Histoire du cinéma japonais en France (1951-2001)

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Les films de genre dans les années 1970

Les chiffres du tableau 13 montrent que les films de genre sont majoritaires. Sur 88 films sortis, 36 sont des films de genre. Ceux-ci ont connus d'excellents chiffres d'entrées, à une période où le cinéma restait une industrie prospère.

Les films de séries Z (films érotiques, fantastiques, d'horreur, de sciences-fiction) étaient diffusés dans le XIIIème arrondissement de Paris, à Strasbourg Saint Denis . A l'époque, 2 films érotiques et 2 à 3 films d'action asiatiques sortaient chaque semaine. Les cinémas qui les diffusaient étaient appelés Midi Minuit. Il y régnait une ambiance glauque : peu de spectateurs regardaient l'écran. Ces cinémas, tout au moins leurs sanitaires étaient le lieu de rencontre de couples illégitimes ou de trafic de substances illicites [1] .

" Quant au cinéma, il nage dans l'affreux, patauge dans l'abominable et clapote dans l'épouvante…Il nous faut du pantelant, de la transfusion, du cadavre insolite et de la momie vivante. C'est le triomphe du Midi Minuit et du surréalisme à la portée de toutes les bourses " [2]

Les films étaient diffusés en boucle de midi à minuit, sans interruption, et restaient à l'affiche jusqu'à ce que la bande du film soit complètement usée. Parfois, afin de rabattre un peu de spectateurs à moindre coût, les dirigeants de ces ciném as changeaient le titre des films proposés, donnant une image de renouveau, alors que les mêmes films étaient projetés dans les salles [3] . Ces films provenaient plus souvent de Hong Kong, mais le nombre de films japonais n'est pas à négliger.

Or ces salles ont disparu. Les films de ce genre, à petit budget, ont presque presque cessé d'exister, et cela à l'échelon mondial, face à la concurrence des grandes productions, américaines notamment. Les effets spéciaux coûteux ont remplacé les assiettes /soucoupes volantes et les maquettes en carton. Les années 1980 ont été une traversée du désert pour le cinéma de genre, les cinémas de quartier ont commencé à perdre leur public. Celle-ci a duré jusqu'à l'extinction des salles de quartier et l'arrivée en masse des vidéos et des DVD. Il a été de plus en plus difficile de voir ce type de films : Si le Japon a continué à en produire, ceux-ci n'ont pas été distribués+ en France. [4]

a - Les films de série Z et de sciences fiction.

Comment ces films sont-ils arrivés en France?

Les producteurs japonais, encouragés par la reconnaissance internationale, redoublent d'efforts pour offrir de nouveaux films à l'Occident. Mais les films artis­tiques, même très appréciés, rapportent trop peu pour financer d'autres productions, exception faite des films de monstres dont la série débute avec Godzilla ( de Inoshiro Honda, 1954) et qui, basés sur de nombreux truquages très simples (utili­sation d'un jouet pour figurer le monstre, ville miniature soigneusement fabriquée et dont la destruction peut donner un sentiment d'apocalypse) sont à la fois économiques et rap­portent d'énormes bénéfices du fait de leur grand succès international. Suite au succès de Godzilla, la série devient la principale source de devises du cinéma japonais.

Le film fut acheté (et rebaptisé Godzilla , King of the monsters) par un distributeur américain (Embassy Pictures , puis Columbia ) qui en profita pour le remonter à sa manière en y ajoutant sans façons des scènes dirigée par Terry Morse. Par la même occasion le film fut coupé, et, des 97 minutes originelles, il ne reste plus en France, par exemple qu'une version de 80 minutes.

Godzilla fut appréhendé en Occident comme une métaphore de "l'angoisse atomique », perçue comme une critique implicite de la présence américaine au Japon (neuf ans après la défaite), puisque le monstre portait les radiations de la bombe H de Bikini, et détruisait allègrement Tokyo avec son "venin radioactif". Un vernis de crédibilité scientifique était donné au récit; à la manière des modèles hollywoodiens. Bien entendu, angoisse atomique ou non, la compagnie Toho productrice, se souciant peu que le film ait un fondement scientifique ou un " message », s'empressa d'en exploiter le succès commercial, et de lui donner une, puis toute une série de suites prévisibles: l'année suivante vit Le Retour de Godzilla, de Motoyoshi Oda , mais il fallut attendre 1962 pour voir s'affronter King Kong contre Godzilla puis Godzilla contre Mothra (Honda , 1964).

