Questions au
directeur des routes

Patrick GANDIL

IGPC 80

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D.A Quel programme autoroutier te semble nécessaire pour demain ?

Les transports sont un enjeu fort pour la prospérité de notre pays et le développement de notre économie : amélioration des moyens de déplacement et croissance économique ont toujours entretenu des relations étroites, Le réseau national constitue l'armature structurante du réseau routier français. S'il représente moins de 4 % des linéaires, il supporte plus de 40 % des trafics. Dans ces conditions, son bon fonctionnement conditionne dans une très large mesure celui du système de transport dans son ensemble, et donc le développement économique de nos entreprises. Rappelons, en effet, que la route achemine près de 90 % des transports intérieurs de voyageurs et 75 %. de ceux de marchandises ; et n'oublions pas qu'elle assure également les parcours terminaux des autres modes.

P.G. : Que constate-t-on aujourd'hui ? Que le trafic augmente fortement de manière linéaire depuis longtemps, et qu'aucun indice n'indique une inflexion de cette croissance. Rappelons que depuis 1975, le trafic a été multiplié par 2,5 avec une augmentation de 34 % au cours des dix dernières années. Le scénario multimodal volontariste, objectif des schémas de services, fondé sur une hypothèse de triplement du fret ferroviaire (qui parait aujourd'hui très difficile à atteindre) conduit par rapport à 1996 à multiplier d'ici 2020 les trafics voyageurs par 1,75 et les trafics marchandises par 1,4.

Dans ces conditions, le développement du réseau routier aujourd'hui me semble devoir se décliner suivant trois axes principaux :

- la réalisation de grands itinéraires est-ouest et sud-nord permettant d'assurer un bon écoulement du trafic routier national et international, ainsi que l'ancrage du territoire dans l'espace européen,

- une desserte plus équilibrée de l'ensemble des points du territoire assurant la résorption des inégalités,

- la réalisation d'un certain nombre de contournements urbains destinés à écarter le trafic de transit de l'espace urbain. En effet sur les infrastructures actuelles se superposent, dans des conditions peu favorables à la sécurité, trafics de transit et trafics locaux.

Par ailleurs, il convient de compléter le maillage défini par les grandes liaisons pour assurer la desserte des ports, aéroports et plus généralement les plates-formes d'échanges multimodales, condition indispensable au développement de ces activités et de l'intermodalité.

Le financement du programme autoroutier

D,A.: Auparavant, le développement du système routier était financé grâce ou mécanisme de l'adossement, qui consistait à utiliser les fonds dégagés par les concessionnaires en place pour la construction de nouvelles autoroutes en allongeant éventuellement la durée des concessions. Compte tenu des directives de Bruxelles, ce système a été modifié par le gouvernement français ce qui, maintenant, a une véritable mise en concurrence des entreprises pour acquérir les nouvelles concessions, et construire ainsi les nouvelles autoroutes. Les sommes dégagées par les concessionnaires sont reversées sous forme de dividendes aux actionnaires des entreprises. Comment vois-tu le financement du développement des autoroutes dons un tel système ?

