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Préface
La vulnérabilité des espaces littoraux est un fait bien connu. Le récent tsunami qui a ravagé les côtes de l'Océan Indien en est une preuve monstrueuse, heureusement d'une rare occurrence. Cependant, l'agression permanente que subissent les côtes, du fait de la nature elle-même ou des hommes qui s'y installent, plus insidieuse, n'en est pas moins néfaste. En zone tropicale, c'est encore plus vrai que dans les conditions naturelles telles que les excès pluviométriques ou la fréquence des ouragans, sont également mis à mal par des aménagement souvent incontrôlés.

S'agissant des littoraux antillais, les auteurs constatent qu'à la différence des îles de l'Océan Indien ou du Pacifique, ces rivages, du fait de leur situation proche de l'Amérique du Nord et de l'Europe, deux grandes régions émettrices de touristes et de capitaux, sont particulièrement vulnérables. Le présent ouvrage se propose de faire le tour de la question ; on est frappé d'abord par l'étonnante diversité des îles : les grandes Antilles n'ont pas les mêmes problèmes que les petites, les auteurs les évoquent sans s'y attarder. Tous deux géographes spécialistes des Antilles françaises, ils ont focalisé leurs recherches sur la Martinique et l'archipel guadeloupéen, sans négliger pour autant les proches voisines comme la Dominique, Sainte-Lucie ou Saint-Vincent, sans méconnaître non plus les îles plus lointaines, des Grenadines à Anguilla.

Même à cette échelle, apparaît l'étonnante diversité des paysages littoraux : les plages sablonneuses recherchées par les touristes ne sont pas, et c'est heureux, le paysage dominant. Ces îles volcaniques sont des montagnes dans la mer, de longs secteurs côtiers restent des falaises sauvages, échappant à l'appétit des promoteurs. Abondamment arrosées du fait de leur altitude, elles sont drainées par de courts torrents dont les embouchures envasées sont colonisées par la mangrove. Des ceintures discontinues de récifs coralliens qui luttent contre l'envasement constituent des défenses naturelles contre la violence des houles. Tout cela est clairement exposé dans la première partie de l'ouvrage, qui analyse ensuite le rôle de la mer Caraïbe, qui subit chaque année des cyclones destructeurs.

La suite de l'ouvrage passe en revue les aménagements littoraux en insistant sur leurs développements récents. D'emblée sont rassurés les lecteurs qui ne connaîtraient les Antilles que par des dépliants publicitaires : le grand hôtel international et sa plage privée n'occupent qu'une faible portion du linéaire côtier (un seul site à la Martinique, un seul à Grande Terre). Bien plus développées sont les autres formes d'aménagement : villes, zones industrielles, ports et routes. Les diverses dégradations qu'elles génèrent sont énumérées : pollution des eaux, asphyxie des écosystèmes littoraux par des apports terrigènes, exploitation abusive du corail ou du bois des mangroves, comme des langoustes ou des lambis, mauvaises pratiques de pêche…La pression du tourisme et des activités de loisir n'arrive qu'en dernier lieu dans cette énumération, ce qui confirme ce qu'on a dit plus haut : l'essor du tourisme balnéaire n'a pas encore massacré les côtes antillaises.

Comment assurer, dans des milieux aussi vulnérables et soumis à des pressions croissantes, la poursuite harmonieuse des aménagements dans le souci d'un " développement durable " ?
Pour appliquer les recommandations élaborées par l'UNESCO pour les zones côtières, et les principes renforcés dans le cadre étroit des petites îles, la bonne volonté ne manque pas : depuis plus de vingt ans se sont organisés maints colloques et conférences, et ont été signées maintes conventions entre les états de la Caraïbe, et les organismes chargés de mettre en œuvre leurs résolutions abondent. Cependant les résultats sont inégaux. Rien de commun entre Haïti, où la gestion est inexistante, et les départements français des Antilles qui parviennent à appliquer, en les adaptant, les directives de la loi commune de protection du littoral. Les Antilles anglophones occupent une place intermédiaire, chaque île, indépendante, marchant à son propre rythme.

La conclusion, nuancée, n'est pas pour autant pessimiste. Pour s'en tenir au tourisme, son essor inévitable, s'il est contrôlé, va mettre en danger, non seulement les écosystèmes, mais les sociétés îliennes elles-mêmes ; la ségrégation sociale, déjà réalisée à Cuba et Saint-Domingue, a épargné heureusement, pour l'instant, les petites Antilles… Mais pour toutes les formes d'aménagement, c'est la gestion intégrée qu'il faudra impérativement mettre en œuvre.

Au total un ouvrage clair, richement documenté, rédigé par deux chercheurs " de terrain " qui, non contents d'utiliser une abondante bibliographie et des sources statistiques, ont consulté les gens, organisant des sondages et des enquêtes, et des réunions avec les divers utilisateurs du littoral. Un livre qui rendra de grands services non seulement aux aménageurs, mais aussi aux étudiants et d'une façon générale à tous les lecteurs amoureux des Antilles…


                                                                                                    Félix HINSCHBERGER
                                                                            Professeur émérite de Géographie à l'Université de Caen