 

Et, comme Godzilla ne pouvait suffire à passionner les foules, la Toho s'était attaquée très tôt à d'autres manifestations plus " subtiles » des terreurs de l'inconscient collectif, tel L'Homme H ( de Honda , 1958). Bien entendu, la famille Godzilla eut d'innombrables rejetons dont, nous ne citerons que quelques noms: le premier fut Radon en 1956, suivi de Mothra , (1960), Matango ( 1963), Ebirah ( 1966), qui ont eu le privilège de connaître une sortie en France. Ce catalogue des mille et un monstres nippons devient vite fastidieux, d'autant, qu'en dehors de quelques « signes particuliers », ces charmantes bestioles ont un air de famille aisément reconnaissable. D'ailleurs, la fertile imagination des scénaristes à la chaîne de la Toho ou de la Daiei a commencé à tarir vers la fin des années soixante, un inévitable phénomène de saturation s'étant produit. Il est significatif que Inoshiro Honda ait tourné en 1968 un film intitulé Kaiju-shoshingeki, exploité à l'étranger sous le titre anglais de Destroy all monsters ! (Détruisez tous les monstres !).

 

Plus intéressant était le guerrier géant Daimajin, issu vers 1965 d'un scénariste de la Daiei, qui puisait sa créature dans les légendes du Japon ancien. Les grands mythes ­du fantastique européen furent eux aussi acclimatés au Japon, en dépassant allègrement les limites, comme en témoigne Le Lac de Dracula , très médiocre bande vampiresque:

Cependant les seuls monstres ne pouvaient satisfaire l'insatiable public japonais, et bientôt, les extra-terrestres envahirent joyeusement les studios de Tokyo. Puisque le Japon tout entier était détruit par les monstres de la Toho , il restait donc l'espace intersidéral, où se déroulait une hypothétique Bataille de l'espace (1959, devenu Prisonnières des Martiens en France ), tout en étant menacés par une Invasion des Astro Monstres .( Invasion Planète X ) en français, tandis qu'apparaissait dans le ciel de Tokyo le Satellite mystérieux .

Tous ces films, et les suivants, comme le plus récent Les Évadés de l'Espace, de Kinji Fukasaku,( Toei , 1978), fabriqués à la chaîne, et souvent au rabais, ont au moins un point commun, hormis peut-être l'original Godzilla : ils sont tous sympathiquement nuls, et, dans le meilleur des cas, à mourir de rire. ils véhiculent une idéologie sécurisante et conformiste : C'est grâce à l'armée, à la police, ou aux savants officiels, que les populations prises de panique sont délivrées des griffes du monstre et de leurs angoisses.

C'est précisément la vogue des films catastrophes hollywoodiens qui a relancé un genre moribond au Japon, où le public est toujours fasciné par les plus inimaginables cataclysmes, dont l'attente réelle est son lot quotidien. Les producteurs ont donc lancé des films plus ambitieux, mais tout aussi indigents dans la réalisation, tirés de best-sellers ultra populaires. Une des plus grosses recettes d'après-guerre fut par exemple La Submersion du Japon (Toho , 1973), adapté d'un roman à succès qui eut un très grand succès auprès des Japonais. Il arriva à ce film la même aventure qu'à Godzilla vingt ans auparavant-: la société américaine New World Pictures racheta le film à la Toho, pratiqua des coupes importantes, ajouta des, pour le distribuer en 1975, avec succès, sous le titre de Tidal wave. En France, sorti tel quel, avec ses niaiseries et ses longueurs, La Submersion du Japon coula bel et bien au box-office.

Conçus comme des produits de marketing, sans la moindre parcelle d'une conception artistique ou " morale », ces films, vite oubliés après avoir rempli leur contrat au box office, n'ont même pas les qualités techniques de leurs homologues américains, tout au plus le coté kitsch renforcé par le sérieux avoué de l'entreprise: la catastrophe, c'est le film même.

