Journal des Voyages , ET DES AVENTURES DE TERRE ET DE MER
Dimanche 20 Octobre 1878
LES PEUPLES SAUVAGES
LES NAINS DE LA TERRE DE FEU
LES NAINS DE LA TERRE DE FEU. - Ce sont les femmes qui pêchent ces châtaignes de mer.
Le grand continent de l'Amérique du Sud qui sur les
cartes ressemble fort à une langue relevée à son extrémité se termine d'une
facon abrupte au détroit de Magellan.
Ce passage peut être considéré, à juste raison, comme un canal naturel qui relie l'océan
Atlantique à la mer Pacifique : il est contenu par de hautes falaises scindées de ci de là
par des anses et des baies et quelques îles plus ou moins importantes. Malgré la profondeur de l'eau,
le détroit; est tellement resserré que, quand un navire se hasarde dans ce canal, le timonier ne
doit jamais perdre de vue les deux rives, pour bien tenir le milieu. En certains endroits, une coquille lancée
d'un côté atteindrait l'autre sans difficulté.
Le pays, dans la partie nord, s'appelle la Patagonie, tandis que l'île qui se trouve en regard est la célèbre
Terre dle Feu (tierra del Fuego).
Le détroit, ou le canal si vous aimez mieux, ne communique pas directement d'une mer dans l'autre. Un navire
qui va dans l'océan Pacifique doit d'abord courir vers le sud-ouest, plutôt même vers le sud,
et, parvenu vers le milieu de sa navigation, remonter à droit angle parallèlement à sa première
course dans le détroit, vers le nord-ouest. De cette façon il émerge promptement dans le Pacifique
.
On comprend que le détroit forme titre sorte d'angle vers le milieu, et le cap (lui se trouve en forme de coin
dans cet angle se nomme Forward: c'est la langue de terre qui semble pénétrer dans cet angle qui
est la Terre de Feu , quoique ce pays ne fasse pas partie de continent . Le célèbre cap Horn
est la pointe de l'Amérique qui se rapproche le plus du
pôle-sud et c'est une sorte de promontoire qui trouve à de la côte sud de l'île nommée
la terre de Feu. On s'imaginait autrefois que cette contrée ne formait qu'un seul minuscule continent , quoique Magellan
rapporte ,dans ses voyages qu'il a aperçu différents
courants dle mer se dirigeant deci delà entre les îles. Le navigateur eût pu se dire que ces
bras de mer étaient tous des « diviseurs» de terre aboutissant dans une mer, au delà
de la terre le long de laquelle ils couraient.
Il est bien reconnu maintenant que la Terre de Feu est une réunion d'îles, comme l'avait deviné
le navigateur espagnol-portugais, séparées par des bras de mer.
Dans la partie la plus éloignée, tout à fait au sud, cet archipel est composé de grandes
montagnes dont quelques unes ont près de 5,000 pieds de haut, taillées à pic dans la mer profonde.
Cà et là, cependant, sur les pentes des vallées qui communiquent vers la mer, on aperçoit
des forêts sombres qui entourent la base de ces rochers dénudés, couverts de glaciers ou de
neiges éternelles.
Ces roches immenses qui se terminent par le cap Horn doivent être considérées comme la continuation
des Andes séparées par de vastes ravines de la chaine-mère, car, sauf l'eau qui se trouveau
fond des ravines, ces fissures géantes ressemblent aux barraneas ou aux quebradas qui séparent
si souvent en deux les Cordillières ou les Andes sur le continent américain, et plus haut dans les
montagnes Rocheuses de l'Amérique du Nord.
