Les syndicats contre le mouvement social ?

 

Article paru dans A Contre Courant n°189, novembre 2007

 

Alors que la grève massive dans les transports et l’énergie du 18 octobre laisse entrevoir la possibilité d’un mouvement populaire dur, apte à faire reculer le gouvernement Sarko-Medef, on assiste une nouvelles fois aux tergiversations syndicales qui pourrissent l’ambiance et handicapent fortement les possibilités de mobilisations.

 

 

Après 5 mois de multiples annonces de contre-réformes (TVA sociale, franchise sur la sécurité sociale, cadeaux fiscaux du package fiscal, non-remplacement des départs en retraites dans la fonction publique, limitation du droit de grève, loi d’autonomie des universités, loi raciste Hortefeux, allongement des durées de cotisations pour la retraite, fermetures de tribunaux, etc.)… qui traduisent une destruction sans précédent de tous les systèmes de solidarité nationale et de redistribution des richesses hérités du compromis de 1945, on aurait pu s’attendre à une résistance à la hauteur de l’attaque.

Dans l’incapacité de construire une alternative, les mouvements sociaux se trouvent réduits à défendre cet Etat providence, synonyme de conditions de vie plus acceptables que celles qui s’imposent actuellement. Pourtant, le premier obstacle à cette résistance n’est pas la campagne de propagande libérale de la presse ou le découragement populaire. Il faudrait plutôt parler de la panique des directions syndicales, totalement désorientées, apeurées autant par l’offensive des pouvoirs patronaux et gouvernementaux que par la force d’une mobilisation populaire qu’elles ne pourraient pas canaliser tant elles sont aujourd’hui discréditées.

 

Le mythe du dialogue social : le syndicalisme de salon.

La première arme du gouvernement : le dialogue social. On a tellement stigmatisé dans les médias, depuis des décennies, l’attitude jugée « contestatrice », « irresponsable » des syndicats qui appelaient à une mobilisation, que les directions syndicales ont pris l’habitude d’estimer leur crédit, leur capacité d’action selon leur place à la table des négociations ministérielles. Il suffit donc, à grand renfort de communiqués de presse tonitruants, d’insister sur la grande nouveauté de la pratique gouvernementale : le dialogue obligatoire avec les « partenaires sociaux ». Toute loi, toute réforme fera l’objet d’une discussion entre des patrons et des salariés rebaptisés « partenaires », afin d’aboutir à un projet accepté par tous, ne nécessitant pas une épreuve de force. Cette volonté de pacification sociale, permettant de faire oublier la nature forcément contradictoire des rapports entre ceux qui possèdent et/ou dirigent les entreprises et services publics et ceux qui les font fonctionner, vise naturellement à ranger les directions syndicales aux côtés des dirigeants politiques et économiques, dans une positions dominante, autrement plus valorisante que celle de porte-parole de la « France d’en bas ».

S’il n’y a rien de nouveau dans ces pratiques, institutionnalisées par notre glorieux président, elles obtiennent un résultat bien plus profond que précédemment. Car devant l’inutilité des négociations avec un gouvernement autoritaire et arrogant ou un patronat triomphant, nos chers bureaucrates sont tiraillés entre deux positions :

-         gagner le respect de leurs « partenaires » en bloquant les contestations sociales en échange de quelques miettes justifiant un rôle de représentants aux yeux de salariés si inquiets pour leur avenir.

-         renforcer leur position dans la négociation grâce à une pression populaire démontrée par l’action collective (grèves et manifestations).

Si traditionnellement les centrales syndicales faisaient majoritairement le second choix, l’attraction de la table de négociation joue à plein, d’autant plus que le gouvernement, en position de force, est prêt à la confrontation et le fait savoir en rappelant qu’il ne reculera pas. Ajoutons à cela les déclarations ministérielles et présidentielles appelant ne pas user de violence ou rappelant que les jours de grèves ne seront pas payés, qui achèvent de placer les syndicalistes dans la positions de méchants agitateurs profiteurs.