Si ces films ont rencontré un grand succès public, les critiques n'ont par contre jamais été excellentes, loin de là, jugeant âprement le scénario, mais reconnaissant souvent les qualités visuelles de ces films plus ou moins déconcertants .

" C'est ridicule, nullement terrifiant et assez laid. Des champions de judo ont endossé la tunique de fourrure et les masques affreux des monstres. Ils s'empoignent au milieu de décor- jouets qui témoignent d'un manque d'imagination sans pareil " [5]

b- Les films érotiques

Le développement de la télévision, au Japon, entraîne une chute brutale du nombre de spectateurs dans les salles de cinéma. Dès les années soixante, les Japonais se sont mis à exiger du cinéma qu'il apporte ce que la télévision procure difficilement : sexe, violence, grand spectacle.

A cette époque, les équipes des studios en faillite essayent de sortir leur entreprise de la crise, et commencent à produire des films pornographiques à petit budget, dénommés "roman porno" ou pink eiga . Malgré des moyens réduits, ces films, produits dans des studios bien équipés, avec d'excellents techniciens, sont d'assez belles réalisations. L'équipe de tournage a souvent travaillé sur des films importants, si bien que l'image est esthétique, et le film dans son ensemble est de bonne qualité. Les décors sont créés, et des acteurs expérimentés participent au tournage. Par ce biais, les cinéastes parviennent à racheter les studios vendus. C'est le cas de la Nikkatsu .

Ces films participent plutôt, dans leur ensemble, à une démarchent authentique qui le conduit à analyser les ambiguïtés du cœur humain, susceptible, sous l'emprise du sexe, de plonger dans un véritable enfer. La Rue de la Joie de Kumashiro décrit sans mauvaise conscience l'univers des geishas et des prostituées des anciens quartiers de plaisirs, reproduisant de manière fidèle et humoristique l'ambiance de ces quartiers et réalisant de nombreuses scènes d'amour.

Tous les romans porno comportent quelques scènes de sexe et c'est la raison pour laquelle la plupart des spectateurs vont les voir. Les situations sont souvent sexuellement explicites, contraintes par une censure qui prohibe la vision de tout système pileux mais qui laisse passer une certaine cruauté des scènes constituées par la mise en place de perversions diverses (voyeurisme, viol).

Les conditions étaient différentes en France. A l'époque, la libération de mai 1968 n'avait pas encore eu lieu, et les critiques s'offusquaient de films parfois légèrement érotique comme Onibaba (y figure des scènes où une jeune femme court nue dans les roseaux).

" La canicule venant à l'aide de l'amour, cela nous vaut pendant deux heures les images de nu sculptural d'une jeune actrice dont la beauté a du attendrir les vieux monsieur de la censure qui se sont bornés à interdire égoïstement le film aux moins de 18 ans " [6]

On peut placer au rang de phénomène de société le triomphe d' Emmanuelle en France en 1974, qui place le film érotique dans l'actualité avec près de 9 millions de spectateurs depuis sa sortie. Une loi fin 1975 régit les films pornographiques (classification X) qui connaissaient une percée importante dans les salles, jusqu'à 15 % de la fréquentation… C'est ainsi que Valery Giscard d'Estaing libère le cinéma érotique (1975). La croissance des libertés individuelles augmente la tolérance quant aux œuvres cinématographiques. Dans ce contexte, il est facile d'expliquer le succès des films érotiques japonais en France. Leurs titres de ces films étaient volontairement racoleurs afin de les rendre plus commerciaux [7] .

Figure 1 : films érotiques japonais sortis pendant les années 1970

TITRE

réalisateur

Année de production

Date de sortie France

Nombre d'entrées

Nombre de séances

Taux de fréquentation par salle.

