Histoire du cinéma japonais en France (1951-2001)

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Reconnaissance du cinéma japonais en Occident

Pour les Japonais démoralisés de l'après guerre, les Occidentaux ont été plus impressionnés par ce que le film comporte d'exotique à leurs yeux plutôt que par sa qualité intrinsèque, à moins que, devenus nihilistes, ils n'aient été touchés par le thème qu'il aborde, celui de l'illusion de la vérité.

Les films suivants de l'auteur apportèrent la preuve que Kurosawa n'était pas le " Duvivier japonais " et tissèrent une oeuvre splendide dont l'évolution thématique recoupe celle de l'homme Kurosawa.

L'année suivante cependant, en 1952, le Festival de Venise récompense Mizoguchi pour La Vie d'O' haru, Femme galante , tandis que le festival de Cannes prime le caméraman Kohei Sugiyama pour le Roman de Genji de Yoshimura. Puis en 1954, La Porte de l'Enfer de Kinugasa reçoit la Palme d'Or à Cannes. Dorénavant, le Japon fait partie des lauréats des festivals internationaux les plus importants et est reconnu comme l'un des grands pays producteurs du cinéma asiatique.

Les années cinquante constituent donc un age d'or du cinéma japonais, bien que ce dernier n'ait pas attendu cette époque pour atteindre un niveau digne des compétitions internationales. Le fait véritablement nouveau, c'est la prise de conscience des occidentaux de l'existence dans le reste du monde d'autres cultures riches et variées. Ils découvrent d'ailleurs ensuite le cinéma indien, qui a déjà une longue histoire, puis le cinéma chinois.

C'est grâce aux Occidentaux qu'ils prennent conscience quelques années plus tard de la qualité du cinéma indien et il faut attendre les années quatre-vingt pour qu'ils s'intéressent, à la suite de quelques spécialistes occidentaux, aux cinémas chinois ou coréen.

Les Japonais eux-mêmes ne s'intéressent pratiquement pas au cinéma des pays qu'ils considèrent comme étant les moins occidentalisés. II faut reconnaître que l'exotisme du jidai geki tient un rôle important dans sa progressive reconnaissance internationale. Les films traitant de la vie contemporaine, très appréciés au Japon, ont longtemps été ignorés des festivals occidentaux, tandis que certains films historiques peu appréciés des Japo­nais ont parfois suscité une admiration excessive au cours de ces festivals.

Le phénomène d'engouement, teinté de snobisme pour la chose japonaise ne dépassa pas le début des années soixante (en gros, 1965), et retomba à la fois naturellement, comme tout enthousiasme, et cela aussi parce que cela correspondait à la crise qui s'installait et que nous ne percevions pas encore à sa juste mesure, sinon en, nous plaignant de la rareté des chefs d'œuvre qui nous étaient accessibles.

En 1961, Henri Langlois dresse le tableau suivant dans la préface de Chefs d'oeuvre et Panorama du Cinéma Japonais : 1891-1961 : un hommage à la Cinémathèque japonaise   (Paris : Cinémathèque Française , 1963 )

" Le Cinéma Japonais nous est, en fait, inconnu.

Nous connaissons quelques Mizoguchi .

Nous avons pu voir à la Cinémathèque les principaux Kurosawa .

Les Bateaux de l'Enfer, Okasan , Les Enfants d'Hiroshima , Quartier sans Soleil et L'Île nue firent apprécier la force d'un certain courant social ainsi que les noms de Naruse , de Yamamoto, de Shindo , de Yamamura.

Les Portes de L'Enfer nous firent découvrir l'enchantement d'un uni­vers où la couleur participe encore à la vie quotidienne.

Kinugasa , pour la seconde fois, se trouvait ainsi placé par nous parmi les cinéastes les plus représentatifs de l'Art Cinématographique Japonais. C'est en effet en 1928, à la fin du muet, que son film Jijuro avait fait espérer l'arrivée d'autres films japonais en Europe.

L'avènement du parlant, et surtout les bouleversements qui marquè­rent la fin de l'Avant-garde et des premières salles d'essai, retarda de près de vingt ans, malgré le succès de Nippon, la distribution des films japo­nais en Occident.

Ni la projection des Enfants dans le Vent , à la fin des années 30, ni celle durant la guerre des Volontaires de La Mort, ne sauraient entrer en ligne de compte et, d'ailleurs, qui s'en souvient ?

