Des propriétaires prennent les armes contre la réforme agraire

 

Benito Pérez

Jeudi 10 Avril 2008

 

La libération des indigènes exploités dans les haciendas se heurte aux résistances des latifundistes qui misent sur le référendum du 4 mai pour stopper la réforme agraire. 

 

A moins d'un mois du référendum autonomiste, le drame qui se noue dans le sud-est du Département de Santa Cruz a tout du symbole. Dans l'aride Chaco bolivien, où plusieurs milliers d'indigènes guaranis vivent encore à l'état de serfs1, les propriétaires terriens multiplient, depuis deux mois, les coups de force, afin d'empêcher toute redistribution agraire d'ici au 4 mai, date choisie par les séparatistes de Santa Cruz pour organiser leur consultation2. Vendredi dernier, pour la quatrième fois en moins de deux mois, les hommes de main des latifundistes ont usé de la force contre une délégation officielle qui tentait de se rendre auprès des communautés dites «captives» de la zone du Alto Parapeti (Province de la Cordillère ). Depuis mardi soir, ces miliciens bloquent plusieurs voies de communications pour empêcher l'arrivée d'une commission gouvernementale, faisant craindre de nouvelles violences. Signe de la détermination et du sentiment de toute-puissance des propriétaires, ni la présence du vice-ministre de la Terre , Alejandro Almaraz, au sein de la délégation du 4 avril, ni celle d'une quarantaine de policiers l'accompagnant n'ont dissuadé les attaquants. Au nombre d'une cinquantaine, ils ont lancé pierres, pétards et fusées, obligeant les policiers à riposter à coups de grenades lacrymogènes. Un indigène et un policier ont été blessés.

 

Ministre retenu et menacé

Peu avant les affrontements, l'un des principaux éleveurs de la zone, l'Américano-Bolivien Ronald Larsen, avait menacé de mort, carabine en mains, les fonctionnaires de La Paz qui oseraient revenir sur ses terres. Un avertissement déjà proféré, le 27 février dernier, lorsqu'un groupe de latifundistes, d'élus de l'opposition et de proches du gouverneur de Santa Cruz Ruben Costa avaient chassé manu militari les experts de l'Institut national de la réforme agraire (INRA), basés à Camiri, principale ville du Chaco. Puis deux jours plus tard, lorsque le vice-ministre Almaraz et le directeur de l'INRA, Juan Carlos Rojas, avaient tenté une première fois de se rendre sans escorte dans le Alto Parapeti pour initier le processus d'inspection des terres. Une «violation de propriété privée», selon M. Larsen, qui leur avait valu la destruction complète de leurs véhicules et une prise en otages de sept heures par les cow-boys du latifundiste américano-bolivien, bien décidé à défendre l'intégralité des 15 000 hectares en mains de sa famille.

 

Tenir jusqu'au 4 mai

Car la cause de ce mauvais western est là. Depuis l'adoption à fin 2006 d'une loi permettant de saisir des terres sur lesquelles du travail forcé a été constaté, certains exploitants du Chaco savent leurs heures comptées. S'ils continuent de nier la condition de «servitude» de leurs employés guaranis, ils ne peuvent ignorer que le rapporteur onusien sur les droits autochtones Rodolfo Stevenhagen, la Commission interaméricaine des droits humains et le Défenseur du peuple ont tous établi l'existence de telles relations de travail dans la Province de la Cordillère.

Selon une étude menée par la Croix-Rouge suisse et le Ministère de la justice, au moins vingt-six haciendas profitent de la main-d'oeuvre «captive» de dix communautés indigènes. Une domination basée sur l'inégale distribution des terres, un système de rétributions en nature, la transmission héréditaire de dettes et l'intimidation physique.

Un tableau qui explique aisément la détermination des exploitants des haciendas à empêcher le passage des fonctionnaires de l'INRA. Du moins jusqu'à l'hypothétique sécession de Santa Cruz ou la chute du gouvernement d'Evo Morales...

 

Territoire ancestral

Pour les Guaranis comme pour les latifundistes, l'enjeu dépasse les seules communautés captives. La démarche menée depuis le 29 février par les fonctionnaires de l'INRA vient s'additionner à la réforme agraire plus classique, qui permet déjà à l'Etat de redistribuer les grandes surfaces improductives et d'annuler les titres de propriétés frauduleux qui pullulent dans ce far east bolivien. (lire les «repères» ci-contre).

Pour la seule Province de la Cordillère , l'Assemblée faîtière du peuple guarani (APG) espère ainsi constituer un Terre communautaire d'origine (TCO) de quelque 200 000 hectares.

Au-delà des besoins premiers des familles captives et autres paysans sans terre, le projet de TCO sur la Cordillère fait surtout figure d'emblème de la politique indigéniste du gouvernement et des mouvements sociaux. Deux fois grande comme la Suisse, l'immense province – dédale de vallons et de gorges qui naguère protégèrent la guérilla du Che – fut aussi le dernier rempart de la Nation guarani face à l'avancée blanche. Un bastion tombé il y a à peine quatre générations.

