Le projet japonais "Hydrogène & Piles à combustible" :
bilan à l'issue de la première année.



Robert Farhi, Attaché pour la Science et la Technologie

Le 1" mars dernier s'est tenu à Tokyo un séminaire destiné à faire le bilan de la première année de fonctionnement du projet JHFC ("Japan Hydrogen Fuel Cell"). A cette occasion, les différents organismes gouvernementaux, les compagnies pétrolières et gazières et les différents constructeurs automobiles partenaires du projet ont fait état de son avancement chacun pour le domaine qui les concerne.
La réalisation du programme est plus rapide que prévue, avec la démonstration de la faisabilité et la réalisation, dès la première année, d'un réseau de 5 stations-service à hydrogène installées autour de Tokyo, et du déploiement d'un parc d'automobiles à pile à combustible les utilisant.
Les institutions et entreprises japonaises impliquées dans le projet montrent ainsi leur détermination à le faire aboutir dans les meilleures conditions.

En avril 2002 était lancé par le METI (Ministère japonais de l'Economie, du Commerce et de l'Industrie) un programme ambitieux de démonstration de faisabilité d'un réseau de stations-service à hydrogène, couplé à la mise en circulation de véhicules à pile à combustible.

Le 13 mars dernier se tenait à Tokyo une réunion - point de presse à l'issue de la première année du programme. La salle de 500 places qui avait été réservée à cet effet était pleine, et la presse était venue nombreuse.

Rappel des principaux éléments du projet

Les principaux écueils auxquels se heurte actuellement le développement des véhicules à pile à combustible sont le coût élevé (lié en particulier à la nécessité d'utiliser dans les piles une grande quantité de catalyseur au platine) et l'alimentation en carburant.

La question du coût élevé des véhicules ne saurait être résolue que par les progrès technologiques (en cours) permettant de diviser par 10 la quantité et, surtout, le prix du catalyseur, et par une production en masse des véhicules.

Le programme a essentiellement pour objet d'apporter des réponses à la deuxième question. En effet, la solution permettant de transformer in-situ des carburants fossiles traditionnels (essences légères, naphta, gaz naturel ou liquéfié) ou d'origine agricole (méthanol) en hydrogène est envisageable à l'aide d'un dispositif appelé "reformeur", mais la technique nécessite encore quelques améliorations.

Aussi, l'alimentation directe des véhicules en hydrogène à partir d'un réseau de stations-service a-t'elle actuellement la faveur de la plupart des constructeurs automobiles. Le programme est donc destiné à démontrer la faisabilité et la sécurité d'un système de circulation constitué d'un parc d'automobiles à pile à combustible (certes restreint en son début à quelques dizaines d'unités) alimenté par des stations de distribution d'hydrogène.

Rappelons que les piles à combustible alimentées en hydrogène n'émettent que de l'eau comme sous-produit. A la condition de savoir fabriquer de l'hydrogène en minimisant l'émission de dioxyde de carbone ou en le piégeant, ce système de locomotion permettrait d'apporter un élément de réponse au réchauffement climatique global, puisque 25% des émissions de dioxyde de carbone de la planète émanent des véhicules automobiles.

Le projet JHFC (Japan Hydrogen Fuel Cell) a été impulsé par le METI dès le début de l'année fiscale 2002, pour une durée de 3 ans, avec des aides financières de 2,5 milliards de yens (environ 20 millions d'euros) pour chacune des deux premières années, et de 500 millions de yens pour l'année fiscale 2004 (qui se termine fin mars 2005). D'ores et déjà, plusieurs groupes de travail réfléchissent aux nouveaux dispositifs réglementaires nécessaires à la mise en circulation à grande échelle de ces véhicules. Cette réglementation devrait résulter de la phase de validation et standardisation menée parallèlement au projet. Un conseil a été mis en place en mai 2002 et devrait finaliser des propositions de nouvelles réglementations en 2005, en étroite relation avec les partenaires du projet.