Même à Venise , le Cinéma Japonais passait inaperçu.

On savait pourtant qu'il existait une Ecole Japonaise. On la citait souvent dans les revues de Cinéma. On recevait des photographies, mais l'on savait seulement que les films produits au Japon étaient de qualité. Des rivages du Pacifique, de San Francisco, de Los Angeles, arri­vaient, filtrées par New York, des rumeurs sur les merveilles du Cinéma Japonais, sur les chats-vampires de Yushihara aux bonds fantastiques des femmes chats.

Je me souviens encore de l'événement 'qu'avait constitué dans un cer­tain milieu l'envoi à la N.R.F. de la Symphonie Pastorale de Yamamoto en vue de sa projection à André Gide.

Telle était la situation quand soudain, après la guerre, les Festivals commencèrent à couronner les films japonais dont l'entrée en lice fit aussi sensation que celle du Cinéma Italien.

Il est assez frappant que Rashomon ait succédé à Rome Ville ouverte à New York et que l'homme qui y lança Rossellini y lança également Kurosawa .

On peut dire aujourd'hui que le Cinéma Japonais demeure depuis quelques années le Cinéma qui produit les films qui ont le plus de style."

Restent que la majorité des films de l'époque reste assez peu accessible au grand public, souvent diffusée dans un seul cinéma parisien, le Vendôme.

 

De ce qu'il est advenu des « chefs d'œuvre » présentés en Europe entre 1951 et 1965 .

La connaissance, même partielle, du cinéma japonais en Europe est intimement liée à ce qu'on a appelé à l'époque « l'Age d'or » et qui désignait globalement les années cinquante. Accessoirement, les cinéphiles ont vu quelques films des " indépendants » des années soixante - soixante-dix, sans parler des grands succès commerciaux des années soixante, soixante dix, tel L'Ile nue {1960): L'Empire des Sens (1975) ou, récemment, Kagemusha (1980). Mais, fondamentalement, l'admiration vouée au cinéma nippon repose que quelques films de la « Sainte Trinité » Mizoguchi - Kurosawa - Ozu (qui n'a longtemps été qu'un duo des deux premiers) et, éventuellement, sur deux ou trois classiques de Ichikawa ou de Kobayashi , Shindo ou Kinugasa (dans le désordre). Leurs films sont pieusement réédites à Intervalles plus ou moins réguliers et le public, ne cherchant la plupart du temps à voir que ce qu'il connaît déjà, préférera revoir les Bas Fonds ou Les Contes de la Lune Vague après la Pluie à un inédit d'un réalisateur moins connu, même s'est annoncé comme un chef-d'œuvre. Ainsi, par la circulation de ces classiques des années cinquante soixante, s'est formée auprès du public « cultivé » l'image d'un cinéma composé uniquement de chef-d'œuvre tournés par des cinéastes d'autant plus « géniaux » qu'ils dominent une masse inconnue. Et aussi, celle de l'attente de nouveaux chefs-d'œuvre qui n'existent plus que dans l'imagination fiévreuse des publicitaires. Ce qui est vrai, c'est que ces films qui font la réputation du cinéma japonais correspondent effectivement à un moment historique, économiquement et esthétiquement très riche, et que le surnom d'Age d'or n'est pas du tout usurpé:

Le temps a travaillé en faveur du trio idéal Mizoguchi - Kurosawa - Ozu , dont de récentes rétrospectives (1991 pour Ozu, 1985 pour Kurosawa) nous ont permis de réapprécier les œuvres et de les resituer dans un contexte historique et esthétique plus large du cinéma japonais. A l'exception de la Sainte Trinité que le nippo cinéphile de bon aloi a appris à bien connaître au fil des rétrospectives de cinémathèque et festivals, les autres cinémas importants des années 1950-1960 restent très mal connus. Si dans les années cinquante / soixante, tout film japonais était presque systématiquement considéré comme un chef d'œuvre.

" Tout amateur de films japonais connaît trois phases successives dans son attitude devant ce cinéma déroutant : d'abord l'émerveillement, ensuite un amour sélectif pour tel ou tel metteur en scène qu'on considère comme supérieur aux autres, et - pour finir - le retour au seul et unique maître, ,j'ai nommé le Seigneur Mizoguchi " [1 ]

Mais force est d'admettre que beaucoup ont sombré dans l'oubli tant critique que public.

 


[1] In Combat , 31/01/1966, Henry Chapier, Onibaba .

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