Vers la partie nord-est de la Terre de Feu, - le détroit de Saint-Sébastien,-
il y a diverses plaines qui ressemblent fort à celles de la Patagonie et l'on y trouve des peuplades qui
sont réellement de la race de ces derniers et non pas des Fuégiens, comme on s'est plu à le
raconter. Cette erreur vient de ce que plusieurs voyageurs ont découvert là des aborigènes
de grande taille, recouverts de peaux
de guanaques et n'offrant point l'aspect, chétif qui caractérise, les Fuégiens. D'autre part,
on sait que des hommes de forme malingre et d'une apparence frèle habitent sur la partie montagneuse de
la Patagonie, du côté de l'ouest. En somme, il est prouvé que les Patagoniens ont traversé
le détroit, de Magellan, et ce sont eux et non point les Fuégiens que l'on aperçoit sur les
plages dénudées du passage Saint-Sébastien. Les guanaques eux-mêmes ont traversé
la mer à certains endroits, car on les rencontre, avec une race de cerf distincte, sur les montagnes de la Terre de Feu. Il est à présumer que ce sont les guanaques
- un animal indispensable à l'existence du Patagon - qui ont entraîné ces animaux ennemis de
l'eau à entreprendre voyage périlleux à travers les canaux du calnal Orange.
Dans cette partie de cet archipel sinistre, la passe est si étroite que les Patagons avaient été
doués de la force d'élan attribuée aux géant des temps passés, ils eussent pu
franchir d'un bond le fossé qui se trouvait entre cette île et l'autre, sans même se mouiller
les pieds.
Il n'y pas autre part dans le monde deux races aussi disparates que celles de la Patagonie et de la Terre de Feu,
qui vivent à côté l'une de l'autre. Le seul point de ressemblance de ces gens-là est
la couleur de leur peau. Les Patagoniens ont la mer en horreur et ne s'y aventurent jamais. C'est à peine
s'ils approchent des rives quand ils poursuivent le gibier ; mais par contre leurs habitations sont loin du bord
salé, et cela se comprend, car ils ne comptent pas le poisson comme une partie nécessaire de leur
nourriture.
Les moeurs des Fuégiens sont différentes - ils choisissent de préférence les rivages
de la mer pour se fixer ; l'élément liquide est celui qu'ils préfèrent, soit qu'ils
se jettent à l'eau , soit qu'ils s'aventurent dans leur embarcation à la poursuite du poisson ou
à la recherche des moules, et des coquillages dont ils se nourrissent . Aussi les lignes de démarcation sont-elles
faciles à observer. Les Patagons résident dans l'intérieur, sur les montagnes, et les Fuégiens
sur les rivages de l'océan.
A l'ouest du cap Negro d'un côté et sur le détroit de Saint-Sébastien de l'autre, on
peut voir des pics ardus aux pentes recouvertes de forêts verdoyantes, dont quelques-uns s'élèvent
à 4,000
pieds au-dessus du niveau de la mer et sont couverts neiges éternelles. Chacun de ces pics est séparé
de l'autre par des fissures également revêtues d'une sombre végétation, bien souvent
impénétrable , en égard à leur nature broussailleuse. Ce genre de ronces est celui de toutes
les îles de la Terre de Feu et l'espèce appartient aux Drymés de l'espèce Magnolvacée
et au Fagus betuloides une sorte de hêtre. Tous ces arbres sont de l'espèce à feuillage
persistant. Ils sont de couleur jaune foncé, comme qui dirait des arbres d'automne, et c'est là un
des aspects les plus curieux de cette nature australe, qui parait désolée et triste au voyageur.
Joignez à cela la vue des glaciers dont quelques-uns, congelés comme de la pierre, ressemblent
à des masses de verre arrêtées dans leur fusion, et vous comprendrez, amis lecteurs, toutes
les hideurs de cette contrée si éloignée de la civilisation.
La terre de Feu n'est donc pas une grande île, mais un petit archipel formé de falaises à pics
contre d'autres falaises, et au fond de ces fissures la mer coule comme dans un canal, noire comme de l'encre;
mer dangereuse, car elle s'élève souvent en vagues énormes fort dangereuses pour les embarcations.