P.G. : La première conséquence de la fin du système de l'adossement réside en effet pour chaque nouvelle section d'autoroute dans la mise en concurrence de toutes les sociétés et dans la signature d'une concession à part entière, alors qu'auparavant l'on procédait par avenant aux concessions existantes Seule Cofiroute a bénéficié d'une deuxième concession pour les travaux de l'A86. Chaque tronçon doit ainsi trouver son propre équilibre économique sans faire appel aux recettes provenant des autres sections du réseau. Si le montant d'investissement est tel que l'excédent d'exploitation ne permet pas de couvrir l'investissement, il est nécessaire d'abaisser le coût supporté par l'entreprise par une subvention publique. La réforme a donc permis de compléter les systèmes de financement qui auparavant reposaient totalement soit sur l'argent public, donc sur la fiscalité, soit sur la concession, par un système intermédiaire utilisant la fiscalité et le péage des usagers. La question à laquelle nous sommes aujourd'hui confrontés consiste à trouver les financements publics, généralement partagés en deux entre l'Etat et les collectivités, correspondant à ces subventions. Une première possibilité réside dans l'utilisation des dividendes versés à l'Etat, possibilité d'autant plus intéressante qu'elle devrait permettre de réaliser le programme autoroutier décrit dans la question précédente. Evidemment, tout autre ressource budgétaire est envisageable : cette question sera l'une des questions clefs du futur débat au parlement sur les infrastructures de transport. Il est important à ce stade de garder en mémoire que d'un strict point de vue économique, les bénéfices d'exploitation du réseau actuel permettent non seulement de rembourser les emprunts et de renforcer les sections déjà en service, mais aussi de financer le développement des autoroutes à construire.

 

L'avenir d'ASF

D.A. : Le Ministère des finances envisage de pour suivre l'ouverture du capital des Autoroutes du Sud de la Fronce et d'aboutir à un actionnariat à majorité privé. Dans un autre article de ce numéro, Jacques Tavernier s'exprime sur le devenir qu'il envisage pour ASF Quelle est ta vision de l'avenir d'ASF, et plus généralement de l'ouverture du capital des sociétés concessionnaires d'autoroutes

P.G. : Le gouvernement n'a pris aucune décision sur ce sujet : il a lancé une étude sur les perspectives d'organisation du secteur autoroutier. L'ouverture du capital d'ASF est donc envisageable et ne me pose aucun problème de principe : le système de la concession marche parfaitement avec des entreprises privées. je suis néanmoins très réservé sur la prise de contrôle d'ASF par un groupe de BTP. La séparation entre le maître d'ouvrage et l'entrepreneur dans la réalisation des projets constitue un grand principe qu'il faut conserver. L'ouverture du capital d'ASF pose également la question du financement des nouvelles autoroutes, qui est aujourd'hui assuré par le versement des dividendes des sociétés d'autoroutes, et en particulier par celui d'ASF,

Les relations entre l'Etat et les sociétés d'autoroutes

D.A. : La fin du système de l'adossement, et l'ouverture du capital des SEMCA est en train de modifier assez largement les relations que l'Etot pouvait entretenir avec les sociétés concessionnaires d'autoroutes (même si Cofiroute a été créée en 1 970). On semble en revenir à une culture beaucoup plus forte du contrat dons laquelle le contrat de concession reprend beaucoup plus d'importance que par le passé. Que faut il penser de cette évolution ? Ne risque t-elle pas de remettre en cause une des idées fondamentales du partenariat public-privé qui est l'entente nécessaire qui doit exister entre le concessionnaire et son concédant ?

P.G. : De façon très générale, notre société évolue de plus en plus vers une régulation des rapports professionnels ou sociaux par le droit. De ce point de vue, le respect du contrat devient l'outil principal de gestion des sociétés d'autoroutes, privées ou publiques, et remplace avantageusement les demandes de nouvelle délibération que pouvait effectuer la tutelle et que je n'ai jamais vu mises en œuvre en tant que représentant du gouvernement auprès de ces entreprises. Il ne me semble pas cependant que cette priorité donnée au contrat remette en cause l'idée du partenariat public-privé : un bon PPP nécessite des relations constructives et de confiance entre les partenaires pour construire et exploiter sur des périodes parfois très longues que l'on songe seulement à ce qu'était l'automobile il y a soixante ans - conduisant nécessairement à des avenants au contrat de départ. Pour autant, une bonne entente ne signifie pas un travail "à la bonne franquette" : au contraire, "les bons comptes font les bons amis" et le respect du contrat doit nous y aider.

