande zone qui lui serait favorable, englobant pays arabes et Israël, qui mettrait fin, d’une manière ou d’une autre, au conflit du Proche-Orient. L’Iran et la Syrie s’opposent à ce projet, ce qui est en soi une bonne chose, bien entendu. Mais ce qui l’est moins c’est que ces pays qui soutiennent le Hezbollah et qui combattent les projets de Bush et du gouvernement israélien sont des pays franchement réactionnaires et ce sur plus d’un plan.

Hezbollah : résistance et réaction religieuse

D’autre part le Hezbollah (Parti de Dieu) est un parti qui, malgré tout ce qu’il a fait pour chasser Israël du sud Liban et malgré le grand nombre de « martyrs » envoyés accomplir leur devoir religieux, qui est censé les conduire vers le paradis du miel et des femmes, ne satisfait plus, et depuis de longues années, les attentes des Libanais(es).

D’obédience iranienne le « Parti de Dieu » est nettement et obstinément  antilibertés. C’est simple : on ne peut pas vivre comme on le souhaite dans les quartiers du Hezbollah. Dans les villages où il est prépondérant, il est conseillé de baisser le son de la musique et ne pas mettre les chansons pour la danse du ventre. D’un parti de résistance et de sacrifice, le « Parti de Dieu » est devenu un parti insupportable : femmes obligées plus ou moins de s’habiller en noir foncé, interdiction de la vente d’alcool, soutien complice et indirect aux agissements de la Syrie (corruption, mainmise syrienne sur toutes les institutions libanaises, etc.). C’est ainsi que le Hezbollah a créé contre lui une réaction populaire. Depuis quelques mois les « grands chefs » politiques libanais se réunissent au Parlement (réunions pour le dialogue national) afin de trouver une solution aux problèmes cruciaux du pays, dont les armes du Hezbollah. En effet, le Hezbollah refuse de laisser ses armes à l’armée libanaise et constitue ainsi un État dans l’État. Et c’est avec une grande arrogance que le chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, lance ses menaces violentes et moyenâgeuses (couper la tête, les bras…) contre ceux qui tenteront de lui prendre ses armes. Or il ne faisait plus rien contre la politique sioniste de l’État d’Israël depuis un certain nombre d’années, sinon réclamer l’identité libanaise des fermes de Chebaa. Le Hezbollah fait peur par son fanatisme mais aussi par la popularité qu’il peut puiser dans certains secteurs de la société libanaise, du fait de la politique de « martyrs pour la patrie » qu’il continue de promouvoir. Mais sans la Syrie et l’Iran (surtout le financement iranien) il n’y aurait pas de Hezbollah aussi fort.

Une nouvelle donne

Depuis le retrait humiliant pour la Syrie du Liban, deux grands mouvements politiques se sont manifestés : celui du « 14 mars » (date de l’immense manifestation qui a eu lieu suite à l’assassinat de l’ex-premier ministre Rafic Hariri), et celui du « 8 mars », les pro-syriens, auxquels s’est joint le courant chrétien du général Aoun depuis qu’on lui a fait miroiter la présidence de la République. La mobilisation populaire dite du « 14 mars » qui a suivi l’assassinat d’Hariri et contribué au retrait syrien a bel et bien constitué à notre avis un mouvement relativement novateur et pouvant ouvrir des perspectives pour un autre futur au Liban, alors que dans le courant du « 8 mars » nous ne trouvions que les corrupteurs de la tutelle syrienne et les nostalgiques du passé noir du Liban. Confronté à ce face-à-face,

le Parti communiste libanais a adopté une attitude pouvant paraître surprenante : il a constitué un troisième courant sans odeur ni couleur et très faible, en s’alliant avec de petits groupes militants, dans leur majorité nostalgiques du nassérisme arabe, ce qui s’est traduit par une scission en son sein, et la création d’une nouvelle organisation, Inquaz (Renaissance communiste), avec laquelle Al Badil commence à tisser des liens.

