LA CROIX 4 SEP, 2003

Une autre politique des transports
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Jean Sivardière
Président de la Fnaut (Fédération nationale des associations d'usagers des transports)
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LIBRE OPINION
Notre pays s'est enfoncé depuis quelques décennies dans une logique du tout-routier absurde et contreproductive.
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Après avoir accumulé les rapports techniques depuis dix-huit mois et provoqué un débat parlementaire au printemps dernier, le gouvernement Raffarin va prochainement faire connaître son programme de grandes infrastructures de transports. Ses décisions auront un impact crucial: des investissements d'aujourd'hui dépendent les trafics de demain.

S'il s'en tient aux déclarations du chef de l'État "< Notre maison brûle, nous n'avons pas de planète de rechange "), le gouvernement n'a pas le choix. Le secteur des transports génère 35 % des émissions humaines de gaz carbonique, et sa contribution ne cesse de croître. Il faut donc stabiliser puis réduire les rôles de l'automobile en ville, du camion sur la longue distance et de l'avion sur la courte distance, et donner une priorité très forte aux transports urbains et ferroviaires pour les voyageurs, au rail et au transport maritime et fluvial pour le fret.

Il est à craindre, malheureusement, que le gouvernement ne cède à la facilité du tout-routier dans lequel notre pays s'est absurdement enfoncé depuis quelques décennies. De nombreux signes justifient ces inquiétudes d'une nouvelle fuite en avant tournant le dos à la (très) timide réorientation esquissée par le gouvernement précédent.

L'audit des grands projets d'infrastructures réalisé par le conseil général des ponts et chaussées et l'inspection générale des finances a débouché sur des recommandations d'un conformisme et d'un anachronisme consternant: 3,3 fois plus de dépenses pour la route que pour le rail d'ici à 2020.

Selon la Datar, " il faut refuser le scénario de l'inacceptable, on ne peut prolonger les tendances passées, sauf à aboutir à des blocages et à des situations intolérables . Mais elle ne remet pas clairement en cause les projets autoroutiers retenus dans l'audit, et souhaite de nouveaux aéroports en province.

Le gouvernement, cette année, a quasiment supprimé les subventions destinées à faciliter la mise en œuvre des plans de déplacements urbains, ramené ses subventions pour les transports en site propre des agglomérations de province à 90 millions d'euros alors qu'il en fallait le double, et réduit sa participation au fonctionnement du Syndicat des transports d'Ile-de-France.

Dans le cadre de la révision des contrats de Plan État-Régions, le préfet d'Auvergne propose un transfert des crédits prévus pour la modernisation de la voie ferrée Béziers-Clermont-Ferrand sur le projet d'élargissement de la RN 88 Lyon-Le Puy-Toulouse. Des propositions analogues sont faites par des élus locaux, tels que le président UDF du conseil général des Pyrénées-Atlantiques ou le sénateur maire UMP de Compiègne.

Les préfets de Lorraine et de Rhône-Alpes prennent ouvertement position en faveur l'un de la deuxième autoroute Metz-Nancy (A32), l'autre du contournement autoroutier ouest de Lyon (COL) et de la deuxième autoroute Lyon Saint Etienne (A45). Dans les deux cas pourtant, des alternatives ferroviaires réalistes et bien moins coûteuses sont envisagées.

Plus récemment, le ministre de l'équipement lui-même, Gilles de Robien, a relancé, " après une réflexion longuement mûrie" (sic), le projet ubuesque d'autoroute A51 Grenoble-Sisteron par l'est de Gap. Le coût de l'itinéraire autoroutier alpin Nord-Sud (A48 Ambérieu Bourgoin' traversée de la cuvette grenobloise déjà saturée par le trafic local, A51), équivalent à celui d'un programme TGV, est proprement aberrant.

Il est indispensable que le gouvernement soit plus sensible aux impératifs écologiques qu'à l'influence des divers groupes de pression économiques ou électoraux, qui sont rarement de bon conseil. Sauf à rejeter la nécessité d'un développement soutenable par notre planète, il faut aujourd'hui admettre explicitement que l'équipement routier et aéroportuaire de notre pays, est quasiment terminé, que sa poursuite serait contre-productive, et que l'effort financier de la collectivité doit être focalisé sur les transports urbains, le rail et le cabotage maritime qui, de manière irrationnelle, souffrent d'un sous-investissement persistant.