Le scénario multimodal volontariste

D.A. : A travers l'approbation des schémos de services collectifs de transport, il a été décidé de retenir un scénario dit "scénario mutlimodal volontariste" qui repose sur un certain nombre d'hypothèses (hypothèse de croissance économique de 2,3 % par on, prix du pétrole ... ) ainsi que sur un objectif de triplement du fret ferroviaire d'ici 2020. Or, depuis vingt ans, le fret ferroviaire a nettement diminué (30 % en millions de tonnes transportées, 15 % en tonnes kilomètres transportées), tondis que le fret routier a sensiblement augmenté (+ 30 % en millions de tonnes transportées, + 100 % en tonnes kilomètres transportées), Les résultats de l'année 2001 confirment cette tendance à la baisse avec une réduction de 1 0 % pour le fer des tonnes kilomètres transportées qui s'explique à Ia fois par /es grèves observées, Ia baisse de l'activité agricole et sidérurgique, et Ia qualité du service. Les premières estimations portant sur l'année 2002 semblent donner les mêmes chiffres qu'en 2001 alors même qu'il n'y a pas eu de grève. Dons ces conditions, l'objectif de triplement du fret ferroviaire à l'horizon 2020 semble de plus en plus irréaliste. Qu'en penses-tu ? Fout-il abandonner ce "scénario multimodal volontariste" pour retenir une vision prospective dont les objectifs seraient plus réalistes ? Que peut-on faire malgré tout pour développer le fret ferroviaire

P.G. : Mon sentiment, qui n'est pas celui d'un spécialiste du ferroviaire, mais celui d'un observateur attentif, est effectivement que l'objectif de triplement du fret ferroviaire est irréaliste. Il ne faut probablement pas s'y accrocher et chercher à le réviser : le propre d'un tel scénario est en effet d'éclairer notre vision de l'avenir, en gardant néanmoins une certaine crédibilité. Il ne faudrait pas pour autant tout jeter : le développement du fret ferroviaire est une nécessité. D'un point de vue strictement routier, les particuliers se plaignent de l'augmentation du nombre de poids lourds sur les routes, nombre qui devrait quels que soient les scénarios retenus continuer d'augmenter. Il faut également développer le cabotage maritime, le fluvial, le transport combiné... L'augmentation du fret ferroviaire est en particulier justifiée dans les zones sensibles (traversées alpines notamment), ou sur les itinéraires pouvant conduire à des transports massifiés, correspondant par exemple à de grands ports, citons ainsi la liaison Paris-Le Havre .

Il est bien connu que les difficultés du fret ferroviaire résident aujourd'hui dans la qualité du service fourni. Il est également probable que le fret ferroviaire ne dispose pas des outils nécessaires la très grande disparité de vitesses qui existe en France entre les trains de voyageurs et les trains de fret ne favorise pas la circulation de ces derniers, et doit probablement conduire à créer soit des lignes dédiées, soit des zones de doublement. Ceci nous conduit à évoquer le problème du financement du fret ferroviaire qui ne couvre pas ses frais d'exploitation et encore moins ses coûts d'investissement. Ce n'est pas par un raisonnement économique que l'on pourra tendre vers un rééquilibrage intermodal. Celui-ci doit correspondre à un véritable choix politique, compte tenu de son coût. Là encore, le débat au parlement sur les infrastructures de transport m'apparaît essentiel.

Le développement du réseau routier

D.A. : Tout ceci ne conduit il pas à dire que /es transports vont continuer à reposer dans les prochaines années sur le trafic routier et qu'il est donc souhaitable de prévoir les investissements nécessaires pour éviter les situations de congestion qui devraient en l'absence d'investissements complémentaires survenir sur /a Vallée du Rhône et l'Arc Longuedocien, ainsi que sur l'autoroute Poris-Lille et pour assurer Ia fluidité du trafic sur de grands itinéraires nord-sud et est ouest ? Autrement dit, est ce que /a poursuite d'un objectif "irréaliste" de triplement du fret ferroviaire, ou d'un découplage absolu de Ia croissance du PIB par rapport à l'évolution du trafic routier ne risque pas de masquer les besoins de développement du réseau routier nécessaires ou déve/oppement de notre économie dans les années futures ? et finalement de pénaliser notre économie dons /es prochaines années en raison d'un réseau routier très fortement congestionné sur certains axes ? Peut-on accepter une régulation du secteur des transports par Ia congestion de certains axes ou risque de pénaliser notre économie ?

