Histoire du cinéma japonais en France (1951-2001)

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Un exotisme intellectualisant

En tête du box office des films japonais sortis en France dans les années 1980, on retrouve essentiellement des films que nous pourrions qualifier d'exotique. Si la production proposée est moins nombreuse (seulement 48 films, soit près de moitié moins par rapport au nombre de films japonais sortis durant la décennie précédente), elle est d'avantage calibrée, plus ciblée arts et essai, moins grand public.

On ne recense que deux films tout public : Antartica , qui dépeint la vie des chiens de traîneaux, soit un film n'ayant rien de réellement spécifiquement japonais, et Les Aventures de Chatran , soit un film qui relate les aventures d'un petit chat perdu, film s'apparentant plus à la veine Disney qu'à un essai théorique sur la condition des réfugiés coréen au Japon et leur problème d'intégration.

Les autres ont une teneur beaucoup plus intellectuelle. Tout d'abord, ce sont des films d'auteurs. On note ainsi la sortie de 5 films de Nagisa Oshima , y compris des anciens, 7 films d'Imamura , 5 Mizoguchi , 3 Kurosawa …tous récompensés au moins une fois à Cannes .

On note la reprise de nombreux films anciens : près de 20 films était déjà sortis avant 1975. On peut deviner que ces films sont sortis dans le cadre de rétrospectives consacrées à certains grands auteurs japonais, dont un succès a suscité la curiosité, et l'envie de découvrir l'intégralité de l'œuvre : Parmi eux, on retrouve Nagisa Oshima dont l'Empire des Sens a réalisé un nombre d'entrées faramineux, Imamura , qui a remporté la Palme d'Or en 1983 avec la Ballade de Narayama , Mizoguchi , déjà reconnu, et dont sortent des œuvres antérieures à son premier succès en France : Les Contes de la Lune vague après la Pluie .

Quant on observe les thèmes des films qui ont connu un succès public ( Furyo ), ou critique, ( la Femme tatouée ), on ne peut que constater l'exotisme de l'ensemble.

Les grandes reconstitutions historiques ou folkloriques, toujours en rapport avec l'univers du Japon traditionnel dominent : La Ballade de Narayama se passent dans un Japon hors du temps, normalement au XIXème siècle, mais que l'aspect archaïque fait assimiler au Moyen age, et dont les mœurs cruelles dépeintes ne correspondent pas aux canons occidentaux… Zegen retrace la vie de Muroaka, personnage réel du début su siècle qui a ouvert au début des années vingt "un immense bordel patriotique" [1] . Furyo relate la relation ambiguë entre un officier japonais et un soldat anglais pendant la seconde guerre mondiale, Ran et Kagemusha sont d'immense fresque épique se déroulant à l'époque des samouraïs. La femme Tatouée mêle érotisme et art traditionnel du tatouage, Les Fruit de la Passion est la suite potentielle d'Histoire d'O, et se caractérise par son érotisme soft et bon marché .Et ainsi de suite.

Les quatre éléments récurrents communs à tous ces films sont

- le folklore (un Japon historique ou des références à ses traditions)

- le souffre (on retrouve érotisme et thème tabous : homosexualité, prostitution, euthanasie...)

- l'esthétisme (toujours cette beauté éternellement louée par le critique, faute de comprendre le scénario ou le message de l'auteur...)

- l'intellectualisme (ces récits sont souvent complexes, ou mettent en scène des rapports psychologiques très ambigus, des problèmes éthiques fondamentaux).

Un cinéma contemporain, l'apparition de japonais qui nous ressemblent tant.

L'apparition d'un Japon qui nous ressemble apparaît de plus en plus cependant. La réalité du Japon des années quatre vingt nous parvient à travers quelques films qui dénoncent les travers de la société japonaise contemporaine. Un constat s'impose cependant : ces films ont attiré bien moins de spectateurs que leur homologues cités plus haut. Le Japon actuel ressemble trop à notre civilisation, l'exotisme disparaît, et la cruauté des thèmes abordés, qui nous concerne aussi, n'est que peu attrayante, même pour un public plus cultivé.

On note la diffusion de deux comédies japonaises, ce qui est plutôt rare en France. Ces films populaires, destinés aux Japonais, et qui ont connu le succès au Japon, renverse les idées du cinéma japonais qu'on se faisait alors. Dans un style loufoque de bande dessinée, The Crazy Family décrit une famille dont tous les membres sont d'un égoïsme incroyable. Boudé par les spectateurs japonais, le film est remarqué dans d'autres pays, notamment aux Etats Unis.

The Crazy Family apparaît comme "le premier authentique navet qui nous parvienne du Japon" [2] . Ce film déconcerte les amateurs de cinéma japonais traditionnel :

" Seuls les Japonais, héritiers d'Ozu toujours, et Mizoguchi , mais élèves surdoués des cousins germains américains, pouvaient nous offrir une telle charge qui renverse toutes nos idées reçues sur l'Ex Empire du Soleil Levant " [3]

The Crazy Family de Sogo Ishii ne remporte pas l'adhésion des critiques presse. Mais il a le mérite d'offrir une nouvelle facette du cinéma japonais. Tampopo , curiosité "érotico culinaire" [4] , qui montre des tranches de la vie japonaise, sur le ton de la comédie parfois burlesque, autour du thème récurrent des nouilles. Si ce film a eu un succès considérable au Japon, la critique française tantôt enthousiaste, tantôt mitigée, citons :

" Mais le scénario tire vraiment trop sur la même ficelle. Et le bruit ce bruit de nouilles qu'on aspire, il faut supporter…" [5]

"En France, il faudra une rude pincée de snobisme pour faire passer cette farce culinaire un peu gluante" [6] .