 

Renforts

Avec le soutien appuyé des milieux autonomistes de la capitale de l'Orient bolivien, les propriétaires terriens du Chaco ont lancé une contre-offensive médiatique et politique, arguant que la redistribution des terres détruirait un tissu économique crucial. Mais surtout, la Fédération des éleveurs boliviens (FGB) fait courir le bruit que le Département de Santa Cruz perdrait les revenus fiscaux du TCO au profit des seuls indigènes. Une crainte sans base juridique, mais pouvant créer l'émoi dans cette région riche en hydrocarbures.

Pour l'heure toutefois, la population du Chaco se montre peu sensible au discours. Selon divers témoignages, les coupures de routes menées hier résultaient surtout de l'abattage d'arbres par des employés des haciendas et de l'obstruction de véhicules.

Bien qu'en conflit avec La Paz , le puissant Comité civique de Camiri – contrairement à celui de Santa Cruz – soutient fermement les revendications indigènes. L'APG se disait hier en mesure de mobiliser un millier de militants de mouvements sociaux et d'indigènes pour accompagner la nouvelle tentative des experts de l'INRA.

Quant au gouvernement, il paraît déterminé à maintenir le cap. Outre le renfort de 200 policiers, Evo Morales vient d'envoyer sa ministre du Développement rural, Susana Rivero, prendre la tête de la délégation gouvernementale et soutenir son vice-ministre des Terres, installé à plein temps à Camiri depuis une semaine. Des messages forts du président à l'intention de ses alliés de l'Est bolivien mais aussi à ses adversaires.

 

Note :

1) On estime leur nombre à 2500-3000 familles réparties sur trois départements, dont environ 500 dans le Alto Parapeti. Voir notre reportage publié le 19 août 2006.

2) Notre édition de samedi dernier.

 

 

Tensions extrêmes en Bolivie :

L’ambassadeur américain travaille à la scission du pays.

 

MALTAIS André

L’aut’journal

20 décembre 2007.

 

Le gouvernement bolivien d’Evo Morales a finalement sa nouvelle constitution ! Mais, après seize mois d’hostilités de toutes sortes de la part des secteurs de la droite, c’est dans un climat de tension, marqué par le spectre de la sécession et de la guerre civile, que se prépare le référendum par lequel la population doit approuver ou rejeter le document.

 

Depuis l’élection d’Evo Morales, la stratégie des « comités civiques » des riches départements de Santa Cruz, Pando, Beni, et Tarija, a consisté à ethniciser le conflit avec le gouvernement.

 

Partitionnistes et racistes, les deux font la paire.

 

Cette ethnicisation s’accompagne de revendications « partitionnistes » demandant que la nation « Camba » (blancs et métis des départements de l’Est) se sépare de la nation « Criolla » (indigènes de l’Ouest, qualifiés de « paresseux », « passéistes » et de « boulet au pied » des classes riche et moyenne).

 

Le 25 novembre, de violents affrontements, provoqués par une oligarchie minoritaire mais disposant de moyens tels qu’elle semble omniprésente, faisaient trois morts et plusieurs centaines de blessés, à Sucre, où l’Assemblée constituante venait tout juste de mettre fin à ses travaux.

 

Ils survenaient après d’innombrables tentatives de paralyser les travaux constitutionnels, appels à la désobéissance civile et au boycottage économique, grèves « civiques » encadrées par des « groupes de choc » armés, vétos du Congrès contre une centaine de lois proposées par le gouvernement, de même que calomnies et incitations à la haine aussitôt véhiculées en abondance dans les médias.

 

Devant le manque de fermeté du gouvernement qui craint manifestement de paraître répressif, l’oligarchie est parvenue à se gagner l’appui de plusieurs éléments de la classe moyenne, notamment dans les universités et les capitales départementales.

 

Tout ça pour une nouvelle constitution qui, pourtant, garantit la propriété privée, l’investissement étranger et les autonomies départementales réclamées par cette même droite.

 

Une constitution pour le peuple.

 

Mais cette même constitution garantit aussi les langues et les modes de vie indigènes ; déclare « droits de l’homme », l’eau, l’énergie, la lumière et les communications ; et permet de révoquer en tout temps, par référendum, les mandats des représentants politiques à tous les niveaux d’administration.

 

De plus, un article limitant la propriété des terres n’a pas obtenu les deux tiers des voies des membres de la Constituante et doit faire l’objet d’un référendum, ce qui est loin de rassurer les grands propriétaires terriens.

 

Gaz naturel et partition.

 

C’est en juin 2006 que les quatre départements où se concentrent les principales réserves de gaz naturel du pays, ont voté en faveur des autonomies départementales, lors d’un référendum impulsé par l’ex-président par intérim, Carlos Mesa.

 

Cette région, en forme de demi-lune, représente la moitié orientale du territoire bolivien. L’autre moitié, formé des départements de La Paz, Chuquisaca, Cochabamba, Potosi et Oruro, avait voté « non ».

