Le catastrophisme
_________________________

Michel Petit, membre du groupe intergouvernemental sur l'évolution du climat : "Le jour où les hommes ressentiront quelque chose, il sera trop tard"

Le scientifique français, membre du groupe intergouvernemental sur l'évolution du climat, tire la sonnette d'alarme. Pour lui, l'augmentation des émissions de gaz à effet de serre est une réalité démontrée.

Peut-on démontrer l'augmentation des émissions de gaz à effet de serre ?
C'est en 1885 que pour la première fois un chercheur, le prix Nobel suédois Arshenius, a affirmé que le fait de brûler des combustibles fossiles allait provoquer une augmentation de la teneur de l'atmosphère en gaz carbonique (CO2), ce qui par effet de serre provoquerait un réchauffement appréciable de la planète. Depuis les années 50, des programmes de recherche étudient ce problème. En particulier, la hausse du CO2 est mesurée avec précision. L'observatoire installé par les Américains au sommet du volcan Mauna Loa, à Hawaii, constitue une référence. On y a noté depuis 1958 une augmentation moyenne de 0,5 % par an. En dépit de fluctuations, jamais le taux moyen d'une année n'a été inférieur à celui de la précédente. Ce résultat est vrai pour l'ensemble de la planète, car ce gaz a une durée de vie très longue et a le temps de se répartir uniformément.
Les mesures modernes ont été comparées avec les valeurs que l'on a pu reconstituer pour le passé, notamment à partir des bulles d'air emprisonnées dans les carottes de glace des régions polaires. Le raccord est satisfaisant et montre que la teneur de l'atmosphère en CO2 est passé de 250 ppm (particules par million en volume) avant l'ère industrielle entre 1600 et 1800, à 360 ppm en 2000.

Quel lien y a-t-il entre la progression de ce phénomène et les changements climatiques ?
La température d'une planète dépend de l'absorption par son atmosphère du rayonnement infrarouge qu'elle émet, et donc de la concentration des gaz à effet de serre. C'est ainsi que la planète Vénus est plus chaude que la Terre de plusieurs centaines de degrés, tandis que Mars est plus froide de près de 100 degrés. L'atmosphère de la première est riche en CO2, et celle de la seconde plus pauvre que la Terre. Tout le problème est d'évaluer le réchauffement de la Terre lié à l'accroissement de la concentration des gaz. En faisant des hypothèses sur ce que pourraient être les émissions de l'humanité au cours du siècle qui débute, on a pu estimer, grâce à des modèles numériques de circulations atmosphérique et océanique, qu'en 2100 l'accroissement de température se situerait dans une fourchette de 1,4 à 5,8 degrés. De tels écarts sont considérables, puisque moins de 5 degrés séparent les températures des extrêmes des cycles climatiques glaciaires et interglaciaires qu'a connus notre planète. La rapidité de l'évolution est particulièrement inquiétante, puisque nos petits-enfants seront directement concernés.

Quels pays seraient les plus touchés ?
La montée du niveau de la mer résulterait à la fois de la dilatation des couches de surface et de la fonte des glaciers déjà observée sur tous les continents. Elle va affecter l'ensemble des petites îles et des régions continentales ayant une altitude faible. Le scénario qui conduit en 2100 à une augmentation de température de 6 degrés prévoit une augmentation du niveau de la mer de près de 1 mètre. Et même si la température se stabilise, la fonte des glaciers et des calottes polaires continuera à faire monter de plusieurs mètres le niveau de la mer au cours des siècles à venir. En dehors de ces zones proches du niveau de la mer, ce sont les régions les plus touchées par le changement de régime des précipitations et de l'évaporation qui seront les plus vulnérables. Le pourtour méditerranéen sera plus sec, tandis qu'il faut s'attendre à des événements pluvieux plus intenses et plus nombreux dans les latitudes tempérées. La production agricole des pays tropicaux sera réduite, tandis que celle des pays de latitude moyenne augmentera probablement.

Les pays qui polluent le plus vont donc profiter de la modification du climat ?
C'est exact dans un premier temps ! Mais les enjeux essentiels sont à long terme. Il faut avoir présent à l'esprit que si, par miracle, et les derniers événements ne semblent pas aller dans ce sens, les émissions étaient stabilisées, il faudrait plusieurs dizaines d'années avant que les concentrations atmosphériques ne se stabilisent.
En outre, à partir de ce moment-là, il faudrait encore plusieurs décennies avant que la température ne cesse de croître, et plusieurs siècles avant que le niveau de la mer ne cesse de monter.

Il n'y a donc pas péril en la demeure si les négociations de Kyoto ne sont pas ratifiées rapidement ?
Scientifiquement, une ratification maintenant ou dans dix ans ne changera pas grand-chose à l'échelle de la planète. Mais les hommes doivent prendre conscience du fait que le jour où ils ressentiront quelque chose de précis et de grave, il sera beaucoup trop tard pour réagir. L'effet de serre est une menace future. Les négociations sur le climat porteront sur une durée qui excède un mandat présidentiel américain de cinq ans ! Les Etats-Unis, qui sont le plus grand émetteur de gaz à effet de serre, doivent montrer l'exemple. Les citoyens de ce pays ont bien été capables de réduire leur consommation de tabac et de mettre au pas le lobby des fabricants de cigarettes ! Le jour ou ils auront pris conscience du problème, ils sauront diminuer de 1 degré la température de leurs locaux en hiver et l'augmenter de 1 degré en été.
A plus long terme, le plus gros problème est l'évolution de la situation en Inde et en Chine. Deux pays qui disposent d'énormes réserves de charbon, qu'il est difficile de leur interdire d'utiliser.

PROPOS RECUEILLIS PAR JULIE CHAUVEAU