 

La révolte gronde : Les bureaucraties syndicales s’affolent

C’est ainsi que nos glorieux chefs, bloqués des 2 côtés, entendent s’en sortir par des journées ponctuelles de grèves, sans efficacités, ou des appels confidentiels à la mobilisation, pour calmer les militants qui veulent absolument réagir… et se retrouveront seuls.

Pour prendre un exemple parmi d’autres, l’attitude de la FSU pour le 18 octobre démontre bien à quel point cette direction syndicale est à côté de la plaque : appeler à la grève, sans faire de campagne pour convaincre (sauf localement, lorsque certaines équipes étaient motivées)… et regretter la faible participation à la grève (3 ou 4%). Pourtant, dans chaque établissement où l’appel a été relayé, le nombre de gréviste a été important.

De même lorsque la CGT est obligée de faire campagne, jusqu’à Bernard Thibaut lui-même dans la presse, contre la reconduction de la grève du 18 octobre à la SNCF… et que plus d’une cinquantaine de sections CGT déposent un préavis reconductible, on mesure mieux le décalage entre la base et le sommet, et la volonté de refuser la politique que notre président, « démocratiquement » élu, entend nous imposer.

Presque toutes les centrales syndicales (même la si réputée CFDT), craignant d’abîmer leurs belles machines dans une lutte dure, et d’y perdre des plumes, sont pourtant obliger de rejoindre le mouvement, tant la pression de la base est forte. Et oui, à force de penser en terme de stratégies de négociations, certains ont oublié que ce sont 2, 3, 4 ou 5 ans de nos vies qui se négocient avec cette réformes des retraites.

 

L’éventail des trahisons s’élargit

Devant la crainte d’un mouvement trop dur, les directions syndicales hantées par le traumatisme de novembre décembre 1995 (le débordement, la perte de contrôle), adoptent diverses attitudes, maintenant qu’une riposte d’ampleur semble possible autour des mobilisations du 14 et du 20 novembre.

La CGT se range donc, bon gré mal gré, derrière la ligne d’une grève reconductible, sous la pression de sa base et ses cadres intermédiaires… mais attend un soutien populaire (c'est-à-dire un bon chiffre de popularité des grévistes dans les sondages) avant de décider de l’avenir de ce mouvement. Cela pose le problème du débat politique, que les syndicats s’interdisent de mener, mais que la droite monopolise depuis tant d’années. Rien ne s’oppose à l’idée que la France est en crise, que la pénurie budgétaire s’accroît, qu’il faut « se serrer la ceinture », alors que pourtant, la France n’a jamais été aussi riche, n’a jamais produit tant de richesse… Et on ne pourrait pas supporter un système de retraite mis en place en 1944, dans une France appauvrie, en ruine, après la guerre et l’occupation ?

Tandis que la CGT se range, pour l’instant, du côté de la grève, d’autres syndicats savent ne pas avoir les forces et l’audience nécessaire pour contrôler et stopper un tel mouvement. Le mouvement étudiant qui émerge contre la loi Pécresse a du faire face aux obstruction de l’UNEF, groupuscule toujours plus vide d’années en années… mais restant le premier « syndicat » étudiant. Après avoir reçu cet été, de la bouche de Sarkozy, la promesse que les droits d’inscription universitaires n’augmenteraient pas si les facs resteraient tranquilles cette année, l’UNEF a tout fait pour empêcher la contestation contre la loi Pécresse, qui justement prévoit une autonomie aux universités, leur permettant d’augmenter chacune leurs droits d’inscription sans limite ! Cela a suffit pour que l’UNEF développe tout son savoir-faire pour empêcher la mobilisation. A Strasbourg par exemple, elle a refusé de participer à l’intersyndicale des personnels en septembre, puis a appelé à une AG étudiante sur des problèmes locaux (suppression de diplômes) le 18 octobre… à la même heure que la manifestation !