 

Ces référendums suivaient de peu l’arrivée de l’un des plus beaux cadeaux qu’ait reçu la caste réactionnaire de Santa Cruz, soit l’ambassadeur états-unien, Philip Goldberg.

 

Dès le 13 juillet 2006, Leopoldo Vargas, journaliste au quotidien El Deber de Santa Cruz, prédisait que l’expérience acquise par Goldberg en ex-Yougoslavie n’allait pas tarder à être utilisée contre le gouvernement d’Evo Morales.

 

Artisan de la désintégration de la Yougoslavie.

 

Avant son arrivée en Bolivie, Goldberg s’est beaucoup promené dans les Balkans durant les années 1990 et, cela, jusqu’à la chute et au procès du président serbe, Slobodan Milosevic.

 

De 1994 à 1996, il occupe en Bosnie le poste d’assistant spécial de l’ambassadeur états-unien, Richard Holbrooke, artisan de la désintégration de la Yougoslavie. Il sera également chef de la délégation états-unienne à la Conférence de Dayton qui a consacré la partition de la Bosnie.

 

Entre 2001 et 2004, on le retrouve au Chili mais il retourne ensuite dans les Balkans pour y diriger la mission états-unienne à Pristina (capitale du Kosovo) et encourager la séparation du Montenegro.

 

Goldberg est donc très familier avec des processus de « décentralisation » et « d’autonomie » à l’origine d’une décade de guerres civiles ethniques en Bosnie, Croatie, Macédoine et Albanie, suivie par l’intervention militaire états-unienne contre la Serbie et la présence de troupes de l’OTAN et de l’ONU pour « pacifier » la région.

 

Le processus d’exacerbation du racisme et des autonomies séparatistes que connaît en ce moment la Bolivie coïncide avec l’arrivée en poste de Goldberg, en 2006, mais aussi avec la présence d’une importante minorité croate parmi l’élite de la région de Santa-Cruz qui est à l’origine du concept de la « nation Camba ».

 

L’agroindustriel, Branko Marinkovic, président de Comité civique de Santa-Cruz et un des plus farouches opposants au gouvernement, est d’origine croate.

 

Les concessions à la droite ne règlent rien.

 

Héritier de ces cadeaux empoisonnés (autonomies départementales et Philip Goldberg), Evo Morales a d’abord cherché à pactiser avec l’oligarchie en faisant inscrire les « autonomies départementales » dans la nouvelle constitution.

 

Cela n’a pas du tout calmé la droite qui, au contraire, a joué cette carte à fond. Au début de 2007, le préfet du département central de Cochabamba, Manfred Reyes Villa, dont le département avait pourtant voté contre les autonomies, menace de tenir un second référendum portant sur « l’annexion » de son département à la demi-lune de l’Est.

 

La population indigène descend aussitôt dans la rue où, mobilisée par le préfet lui-même, l’attendent des sympathisants de la milice de l’Union des jeunes de Santa-Cruz. Pendant que des milliers de fils à papa, armés de bâtons de baseball et barres de fer, s’en donnent à cœur joie dans le plus pur style hitlérien, Reyes Villa s’enfuit à Santa-Cruz où il rencontre ... Philip Goldberg !

 

Manfred Reyes Villa est un ex-capitaine de l’armée, lié à la dictature de Hugo Banzer et ses liens avec la CIA sont sans équivoque.

 

Bras de fer.

 

Le ministre bolivien de la présidence, Juan Ramon Quintana, accuse quant à lui l’agence états-unienne d’aide internationale (USAID) de préparer « l’après Morales » et d’y consacrer une bonne part des 120 millions de dollars que reçoit annuellement la Bolivie.

 

Quintana affirme que l’argent transite par une firme de consultants, Chemonics International, et est destinée à la création de partis politiques modérés pouvant s’avérer un contrepoids au MAS (parti du gouvernement actuel) et à ses successeurs.

 

La population bolivienne, qui commence à en avoir assez de la tolérance du gouvernement face à une oligarchie qui ne respecte pas les lois du pays, se prépare maintenant à approuver par référendum la nouvelle constitution (au cours du premier semestre de 2008) et à affronter la droite sur la question des autonomies.

 

Comme celles-ci sont liées à l’Assemblée constituante, les soi-disant comités civiques font semblant de croire que si le référendum populaire approuve la Constituante, leurs départements seront de facto autonomes.

 

C’est ainsi que le 12 décembre, l’Assemblée provisoire autonome de Santa-Cruz sanctionnait unilatéralement le statut d’autonomie de la région et que le préfet du département, Ruben Costas, menaçait le gouvernement de ne pas s’aviser ni d’envahir ni de militariser la région.

 

De son côté, Evo Morales met son poste en jeu et annonce la tenue d’un référendum révocatoire si la nouvelle constitution est approuvée. En plus du mandat du président, celui-ci pourrait permettre à la population de révoquer le mandat des préfets.