P.G. : Non, bien sûr, il n'est ni souhaitable ni acceptable de gérer le système routier par la congestion. Actuellement, la route représente plus de 75 % du transport de fret et plus de 85 % du transport de voyageurs. Contraindre excessivement le trafic routier conduira certes à une augmentation des reports modaux, en quantité limitée, mais surtout à pénaliser la grande majorité des usagers ainsi que notre économie. Il est souhaitable, je crois, de chercher à privilégier des scénarios d'avenir donnant toute leur place au ferroviaire, au fluvial, au cabotage maritime, mais permettant également le développement du mode routier. Le scénario multimodal volontariste, même s'il est irréaliste et pénalisant pour la route, prévoit néanmoins une augmentation sur vingt ans de plus de 40 % du fret routier, et de 75 % du transport de voyageurs.

L'idée d'une gestion par la congestion d'un certain nombre de nos grands axes de transport m'apparaît tout simplement inacceptable, en particulier lorsqu'ils servent à écouler le trafic international : je pense en particulier à la Vallée du Rhône, à l'Arc Languedocien, à l'axe Paris-Lille, au sillon mosellan, à l'autoroute A63 sur la côte basque, à l'A8 au droit de Nice

Quant au découplage entre l'évolution du la croissance des trafics, découplage qui connaissance n'a jamais été observé par le ce peut être une hypothèse d'école, mais il dangereux de vouloir se reposer sur celle-ci prendre nos décisions. je préfère de bea l'idée, particulièrement séduisante, d'un d plage entre la croissance du PIB et la stag des nuisances dues à l'augmentation des trafi

Décentralisation

D.A. : La décentralisation dans le domaine des routes constitue aujourd'hui un fort sujet d'interrogation : que peux-tu nous en dire aujourd'hui ? Comment, à l'occasion d'une telle réforme, aller vers un meilleur service rendu à l'usager ?

P.G. : Dans toutes nos réflexions sur un nouvel exercice de décentralisation dans le domaine routier, l'usager doit être placé au cœur de nos occupations. Une réflexion sur des transferts de compétence, associés à une réforme de l'Etat est engagée, en se référant au cadre général de décentralisation fixé par le Premier ministre dans son discours de politique générale du 3 juillet 2002

Trois éléments de cette réflexion peuvent être mis en exergue :

- L'entretien et l'aménagement des routes nationales relèvent d'une même politique nationale mise en œuvre selon les mêmes procédures, quelque soit le département concerné. En revanche, les routes départementales placées sous l'autorité de chaque Conseil général, ont des niveaux d'aménagement et d'entretien pouvant être variables d'un département à l'autre. Certaines routes actuellement classées dans le réseau national étant davantage d'un usage local et ayant vocation à répondre aux besoins locaux, transfert dans les réseaux départementaux correspondants est envisageable.

- Un transfert de compétences en entretien routier doit s'accompagner du transfert de la compétence en investissement. En effet, la séparation marquée entre la maîtrise d'ouvrage des travaux neufs et la maîtrise d'ouvrage de l'entretien des infrastructures routières est une orientation dont on ne doit pas méconnaître les effets pervers nombreux, particulièrement au niveau de la sécurité et de l'exploitation, et au niveau des services offerts à l'usagers