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Quelques réponses

Le secteur des transports génère 35 % des émissions humaines de gaz carbonique

Dans le tableau ci-après on peut noter que les transports routiers représentent 24.2% des émissions de CO2 et non pas 35%. Cette émission est comparable au résidentiel tertiaire, à l'industrie manufacturière ou à l'agriculture. D'autre part, il y a stagnation globalement des émissions de CO2 depuis 10 ans.

Source CITEPA/ inventaire UNFCCC décembre 2002 (mise à jour 20/12/2002)
Emissions en Mt éq CO2 (1) Evolution Part du total

 

1990

2001

90-2001

% en 2001

Transports

121,5

147,0

21%

 

Aérien (3) 1A3a

4,5

5,9

   

Routier 1A3b

113,8

135,9

19%

24.2%

Fer 1A3c

1,1

0,7

   

Maritime (3)1A3d

1,9

2,2

   

Autre 1A3e

0,2

0,5

   

Consommation de gaz fluo2F(p)

0,0

1,9

 

Résidentiel Tertiaire Institutionnel et commercial

89,1

104,3

17%

18.6%

Résidentiel 1A4b

61,1

66,7

 

Tertiaire 1A4a

26,8

31,3

 

Consommation de gaz flu.2F(p)

0,1

5,1

   

Solvants et produits divers3p)

1,1

1,1

   

Industrie manufacturière

139,2

119,4

-14%

21.2%

Industrie de l'énergie

80,5

67,2

-17%

12.0%

Production d'électricité et chauffage urbain (4)1A1a

48,4

39,6

   

Raffinage 1A1b

13,4

14,8

   

Transf.CMS et autres 1A1c

6,7

4,2

   

Emissions fug.combustibles1B

11,1

7,8

   

Consommation de gaz flu.2F(p)

0,9

0,8

   

Agriculture/ sylviculture

115,6

108,6

-6%

19.3%

Traitement des déchets

14,8

14,2

-4%

2.5%

Total hors LULUCF

561

561

0%

 

LULUCF (puits de carbone)

-48,3

-59,0

22%

 

Total

512

502

-2%

 

(1) d'après UNFCCC décembre 2002 (www.citepa.org)
(4) y compris incinération des déchets avec récupération d'énergie
(2) Métropole + Départements d'Outre Mer + Territoires d'Outre Mer et collectivités territoriales
(5) hors incinération des déchets avec récupération d'énergie

D'après l'observatoire de l'énergie, la production totale d'électricité en 2002 est de 558.8 TWH dont à partir du nucléaire 436.8 TWH, thermique 55.6 TWH et hydraulique 66.4 TWH

Actuellement le rejet des centrales thermiques est 39.6 millions de tonnes de CO2. Si la production à partir du nucléaire se faisait avec le thermique, il faudrait multiplier ce chiffre par 7.86 et on obtiendrait 311.2 millions de tonnes de CO2 qui s'ajouterait au bilan précédent et le routier diminuerait de 24.9% à 136/(561 + 311)= 15.6%

La Commission européenne vient de publier son troisième rapport annuel sur l'efficacité de la stratégie communautaire visant à réduire les émissions de CO2 des voitures particulières. Cette stratégie vise à abaisser le taux d'émission moyen de CO2 des voitures particulières neuves à 120g/km d'ici à 2005 ou 2010 au plus tard. Selon le rapport, la stratégie a permis de réduire de 10% les émissions de CO2 des voitures particulières neuves vendues depuis 1995 sur le marché de l'UE. La stratégie repose essentiellement sur l'engagement des constructeurs automobiles européens, japonais et coréens de réduire les émissions de CO2 des voitures particulières neuves. Tout en se félicitant de ce résultat, la Commission a indiqué qu'il fallait poursuivre les efforts pour atteindre l'objectif fixé.

En conclusion, si le SO2 a baissé entre 1990 et 2001 de 89%, le CO de 62%, le Nox de 36%, le COVNM de 60% et le plomb de 100% , il n'y a pas à créer un sentiment de catastrophisme avec le CO2 qui globalement a stagné durant ces 10 dernières années. Si la part relative des transports a augmenté , c'est grâce en partie à une politique active de développement du nucléaire qui a réduit fortement les rejets dus à la production d'électricité.

