Histoire du cinéma japonais en France (1951-2001)

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 La postérité de Rashômon

- L'impact de cette récompense sur la production japonaise

C'est aussi à partir de 1950-1951 que les films japonais présentés et couronnés dans les festivals européens (Venise , Cannes , Berlin ) commencèrent à pénétrer les marchés extérieurs, et que, avec l'appât du gain, les compagnies de production firent des efforts de promotion qui dureront quelques années, puis se relâcheront, en dehors de certains grands succès. Bref, tout conduit à penser que, Rashômon a bien été la « perle " historique du cinéma japonais, découverte accidentellement au coeur de l'huître. En revanche, il est certain que, trois ans plus tard, le prix cannois obtenu par La Porte de l'Enfer de Kinugasa (de la même Daiei ) avait été largement prémédité et que le jury, impressionné par la somptuosité du film (« les plus belles couleurs du monde », dit alors Cocteau) ne vit pas qu'il s'agissait d'un « film kimono ", un admirable « produit de confection » exotique pour Européens esthètes.

Quoi qu'il en soit, le succès de Rashômon fut déterminant pour le développement du cinéma japonais et de son exposition, et certains responsables ne s'y trompèrent pas. Ecoutons par exemple le producteur Masaichi Nagiita :

"Par ailleurs, ce fait a éclairé sous un nouveau jour, pour nous Japonais, les films que nous produisons. Nous étions enclins à rester prisonnier d'un Complexe d'infériorité depuis la capitulation et, à vrai dire, nous imaginions qu'il fallait ! Attendre longtemps avant que le cinéma japonais puisse atteindre la qualité internationale. Naturellement, il existe chez nous des oeuvres de peu d'intérêt, mais Rashômon nous a appris que les films japonais ne sont pas tous inférieurs à ceux des autres pays. Du même coup, les producteurs japonais, qui pensaient que leurs films ne pourraient pas être normalement compris par les autres peuples en raison des obstacles de langage, de moeurs et de mentalité, sont maintenant pleinement conscients des possibilités qui s'offrent à eux sur les marchés étrangers. Le Japon, jusqu'ici uniquement importateur de films, peut songer à devenir bientôt exportateur ." [5]

Et, plus loin:

« Les producteurs japonais, malgré toutes les difficultés dont ils souffrent du fait des contradictions et des défauts de notre industrie, s'efforceront désormais de s'élever au rang d'exportateur à l'échelle du monde." [6]

Ainsi, dès cette époque, les producteurs japonais tentaient de secouer le complexe d'infériorité vis-à-vis de l'étranger qui marquait toute activité japonaise depuis Meiji, et accru par la défaite " honteuse " de 1945, en affirmant le sentiment national de la culture millénaire nippone par des produits jugés enfin exportables. Cette nouvelle politique extérieure mit un certain temps à démarrer, par manque de coordination entre les sociétés rivales, et faute de savoir quel genre de produit pouvait réellement plaire aux étrangers. En fait, ce fut essentiellement Nagata , le président de la major Daiei, qui y vit clair dans cette affaire, en produisant d'authentiques chefs d'œuvre, ou, en tout cas, des œuvres admirables, et de l'autre des films plus faciles, séduisants et chatoyants, du type de la Porte de l'Enfer , ou, plus tard, le Héron Blanc , du même Kinugasa (1958), ou encore Le Démon Doré et La Belle et le Voleur , autres prestigieux mélodrames. Pourtant, malgré l'existence d'une "Association du Cinéma japonais" ( Nippon Eiga Rengo Kai ), fondée en 1945, composée de cinq majors (Daei , Shochiku , Toei , Toho et Shin Toho -la Nikkatsu ), il n'y avait pas réellement d'organisme destiné exclusivement à l'exportation. Ce ne fut qu'en 1957, sept ans après Rashômon , que cet organisme vit le jour sous le nom de Unijapan Film, une association pour la diffusion du cinéma japonais à l'étranger, regroupant alors les six majors, à l'exclusion des indépendants de gauche ou non. C'est sans doute grâce à son activité que l'on vit d'assez nombreux films japonais dans les festivals (toute liberté était cependant laissée aux compagnies pour explorer les marchés et vendre leurs produits), et en partie à cause d'elle aussi que l'on ne vit pas certain type de films (notamment dits intimistes, dont ceux d'Ozu ). Une chose était toutefois certaine : les films japonais n'échappaient plus à l'attention des observateurs occidentaux, même si une toute petite partie seulement leur parvenait et si la distribution était relativement anarchique.

La Porte de l'Enfer est un film manifestement conçu pour les festivals internationaux et le calcul se révèle juste. Tandis que les compagnies Shochiku et Toho se mettent à pro­duire des films en couleur en utilisant des pellicules japonaises Fuji. La Porte de ['Enfer est le premier film japonais réalisé avec de la pellicule américaine (Eastmancolor). Un peintre célèbre, Sanzo Wada , participe en tant que conseiller artistique à la réalisation des costumes et des armures de l'ère Genpei. Kinugasa excelle à la composition d'images dans le style traditionnel de la peinture japonaise et crée des scènes rappelant les rouleaux peints du Moyen Âge. Cependant les Japonais n'aiment pas ce film qui leur apparaît comme une exhibition riche en couleurs et en cos­tumes traditionnels mais dont 1'histoire leur semble ennuyeuse et l'interprétation artificielle. En revanche, le film est très apprécié à Cannes pour sa composition de l'image et ses couleurs. Kinugasa avouera néanmoins dans une interview que son film a peu de substance.

Masaichi Nagata produit également Les Contes de la Lune vague après la Pluie (1953), Les Amants crucifiés ( 1954 ) et L'Intendant Sansho (id.), oeuvres inspirées de la littéra­ture classique ou de légendes. Ces films de Mizoguchi ne sont pas particulièrement destinés à l'exportation. Mais à cette époque, le jidai geki, synonyme de divertissement, comporte beaucoup de chanbara, les scènes de combats au sabre. Si Mizoguchi peut réaliser à la suite plusieurs jidai­ geki sans scène de chanbara, c'est que le président de la Daiei a compris que ce genre est apprécié dans les festi­vals internationaux. Mizoguchi est ainsi récompensé trois années de suite à Venise avec La Vie d'Oharu, Femme galante, Les Contes de la Lune vague après la Pluie et L'Intendant Sansho. Grâce à sa réputation internationale, Mizoguchi retrouve tout le prestige qu'il avait perdu aux yeux de ses compatriotes qui le considéraient comme démodé. Avec lui, les idées et l'esthétique traditionnelles japonaises, objets de rejet depuis la défaite, retrouvent leurs lettres de noblesse.

Les réalisateurs Kurosawa et Mizoguchi , suite à leur succès dans les festivals internationaux, ont très vite connu une reconnaissance internationale, le statut de grands auteurs, pendant des années. Or, leurs premières œuvres n'ont pas été présentées à l'époque, ignorées, et seule leur production récente a été présentée en France [7] .

[5] Cité In " Images du Cinéma japonais " de Max Tessier , voir note 75, page 156

[6] Voir note 77.

[7] Entretien avec Hubert Niogret op.cit.