La qualification de «Terre de Feu» vient de Magellan qui aperçut sur les hauteurs de cette île
de nombreux foyers allumés par les indigènes. Nul doute que ces feux ne fussent des signaux qui annonçaient
de tribu en tribu la présence des navires espagnols, monstres inconnus jusqu'alors aux habitants du pays.
Suivant nous, cette qualification est inexacte. Il vaudrait bien mieux nommer cet archipel le « Pays des
eaux », car nulle part cet élément n'est plus abondant que dans ce coin du globe. Partout du
haut des cimes, à droite, à gauche, l'eau coule, formant de vastes marécages, défonçant
les chemins et les terres réduites à l'état de fange liquide.
Le climat de la Terre de Feu est excessivement froid du commencement à la fin de l'année. L'été
n'existe pas sous cette latitude, car la neige tombe en toute saison, et l'on a vu des hommes périr de froid,
sans qu'ils fussent montés sur les montagnes.
Ce qui n'empêche pas qu'il y a des hommes et des femmes qui vivent là, comme partout ailleurs, car
il n'existe pas sur la terre de pays inhabité par la race humaine et la race animale .
Cette dernière consiste, sur la terre de Feu, dans le guanaque qui, selon toute probabilité, est
une importation du continent américain. On trouve seulement cette espèce ovine dans la partie ouest,
dont le sol est plus ferme et où l'on aperçoit cà et là des prairies. Il y a également
dans ces parages des cerfs et deux espèces de renards-loups, le Canismagellanicus et le Canisazaree.
On rencontre aussi quatre sortes de rats et une chauve-souris.
Les mammifères sont en très-grand nombre dans cesparages et l'on compte dans leurs rangs les baleines,
les veaux marins et les loutres de mer. Parmi les rares oiseaux, nous citerons des gobemouches à huppe blanche,
des pies à plumage noir orné d'une crête rouge, des grimperaux-, des roitelets, des grives,
des étournaux, des faucons, des hiboux et quatre ou cinq espèces de bouvreuils ou pinsons.
Parmi les palmipèdes, des canards grands et petits, des pingouins, des albatros, des mouches et enfin l'oie
de Magellan, au plumage si remarquable. Pas de reptiles, peu d'insectes, sauf quelques mouches et quelques papillons.
Les moustiques - cette plaie des autres pays de l'Amérique - sont inconnus dans les régions humides
de la Terre de Feu.
Passons maintenant aux habitants de ce pays déshérité, qui offrent peu d'intérêt
sous le rapport physique et intellectuel. Il n'existe pas au monde un peuple, quelque sauvage qu'il soit qui puisse
être placé plus bas dans l'échelle sociale.
La taille des Fuégiens, du talon au sommet de la tête, est de 5 pieds au plus. Les femmes ont 6 pouces
de moins en élévation. Les uns et les antres offrent à la vue des membres émaciés,
minces, malingres. La boite osseuse du genou est énorme en proportion; les mollets sont absents Les cheveux
rudes sont d'une longueur démesurée et retombent enroulés comme des serpents sur les épaules
nues, ainsi que le reste du corps. C'est à peine si quelques-uns recouvrent leurs épaules d'une méchante
peau de veau marin, dont le poil est placé à l'intérieur, à peine suffisante pour envelopper
le corps du Fuégien qui grelotte quand même aux intempéries de l'atmosphère. Et encore,
quand le Fuégien marche, court ou se livre à une occupation quelconque, se débarrasse-t-il
au plus vite de ce vêtement. Le froid devient-il intense, le vent souffle-t-il d'un côté, vite
le Fuégien se garantit contre les atteintes de l'atmosphère avec cette insuffisante peau de veau
marin.
Et ourtant, malgré ce manque de costume, le Fuégien manifeste des sentiments de coquetterie... Qui
le croirait? à l'exemple des sauvages et de certains peuples civilisés, il se peint. sur quelques
parties du corps, des raies noires sur un fond blanc strié quelquefois de rouge ou de couleur de brique.
