Le sentier tortueux de l’auto-organisation

 

Le mouvement social de l’automne 2007 a une nouvelle fois fait ressentir les blocages liés aux bureaucraties syndicales. Alors que les journées de grèves ont atteint des records dans certains secteurs (SNCF,…) et que le mécontentement a été massif, il a fallu toute l’application des directions syndicales pour empêcher le développement d’un mouvement de grève reconductible puis pour éviter ensuite la convergence des luttes. Malgré les rivalités entre syndicats, obligés de rester à l’écoute de la base, cette période a démontré une fois de plus la nécessité d’une auto-organisation de la lutte.

 

Auto-organisation et syndicats

Les commentaires sur ce mouvement de l’automne laissent penser que l’auto-organisation a fait de grands progrès : la majeure partie des AG de la SNCF revendiquait le retour aux 37,5 annuités pour tous, contre la position des syndicats (sauf SUD-Rail), et refusait les négociations tripartites entreprises par entreprises. Mais cela n’a pas suffit pour empêcher les syndicats, à l’exception encore de SUD, de participer à ces négociations, au mépris de l’avis de la base.

L’organisation en Assemblées générale et la souveraineté de ces AG ne semblent plus contestées dans certains secteurs faiblement syndiqués (chez les étudiants où l’AG est le seul moyen de se mobiliser), elles restent un combat dans d’autres secteurs, comme l’éducation, où les AG sont faiblement fréquentées.

L’auto-organisation vise justement à éviter la substitution des syndicats aux prolétaires en lutte. Or le syndicalisme est bien le résultat de la volonté d’organisation du prolétariat. Mais le fonctionnement de la structure syndicale (prise en main par une catégorie du prolétariat, voir de la petite bourgeoisie) et l’institutionnalisation du syndicalisme (son intégration dans les processus de gestion de la vie économique et sociale) contribuent à éloigner le syndicat du prolétariat dont il est plus le représentant que l’émanation. La plupart des syndicats sont, de façons différentes, entre les mains d’une bureaucratie qui défend des intérêts parfois différents de ceux du prolétariat dans son ensemble.

L’auto-organisation vise alors à supprimer cette couche bureaucratique qui fait tampon entre les classes en lutte. La mise en place d’assemblées générales souveraines, où les personnes mobilisées peuvent prendre le contrôle de leur lutte, est le moyen essentiel pour mettre sous tutelle les bureaucraties syndicales.

Si ces pratiques d’assemblées semblent aujourd’hui assez largement entrées dans les habitudes, elles n’ont pas encore toujours acquis une légitimité incontestable. Le cas du mouvement étudiant contre la LRU nous fournit un bon exemple des limites ce cette auto-organisation.

 

Le rôle des assemblées générales

Ce mouvement étudiant de 2007 a été massif, en tout cas au regard des mobilisations antérieures, et ce, dés le début. Nous pouvons d’ailleurs le constater en nous basant sur les chiffres des différentes AG qui ont parfois atteint des records. Par exemple, à Nantes, le 8 novembre, une assemblée générale a réunie plus de 1500 étudiants en droit. Le 21 novembre, 3000 personnes réunies à Grenoble. Fin octobre, 400 à Orléans, 600 à Strasbourg, 900 à Reims. Le 6 décembre, 2000 personnes en assemblée générale à Toulouse-Rangueuil, puis 2000 à Nancy.

Mais, a contrario, si les chiffres sont importants pour ce qui concerne les assemblées générales, ils sont faibles pour la participation aux actions et manifestations. A Rouen, fin octobre, l’assemblée générale rassemblant 700 à 1000 personnes est suivie d’une manifestation à 200 ! L’occupation décidée par une assemblée générale de 500 étudiants et étudiantes à Strasbourg le 16 novembre sera mise en œuvre par seulement 50 personnes.

Il semble en fait que les assemblées générales ne soient plus simplement l’instance de débat et de décision des personnes mobilisées, mais simplement le lieu de discussion et d’information où se fait le travail de conviction. La composition des assemblées ne cesse de changer, même des militants impliqués ne prennent plus la peine d’y venir systématiquement, à Paris VIII ou à Strasbourg par exemple. De fait les AG traitent plusieurs fois la même question et sont trop longues ou trop nombreuses, ce qui n’incite pas à s’y investir plus.

La participation massive aux assemblées générales n’est pas donc pas synonyme d’engagement. La conclusion qui s’impose est la nécessité d’un autre cadre de débat de fond, de « politisation », de conviction, permettant à l’AG de se concentrer sur ses taches stratégiques et d’organisation.

 

La légitimité des assemblées générales

Si elle n’a pas été contestée à l’intérieur du mouvement anti-LRU, plusieurs signes « extérieurs » démontrent que la légitimité des AG n’est pas unanimement acceptée, d’autant plus qu’elle court-circuite les institutions syndicales capables de contrôler le mouvement.

Tout d’abord, l’organisation de la droite à travers ses nombreuses officines (« Etudiants Contre le Blocage », « UNI », « Stop la Grève » ou encore « Liberté chérie »), répond à une stratégie délibérée de l’Elysée pour tenter de contrer ce mouvement. Leurs nombreuses interventions en assemblée générale visaient à en empêcher le fonctionnement et la prise de décision. Leur volonté était évidemment de transformer l’Assemblée générale en lieu d’information, de propagande gouvernementale et de bloquer la lutte.

