Histoire du cinéma japonais en France (1951-2001)

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Les rétrospectives et leur impact

La Cinémathèque Française a réalisé plusieurs rétrospectives afin de faire découvrir le cinéma japonais entre 1951 et 2001. Trois ont été réellement marquantes, donnant lieu à la publication d'ouvrages de référence, de catalogues des films présentés. Voici la préface de la première rétrospective de 1961 qui dresse le tableau préalable du degré de connaissance du cinéma japonais à l'époque avant de retracer le défi que représente le mise en place de cette rétrospective.

" Cette rétrospective nous présente donc, non pas seulement pour la pre­mière fois, un panorama du Cinéma japonais des origines à nos jours, mais la vision même qu'ont de son évolution, les cinéastes et les critiques japonais.

Nous l'avons complétée de Yang Kwei Feï, de L'Idiot , de La Princesse Sen, de Quartier sans Soleil et de Nippon enfin, dont il n'existe plus de copie au Japon.

Hélas, cet ensemble ne représente qu'une vision partielle et incomplète, dans la mesure où certains chefs-d'œuvre anciens ne pouvaient y figurer pour n'exister plus au Japon. (…)

En attendant, et pour corriger ces omissions qui ne viennent pas de leur chef, les responsables de la Cinémathèque du Japon ont établi une courte chronologie des principaux films représentatifs de l'Histoire du Cinéma Japonais telle qu'ils auraient pu la montrer.

C'est en 1953, Avenue de Messine, que nous rencontrâmes les pre­mières personnes intéressées à la création d'une Cinémathèque au Japon. C'est en 1956 que cette Cinémathèque commença à naître. C'est en 1958 qu'elle commença à collectionner ses premiers films.

C'est dire sa réussite et l'effort que représente en un si court délai, l'oeuvre de sauvegarde accomplie par la Cinémathèque du Musée National d'Art Moderne de Tokio.

La France lui doit d'avoir sauvé Zigomar et l'Allemagne d'avoir con­servé De l'Aube au Matin." Et nous lui devons l'honneur d'avoir choisi Paris afin de présenter pour la première fois au monde l'Art Cinématographique Japonais"

Les films n'avaient pas toujours été sous-titrés en Français, tant est si bien que Jean Pierre Jackson [1] , qui a découvert le cinéma japonais à cette occasion-là s'est vu offrir une projection de Rashômon sous-titré en Hollandais. Ceci est aussi relaté par Hiroko Govaers

" Alors que l'intelligentsia japonaise était élevée dans la civilisation française ou du moins occidentale, je voyais le cinéma japonais essentiellement à la Cinémathèque Française où Henri Langlois passait des films d'Ozu sans sous-titres" [2]

Un tel mode de présentation donnait à ces films une "allure d'Ovni" [3] , une impression à la fois de nouveau, et d'étrangeté, même pour le public intellectuel parisien qui fréquente la Cinémathèque Française dont la connaissance du néerlandais n'est pas évidente.

Il y a eu une récidive en 1963, puis des rétrospectives consacrées à différents auteurs. Hiroko Govaers Témoigne de cette époque.

"C'est là où tout a commencé pour moi grâce ou à cause d'Henri Langlois , lorsqu'il a organisé la première grande rétrospective de cinéma japonais à Chaillot en 1963, une bonne centaine de films qu'il a regroupés sous le titre 'Initiation au cinéma japonais'. [4]

Si ces rétrospectives ont permis l'accès au cinéma japonais à un certain public, il faut avouer que celui-ci fut extrêmement restreint. Hiroko Govaers , dans une interview accordée à l'Humanité le décrit ainsi :

" Inutile de dire qu'il n'y avait que quelques personnes dans la salle, parmi lesquelles Jacques Rivette , qui a écrit un article devenu célèbre sur Mizoguchi dans 'les Cahiers du cinéma' , et Noël Burch , qui a ensuite publié un livre remarquable sur le sujet, en langue anglaise, 'Pour un observateur lointain [5] "

