Irak : les homosexuels assassinés
Vendredi 25 janvier 2008 par Doug Ireland
Cette semaine, notre correspondant aux Etats-Unis, Doug Ireland, consacre sa chronique aux campagnes de meurtres organisées qui ciblent les homosexuels en Irak.
Une des conséquences les plus tragiques de la guerre en Irak et de l’occupation américaine, que la presse d’Outre-Atlantique ne traite pas, reste la campagne meurtrière contre les homosexuels irakiens. Depuis plus de deux ans, des escadrons de la mort anti-homo chiites enlèvent et assassinent systématiquement ceux qu’ils croient être gay, lesbienne ou transgenre.
Cette campagne de “nettoyage sexuel” s’opère sous l’autorité d’un ordre religieux. En octobre 2005, le Grand Ayatollah Ali al-Sistani, chef spirituel des chiites irakiens, lançait une fatwa. Il y sommait ses adeptes de tuer les homosexuels « de la pire manière et la plus sévère » qui soit. La plupart des assassinats anti-gays sont l’œuvre des Brigades Badr, la branche armée du Conseil suprême de la révolution islamique en Irak (CSRII). Celle-ci n’est autre que la plus grande formation politique d’obédience chiite dont le Grand Ayatollah Sistani est le guide suprême.
Des milices payées par l’Iran, puis intégrées dans la police
Jusqu’à la chute de Saddam Hussein, le quartier-général du CSRII était basé en Iran. C’est aussi Téhéran qui, jusqu’à l’année dernière, payait les miliciens des Brigades Badr, armés jusqu’aux dents. En août 2004, le magazine américain Time révélait qu’il détenait des documents irakiens officiels montrant que 11 270 soldats des Brigades Badr étaient bel et bien rémunérés par Téhéran. Dans son édition du 17 février 2006, le quotidien français Le Monde citait un proche conseiller du Grand Ayatollah Sistani, le parlementaire Ali Debbagh, qui confirmait cette information. On sait aussi qu’en Irak, les Brigades Badr ont copié toutes les tactiques de la campagne anti-homo actuellement menée par le régime de Mahmoud Ahmadinejad en Iran.
Mais, l’année dernière, ces brigades ont officiellement été intégrées au Ministère de l’Intérieur irakien. Une catastrophe puisque leurs escadrons de la mort anti-homo accomplissent depuis leurs crimes vêtus d’uniformes de la police irakienne et dotés de pleins pouvoirs policiers. En clair, ils peuvent tuer des homosexuels en toute impunité.
Des exécutions sommaires après simulacres de procès
L’existence de cette campagne de meurtres a été confirmée l’année dernière par l’ONU dans le rapport bimensuel publié le 16 janvier 2007 sur les droits de l’homme en Irak par la Mission d’assistance des Nations Unies en Irak (MANUI). Selon celle-ci, les « campagnes violentes » et « les assassinats d’homosexuels » se sont « intensifiées »en 2006. Le rapport mentionne aussi des « tribunaux religieux contrôlés par des clercs chiites où les homosexuels présumés sont "jugés", "condamnés a mort", puis tués… Ces procès, présidés par des mollahs jeunes et inexpérimentés, ont lieu dans des salles de réunion ordinaires. »
L’association Iraqi LGBT (pour les lesbiennes, gays, bi-sexuels et transexuels), fondée à Londres en novembre 2005 par 30 homosexuels irakiens exilés, regroupe des membres et des supporteurs clandestins partout en Irak. A ce jour, elle a pu recenser plus de 400 assassinats d’homosexuels irakiens victimes des escadrons de la mort. Mais ce chiffre n’est que la partie visible de l’iceberg. En raison du chaos qui règne dans le pays, rassembler les preuves de ces assassinats relève presque de la mission impossible et peut coûter la vie. L’homophobie ambiante, la honte et la peur ressentie par les familles des victimes homosexuelles n’arrangent rien. Tout comme les ressources financières limitées de l’association.