Ainsi donc et encore une fois, la position politique qu’il faut adopter devant ce qui se passe doit être claire, au-delà de la dénonciation évidente des attaques israéliennes. Nous disons non au Hezbollah en tant que parti réactionnaire, religieux, pro-iranien ; non au projet de Bush, Blair et Chirac, qui considèrent que ces attaques disproportionnées (destruction du Liban pour récupérer les soldats) sont une autodéfense légitime de la part d’Israël ; non à l’attitude du Conseil de sécurité de l’ONU, timide et ambiguë ; non au gouvernement libanais incapable, faible, contradictoire qui passe son temps à quémander de l’aide, à comptabiliser les pertes, et à regarder du côté des tribunaux internationaux. La nouveauté au Liban a été ce grand mouvement du 14 mars, c’était la possibilité de voir naître de nouvelles aspirations en se libérant de la logique du communautarisme, aspirations porteuses d’une réelle laïcité. Un mouvement auquel se sont ralliés la plupart des partis politiques “ traditionnels ” et confessionnels qui ont formé le « courant du 14 mars ». La sensibilité présente dans ce mouvement de rue pourrait aussi s’émanciper de la logique des partis. C’est un mouvement profond au sein de la société libanaise qui a permis l’éclosion d’aspirations longtemps occultées. Aspirations à se libérer des carcans qui écrasent depuis longtemps les Libanais.

« Pax Israelia »

Mais à court terme, la priorité est qu’il faut bien trouver de la nourriture et surtout des médicaments à presque un million de Libanais(es) que cette guerre a déplacé(e)s. En attendant, il va falloir que les centaines de milliers de Libanais(se) qui ont perdu leur travail, ou leur maison, ou qui ont été blessé(e)s, ou qui ont perdu des proches… puissent retrouver une vie décente. Aujourd’hui le cessez-le-feu semble s’installer. Ce pourrait n’être qu’un trompe-l’œil très provisoire. La mobilisation internationale ne doit pas disparaître, d’autant plus que les Palestinien(ne)s continuent de subir les assauts de l’armée israélienne, dans la bande de Gaza et en Cisjordanie. Alors, tiendra, tiendra pas ?

L’armée libanaise a commencé dans la nuit de mercredi à jeudi 17 août son opération de déploiement en direction du Liban Sud conformément à la résolution 1701 adoptée par les Nations unies pour mettre fin aux hostilités entre l’armée israélienne et le Hezbollah. La résolution 1701 prévoit le renforcement important au Liban sud de la Finul (Force intérimaire des Nations unies au Liban) devant passer de 2 000 hommes aujourd’hui à 15 000 hommes, en appui de 15 000 soldats de l’armée libanaise promis par Beyrouth. Parallèlement doit se mettre en œuvre le retrait progressif de l’armée israélienne. Plusieurs pays, dont la France sur laquelle l’ONU compte pour former l’ossature de la future force, ont souhaité obtenir des précisions sur ces termes avant de s’engager. Nous n’allons pas nous joindre au débat stérile très propagé au Liban et qui consiste à savoir qui des deux Israël ou le Hezbollah a remporté la victoire. Personne n’a gagné. Israël n’a pas gagné en faisant état d’une sauvagerie inégalable et d’une force technologique disproportionnée et le Hezbollah n’a rien gagné dans cette guerre qui a fait 1 200 tué(e)s et un million de déplacé(e)s et de surcroît avec la perspective de devoir quitter les frontières pour toujours. Ce qui intéresse maintenant est de savoir où l’on va et ce qui est nécessaire de proposer aux Libanais(es). Le départ des Syrien(ne)s du Liban, la possibilité du désarmement du Hezbollah, le retrait piteux de l’armée israélienne… Les conditions sont peut-être réunies pour un nouveau départ. Ne manquons pas le coche. Notre choix est clair : c’est vers une société laïque, démocratique et égalitaire qu’il faut s’orienter.

*Adnan Farès (al Badil al Chouyouii al taharrouri), Liban, le 17 août.*

 

Le témoignage d'un camarade communiste libertaire sud africain qui était au Liban fin juillet 2006.

http://www.anarkismo.net/newswire.php?story_id=3651