Les stratégies des administrations des universités étaient également très visibles. Dans leur volonté de « casser » le mouvement, tous les moyens étaient bons : fermer les universités pour empêcher la tenue des assemblées générales, organiser les votes à « bulletin secret » pour enlever la légitimité démocratique à l’assemblée générale et pour la livre à toutes les manipulation visant à placer la lutte sous la direction de la communauté universitaire (c'est-à-dire celle de la hiérarchie académique).Ces votes ont par exemple été organisés, dans la plus grande confusion et avec de nombreuses irrégularités, à Lille 3 (vote pour le blocage), Metz ou Rennes 2. Les administrations, sous la pression gouvernementale, sont même allés jusqu’à arrêter les cours pour faire voter les étudiants, sans participation aux débats, sous l’ordre des enseignants et des personnels de direction, contre le blocage ou la lutte.

Mais au-delà de toutes ces pratiques du pouvoir, le mouvement étudiant a lui-même contribué à paralyser ses AG. Dans les communiqués des coordinations nationales étudiantes, le comptage des universités mobilisées se fait à partir du nombre des assemblées générales de la semaine. Les assemblées générales sont vues comme une action de contestation par le simple fait qu’elles existent, ce qui n’est pas faux. Mais le mouvement ne se donne souvent pas de perspectives d’action, permettant réellement d’exercer une pression sur le pouvoir, en dehors de la douzaine de fac où les AG ont été suffisamment massives pour organiser des occupations ou blocages longs. L’AG est une action et non plus un moyen pour organiser l’action.

 

L’organisation de la lutte

En dehors de l’assemblée générale, les diverses commissions, comité de grèves, ateliers, etc. n’ont pas démontré plus leur efficacité. Ces structures, plus petites, plus adaptées à l’investissement de chacun qu’une assemblée de 500 ou 1000 personnes, plus efficaces et moins lourdes à faire fonctionner, ont montrer les limites de l’engagement militant. Le bilan fait à Paris VIII est significatif et permet d’évoquer des problèmes plus ou moins présents ailleurs (Paris VI, Metz, Strasbourg, Aix-Marseille) : les horaires et les mandats ne sont jamais respectées, certaines commissions ne se réunissent pas fautes de participants (pourtant inscrits), d’autres sont sous le contrôle de quelque gourous charismatiques, et d’autres encore sont le lieu de confrontations musclées entre fractions politiques… En fait, ces structures souffrent du manque d’implication des non-militants présents dans la lutte, du manque d’autodiscipline de tous… et donc du fait que beaucoup des étudiants et étudiantes présents dans les AG ne sont pas convaincus de la nécessité de ces mobilisations ou ne souhaitent pas s’investir directement.

Ces problèmes sont relativement graves sur le plan de la démocratie, essentielle pour que les structures visant à l’auto-organisation ne tombent pas sous le contrôle d’une catégorie d’experts-militants. Or souvent, surtout dans les AG très massives, la parole est monopolisée par ces « experts ». La nécessité de choisir des délégués aux coordinations nationales renforce encore le rôle de ces intermédiaires, d’où, par endroits, la mise en place de quotas de « non-syndiqués » parmi ces délégués. Mais le problème reste le même : encartés dans les syndicats ou pas, une très petite partie seulement des personnes présentes en AG s’investit réellement. Et c’est ainsi que se dégage une nouvelle catégorie d’intermédiaires, au point que la salle se retrouve dans un rapport frontal avec la tribune, chargée de distribuer la parole et appliquer l’ordre du jour : soit on accepte ces « représentants », soit on la refuse, sans penser à simplement la contrôler ! A Paris VIII, le 24 novembre, la situation tendue entre la salle et la tribune aboutit au départ de celle-ci en plein milieu de l’AG, et donc… à la fin de l’AG !

Ne peut-on pas se passer de ces « délégués » ? Ne peut-on pas les remplacer ? Devant la passivité de nombre des personnes mobilisées, des idées semblent s’imposer pour transformer les facs en des lieux ouverts à la participation de tous, pour casser la hiérarchie universitaire, impulser une fac alternative. A Paris XIII, comme à Grenoble, diverses activités sont tentées pour repolitiser les lieux, permettre à chacun de s’investir dans le débat, instaurer une coopération entre enseignant-e-s et étudiant-e-s dans la formation universitaire !

 

Une auto-organisation à tâtons

Il semble évident que la simple existence des AG ne suffit pas à caractériser l’auto-organisation. Ce mouvement étudiant qui proclamait haut et fort son fonctionnement démocratique et son indépendance vis-à-vis des syndicats a souffert d’une dépolitisation générale des facs et d’un manque de travail de conviction préalable. La force d’un mouvement se joue… avant le mouvement.

L’importance d’une structure syndicale démocratique, comme SUD (sans toutefois avoir un regard angélique sur le fonctionnement de SUD), est primordiale. Paradoxalement, il semble bien que le contournement des bureaucraties syndicales se joue dans les syndicats et dans leur travail quotidien. Leur renforcement et leur légitimation sont nécessaires à leur démocratisation et leur activité reste essentielle pour permettre à chacun et chacune sur les facs d’avoir les armes utiles pour s’investir réellement dans un mouvement.

Alternative libertaire - Alsace