Histoire du cinéma japonais en France (1951-2001)

Etude

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CONCLUSION

  • Peut-on conclure à une assimilation du cinéma japonais par le public français ? Cette assertion reste difficile à démontrer, tant elle implique des notions subjectives. S'il est indéniable que le cinéma japonais n'est pas un grand cinéma populaire en France, il a connu ces cinquante dernières a nnées une véritable reconnaissance critique.

    Il a contribué à améliorer mais aussi à déformer l'image que nous avons de la culture japonaise. La plupart des films que nous envoie le Japon, et qui, parfois, sont de remarquables chefs-d'œuvre, traitent de guerres anciennes, comme ceux de Kurosawa , ou de scènes intimistes comme ceux d'Ozu , parmi les plus parfaits du genre, et ne concernent qu'un Japon en transition qui n'existe plus guère de nos jours.

    Il se peut qu'inconsciemment, on veuille conserver de ce pays une image de rêve, et que l'on répugne à réaliser que le Japon a considérablement changé depuis un demi-siècle et que l' « exotisme » romantique n'existe plus qu'à Paris ou Londres. L'esprit semble rechigner à troquer ce vieux fond de rêverie contre un sentiment, beaucoup plus simple et plus prosaïque peut être, de dépaysement. Une enquête récente faite par un groupe de l'UNESCO [1] nous montre que les erreurs de jugement qui se propagent sur le Japon sont essentiellement dues aux informations périmées des manuels scolaires et d'éducation dont usaient nos parents. Si l'on est parfaitement au courant des dernières réalisations techniques des Japonais, on ignore délibérément leur histoire, leurs croyances et coutumes (sauf peut-être celles qui nous paraissent bizarres), et les vies des hommes qui, à travers toute sa durée, ont fait le Japon. Erreurs géographiques, climatiques, économiques et culturelles sont encore fréquentes.

    On croit communément que le Japon est un pays tropical, peut-être parce qu'y poussent le riz et le bambou. En réalité, et bien que la latitude de Tôkyô se situe aux environs de celle d'Alger, il n'en est rien, et il serait plus raisonnable d'affirmer, par exemple, que le Japon est un pays qui jouit d'un climat tempéré: la neige y tombe presque partout en hiver, il jouit de quatre saisons bien différenciées et les pluies y sont aussi abondantes qu'en France, quoique réparties différemment.

    On a également tendance, fâcheusement, à associer le Japon à la Chine. C'est ainsi que la plupart des ouvrages de civilisation ou d'art englobent presque toujours ces deux pays sous une même rubrique, celle de 1'« Orient-Extrême» pour reprendre une belle expression de Robert Guillain . Cela contribue à perpétuer dans l'esprit des Occidentaux une idée d'association qui est fort loin de la réalité. S'il est vrai que la civilisation du Japon doit beaucoup à celle de la Chine ancienne (de même que celle de la France doit beaucoup à celle de l'Italie de la Renaissance), elle s'est néanmoins élaborée indépendamment de celle-ci : son peuplement, sa langue (sinon son écriture), sa géographie, ses philosophies sont essentiellement distinctes de ceux de sa grande voisine continentale. Le bouddhisme, par exemple, qui a pratiquement disparu de Chine après le XIIIe siècle, a continué de se développer de manière considérable au Japon, qui l'a transposé à sa manière, évidemment. Mêmes erreurs courantes en ce qui concerne l'économie, l'agriculture, la nourriture, etc.

    Mais le cinéma qui nous parvient depuis le milieu des années 1980 est cependant différent, et si l'exotisme demeure, il se fait moins présent. Si le cinéma japonais n'a pas connu de grand succès populaire en France, celui-ci effraye de moins en moins le public, et la nouvelle génération, sensibilisée à la subculture japonaise, s'y montre même particulièrement réceptive. La connaissance du Japon contemporain se fait plus grande chaque jour, au fil des reportages diffusés à la télévision et des articles publiés dans la presse. Celle-ci éveille la curiosité du public français face à la chose japonaise, et le cinéma japonais en bénéficie.

    Le cinéma japonais demande des implications personnelles, un investissement intellectuel, et c'est en cela que ce cinéma est passionnant. Il est le reflet de la volonté d'une ouverture sur une autre culture, malgré sa complexité. Le fait est que le monde dépeint par le cinéma japonais est le miroir déformant du notre. La civilisation japonaise a connu une très forte occidentalisation à l'Ere Meiji. La culture occidentale y était présentée alors au Pays du Soleil Levant comme synonyme de modernité, alors que les traditions japonaises passaient pour démodées. Le syncrétisme de ces deux cultures a donné une civilisation originale, qui est le fruit d'une ré-interprétation de la culture occidentale, offrant ainsi une alternative à la vision que nous avons de notre propre civilisation. C'est en cela que naît parfois l'impression d'incompréhension que ressent le spectateur français face au cinéma japonais, mais aussi par-là même sa fascination. Le Japonais lui expose un autre possible de son existence, une alternative à l'interprétation des formes culturelles qu'il connaît si bien. C'est ce renversement des codes préexistants qui fait l'intérêt du cinéma japonais pour le spectateur français.


    [1] Citée par Louis Frédéric , Le Japon, dictionnaire et civilisation , Editions Robert Laffont S.A., Paris, 1996, page XI.