QUAND NASTURE SE DESNATURE
Textes : Agrippa d'Aubigné
Pour Voix, Violoncelle et Clavecin
Création mondiale prévue le 18 Mars 2003
Voix : Marie-Claude Vallin
Violoncelle : Pierre Morlet
Clavecin : Brice Pauset
Il est difficile de rester indifférent en face des tragédies,
des guerres et des massacres qui composent notre quotidien. Il
vient un moment où la « tour d'ivoire » du
compositeur ne lui suffit plus et où il ressent le besoin
de dire ce qu'il pense du monde, avec des mots clairs, et non
des systèmes allusifs. Encore faut-il que le musicien trouve
les textes qui lui permettront de s'exprimer. J'ai pour ma part
assez longtemps cherché avant de rencontrer Agrippa d'Aubigné,
certainement un des plus grands poètes français.
Les Tragiques disent les horreurs du temps (de tous les
temps) à l'aide d'une langue à la fois puissante
et verte , bouleversante et savoureuse. « Quand le tyran
s'esgaye en la ville où il entre / la ville est un corps
mort, il passe sur son ventre / Et ce n'est plus du lait qu'elle
prodigue en l'air,/ c'est du sang, pour parler comme peuvent parler
/ les corps qu'on trouve morts. » Dès que j'ai lu,
ou plutôt relu ces textes, j'ai commencé à
les travailler, malgré leur sens terrible, avec une véritable
gourmandise. Joindre à une voix de femme grave un violoncelle
baroque et un clavecin, m'a semblé justifié: voix
sombre du violoncelle, mais utilisation également du suraigu
de l'instrument, contraste entre le cri révolté
du poème et les timbres relativement fragiles des instruments
anciens, voix de femme pour un texte d' « homme »
, tout cela tend à aggraver, en quelque sorte, le côté
tragique du poème. Le choix de textes que j'ai fait s'achève
par une déploration funèbre. Là encore on
trouve ce contraste entre la « fantaisie » de la langue,
l'imaginaire poétique, et la signification sinistre : «
si en louve tu peux dévorer la viande / Ton chef mange
tes bras : c'est une faim trop grande / quand le désespéré
vient à manger si fort / Apres le goust perdu, c'est indice
de mort. »
Alain Bancquart