- L'existence d'un réseau routier d'importance nationale dont la maîtrise reste assurée par l'Etat n'est pas dénuée de fondement. Deux des raisons qui légitiment cette approche sont la nécessaire exploitation par itinéraire des grands axes de transit ainsi que la notion de continuité des itinéraires européens. En effet, une bonne partie du réseau routier national actuel est constitué d'autoroutes de voies rapides et de voies à caractère autoroutier. Les trafics très importants et en constante évolution sur ces grandes liaisons nécessitent de passer d'une gestion territorialisée à une gestion par itinéraire s'affranchissant des limites territoriales. En effet, celle-ci permet de coordonner chantiers afin d'assurer une moindre gêne à 1'usager et surtout d'informer l'usager en temps réel de l'état de la route et de la circulation par le biais de panneaux à messages variables, de chaînes de radio généralistes ou dédiées ou de systèmes embarques. Cette gestion permet de fluidifier le trafic et d'apporter confort et sécurité aux usagers. Elle ne peut être mise en place que par un gestionnaire ayant la maîtrise d'itinéraires de longueur pertinente. Il y aurait donc de forts inconvénients à morceler ces grands axes entre des maitres d'ouvrage distincts. En outre, certains axes routiers nationaux s'inscrivant dans le cadre plus large des réseaux européens et doivent, à ce titre, respecter un certain nombre d'engagements, voire d'obligations, dont il est difficilement envisageable de morceler la responsabilité à travers plusieurs collectivités territoriales maitres d'ouvrage.

La réflexion engagée doit permettre d'approfondir l'ensemble de cette problématique et, en particulier, de préciser le périmètre du réseau routier qui resterait sous maîtrise d'ouvrage Etat.

La route et le pétrole

D.A. : La croissance du trafic routier suppose que l'on dispose des ressources énergétiques correspondantes. Les dernières études effectuées ou sein du Commissariat Général du Plan semblent montrer que "Ia raréfaction et l'épuisement des ressources fossiles ne constituaient pas un problème vu l'importance des ressources non conventionnelles qui viendraient se substituer aux ressources conventionnelles, du fait de Ia continuité technique et économique entre ressources fossiles conventionnelles et non-conventionnelles et du très fort potentiel d'interchangeabilité entre les sources fossiles". Ne doit-on pas craindre néanmoins dans les prochaines années des périodes de pénurie de pétrole compte tenu de Ia très forte concentration des réserves pétrolières dans quelques pays et de la difficulté industrielle à s'adopter à de nouvelles sources énergétiques ? Peut on s'y préparer et faut-il le foire ?

P.G. : Mon sentiment est qu'il sera difficile de s'y préparer véritablement tant que les sources alternatives resteront nettement plus coûteuses que le pétrole. Qui accepterait de payer plus cher pour sa mobilité pour répondre à un risque hypothétique ? Nous resterons probablement sensibles à ce risque dans le futur. Ce phénomène se surajoute à une raréfaction des ressources pétrolières, qui seront de plus en plus utilisées, sinon réservées, par l'industrie chimique, On assistera donc vraisemblablement à un renchérissement du coût du pétrole permettant d'utiliser d'autres sources. Cependant, le temps d'adaptation sera vraisemblablement assez long et ne permettra pas de répondre aux besoins des utilisateurs... Cette réflexion doit être menée avec celle sur l'effet de serre...

Effet de serre et transport

D.A.: Le secteur des transports représente aujourd'hui un peu plus du quart des émissions des gaz à effet de serre. Pour respecter le protocole de Kyoto, le Plon National de Lutte Contre le Changement Climatique a prévu un effort important dons ce secteur destiné à diminuer en 2010 les émissions de 9 % pur rapport à l'évolution tendancielle. La remise en couse actuelle des objectifs de développement du fret ferroviaire, de même que l'abandon d'un certain nombre de mesures liées à la taxation et à la tarification dans les transports conduisent à s'interroger sur la possibilité d'atteindre de tels objectifs. Qu'en penses-tu ? Faut-il remettre en question le PLNCC ? Quelles sont les mesures envisageables pour réduire les émissions des gaz à effet de serre dans le secteur des transports ?

