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LE MONDE | 31.05.02 | 12h55
Sortir de la régression, par Jean-Pierre Ceton
Si la société se délite, elle le fait par rapport à certaines valeurs du passé, mais pas par rapport à des valeurs naissantes dont l'exigence n'est pas moindre.
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Pour comprendre cette régression dans laquelle nous avons plongé, on doit, par exemple, se représenter que, au début des années 1980, seul le chef du Front national osait déclamer qu'une petite gifle n'avait jamais fait de mal à un enfant. Or, ces dernières années, même des intellectuels libéraux (progressistes et tolérants) se sont ralliés à la formule.

Désormais, il est courant d'entendre que le monde est devenu fou ou bien qu'il est à l'envers, sens dessus dessous. Sûrement parce qu'il a beaucoup changé et qu'il change de plus en plus vite. Il se trouve que c'est une thématique du Front national, commune d'ailleurs à tous les intégristes et fondamentalistes de la Terre. Oui, mais durant l'élection présidentielle, le Pôle républicain a également développé cette idée du monde devenu fou. Et le dernier slogan de campagne du plus jeune candidat trotskiste était : "Un monde à l'envers, il faut le remettre à l'endroit." Ces assertions traduisent en réalité une incompréhension radicale de notre société qui, en se transformant, construit d'autres repères que ceux en effet perdus.

Au lieu donc de voir que cette société se modifie vers d'autres fonctionnements, tout un pan de notre élite intellectuelle et politique perçoit un recul dans chaque transformation du monde, d'où la revendication toujours plus partagée de "retrouver". Là encore, on croise le Front national dont le chef avait pour slogan "La France retrouvée", au second tour de la présidentielle.

Mais retrouver quoi ? Des relations plus hiérarchisées, un pouvoir plus autoritaire, une société plus étriquée ? La France des guerres coloniales, du travail massif à la chaîne, de l'éducation réservée à une minorité, de l'information contrôlée ?

Une autre affirmation régressive est que ce monde où "tout fout le camp" serait en décadence, légitimant ainsi la nécessité de revenir à un état antérieur pour retrouver un monde qui ne l'était pas. Il est désolant de noter qu'un mot aussi chargé que "dégénérescence", familier du discours du Front national, fait aussi partie de la langue du philosophe Jean Baudrillard, entre autres, qui le décline avec celui de "déliquescence" pour qualifier l'évolution en cours.

Parce que des valeurs ont disparu, un large courant de pensée en conclut que le monde se désagrège. Même Jack Lang, dont on reconnaît volontiers le travail de transformation, a pu user de cette phrase : "Dans une société qui se délite...", pour étayer son idée que l'école doit être un lieu de résistance culturelle. Or parler de résistance, c'est indiquer que l'on entrevoit beaucoup de mauvaises choses dans tout ce qui advient et va advenir. Sinon, pourquoi ne pas parler simplement de lieu fondamental de formation, intellectuelle et culturelle, sachant que l'école n-est plus le seul, qu'il faut compter avec Internet et la télévision ?

Si la société se délite, elle le fait par rapport à certaines valeurs du passé (l'honneur, la cause, l'ethnocentrisme et le patriotisme national, l'ordre collectif, la charité, le patriarcat, la primauté de l'ancien...), mais pas par rapport à des valeurs naissantes dont l'exigence n'est pas moindre : l'éducation justement, l'intelligence, la parité hommes-femmes, la santé, le bonheur, l'échange, la solidarité, le multiculturel, la tolérance, oui.

Et l'intégrité des corps. Les agressions sexuelles, du harcèlement au viol, n'étaient souvent traitées que par des ricanements, en particulier quand la police était un monde exclusivement masculin.

S'indigner qu'il y ait des exclus et vouloir qu'il n'y en ait plus implique de savoir que les sociétés antérieures n'étaient en rien culpabilisées de laisser une bonne majorité de la population sur le bord de la route de l'éducation, de la santé, je n'ose pas dire de la vie heureuse et épanouie.

Se libérer de la régression, c'est se rendre compte que la transformation du monde est si grande qu'on finit par croire que tout est nouveau, même la violence, la bêtise ou les inégalités. C'est aussi se rendre compte que nous voyons maintenant le monde nu et cru dans la transparence qu'apportent les images et les informations.

S-il faut résister à quelque chose, c'est à tant de phrases imbéciles : "Maintenant les jeunes ne respectent plus rien... maintenant les gens font n'importe quoi... il y a de moins en moins... il n'y a même plus...", etc.

Là ou il faudrait résister, encore, ce serait pour ne jamais en revenir aux châtiments corporels. Et, au contraire, pour en venir à respecter les enfants comme des personnes si l'on veut être respecté. Ce serait pour choisir toujours plus de protection contre toutes les oppressions, toujours davantage de communication et d'intelligence, d'éducation et de culture.

Une société qui a substitué l'éducation généralisée au service militaire obligatoire, qui offre la santé à tous, propose la formation à tout âge de la vie n'est pas en décadence. Un monde qui, aujourd'hui, permet à sa jeunesse un accès au savoir, à l'information et à la communication interindividuelle d'une ampleur que jamais aucune génération antérieure n'a pu connaître n'est pas un monde en dégénérescence. L'extrême difficulté est de continuer, non de revenir en arrière. Ce qu'il faut intégrer, c'est la nécessité qui se fait jour constamment de la poursuivre, cette transformation, et non de lutter contre. Ce mouvement qui nous a conduits progressivement vers la vision régressive, il est temps de l'arrêter.

Jean-Pierre Ceton est écrivain.

ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 01.06.02
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