Enfin, le programme devrait aussi permettre, d'une certaine façon, d'évaluer le marché de l'hydrogène pour les prochaines décennies. Le METI espère ainsi promouvoir ce nouveau type de locomotion : le nombre de véhicules à pile à combustible attendu au Japon à l'horizon 2010 est de 50000, et de 5 millions en 2020. Dans son discours de politique générale du 1er février 2003, le Premier Ministre Koizumi y a fait référence de façon explicite, en mentionnant que le gouvernement japonais utilise, depuis l'année dernière, comme véhicules officiels, les premiers véhicules à pile à combustible mis sur le marché. Le METI ne ménage pas ses efforts quant à la promotion de ces véhicules : 9 milliards de yens ont été consacrés en 2002 à la recherche et au développement des véhicules à piles à combustible, et 12 milliards (environ 100 millions d'euros) devraient l'être en 2003. Le pojet JHFC est piloté par deux organismes : la JEVA (Japan Electric Vehicle Association) pour ce qui concerne les véhicules, et l'ENAA (Engineering Advancement Association of Japan) pour tout ce qui concerne le réseau d'approvisionnement en hydrogène.

Résultats à l'issue de la première année

Stations -service
Le programme prévoyait la mise en œuvre de 5 stations-service autour de la baie de Tokyo. Ces 5 stations sont opérationnelles à la fin avril 2003, c'est à dire un an seulement après le démarrage du projet. Les différentes compagnies impliquées dans la mise en œuvre de ces stations-service étaient présentes le 13 mars, et ont communiqué les caractéristiques détaillées de chacune de ces stations.

En sus de ces 5 stations expérimentales, une station mobile de compression est installée dans le quartier de Kasumigaseki, au centre de Tokyo, où sont implantés la plupart des ministères japonais, afin de pourvoir au besoin des véhicules à pile à combustible du gouvernement. Elle peut comprimer 4,5 kg/h à 40 MPa.

Véhicules
Les cinq constructeurs automobiles participant au projet sont Daimler-Chrysler, General Motors, Honda, Nissan et Toyota. Chacun d'eux a présenté les spécifications des véhicules de démonstration utilisés dans le programme.

Le constructeur japonais le plus avancé en la matière reste sans conteste Toyota. La firme fabrique ses propres piles, et les implante dans des véhicules de tout gabarit. Les derniers produits sont de type "tout terrain", qui permettent un espace suffisant pour loger l'ensemble du système. On peut citer les FCHV 3 et 4, qui utilisent l'hydrogène comprimé à 35 MPa, et le FCHV 5, qui intègre un reformeur d'essence légère. C'est la dernière version à hydrogène qui est utilisée dans le projet. Dénommée FCHV, elle possède une autonomie d'environ 300 km, et sa vitesse de pointe est de 155 km/h. Un véhicule plus petit est aussi produit, le Move FCV-K-II, destiné plus spécifiquement aux déplacements urbains. Enfin un bus, le FCHV-Bus 2, permet le transport de 60 personnes à une vitesse de 80 km/h.

Toyota produit aussi des piles à combustible à membrane polymère (identiques à celles embarquées) destinées à la production d'énergie stationnaire en co-génération.

Honda a produit une série de véhicules (FCXV 1 à 4) alimentés en hydrogène sous pression (35 MPa). Ils présentent la particularité d'être plus compacts et plus courts de 60 cm que ceux de Toyota (longueur hors-tout 4,165 m) sans pour autant sacrifier à l'autonomie (355 km) ni aux performances (vitesse maximale 150 km/h). Le véhicule mis en service dans le cadre du programme est le FCX, dernière version de la série. La pile a été fournie par Ballard et adaptée au véhicule, en collaboration avec le constructeur canadien.

Le constructeur japonais à s'être lancé dans le projet le plus récemment est Nissan, qui a sorti en décembre 2002 un premier modèle alimenté à l'hydrogène (35 MPa), le XTrail FCV, dont les performances sont moyennes (vitesse maximale 125 km/h) compte tenu de la puissance électrique installée, mais tout à fa it adaptées au réseau routier et au mode de conduite japonais. La pile a été fournie par le constructeur américain UTC-FC.