P.G. : La problématique des émissions des gaz à effet de serre est particulièrement importante sur le long terme, mais pas de manière instantanée. La question principale qui me semble devoir être posée est de bien apprécier la réalité du risque lié à la poursuite de nos pratiques actuelles, le coût de mesures éventuelles par rapport à ce risque, avant d'aboutir à des mesures contraignantes. Imaginons qu'on laisse se développer la mobilité actuelle sur vingt ou trente ans ce qui conduira à coup sûr à des changements de production et à des économies très importantes en matière d'émission de gaz à effet de serre : est-ce que les économies que l'on aura pu réaliser d'ici là en valent la peine ? Autrement dit, est-il vraiment nécessaire de contraindre les forces du marché pour un résultat faible alors que les changements technologiques de demain modifieront fortement la donne. On peut envisager des scénarios d'évolution de la mobilité, mais l'on ne doit pas brider la mobilité des personnes. Je ne me réfugie pas dans une attitude attentiste : il est nécessaire aujourd'hui de limiter rapidement les émissions de toxiques dans certaines villes, dont l'air est franchement irrespirable. Ce combat n'est pas forcément incompatible avec la réduction des émissions des gaz à effet de serre : l'idée essentielle est d'aller vers une mobilité moins consommatrice d'énergie. On peut jouer un peu sur l'économie, notamment sur le prix de la TIPP, mais jouer sur la mobilité ne me paraît pas souhaitable.

La problématique des émissions des gaz à effet de serre est particulièrement importante sur le long terme : les difficultés à atteindre les objectifs du protocole de Kyoto en sont, en particulier dans le domaine des transports, une bonne illustration. De manière générale, il est nécessaire d'aller vers une mobilité moins consommatrice d'énergie et de renforcer les mesures destinées à limiter les émissions des gaz à effet de serre dans le domaine des transports. De telles mesures me paraissent pouvoir être prises sous réserve de respecter deux conditions : la première est de ne pas brider la mobilité des personnes qui est un droit fondamental ; la seconde est de ne pas pénaliser de manière excessive notre économie. L'intérêt économique des mesures envisagées doit être étudié et doit être rapporté à l'intérêt des gains obtenus. Une hausse de la TIPP permettant la réalisation de nouvelles infrastructures de transport, ferroviaires ou routières, mériterait d'être étudiée. N'oublions pas cependant que certaines villes étrangères souffrent encore énormément des émissions de polluants plus classiques, et que c'est une priorité pour eux!

La sécurité routière

D.A.: Chaque année, 8 000 personnes trouvent Ia mort sur la route. Que peut-on faire pour éviter cette tragédie annuelle ? Ny a-t-il pas une perception totalement faussée aujourd'hui de Ia vitesse : Ia télévision nous montre des images de voitures de formule 1 qui percutent à 100 ou 200 km/h les bordures des circuits, et de pilotes qui en sortent en courant pour prendre le mulet en se plaignant malgré tout d'un petit doigt foulé ! Comment faire comprendre ensuite qu'un accident de moto à cinquante kilomètres par heure n'est pas "pardonnant"

