Histoire du cinéma japonais en France (1951-2001)

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Le cas Rashômon .

Rashômon est un film réalisé en 1951 par Akira Kurosawa , réalisateur très reconnu à l'époque dans son pays. Celui-ci n'avait pas vraiment convaincu le producteur Jingo Minoru de la valeur commerciale du film, le budget fut réduit à l'essentiel. Adapté par Kurosawa et Shinobu Hashimoto de deux nouvelles de l'écrivain Ryunosuke Akutagawa : Rashômon et Dans le fourré . Rashômon n'était en aucun cas un « jidai geki [1]  » conventionnel et exotique, mais, au contraire, illustrait un récit audacieux à la structure éclatée, dont l'idée essentielle avouée était d'exprimer la relativité de « toute vérité ". Ce qui fit évidemment taxer le film de « pirandellisme " en Europe, par référence à A chacun sa vérité. Le film est la brillante suggestion que toute vérité est subjective, et que la notion de culpabilité est toute relative. Les épisodes sont enchâssés entre les séquences d'ouverture et de fin, situées sous la porte de Rashô noyée sous la pluie, où le bûcheron raconte son histoire à deux voyageurs, l'un, un bonze, et l'autre qui a trouvé le cadavre d'un samouraï dans les bois. Le film se clôt sur le discours du bonze, porte-parole de Kurosawa, qui affirme sa confiance en l'humanité, symbolisée par un bébé trouvé, représentant l'innocence primordiale des êtres. C'est, aujourd'hui, ce qui nous paraît le plus contestable et sentimental, alors que c'est certainement ce qui tenait le plus à cœur de l'humanisme de Kurosawa.

 

Si Rashômon est présenté au festival de Venise , c'est uniquement grâce à l'insistance d'un importateur italien. D'ailleurs, Kurosawa n'en a pas été avisé. Dissipons d'abord une erreur communément répandue qui veut que le film de Kurosawa ait été fabriqué " spécialement pour l'exportation" et dans le but avoué de remporter un prix dans un festival. La lumière a été faite sur cette version depuis longtemps, et l'on sait maintenant qu'il n'en fut rien. Au contraire, la compagnie, productrice Daiei protesta contre le choix de Rashômon qu'elle jugea trop étrange et voué à l'échec, gâchant ainsi les chances d'exporter les films japonais à l'étranger, puisque celui-ci ne faisait pas partie des films déjà " spécialement " produits pour l'exportation. Et l'on sait que Kurosawa lui-même fut le premier surpris (mais ravi) par l'obtention du Lion d'Or vénitien, mais regretta que ce ne soit pas un film à sujet contemporain qui ait remporté cette distinction, car cela aurait eu plus de signification.

 " Quand j'ai reçu le Grand Prix de Venise , je remarquai que j'aurai été plus heureux, et que cette récompense aurait eu pour moi plus de signification, si elle avait couronné une de mes œuvres qui eût montré quelque chose du japon contemporain comme le Voleur de Bicyclette avait montré l'Italie. Et (En 1959), je pense toujours la même chose parce que le Japon a produit des films contemporains qui valent celui de De Sica tout en continuant à faire des films historiques, excellents ou non, et qui sont pour une large part tout ce que l'Occident a vu et continue de voir du cinéma japonais " [2]

Si ce film séduisit l'Occident, c'est non seulement par l'originalité du récit, mais surtout par sa technique innovatrice, tout à fait inhabituelle dans le cinéma japonais d'alors, même le plus occidentalisé. Et il est indéniable que cet aspect novateur, doit énormément au talent du chef opérateur Kazuo Miyagawa :

" Rashômon fut une expérience photographique totalement nouvelle (pour moi) (. .). Kurosawa voulait expérimenter un tas « d'effets spéciaux », notamment dans les scènes où T. Shimura marche dans la forêt, et dans la « scène d'amour » entre Machiko Kyo et Toshiro Mifune. Il voulait que Mifune soit comme un grand soleil, comme le « Hinomaru » (le « soleil rouge » du drapeau japonais), contrastant fortement avec la douceur de M. Kyo. Comme cela exigeait un contraste très fort du noir et du blanc, et non la tonalité grise habituelle, j'ai même placé des miroirs contre le soleil pour obtenir cet effet, ce que je n'avais jamais fait auparavant. Ce fut très difficile, et me choqua beaucoup. Mais lorsque Kurosawa vit les « rushes » de la première scène (la porte sous la pluie) il fut très satisfait du résultat, et me dit de continuer dans la même direction " [3]

Côté acteurs, ce fut l'animalité exubérante de Toshiro Mifune, dans le rôle du bandit Tajomaru, qui frappa le plus le public occidental, lequel put s'en donner à coeur joie sur le mythe du «barbare japonais» grimaçant et bondissant... On n'y vit pas alors, dans toute la mythologie sérieuse qui entoura ce film dramatique, l'humour distanciateur de l'acteur, qui allait heureuse­ment être évident dans le personnage haut en couleurs de Kikuchiyo, l'apprenti des Sept Samurais.

En Europe, le succès n'allant jamais sans quelques méfiances, il y eut des ombres au tableau de l'enthousiasme vénitien lorsque le film sortit à Paris. Niko Franck écrivait dans Arts

" On se méfie devant les fortes sensations d'art et d'exotisme qu'apporte Rashômon " [4] ,

Et un critique aussi perspicace qu'André Bazin se prenait lui aussi à faire des réserves, à l'époque où les Cahiers du Cinéma commençaient à faire de Mizoguchi le cinéaste japonais. Il écrivait dans L'Observateu r

" Stupéfaction admirative, possibilité d'une déception:c'est à sa façon un film de série (sic) (. . .) Je ne serais pas autrement surpris d'apprendre que Kurosawa n'est que le Duvivier du cinéma japonais . . ."

Tout cela n'empêcha pas le film de devenir un « classique", de surprendre à chaque vision, où le "mystère" reste entier, et d'assurer à Kurosawa les possibilités d'une carrière Inégale, mais passionnante et souvent exemplaire

 


[1] Film de samouraï.

[2] Dixit Akira Kurosawa , cité in Le Figaro , 28/09/1983, F. C., Les fils de Kurosawa .

[3] Cité in Max Tessier , Images du cinéma japonais 2e éd. - Paris : H. Veyrier, 1990 .
- collection : Cinéma., Page 187.

[4] idem