Elles permirent cependant l'édition de catalogues qui constituent encore à présent les rares composantes bibliographiques consacrées au cinéma japonais publiées en France. Mais aussi de faire découvrir ce cinéma aux précurseurs de la diffusion du cinéma japonais en France. En Effet, Noël Burch est l'un des rares auteurs dont un livre consacré au cinéma japonais dans son ensemble ait été publié en France. Jean-Pierre Jackson est devenu l'un des plus grands distributeurs de films japonais en France, et Jacques Rivette , grand cinéaste, a écrit de nombreux articles sur le cinéma japonais dans des revues spécialisées.

Mais la rétrospective la plus marquante fut celle de 1984, qui proposa plus de 600 films japonais, dont de très nombreux inédits. Ces films étaient parfois l'objet d'une diffusion unique, sans sous-titres…et parfois sans spectateurs. Il n'est pas possible d'établir le nombre d'entrées réalisées, puisque la Cinémathèque Française ne procède pas au comptage du nombre de spectateurs. Cette manifestation a duré deux années pleines, sous le nom « Le cinéma japonais de ses origines à nos jou rs ». La première partie était historique et chronologique, la deuxième partie était composée de sections par genres, science-fiction, films de fantômes, érotiques, sur Hiroshima . La troisième partie était consacrée au cinéma contemporain, à partir de 1970. L'initiative venait de Costa-Gravas qui s'est adressé à Mme Kawakita et Hiroko Govaers . Celle-ci témoigne des difficultés rencontrées pour mener à bien une telle entreprise.

" J'avais fait des recherches non seulement au Japon ou je savais quels étaient les films sous-titrés en anglais, mais ils étaient très rares. Je suis allée à New York, où il y avait un bureau de représentation des compagnies japonaises, et surtout à Berkeley: les Pacific Film Archives y avaient une collection de plus de six cents films. A l'époque de l'âge d'or du cinéma japonais, quand les films étaient exploités, au bout d'un mois, les représentants des compagnies donnaient les copies aux Archives. [6]

L'un des plus grand mérite de cette rétrospective est d'avoir permis l'importation de la matière première des rétrospectives, soit les films, en France. Et ensuite d'avoir créé un ouvrage de référence par l'édition d'un catalogue qui donnait un aperçu plus grand de ce cinéma aux cinéphiles, et aux futurs acteurs de sa diffusion.

" La manifestation a été si complète que par la suite des thèmes entiers du catalogue étaient repris dans le monde entier. Par exemple, 'Cinéma et littérature au Japon' à Beaubourg. C'est aussi une idée que j'ai reprise moi-même quand j'ai initié la Biennale du cinéma japonais d'Orléans en 1992 avec Mishima au cinéma et en 1995 avec Inoué. " [7]

L'une des limites majeures de cette entreprise fut qu'elle a été réservée aux seuls spectateurs de la Cinémathèque Française , soit un public de curieux parisiens qui acceptent de se déplacer en périphérie de la capitale voir des films étrangers sans sous-titres. Autrement dit un public assez restreint quand on le compare à l'ensemble du public potentiel français. Si historiquement cette rétrospective a été très marquante pour les cinéphiles, on ne peut pas vraiment parler de succès quant au nombre de spectateurs.

La Rétrospective en 1986 sur le " Cinéma japonais et la Littérature " a donné lieu à un catalogue qui éclaire les rapports entre la littérature et le cinéma japonais.

La Rétrospective fin 1988 sur la saga de Histoire de fantômes chinois a aussi eu un impact considérable, au sens où elle a intéressé une génération plus jeune à une forme de cinéma asiatique plus populaire. David Martinez , rédacteuren chef de la revue HK, Orient Extrême Cinéma, témoigne :

" Les ciné-clubs ont aussi permis une grosse percée du cinéma de HongKong. La passion des rédacteurs de HK, Orient Extrême Cinéma s'est cristallisée fin 1980, début 1990, et cela autour de plusieurs évènements : la parution de la revue Starfix, les rétrospectives dans les cinémathèques, et notamment celle axée autour de Histoire de fantômes chinois fin 1988" [8] .