 

Il est à craindre, malheureusement, que le gouvernement ne cède à la facilité du tout-routier dans lequel notre pays s'est absurdement enfoncé depuis quelques décennies

L'évolution plébiscitée par les usagers, est l'utilisation de la route.

En effet 89 % des transports intérieurs de voyageurs et 78% des transports intérieurs terrestres de marchandises sont faits par la route. Ces 2 chiffres justifieraient à eux seuls que les investissements routiers soient au moins 5 fois supérieurs à ceux du rail. Et si l'on considère la valeur marchande des produits transportés, on dépasse un rapport de 10.

D'autre part, ne doit-on pas réfléchir devant l'énorme source de revenu pour l'Etat, qui est représenté par 27.7 milliards d'euros en 1990 qui sont devenus 37.6 milliards d'euros en 2002 (source CCFA)

Rappelons qu'en 2000, le Chiffre d'affaire HT de la SNCF était de 118 milliards de francs pour 55.6 milliards de produit du trafic (ce chiffre contient 7.5 milliards de francs de subvention de réductions de tarif)

Le concours annuel de l'Etat et des collectivités locales était de 71 milliards de francs ou 11 milliards d'euros et encore sans évoquer le versement annuel de plus de 2 milliards d'euros aux caisses de retraite de la SNCF.

Si l'on regarde le rapport de la STIF (transports en communs de la Région Parisienne) il est indiqué que l'usager ne paie que 24% du prix de revient de son billet. Là encore le concours de l'Etat , des collectivités et des entreprises s'élève à plus de 3 milliards d'euros.

 

Dans les deux cas pourtant, des alternatives ferroviaires réalistes et bien moins coûteuses sont envisagées.

Nous rappellerons que le coût d'une ligne de TGV est de 3 à 4 fois celui d'une autoroute moderne munie de ses écrans anti-bruits. Il suffit de regarder les comptes du TGV méditerranée sur le prolongement de 250 km entre Lyon et Orange pour s'en convaincre. (25 GF pour l'infrastructure et 4 GF pour le matériel supplémentaire soit 20 millions d'Euros par kilomètre)

Dans la vallée du Rhône, entre Lyon et Orange, il existe 3 voies ferrées dont une réservée aux marchandise sur la rive droite. Une seule autoroute dans cette vallée, transporte à elle seule plus de voyageurs et de marchandises (65000 véhicules en moyenne par jour) que ces 3 voies ferrées.

 

il faut aujourd'hui admettre explicitement que l'équipement routier et aéroportuaire de notre pays, est quasiment terminé, que sa poursuite serait contre-productive,

On note plusieurs erreurs dans ce texte. D'abord affirmer qu'un équipement routier est contre-productif , n'a aucune base sérieuse lorsque plusieurs entreprises sont candidates à la réalisation de nombreux tronçons et à la prise de risque des concessions.

D'ailleurs, en se limitant à un minimum, il suffit de se déplacer pour prendre conscience du besoin de créer des corridors réservés aux poids lourds sur certains axes en doublant ces autoroutes (A1 , A9 et A7) ou de dégager les grandes banlieues de la Région Parisienne que les transports en commun ne pourront jamais satisfaire.

D'autre part tous les projets routiers, évoqués par l'auteur du texte, sont défendus par les représentant politiques locaux qui sont réalistes et qui savent qu'un TGV traversant une région , n'apporte rien à celle-ci alors qu'une route draine son territoire comme une veine dans le corps de l'homme.

 

et que l'effort financier de la collectivité doit être focalisé sur les transports urbains, le rail et le cabotage maritime qui, de manière irrationnelle, souffrent d'un sous-investissement persistant.

L'effort de la collectivité n'est en général pas sollicité pour les constructions autoroutières, au contraire des réalisations ferroviaires ou de transports urbains.

Il n'est pas fait non plus, mention des déficits constants de ces modes de transports générant des besoins de subventions annuelles pour leur gestion (plus de 11 milliards d'Euros, l'équivalent de 1500 km d'autoroutes), afin de couvrir plus de la moitié de leur chiffre d'affaire.

Les déplacements sur la route contribuent au contraire au budget de l'Etat pour 37 milliards d'Euros et apportent 6 milliards aux concessionnaires des Autoroutes.

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