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Comme j'étais en congé ce jour-là, j'en ai profité pour aller à Compiègne. Certes, Compiègne n'est pas une villégiature des plus prisées, car l'air y est plutôt frisquet et la plage moyennement propice au tournage d' " Alerte a Malibu ". Mais ce jour-là, la petite cité pouvait se flatter d'être le théâtre d'un phénomène rare et impressionnant : une éclipse totale de soleil. Adoncques ce jour là, je me lève dès potron-minet (vers 8H, pour moi, c'est potron-minet) et, nanti d'un billet de train ainsi que d'une paire de lunettes en mylar idoines autant que recommandées par le Ministère de la Santé, je traverse la rue jusqu'à la Gare du Nord (car il se trouve que j'habite à côté).
Notons au passage que les lunettes en mylar sont une invention récente. Naguère, le même ministère préconisait de se munir d'une vitre et de passer dessus la flamme d'une bougie afin d'en déposer une couche de suie, seul ce dispositif permettait de regarder le soleil sans risque de se brûler la rétine. Depuis, ce même ministère a vivement interdit cette pratique ancestrale, car paraît-il, elle conduit à la cécité aussi sûrement qu'un taux d'alcoolémie de 5g/l conduit au platane. Le gouvernement pense à nous. Le gouvernement veut notre bien. Faites confiance au gouvernement.
Bref, pendant ce temps, nous voici rendus à la Gare du Nord. Et que voyons nous ? Que nous ne sommes point les seuls à avoir eu cette idée, la gare présentant cet aspect typique de ces exodes dont le peuple de France a l'habitude (à ceci près que ce jour là, les franciliens ne fuyaient pas vers le sud devant les Allemands, mais fuyaient vers le nord en compagnie d'yceux). Je pourrai vous narrer avec moult épithètes inventives les nombreux cas d'incompétence dont je fus témoin et victime de la part du personnel de la SNCF, je me contenterai de dire que, empêché par la police de prendre le train pour lequel j'avais pourtant payé un billet, je dus prendre d'assaut, a ma grande honte, un autre train qui, sur une voie voisine, faisait mine de partir discrètement dans la même direction.
Le voyage dura une heure, durant laquelle j'eus l'heur d'avoir un accès facile aux commodités, il faut dire que j'étais debout contre la porte des toilettes. Mais dans l'ensemble, tout était pour le mieux.
Nous arrivons maintenant à Compiègne, et en nous penchant par la fenêtre (enfin, pour être franc, en nous penchant sur le décolleté d'une anglaise tout en faisant mine de regarder par la fenêtre), j'aperçois à environ un kilomètre au nord une éminence boisée. Sortant de la gare, nous partons dans cette direction et, après avoir emprunté une sente humide, nous arrivons dans une sorte de pré, entre un château d'eau, un champ de maïs et un petit potager, juste derrière un grand arbre. Là, constatant qu'aucun autre lieu ne pourrait nous offrir meilleure vue, nous nous établissons.
Vingt-cinq minutes avant la totalité.
C'est en tout cas ce qu'indique ma montre, car le croissant de soleil reste désespérément invisible sous une épaisse couche de nuages, qui d'ailleurs nous menace d'incontinence.
Les minutes passent, et puis, de plus en plus rapidement, l'ombre s'installe, tandis que le soleil reste invisible. Et soudain il fait nuit. Pas la grande nuit noire et glacée des soirs d'hiver, non, mais la nuit d'un crépuscule bien avancé. Au loin, vers le sud, on voit la frange des nuages parisiens encore brillamment illuminée, tandis qu'ailleurs, tout est noir. Pas de couronne solaire, pas d'arc de diamant, pas de protubérances, rien de tout cela en vérité, tant les nuages voilent charitablement la face de l'astre du jour défaillant. Et le grand arbre prend soudain un aspect menaçant tandis que s'installe un malaise, la sensation que quelque chose dans l'univers n'est pas à sa place, la sensation qu'il y a " un problème ".