Des militants anti-homophobes pris pour cible
Selon Ali Hili, un gay irakien de 33 ans, ancien employé de la radio irakienne, qui coordonne bénévolement les activités de l’Iraqi LGBT à Londres, « les militants des Brigades Badr, aujourd’hui forts de pouvoirs policiers, piègent les gays par Internet, dans des chat-rooms. Ils prennent un rendez-vous avec leur cible puis ils la tabassent et la tuent. Des hommes qui ne sont pas mariés à 30 ou 35 ans sont placés sous surveillance car soupçonnés d‘être homo. Tout comme les hommes un tant soit peu efféminés. On les avertit qu’ils doivent se marier. Les Brigades Badr leur donnent un mois pour changer de comportement. Mais s‘ils ne le font pas ou ne donnent pas des gages de leur futur mariage, ils sont arrêtés. Ils disparaissent alors et sont finalement retrouvés morts. Leurs corps sont découverts les yeux bandés, avec les mains liées dans le dos et des balles dans la nuque. »
Si les escadrons de la mort anti-gays repèrent un individu qu’ils soupçonnent de travailler avec l’Iraqi LGBT, celui-ci devient une cible privilégiée. Un coup terrible a été asséné le 9 novembre 2007 à l’association lorsque cinq de ses militants clandestins ont été enlevés au cours d’une rafle survenue lors d’une réunion secrète dans le quartier d’al Shaab, à Bagdad.
Au moment où des inconnus ont fait irruption dans la pièce, les militants étaient au téléphone avec Ali Hili.« Soudain, j’ai entendu le bruit de la porte qu’on enfonce, des cris puis la liaison téléphonique s’est brusquement interrompue » témoigne-t-il. « Il m’a fallu 24 heures pour découvrir ce qui s’était passé. Finalement, j’ai pu joindre un autre membre de notre réseau à Bagdad qui m’a dit que tous les gars avaient été arrêtés. Les voisins de l’appartement où la réunion se tenait ont tout vu. La rafle était l’œuvre de membres des Brigades Badr habillés d’uniformes du ministère de l’Intérieur. Depuis, les familles, les amis et les collègues de nos cinq membres n’ont pas réussi d’avoir des nouvelles de leurs proches qui sont présumés morts ».
L’Iraqi LGBT maintient deux maisons "de repli" dans des fermes isolées à proximité de Bagdad où se sont réfugiés 40 homosexuels menacés de mort par les Brigades. Il y a trois mois, l’association possédait encore trois autres maisons supplémentaires de ce type dans le sud de l’Irak, mais elle a été obligée de les fermer, faute de moyens. Plusieurs des personnes qui y étaient abritées ont, depuis, été tuées.
Des mères égorgées à cause de leurs enfants
L’Iraqi LGBT tente également de sauver des enfants victimes de gangs criminels qui les prostituent de force. La voix d’Ali Hili sanglote lorsqu’il me raconte l’histoire de deux lesbiennes, membres de l’association, qui dirigeaient une maison "de repli" à Najaf pour les enfants voulant arrêter la prostitution. « Les Brigades Badr ont accusé ces deux femmes courageuses d’être des mères-maquerelles et de tenir un bordel. Lors d’une descente dans leur maison l’an passé, elles ont été égorgées, leurs maison saccagée et les enfants renvoyés dans la rue pour vendre à nouveau leurs corps ». Le propre frère d’Ali Hili, qui travaillait à Bagdad pour l’association et s’occupait de recenser les assassinats d’homosexuels a lui-même été exécuté il y a quelques mois à cause de son militantisme pro-gay.
« Sous Saddam » reprend Ali Hili, « la vie des gays et lesbiennes n’était pas facile mais c’était bien mieux qu’aujourd’hui. Il y avait quelques boîtes gay à Bagdad et, une fois par semaine, nous avions une nuit dansante a l’Hôtel Palestine qui attirait toute la communauté homosexuelle. Tout ça a été interdit en 1993 après l’instauration des sanctions économiques contre l’Irak. J’ai moi-même été arrêté trois fois à cause de mon homosexualité. Mais au moins on ne nous tuait pas sous Saddam. Depuis l’occupation américaine, la vie d’un gay en Iraq ne vaut plus rien car, avec l’aval de Washington, les Chiites intégristes font la loi dans mon pays où tous les jours ou presque on tue les homos. »
Il est de notoriété publique que depuis le début de l‘occupation de l’Irak, les Américains font la cour au Grand Ayatollah Sistani et au CSRII, les deux pouvoirs chiites qui orchestrent la campagne de "nettoyage sexuel". Et Washington ne veut pas les vexer en protégeant les homos. Les Américains sont donc complices des pouvoirs chiites en Irak. « C’est choquant ! » s’insurge Ali Hili. « Ca ne rime pas avec les valeurs américaines de démocratie. L‘Amérique a dépensé tant d‘argent et fait couler tant de sang pour ne produire qu‘un Etat intégriste ? Je n‘arrive pas a croire que c‘est ce que souhaitait vraiment le peuple américain ».
Pour plus d’informations, visitez le site Internet de l’association Iraqi LGBT :