Les deux autres constructeurs impliqués dans le projet JHFC sont étrangers au Japon : il s'agit de Daimler-Chrysler et de General Motors. Le premier de ces deux constructeurs possède une expérience non négligeable dans le domaine des véhicules à pile à combustible, avec toute une gamme allant de la série Necar (construite à partir d'une carrosserie de Mercedes classe A ; certains des véhicules ont un reformeur à méthanol intégré), jusqu'au bus (Citaro 2002, 70 personnes, autonomie 300 km), en passant par les véhicules de livraison (fourgon 3,5 tonnes de carrosserie Mercedes). C'est la F-Cell, dernier véhicule de la série, qui est actuellement en cours de validation dans le cadre du projet. Sa vitesse de pointe est bridée à 140 km/h, et son autonomie est de 150km.

General Motors a implanté dans une carrosserie monospace une pile de sa fabrication, qui permet au véhicule de se mouvoir à 160 km/h avec une autonomie de 400 km. Le véhicule est alimenté en hydrogène liquide. Ce véhicule vient d'être homologué pour les déplacements routiers au Japon.

Les responsables du projet JHFC insistent sur le fait que les partenaires étrangers ont, au sein du programme, exactement le même statut que les constructeurs japonais, à tout point de vue.

A terme, le rendement "du puits à la roue" de ces véhicules devrait atteindre 42%, à comparer aux 28% des véhicules hybrides (Prius de Toyota) ou aux 14% des véhicules à moteur à combustion interne.

Autres interventions
Les organisateurs du séminaire avaient invité d'autres acteurs qui développent, en dehors du Japon, des projets similaires.

Le premier d'entre eux est le projet bien connu "California Fuel Cell Partnership" auquel, outre les 5 constructeurs déjà cités, participent aussi VolksWagen, Ford et Hyundai. Sont aussi partenaires du projet les compagnies pétrolières BP, Shell, Exxon Mobil et Chevron Texaco. Le projet, outre les aspects technologiques, déploie de gros efforts de sensibilisation en direction du public.

Le second acteur était l'Europe, par le biais des programmes CUTE (Clean Urban Transport for Europe) et ECTOS (Ecological City Transport System, Islande). Ces deux projets visent à développer un système de transport urbain par bus à pile à combustible. Les bus utilisés sont des Citaro de Daimler - Chrysler. Une trentaine est actuellement en circulation à Stockholm, Londres, Amsterdam, Hambourg, Stuttgart, Luxembourg, Madrid, Barcelone, Porto (projet CUTE) et Reykjavik (projet ECTOS). L'hydrogène nécessaire à l'alimentation des bus est produit de différentes façons (hydraulique, éolien, solaire, reformage du gaz naturel, etc…).

Dans le même esprit, le programme Citycell, dont la phase active devrait débuter en octobre 2003, met en œuvre des bus de marque Fiat au sein desquels sont implantées des unités motrices leur permettant de transporter 73 personnes à 60 km/h. Les bus circulent à Turin depuis 2002 (phase d'essai), et devraient être mis en service à Madrid en mai 2003, puis à Paris en 2005-2006, en partenariat avec la RATP.

Un projet analogue au California Fuel Cell Partnership devrait débuter en 2003 en Allemagne. Dénommé CEP (Clean Energy Partnership) et basé à Berlin, il est doté d'un montant de 25 millions d'euros pour une durée de 4 ans. Les partenaires sont les principaux constructeurs allemands (BMW, Daimler-Chrysler, General Motors / Opel, Ford et MAN) et des entreprises allemandes du secteur de l'énergie et du traitement des gaz (BP/Aral, Linde, GHW, Verbund et BVG).

Conclusion
Le projet JHFC est programmé sur les 3 années fiscales 2002, 2003, 2004. A l'issue de la première année de fonctionnement, les entreprises et les institutions japonaises ont su montrer une fois de plus leur détermination, et ce malgré la crise économique qui sévit au Japon : les véhicules et les stations-service sont d'ores et déjà opérationnels, et il sera possible d'entrer à brève échéance dans la phase de validation, standardisation et réglementation.

L'intérêt porté par tous les partenaires japonais susceptibles d'être impliqués dans le développement de ces véhicules ne se dément pas. Ils sont en effet convaincus de l'avenir de ce type de locomotion, même si, à plus court terme, ce sont les systèmes hybrides qui prendront peu à peu le relais des moteurs à combustion interne. Mais dans ce secteur, les constructeurs japonais sont aussi les mieux placés.