Ces nuances
sont obtenues: le noir, au moyen d'une décoction
de charbon; le blanc, par l'infusion de coquillages broyés et réduits en poudre. N'oublions pas non
plus des bracelets et des colliers de dents de poisson portés autour du cou, des poignets et des chevilles.
Les femmes se plaisent dans de pareils ornements et y ajoutent, aussi bien que les hommes, une tresse rougeâtre
de poils de guanaque qu'ils enroulent autour de leur front.
Les manteaux des Fuégiens se composent quelquefois de peaux de loutre marine et de cerf qui sont plus larges
et recouvrent mieux le corps. Mais d'ordinaire c'est à peine si ces vètements ont la largeur d'un
grand mouchoir, et l'on sait ce que l'on peut faire avec un mouchoir pour se couvrir.
Malgré l'épaisseur des cheveux d'un Fuégien, ni les uns ni les autres n'ont le moindre poil
surle corps : ni favoris, ni moustache, - comme les Esquimaux. - Et cependant leur aspect est farouche, l'expression
de leur visage féroce à faire peur. Ajoutons à cela que les moeurs et les instincts répondent
à ces façons de se produire, Si le Fuégien n'est pas ingrat pour les bontés que l'on
a pour lui, il oublie volontiers de se les rappeler. Sa cruauté, sa vengeance sont terribles. il n'y a pas
de doute que les Fuégiens soient cannibales, car ils mangent non-seulement leurs ennemis, mais leurs
amis et les vieilles femmes qui sont sacrifiées sans
pitié quand la faim le commande. Le fait est indéniable : il a été
constaté par de nombreux témoignages. Plusieurs de nos lecteurs doivent se rappeler le massacre qui
eut lieu il y a quelques années d'un équipage de navire et de quelques missionnaires amenés
dans ces parages pour y apporter la civilisation.
Nous n'affirmerons pas que le cannibalisme soit d'un usage constant parmi les Fuégiens; mais il est certain
que dans l'occasion, poussés par la faim, ils ne se privent pas de ce régal.
La nourriture ordinaire de ce peuple sauvage consiste en coquillages, en viande de veau marin, en poisson cru,
en oiseaux de mer, et la graisse de baleine - quand par hasard un de ces cétacés leur tombe sous
la main - leur est particulièrement agréable, alors même que le poisson serait cornplétement
corrompu.
Les seuls «légumes » qui fassent partie de la nutrition des Fuégiens sont le fruit d'une
espèce d'arbousier, très abondant dans les terrains tourbeux, et un certain champignon qui pousse
sur le tronc des hêtres, cryptogame rond comme une boule et de couleur jaunâtre, qui, quand il est
frais poussé, offre une surface polie, un corps spongieux et mou, et qui, une fois mûr, ressemble
à un rayon de ruche percillé de trous. Les Fuégiens mangent ce produit naturel, sans la moindre
cuisson, en le mâchant de façon à l'amollir et à pouvoir l'avaler.
On trouve cependant dans la Terre de Feu une espèce de céleri blanc (Apium antarcticum) et
le cochléaria, cardamine anti-scorbutique ; mais les Fuégiens ne les apprécient point.
Ils n'en connaissent même pas les vertus curatives.
Il y a peu de chose à dire sur les habitations des peuples de la Terre de Feu : ce sont plutôt des
cavernes à bêtes fauves. Pareilles à celles des orangs outangs de Borméo, ces huttes
sont composées de billes de bois implantées par un bout dans le sol et reliées en haut de
façon à former pain de sucre. On jette sur cette carapace des bottes de jonc de façon à
recouvrir le tout et la « maison » est ainsi achevée. Un seul côté de cette cahute
reste ouvert, celui qui sert de porte et qui permet à la fumée du foyer de sortir. Or, comme cette
ouverture est à peu près d'un huitième de la circonférence de la cabane, l'air y pénètre
complètement. C'est un abri, mais non point une demeure. Pas de table, pas d'escabeaux, de bancs, de couchette.