SIX EPOUSES DE CH ING

Wakamatsu Kosi

1968

10/09/1969

184 620

3 826

48,25

EROS PLUS MASSACRE

Yoshida

1969

15/10/1969

6 254

157

39,83

CARESSES SOUS UN KIMONO

Noribumi Susuki

1972

24/07/1974

140 811

3 521

39,99

FILLES DE KAMARE

Noribumi Susuki

1974

11/12/1974

59 735

1 691

35,33

EMPIRE DES SENS

Oshima Nagisa

1975

15/09/1976

1 730 874

#DIV/0!

RUE DE LA JOIE

Kunashiro Tatsumi

1974

31/01/1977

16 673

701

23,78

COLLECTIONS PRIVEES

Borowczyck Valerian

27/06/1979

81 044

3 887

20,85

PLAISIRS DE LA CHAIR

Oshima Nagisa

1965

04/06/1986

27 129

1 341

20,23

EMPIRE DU VICE

Takechi Tetsuji

29/04/1987

12 908

961

13,43

Le film érotique japonais le plus connu est l'Empire des Sens . A la différence de tous les autres, il peut être qualifié de film d'auteurs. Oshima se fait le représentant de la rupture politique et esthétique opérée à la fin des années cinquante. Sa révolte sociale et morale aboutit à la transgression sexuelle et à la mort dans l'Empire des Sens . Il s'agit de l'adaptation à l'écran d'un fait réel qui bouleverse la chro­nique en 1936 quand un couple d'amants s'enferme dans une chambre d'une auberge de style traditionnel pour se consacrer au plaisir. En quête de sensations toujours plus fortes, la femme finit par serrer le cou de l'homme consen­tant qui meurt de ses mains puis lui coupe le sexe avant d'être finalement arrêtée par la police, alors qu'elle erre, le sexe de son amant dans son sac à main. Cette affaire qui a été considérée comme un crime passionnel, puisqu'elle est l'aboutissement de la recherche effrénée du plaisir physique, est pour Oshima l'exemple même du summum de l'amour. Une œuvre clef sur le sexe et la mort, indissociable de la pulsion iconoclaste et du désir de scandales présents dès les débuts du cinéaste.

Mais l'immense succès de l'Empire des Sens (interdit au Japon) à l'étranger, où un large public n'a vu qu'un film "porno" à scandale (après les émeutes cannoises de 1975), a quelque peu faussé le véritable propos de l'œuvre, sans doute de la même façon que pour d'autres "films à scandales", tel le Dernier Tango à Paris de Bertolucci.

" On 'imagine pas une telle œuvre conçue par un occidental. Peut être parce que nous avons perdu le sens de la gravité au point de transformer en gaudriole ou bagatelle ( …) une des choses les plus sacrées par quoi l'homme précisément se distingue de la bête : L'amour avec tout ce qu'il implique d'angoisses inavouées et de désespoirs refoulés " [8]

Les films érotiques avaient un grand succès à l'époque, où il n'y avait pas encore de VHS, ni même de chaînes qui diffusaient de tels programmes. C'était un créneau porteur qui rapportait beaucoup d'argent [9] .Depuis les années 1990, le réseau des salles X a pratiquement disparu au profit du secteur vidéo.

Des films érotiques japonais de cette époque sont ressortis dans certaines salles entre 1990 et 2000, mais ceux-ci ont réalisé un nombre d'entrées très peu élevés, et ont perdu tout caractère subversif, au profit du statut de curiosité.

Si les films de genre sont ceux qui ont remporté le plus grand succès en France dans les années 1970, cette décennie a aussi permis la découverte de nouveaux grands réalisateurs japonais.


[1] Entretien avec Xavier Leherpeur op.cit.

[2] Jeander, dans sa revue " Art et Essai ", cité dans Nouvelles Littéraires , 03/02/1966, G. Charensol, Onibaba .

[3] Entretien avec Xavier Leherpeur op.cit

[4] Entretien Hubert Niogret op.cit

[5] In L'Humanité , 03/01/1967, S. L., Comment dit-on King Kong en Japonais ?

[6] In Lettres Françaises , 03/02/1966, Marcel Martin, Erotisme à la japonaise .

[7] Entretien avec David Martinez op.cit

[8] In l'Aurore , 17/09/1976, Guy Tesseire, L'Empire des Sens (un goût de cendre)

[9] Entretien avec David Martinez op.cit