C'est à cette époque que le cinéma de Hong Kong a commencé à produire des films sur le modèle américain, tout en gardant leur essence chinoise, soit des curiosités susceptibles d'attirer un public occidental. John Woo a beaucoup intéressé un jeune public amateur de cinéma de genre, et a permis de leur faire découvrir le cinéma de Hong Kong, et par là de lui ôter ses réticences envers le cinéma japonais [9] .

En 1991, au Max-Linder (la plus grande salle de Paris) a eu lieu une importante rétrospective dédiée au cinéma japonais, intitulée « Le Japon fait son cinéma », qui proposait une sélection de 29 films, dont 17 inédits en France ( Cinq Femmes autour d'Utamaro, l'Amour de l'Actrice Sumako, Duel Silencieux , les Sœurs Munkata, une Femme dont on parle, La Légende de Musashi , Fleurs d'Equinoxe, Herbes Flottantes , Le Passage du Grand Bouddha , Dernier caprice, la Légende de Zato Ichi , la Ballade de Kyoshiro Nemuri , Trois Samurais Hors-la-Loi , la série des Majin et des Baby Cart , Rebellion , Goyokin ) et des reprises ( La Harpe de Birmanie , Tokyo Olympiades , Kwaidan , Onibaba , l'Ange Rouge , Le Lézard Noir , Tokyo Blues , Portrait d'un Criminel .) allant des films de sabre à ceux de monstres, en passant par des œuvres de Kon Ichikawa , d'Ozu , de Mizoguchi , soit un échantillonnage assez complet de toutes sortes de films japonais, tous en version japonaise sous-titrés en français.

Cette rétrospective était loin des conditions de celles de la Cinémathèque Française , qui, dépendant de l'état, n'est tenue à aucun rendement, et diffuse certains films en pure perte, le seul objectif étant de diffuser des films qui ont peu de chances d'être vus, et laissant ainsi leur chance à des cinémas "rares" comme ceux d'Asie Centrale. En effet, organiser un tel événement dans une salle commerciale située sur les grands Boulevards, et par conséquent plus ouverte au tout venant implique une plus grande prise de risques financiers qu'une simple diffusion dans le cadre de la Cinémathèque Française .

Comment cette rétrospective est-elle née?

Le Max-Linder organisait chaque été des rediffusions de grands classiques du cinéma, souvent américain, à raison d'un film par jour. Cette opération était intitulée " le Max Linder fait sa cinémathèque ", et rapportait en moyenne 500 000 francs de recette. Jean-Pierre Jackson a lancé l'idée de remplacer le temps d'un été ces grands classiques américains par des grands classiques japonais. Le risque était grand, c'est pourquoi il y a eu signature d'un contrat spécial. Les 500 000 premiers francs de recette rapportés revenaient au Max-Linder, les 500 000 francs suivants revenaient à Jean-Pierre Jackson, distributeur de ces films japonais, le reste de la recette serait partagé entre les deux parties prenantes. Il y eu partage, et par conséquent succès.

Les organisateurs pouvaient se targuer d'un public brillant au nombre duquel on retrouve Jeanne Moreau ou Alain Corneau . Mais ce succès ne s'explique pas seulement par une politique de l'offre importante : Il y avait aussi une demande du public.

Son impact fut énorme, et marqua le coup d'envoi d'une véritable irruption du cinéma asiatique en France, les salles ne désemplissant pas de toute la durée de la rétrospective, soit entre le 10 juillet 1991 le 6 août 1991, à raison d'un film différent diffusé chaque jour, 3 à 5 fois durant la journée. Au bout d'un mois, plus de 60 000 spectateurs avaient été conquis par cette rétrospective.