Une litière de joncs, et tout est dit. On ne constate dans ces «foyers» fuégiens que
quelques corbeilles destinées à contenir la moisson d'arbouses et des sacs de peau de veau marin
pour y resserrer le poisson sec. Une vessie sert d'outre pour l'eau à boire; une ouverture pratiquée
en haut de cette vessie permet à chaque membre de la famille d'y porter les lèvres pour se désaltérer.
Les armes des habitants sont des arcs et des flèches à pointe de pierre,des épieux et des
lances à poisson terminées par deux dents façonnées avec des os de lion de mer, des
bâtons employés par les femmes pour décrocher les escargots et quelques couteaux fabriqués
avec des coquilles de moules fort larges, très-tranchantes et suffisant même pour couper du bois dur.
Tout près de la hutte, on aperçoit le canot, hissé à quelques pas du rivage, comme
la demeure elle-même, car le Fuégien ne réside jamais dans l'intérieur des terres, où
il fait de rares excursions. Ce sont les femmes qui se rendent dans les bois pour y récolter des baies et
des champignons. Les bois n'ont pour ces peuples d'autre charme que celui de leur procurer des éléments
de feu, et encore les transports sont ils difficiles à travers les marécages.
Les embarcations sont faites d'écorce d'arbre : bien souvent la carapace d'un bouleau, taillée d'un
seul morceau et cousue aux deux extrémités, sert à faire le canot d'un Fuégien; quelques
morceaux de bois tiennent la partie coupée ouverte, à la manière des bateaux des Peaux-Rouges
de l'Amérique du Nord. Les fissures, les fentes sont calfeutrées avec de la résine. C'est
à l'aide de ces embarcations que les peuples fuégiens s'aventurent dans les canaux, les bras de mer
de leur archipel; mais rarement les voit-on se livrer aux dangers de la pleine mer.
Les plus riches Fuégiens s'offrent le luxe d'une baleinière plus compliquée, faite avec de
morceaux d'écorce choisis, appliqués sur une carapace solide, qui a souvent de 15 à 20 pieds
de long et qui emportera une famille entière, tout son mobilier, de façon à explorer la côte
et à trouver un autre coin de terre pour s'y établir plus confortablement. Les besoins de la vie
poussent ces habitants à souvent changer de place.
Toutefois les Fuégiens trouvent plus sage de ne pas affronter la mer et de voyager par terre : c'est surtout
quand le vent souffle dur qu'ils éprouvent le besoin d'être prudents, sans cela leur frêle barque
serait brisée en morceaux. Pour voyager ainsi, ils démontent leurs canots. Ils préfèrent
les reconstruire et les goudronner à neuf. On voit alors chaque membre de la famille transporter une portion
des écorces d'un poids proportionné à sa force.
Cette émigration est facile à comprendre, car au bout de quelque temps la partie du rivage
où s'est tenue une famille fuégienne a été dévastée : il ne s'y trouve
plus le moindre coquillage; il faut donc s'éloigner. Or, comme il est plus facile d'aller à la montagne
que de la faire venir à soi, les Fuégiens se rendent vers des parages nouveaux. C'est de simple bon
sens et rien de plus.
De nos jours, certains habitants de la Terre de Feu possèdent des tentes couvertes de peaux d'animaux, mais
cet abri est en général fort grossier.
Pour se procurer du feu, ces peuple se munissent de pyrites de fer (mundî) et produisent des étincelles
qui, tombant sur de la mousse desséchée ou de l'amadou d'agaric, enflamme une poignée d'herbes
sèches. Il ne reste plus alors qu'à jeter un fagot sur le foyer et le tour est fait. Seulement tous
les matériaux sont généralement humides. Aussi, quand il est en voyage, le Fuégien
emporte-t-il du feu avec lui. Ce qui n'empêche pas ces pauvres peuples de grelotter, eu égard à
leurs pauvres vêtements. Aussi le voit-on toujours trembler comme s'il était atteint d'un accès
de fièvre.