Finalement le mouvement démarre, et l’UNEF se retrouve en AG un peu partout en France, pour protester contre cette loi… et éviter de laisser un peu partout la place à SUD. De façon générale, l’épouvantail Solidaire, seule centrale syndicale à appeler à une grève reconductible tant dans les transports que dans l’éducation ou les facs, semble le principal adversaire des autres centrales. Comme dans tout mouvement qui paraît sérieux, SUD doit être mis à l’écart : à Strasbourg, l’appel unitaire à la grève dans l’éducation pour le 20 novembre ne comporte par la signature de SUD… qui n’a pas été invité à la réunion de préparation. Alors que SUD appel à une AG interpro le 19 novembre au soir, la FSU, la CFDT, et d’autres appellent au contraire à une AG le 20… etc.

De façon générale, il est pathétique de voir les gesticulations paniquées de la CFDT, la CGC ou l’UNSA, appelant le gouvernement à leur sauver la mise, le suppliant de faire quelques concession leur permettant de ne plus appeler à la grève. Dans l’enseignement primaire, nous devrions admirer le tour de passe-passe du SNUipp, ou comment transformer un acte d'allégeance envers le ministre en succès syndical en plombant la grève par la même occasion ! Le syndicat majoritaire, affilié à la FSU, a signé le 8 novembre le protocole de négociations avec le ministère sur la question du temps de travail et du rythme scolaire… en faisant passer cela pour une victoire du syndicat, capable d’arracher le droit de négocier, à un méchant ministre autoritaire.

 

Les difficultés de l’auto organisation

Face à l’ampleur de l’attaque contre nos conditions de vie, la crise du syndicalisme s’approfondit encore un peu plus. Cette crise handicape fortement nos possibilités de riposte et fait ressortir une fois de plus la nécessité d’une autre organisation des salariés.

La faiblesse des organisations syndicales en milieu étudiant permet assez facilement de légitimer les assemblées générales, qui subissent pourtant de multiples attaques. Le mouvement contre le CPE a permis de tirer des leçons… principalement pour nos adversaires. Les administrations universitaires ferment les facs dès qu’une AG suffisamment importante peut en prendre possession. La fermeture des locaux doit permettre de paralyser le mouvement étudiant, cela ne s’arrête pas là. Les anti-grévistes des jeunes populaires et de l’UNI organisés de façon quasi-militaire ont attaqué à plusieurs reprises des piquets de grèves dans plusieurs facs et tentent d’intervenir en assemblée générale avec leurs vieilles méthodes : non respect de l’ordre du jour et des tours de parole, monopolisation de la parole, insultes, menaces en coulisses, utilisation de l’alarme incendie pour interrompre l’AG, etc.

La nouvelle marotte des anti-grévistes et des administrations universitaires est d’imposer le vote à bulletin secret, voir carrément avec le matériel de l’administration, sous le contrôle de l’administration. Plutôt que de prendre les décisions collectivement, après un débat, de façon ouverte et responsable, il faudrait se cacher, laisser libre cours aux tractations de couloir, aux manipulations des urnes.

Mais les obstacles à l’auto-organisation ne s’arrêtent pas là. Plus graves car plus vicieuses, sont les pratiques de certains grévistes. L’UNEF se bat pour occuper la tribune lors des AG, pour faire élire ses militants aux coordinations… et discréditer leurs opposants avec les mêmes arguments que ceux employés par le gouvernements sur les méchants contestataires, incapable d’être constructifs…

Pour les salariés, dans de nombreuses professions, l’obstacle reste encore l’opposition des syndicats à la tenue d’AG. Ce combat est pourtant absolument essentiel car c’est le seul moyen qui permettra aux salariés de participer à des mouvements de grèves, qu’ils jugent de plus en plus inutiles ou de plus en plus manipulés pour les besoins de syndicats, jugés comme des structures extérieures à la profession, aux intérêts des salariés. C’est aussi le seul moyen de bâtir un mouvement efficace qui ne se recroquevillera pas sur des revendications de statu quo, et sera apte à imaginer une alternative à la régression sociale qu’on nous propose.

Renaud (Alternative libertaire - Alsace)