Et aussi vite que le crépuscule avait balayé la campagne, la deuxième aube de la journée éclaire les nuages, balayant l'éclipse comme le jour balaye ces étranges rêves, que l'on hésite à qualifier de cauchemar.
Il est temps de redescendre vers Compiègne. Quelque peu déçu de n'avoir pas eu le spectacle de tout ce tralala astronomique, j'ai néanmoins faim. Le problème est que les restaurants ont été pris d'assaut, et que la moitié des boutiques sont fermées, ce qui n'est pas très malin de la part de ces crétins de commerçants compiégnois, car on ne reverra certainement pas une telle affluence de touristes dans leur ville avant quelques siècles. Donc, me rendant vers le centre ville, j'emprunte le pont bidule afin de traverser l'Oise, et ce pour deux raisons : la première étant que c'est l'Oise qui coule a Compiègne, et la seconde étant que je ne comptais certes pas la traverser à la nage. Parvenu à l'autre rive, je dois traverser une rue à un passage piéton.
Quoi de plus banal que la traversée d'un passage piéton ? Voilà une expérience quotidienne, dont les dangers, certes réels, n'en sont pas moins réduits, et qui ne constitue en rien une aventure, et encore moins une expérience mystique.
Sauf si en face, s'apprêtant à traverser en même temps que vous, vous apercevez Isabelle Carré.
Elle était donc là, en compagnie de son célèbre chien et d'un individu qui selon toute vraisemblance partage son intimité, pas très grande, plutôt menue, discret élément de cette foule cosmopolite et planétophile. Et moi, j'ai un gros avantage sur tout ce ramassis de crétins sans éducation : je sais quel est mon bonheur de croiser la route de si charmante créature. Au travers de ses petites lunettes de souris myope, elle avise la foule de l'autre côté (du mien), avec sur la figure cette interrogation vaguement mêlée de crainte qu'ont souvent les gens célèbre : " l'un d'entre eux va-t-il me reconnaître ? ". Or, il n'est point de mon fait que de quémander les autographes ou d'aligner les platitudes du genre " j'aime beaucoup ce que vous faîtes, vous êtes actrice non ? ". Je camoufle comme je peux mon regard de fan excité, tâchant de le faire passer pour le simple regard émoustillé et vertical d'un mâle apercevant une femelle à son goût, regard que j'étend par précaution à quelques autres dames de bien moindre attrait qui se trouvent dans les parages.
Le moment est venu de traverser. Je la croise, à environ un mètre cinquante. A tout hasard, je lance une deuxième analyse. Une demi-seconde me suffit : identité confirmée. Nul besoin de me retourner sur son chemin, je la laisse à son existence, je regagne la mienne.
Cet après-midi là, l'astre du jour a bien paru à mes yeux. Je l'ai vu bien assez pour réjouir mon cœur, pas assez pour en être aveuglé.
Redescendons sur Terre, et mangeons brièvement les fruits du monoprix local. Puis, mettons nous en quête de quelque lieu d'aisance pour nous soulager. Et je me permet ici de signaler aux éventuels touristes que la ville de Compiègne dispose de pas moins de DEUX (2) sanisettes (une devant la cathédrale, l'autre sur la place de la gare), dont AUCUNE en état de marche. Fabuleux non ? Bref, retour au petit sentier humide, qui ne le fut pas moins après ma visite.
Au retour, l'affluence était moindre dans les trains, si bien que je pus même voyager - le croirez-vous ? - assis. Je fus un peu surpris de constater, au sortir de la Gare du Nord, que Paris existait encore, et toujours dans le même état de délabrement. Apparemment, aucun signe de chute de la station Mir, à part un gros amas de ferraille échoué place Beaubourg (mais on me dit que la chose était présente avant).
Voilà comment je vécus l'éclipse du 11 août.
Ah, j'en vois deux au fond qui me demandent : " Oui, mais c'est qui, Isabelle Carré ? ". Ah, cuistres.