Fichage...

Le DESTOP remplace EDVIGE

 

 

 

 EDVIGE est donc destinée à mourir de sa belle mort. L’annonce en a été faite aujourd’hui par le gouvernement. Pourtant la ministre de l’intérieur nous disait encore hier matin sur RTL qu’il n’y avait pas de quoi fouetter un chat même si elle admettait la tornade politique soulevée par son texte. EDVIGE ne faisait que prolonger ce qui avait été fait dès 1991. Elle oubliait allégrement les nombreux apports introduits dans ce texte comme le recueil d’information sur la vie privée des personnes et surtout le fait que désormais le mineurs étaient visés ce que ne prévoyait absolument pas le décret initial. Il y a quand même des contre-vérités qu’on ne peut pas énoncer sans sanction : EDVIGE allait incontestablement plus loin que ce qui s’était fait jusqu’à présent et il y avait bien matière à inquiéter sur tous les bancs tous les démocrates qu’ils soient politiques, professionnels, militants ou simples quidams. 

 

Il faut bien sûr raison garder et être lucide. Des dizaines de fichiers existent qui fichent sans véritable contrôle la plupart d’entre nous avec des foultitudes de détails qui nous surprendraient. La CNIL avoue régulièrement ses limites simplement du fait des moyens dont elle dispose. Elle sait par ailleurs qu’elle est souvent bernée par ceux qui gèrent les fichiers : ils ne sont pas toujours loyaux sur ce qu’ils déclarent engranger.

De la même manière il est évident que si un texte encadre juridiquement les données qui peuvent être recueillies il n’empêchera pas certains excès, ne fut-ce que par la marge de manœuvre qu’il offrira aux gestionnaires.

 

Tout simplement si des limites sont mises dans le temps à la conservation de certaines données on sait tous que les fichiers ne sont pas épurés comme ils devraient l’être.

 

Notre débat est donc en grande partie virtuel, mais c’est le lot du combat pour les droits de l’homme que de se battre pour placer des frontières censées ne pas être franchies et qui pourtant le seront. Il faudra s’apprêter à justifier le franchissement. On rend ainsi plus difficiles certains dérapages. Par analogie on retrouverait le débat dans les années 1958 sur la légalisation de la garde à vue dans les commissariats : il fallait légitimer l’illégal pour empêcher des dérapages énormes. Il y a pourtant des abus de présence de personnes dans les commissariats, mais ils sont plus rares et plus difficiles à justifier.

 

Alors exit EDVIGE. Et tant mieux. Les hommes politiques, les militants associatifs, les responsables de la société, présents ou à venir vont pouvoir dormir presque tranquilles sans craindre que leur vie soit totalement engrangée. Le fichier classique des RG serait donc mort ? On voudrait bien en être sûr.

 

Mais comme prévu ce sont les enfants qui vont faire les frais de cette bataille : les enfants de 13 ans seront fichés s’ils sont susceptibles de troubler l’ordre public. EDVIGE agonise, mais le DESTOP (le dossier sur les enfants susceptibles de troubler l’ordre public) arrive. On peut craindre que la classe politique, associative ou médiatique se désintéresse de ce nouveau monstre après avoir eu la satisfaction de savoir que telle perversion sexuelle ou telle maladie d’un responsable ou futur-responsable ne sera finalement pas codifiée.

 

Il nous faut dénoncer DESTOP comme nous avons dénoncé EDVIGE. Il est aberrant de vouloir ficher les mineurs de 13 ans susceptibles de troubler l’ordre public. Nous avons déjà le STIC qui recense toutes les personnes dont les mineurs mis en cause comme auteurs ou victimes dans les affaires pénales, sans compter le FNAEG s’agissant des infractions sexuelles. Cela suffit largement surtout si la police fait son effort pour caractériser en quoi une personne n’en reste pas aux idées, mais à des passages à l’acte. Il n’est pas un mineur qui ne soit pas susceptible de troubler l’ordre public. Va-t-on ficher toute la jeunesse de France à partir de 13 ans soit en moyenne 750 000 x 7 donc un peu plus de 5 millions d’enfants ? Un enfant de 13 ans qui fréquente la mosquée, la synagogue ou l’église n’est-il pas susceptible de troubler l’ordre public. Pour le laïc il n’y pas l’ombre d’un doute … ou si peu.

 

Nous ne devons pas céder. Tout cela est ridicule et dangereux et va nous valoir des foudres internationales pour un bénéfice nul puisque nous avons déjà des fichiers opérationnels au regard des objectifs.

 

On nous dit qu’à la majorité la fiche du jeune sera enlevée s’il n’y a pas de nouvelle alerte. Qui le garantit ? Sur quel critère cela se fera-t-il ?

Il y a des dossiers mal engagés; il faut savoir y renoncer. EDVIGE, devenue DESTOP, en est… On se raccroche aux branches des violences urbaines - et à la délinquance juvénile- quand on s’est mal embarqué sur les libertés publiques. (Voir post 267)

Ou alors ouvrons publiquement le dossier des fichiers et laissons la représentation populaire organiser les choses.
Dans leur sagesse - et je ne me moque pas pour avoir fréquenté les parlementaires de tous bords et les avoir vu travailler ensemble - le Parlement trouvera, je n’en doute pas, les bons équilibres. Aujourd’hui on est dans la suspicion. Apparemment ce débat parlementaire est refusé.

Surprenant si on n’a rien à cacher.

 

Fondamentalement le nouveau DESTOP est aussi dangereux que le mort-né EDVIGE.

 

Jean Pierre Rosenczweig, juge des enfants.