P.G. : C'est une question particulièrement déprimante : la société française privilégie actuellement la vitesse à tout autre considération, contrairement à la société américaine qui a une conduite apaisée et qui se défoule ailleurs. Un choc d'une voiture normale contre un obstacle rigide conduit à un décès par hémorragie interne, généralement de la rate ou du foie, pour des vitesses de 100 km/h. La vitesse est un facteur à la fois de risque sur la route et d'aggravation des conséquences de l'accident. Il faut bien comprendre que les routes sont conçues pour une certaine vitesse et que la dépasser conduit à ne pas pouvoir s'arrêter en cas d'obstacle. je reste persuadé que la vitesse constitue un facteur négatif pour lequel il faut donner de l'information, faire également de l'information : la direction de la sécurité routière s'y emploie. Je place beaucoup d'espoir en une politique de contrôle-sanction automatisé : la multiplication de PV tous les cent kilomètres pour un automobiliste permettra de faire évoluer les comportements. Même si, et de très loin, les fautes de comportement restent la cause première des accidents, il reste également à travailler sur l'infrastructure elle-même. Pas tellement pour résorber les points noirs, sur lesquels un travail énorme a déjà été réalisé, mais pour améliorer la sécurité passive des autoroutes et en particulier, pour éviter les chocs latéraux. Aujourd'hui, une sortie de route suivie d'un tonneau se termine généralement bien sauf s'il y a choc latéral. Les arbres constituent en particulier de redoutables obstacles qu'il est très difficile d'abattre même pour les replanter quelques mètres plus loin compte tenu de l'opinion publique. Le raisonnement est le même pour les motos : quelles que soient les glissières que l'on mettra en place, elles ne seront efficaces que si le motard maîtrise sa vitesse et ne vient pas les percuter à trop vive allure. De façon générale, les problèmes de sécurité passive sont délicats : les directions des routes et de la sécurité routière ont donc lancé une démarche de sécurité des réseaux existants qui consiste à réaliser un diagnostic d'accidentologie, à repérer les sections les plus dangereuses et à chercher à les traiter. Cette approche, que François Perret décrit dans un autre article de ce numéro, me parait nettement plus pertinente qu'une mise aux normes généralisée de tout le réseau, conduisant à des coûts très élevés, sans gains appréciables pour la sécurité routière, et pouvant même aller en sens inverse du but recherché.

L'exemple le plus classique est celui des routes de montagne qui, en étant totalement hors normes, sont néanmoins plus sûres que les autres parce que les conducteurs sont beaucoup plus prudents...

Conseils aux élèves de l'école

D.A Conseillerais-tu à un élève entrant à l'Ecole nationale des Ponts et Chaussées d'apprendre les techniques routières et d'envisager une orientation dans le domaine de la route.?.

P.G. Mon sentiment est qu'il faut distinguer les techniques routières du domaine de la route. Les techniques routières sont passionnantes : prise de liant hydraulique, mécanique des chaussées, glissance de la route.... Ces sujets m'ont réellement passionné en début de carrière, de plus, les entreprises françaises ont largement participé au développement de ces techniques - Colas est la première entreprise mondiale du secteur - le secteur est très dynamique. On peut donc sans hésiter se lancer dans les techniques routières et y faire une belle carrière. Le domaine de la route, c'est plus large : il comprend l'ensemble de la problématique des transports, tout le domaine de l'économie des transports, macroéconomie aussi bien que macroéconomie, la compréhension du fonctionnement des entreprises de ce domaine... La route, c'est aussi les grandes infrastructures avec toute la gamme des financements possibles (emprunt, prêt, subventions, péages ... ) qui doivent être mis en œuvre : le secteur routier est donc particulièrement concerné par le droit des concessions. Mais, la route, c'est aussi, une fois la construction réalisée, toute la problématique de l'exploitation et de la gestion : l'utilisation des dernières techniques de communication y est donc essentielle (radar, satellite, interface entre le véhicule et l'infrastructure ... ). On ne peut pas non plus travailler dans ce secteur sans un certain nombre de connaissances juridiques : notion d'intérêt et d'utilité publique, de responsabilité, droit de la concertation et de la participation du public... obtenir le consensus du public sur les projets est en effet nécessaire. Un ingénieur routier complet devrait pouvoir se frotter à tout cela : en outre, les enjeux environnementaux sont de plus en plus importants. L'ingénieur routier parfait devrait donc également avoir une culture de la faune et de la flore...

le ne doute donc pas que dans le futur les métiers des ingénieurs des ponts au Ministère de l'équipement et dans les services qui lui sont connexes restent passionnants.

Propos recueillis par Dominique Auverlot, ICPC 85

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