Les Fuégiens n'on tpas de chef. La seule autorité reconnue parmi eux est le « sorcier »,
et encore sa puissance est très-limitée. On ne leur connait aucune religion : c'est à peine
s'ils croient aux malins esprits et au diable.
Toutefois, ces peuples sans chef sont très-dîsposés à se quereller, et si les confins
de chaque famille n'étaient pas très-distincts et séparés par ravines et des îlots,
barrières naturelles infranchissables de neige et de glace, ces nains batailleurs se décimieraient
et s'entre-tueraient sans difficulté. Par bonheur pour ces peuplades, elles ne connaissent pas les armes
à longue portée.
Généralement les Fuégiens - malgré leur facilité de se procure du feu - mangent
leur nourriture crue. Les poissons, la chair de veau marin, de pingouin, d'oie de Magellan, cela est dévoré
sans cuisson. Le gras de baleine est avalé sans préparation culinaire, et quand un cétacé
vient échouer dans ces parages, il faut voir tous les habitants se ruer sur ce cadavre, accourant de toutes
les parties du pays, et s'emparer d'une grande portion de ce lard qu'ils emportent sur leurs épaules après
avoir pratiqué un trou au milieu pour y passer la tête, comme fait le Mexicain pour se couvrir de son puncho.C'est
jour de fête que celui-là, et l'on fait bombance.
Les Fuégiens font, comme les Esquimaux, la guerre aux veaux de mer; mais leur façon d'opérer
n'est
pas la même. Au lieu de les poursuivre, comme ceux-ci, ils se cachent derrière un rocher , attendent
leur proie et la percent à coups de javelots.
Les Fuégiens, qui se nourrissent de coquillages, ont la croyance qu'ils ne, doivent jamais rejeter les écailles à la mer,
car cela leur porterait malheur. « Il ne faut pas que les bivalves en vie apprennent qu'on les mange, »
disent-ils; aussi font ils des tas de ces coquilles vides loin de la mer. C'est, aux femmes que le soin d'empiler
les écailles est dévolu.
Les Fuégiens recherchent aussi les « oursins », qui sont énormes dans ce pays - deux
fois gros comme des oranges - et remplis comme des melons. Ce sont les femmes qui pêchent ces «
chataignes
» de la mer, en plongeant comme si elles allaient
chercher au fond de l'eau du corail ou
des perles.
Le poisson que l'on prend sur les côtes de la terre de Feu est d'une excellente qualité, et - détail
curieux - les habitants se font aider dans leurs prises par des chiens ressemblant à des renards, malheureuses
bêtes affamées dont ils ne songent même pas à récompenser les services en leur
donnant à manger. Grâce à leur instinct, ces animaux savent amener le poisson dans des filets
ou bien dans des criques aux eaux basses, où il est pêché à coups de flèches
ou assommé avec des bâtons. Ces animaux ont l'instinct de la loutre et du phoque. C'est à peine
si les Fuégiens leur donnent les os à ronger. Heureusement que ces bonnes bêtes savent où
est la provision vivante, et elles ne se gênent pas pour chasser pour leur compte. On les voit aussi se promener
sur les côtes et dévorer les polypes, les étoiles de mer et toutes les épaves maritimes
que la marée descendante a laissées sur le sable ou sur les cailloux. Ces chiens mangent aussi quelquefois
une herbe salée qui sert aussi à la nourriture de leurs maîtres quand ceux-ci sont par trop
affamés.
Nul être sur la terre n'est plus malpropre qu'un Fuégien; ni les uns ni les autres ne se lavent jamais.
L'eau leur est inconnue pour ce besoin de santé, comme aussi pour le suicide.
Les habitants de la terre de Feu puent comme des renards et l'on peut dire à juste raison que ces peuples
sont les plus ignobles brutes de la race humaine.
Le capitaine MAYNE-REID.