L'impact de ces films était d'autant plus grand que cette rétrospective, une fois achevée au Max-Linder, a continué à vivre, tournant, soit dans sa totalité, soit partiellement ( par auteurs ou genre) dans des cinémas de provinces. Ces films sont encore régulièrement diffusés dans les cinémas d'art et d'essais à Paris comme en province à l'heure actuelle, soit en 2002. Loin du travail de la Cinémathèque Française qui était très ciblé temporellement et géographiquement, ici s'est mise en place une politique de diffusion nationale et systématique.

C'est ainsi que la formule fut reconduite avec La Rétrospective Ozu en 1992, qui a aussi a beaucoup fait pour la notoriété du cinéma japonais en France. Jean-Pierre Jackson a réuni quarante-cinq mille spectateurs pour cette occasion. Il leur fit découvrir le cinéma de Mikio Naruse en 1993 et approfondit leur connaissance de Mizoguchi la même année, de Kon Ichikawa en 1994…

" Depuis quelques années, tous les étés, Jean-Pierre Jackson nous offre une rétrospective japonaise passionnante. Grand introducteur de Rus Meyer en France, il nous régala d'abord de séries B "Made In" le pays du soleil levant avant de programmer une escouade de Films Ozu de toute beauté, quelques-unes une de Mizoguchi à peu près inédits." [10]

Le succès fut cependant inégal. Pour attirer le public, il faut présenter l'auteur du film, or le public français ne reconnaît que trois grands réalisateurs japonais, et il demeure difficile de lui en faire découvrir d'autres. Naruse n'a gagné ses lettres de noblesse qu'au Festival de San Sebastian en 1998, alors qu'il était déjà sur les écrans parisiens en 1993.

Ces nombreuses rétrospectives entre 1991 et 1995 explique la recrue d'essence du nombre de films japonais sortis en France durant cette période. (Voir graphiques et tableau plus haut). Hiroko Govaers témoigne de l'évolution de la situation :

" Aujourd'hui, la situation du cinéma japonais en France a bien évolué. Il est plus facile d'organiser une manifestation comme celle de Beaubourg parce que plus de copies sont disponibles sur place, grâce à une société comme Alive dirigée par Jean-Pierre Jackson qui possède plus d'une centaine de films, sous-titrés en français de surcroît. Ou Connaissance du cinéma et Films sans Frontière s." [11]

Cependant, le succès de ces opérations a attiré l'attention de grands opérateurs comme Studio Canal ou ARP . Le jeu de la concurrence s'ouvrant, les prix des films japonais à l'importation s'est mis à grimper considérablement, tant est si bien que Jean-Pierre Jackson , directeur de la société de distribution Alive , a du cesser ces opérations. Les effets de son action perdurent encore, les films distribués étant encore diffusés.

Il y a beaucoup de rendez-vous, de festivals consacrés au cinéma japonais et asiatique, mais ceux-ci restent ponctuels, et il y a beaucoup d'échecs.


[1] Interview du 5 mars 2002 réalisée au siège de sa société par le rédacteur du présent mémoire.

[2] Propos d'Hiroko Govaers recueillis par MICHELE LEVIEUX, l'Humanité , 16 avril 1997.

[3] Voir note 43

[4] voir note 44

[5] idem.

[6] Propos d'Hiroko Govaers recueillis par MICHELE LEVIEUX, l'Humanité , 16 avril 1997.

[7] idem.

[8] Entretien avec David Martinez op.cit.

[9] Entretien avec Monsieur Zawadzki op.cit.

[10] In Libération , 02/08/1995, Edouard Waintrop, Kurosawa , six d'épique.

[11] Propos d'Hiroko Govaers recueillis par MICHELE LEVIEUX, l'Humanité , 16 avril 1997.