Dépasser Kyoto

CLAUDE ALLÈGRE(12/11/2003)

Peut-on réduire sensiblement l'émission de gaz à effet de serre?

Plutôt que d'interdire, mieux vaut conduire des efforts de recherche pour modérer et a terme, contrôler la production de C02

La canicule exceptionnelle que nous avons connue cet été a suscité chez beaucoup de Français l'idée que, décidément, le réchauffement de la planète était bien en marche et qu'il allait se traduire par des étés de plus en plus torrides, se succédant les uns aux autres avec des effets toujours plus dévastateurs.

Comme cette vague de chaleur s'est traduite par un accroissement important des décès de personnes âgées, ce phénomène a créé un sentiment d'inquiétude, voire de peur, dans de nombreux esprits. C'est normal.

Peut-on les rassurer sur le fameux effet de serre?

Revenons aux faits de base. La teneur en gaz carbonique (CO2) de l'atmosphère augmente. C'est un fait incontestable, attesté par des mesures précises. Le CO2 absorbe le rayonnement infrarouge réémis par la surface terrestre, un phénomène qui a tendance à favoriser l'élévation de la température moyenne du globe. C'est, là, l'effet de serre. Un effet qui joue son rôle dans l'équilibre climatique naturel de la planète. Sans effet de serre provoqué par le CO2, mais aussi l'eau et d'autres gaz, la température de surface moyenne de notre planète serait de -18 degrés. La Terre serait gelée!

L'homme, en brûlant du charbon, du pétrole et des forêts, est responsable de l'augmentation " anormale des teneurs en CO2 de l'atmosphère et modifie donc l'équilibre séculaire naturel. Un équilibre qui, notons-le, n'est pas sans fluctuations, comme le prouvent les célèbres périodes glaciaires, dont la dernière amenait les glaciers alpins jusqu'à Lyon, il y a 20 000 ans.

Malheureusement, on connaît mal la nature exacte des modifications climatiques que la perturbation anthropique introduit. La hausse induite de la température du globe est réelle. Mais quelle est et, surtout, quelle sera son amplitude? Il Y a vingt ans, on parlait d'un accroissement de 2 à 5 degrés en vingt ans. On évoque aujourd'hui de tels chiffres pour le siècle tout entier!

Pour donner une indication sur l'un des effets de cette augmentation de température, le niveau de la mer s'élève, par dilatation thermique et sous l'effet de la fonte des glaces polaires, de 2,5 millimètres par an, comme l'a déterminé le satellite franco-américain Topex/Poseidon, soit 25 centimètres en un siècle. On est loin des dizaines de mètres qui devaient submerger les Pays-Bas ou les îles Maldives.

L'accentuation de la variabilité du climat, à la fois géographique et temporelle, avec des contrastes importants, est, en revanche, une observation fiable. La vague de chaleur de cet été est, sans doute, l'une de ses manifestations. Mais elle ne permet pas de prédire l'avenir.

Divers scénarios sont possibles. Par exemple, nous pouvons avoir un hiver très froid et prématuré, et un été prochain très humide, alors que la sécheresse sévirait en Grèce. Bref, d'autres vagues de chaleur auront probablement lieu dans le futur, mais on ne connaît ni le moment où elles surviendront ni leur amplitude.

Que peut-on faire?

Le protocole de Kyoto a proposé de limiter puis de réduire sensiblement l'émission des gaz à effet de serre pour obtenir une baisse de température du globe que les spécialistes estiment à 0,2 degré dans cinquante ans! Les tenants de cette solution nous disent: " Bien sûr, c'est modeste, mais c'est un premier pas. " A cela les Américains répondent que le jeu n'en vaut pas la chandelle. Une telle limitation pour les Etats-Unis est en effet impossible économiquement et socialement. Elle conduirait à une récession économique, due à une crise de l'industrie automobile, et à la mise au chômage de millions de personnes.

Les Russes font remarquer qu'une augmentation de température ne serait pas forcément mauvaise pour eux, puisqu'elle rendrait les hivers moins rudes et leur agriculture plus efficace. Quant aux Chinois et aux Indiens, ils poursuivent leur développement économique en contribuant de plus en plus à la production de CO2.

Le problème semble, dans ces conditions, insoluble. Pourtant, il ne l'est pas. Il faut rechercher la solution non pas dans la logique de l'interdiction - ce qui est rétrograde dans l'esprit et inefficace dans la réalisation - mais dans celle du dépassement. Comme on l'a fait pour la couche d'ozone au-dessus de l'Antarctique, où, en trouvant des substituts aux CFC pour la réfrigération, on a pu éliminer ces derniers avec efficacité.

Dans cet esprit, pour modérer et, à terme, mieux contrôler les émissions de CO2, il faut conduire des efforts de recherche " utiles" dans deux directions. D'une part, le développement de la pile à combustible, qui consiste à " brûler " de l'hydrogène et à produire ainsi de l'énergie électrique et de l'eau comme résidu. D'ici à dix ou vingt ans, on pourra remplacer les voitures à essence par des véhicules utilisant totalement ou partiellement l'énergie de cette pile à combustible. Dans la période intermédiaire, des voitures hybrides verront le jour.

D'autre part, la séquestration du gaz carbonique.

A haute pression, le CO2 est dans un état supercritique et très dense. Il peut donc être stocké en profondeur, même dans les grandes fosses sousmarines. Dissous dans l'eau, il se combine au calcium, pour donner du calcaire que l'on peut utiliser industriellement. Il est ainsi possible de neutraliser le CO2.

A cela s'ajouteront les progrès dans le domaine de l'énergie nucléaire, qui permettront d'éliminer les centrales électriques à charbon et pétrole. Lorsque ces projets verront le jour, ils induiront non pas une récession, mais une formidable croissance économique. L'avenir n'est jamais dans la frilosité et la peur.

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