"Pour Juzo Itami , la nourriture et le sexe sont les derniers plaisirs qui restent aux travailleurs japonais…c'est un film japonais plus tonique qu'indigeste, c'est chose rare !" [7]

"Une curiosité assez lourde, mais pleine de saveur" [8]

Le point le plus important est la découverte d'un humour nippon, d'une certaine légèreté, d'un cinéma et d'une société finalement plus proches des nôtres que nous ne le pensions

On a aussi la reprise de grands auteurs japonais des années 1950 qui montrent le Japon contemporain. Ceux -ci, malgré leur notoriété au Japon, n'ont pas connu l'exportation, la politique des majors japonaise étant d'exporter en priorité les grosses production en costumes afin de flatter les goûts des occidentaux. C'est ainsi que Naruse ressort des oubliettes où il était plongé depuis 1952, avec la sortie de Nuages flottants . Ce mélodrame de 1955 n'attire pas les foules, mais obtient une certaine reconnaissance critique. Ce qui semble surprendre le plus la presse, plus que le talent de l'artiste, est la découverte des mentalités du Japon d'après guerre

" Le plaisir de nous promener dans un Japon d'autant plus surprenant qu'il est moins exotique, au milieu de personnages d'autant plus universels qu'ils sont plus japonais " [9]

" Situé dans un Japon ruiné et désemparé de l'après guerre, le film offre, en outre, un tableau sensible d'une période mal connue des occidentaux " [10]

" Avec Mikio Naruse , c'est encore le japon de l'après guerre, un peu gris mais, cette fois sans guère de courbettes, en costume occidental, avec des musiques occidentales, des nostalgies occidentales (…), des réflexes occidentaux. Et l'on est d'autant plus accroché que l'on trouve ici toutes les ficelles bien connu de notre cinéma, mais comme décalées… " [11]

Typhoon Club se révèle plus provocateur, et à l'idée d'un certain hédonisme transparaît le mal être de la société japonaise. Typhoon Club le met sur le devant de la scène, et se montre annonciateur de toute une série de films sur le malaise et la déshumanisation d'une civilisation, des œuvres de Katsuhiro Otomo , à celle de Kyoshi Kurosawa .

" Mis en scène avec Brio, Typhon Club semble dépeindre en profondeur l'état d'esprit actuel d'une jeunesse japonaise traumatisée par le modernisme, privées de ses racines" [12]

"Ce réveil brutal d'un Japon assoupi est bien trop rare pour ne pas être remarqué" [13]

"Cela concerne essentiellement le Japon moderne. Celui dont, justement, on ne sait pas grand chose par le cinéma." [14]

"Ce film qui nous révèle une certaine jeunesse japonaise que nous découvrons non sans étonnement" [15]

Promesse , lui pose un autre problème de la société japonaise, celui des personnes âgées. Si la Ballade de Narayama le montrait de façon crue mais avec un effet de distanciation de par le fait que le problème se pose dans un Japon mythique, le thème est ici montré dans sa réalité quotidienne, celle que l'on connaît aussi en France. Vu son sujet, Promesse est naturellement passé inaperçu à Paris.

Quelle image le cinéma japonais donne-t-il à la France à la fin des années 1980 ? Max Tessier la résume ainsi :

" Durant les années 1980, la situation générale du cinéma japonais n'a pas fondamentalement changé, mais a évolué vers une relative reconnaissance du cinéma d'auteur . Dans des conditions économiques souvent difficiles, ce qu'on jugera paradoxal dans le contexte outrageusement "prospère d'une société et d'une économie à la conquête du monde. Tandis que la production courante s'effondrait progressivement, et que les films de genre (y compris les « éroductions ») déclinaient encore, le public français ou occidental continuait de vivre d'illusions en observant la minuscule partie émergée de l'im­posant iceberg nippon, c'est-à-dire des films de prestige comme Ran (d'ailleurs une production à majorité française !), La Ballade de Narayama ou Furyo " [16]


[1] In l'Année du Cinéma 1985 , page 109. (voir bibliographie)

[2] In Télérama , 16/07/1986, Joshka Schidlow, Crazy Family .

[3] In Le Monde, 31/07/1986, Louis Marcorelles, La famille nucléaire en bouillie.

[4] In Le Monde , 12/09/1991, Max Tessier .

[5] In Le Monde, 28/11/1987, Colette Godard .

[6] In Le Matin , 02/12/1987, Michel Perez, My Beautiful Snack Bar .

[7] In L'Express , 27/11/1987, Aurélien Ferenczi, Tampopo .

[8] In Les Echos , 30/11/1987, A.C., Soupe aux nouilles .

[9] In Télérama , 25/01/1984, Claude-Marie Trémois, Nuages Flottants

[10] In l 'Express, 27/01/1984, non précisé, Nuages Flottants .

[11] In Les Echos , 01/02/1984, Annie Coppermann , Nuages Flottants

[12] In Télérama , 13/07/1988, Fabienne Pascaud, Typhoon Club , vent de panique.

[13] In Le Quotidien de Paris , 11/07/1988, Anne de Gasperi, Typhoon club; le Japon débridé .

[14] In Le Monde , 15/07/1988, Jacques Siclier, Le nouveau mal de la jeunesse .

[15] In France-Soir , 12/07/1988, Robert Chazal , Typhoon Club , éducation japonaise .

[16] In Images du Cinéma Japonais , Max Tessier , page 11