Histoire du cinéma japonais en France (1951-2001)

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Vision du cinéma japonais par les Français.

L'une des caractéristiques majeures du cinéma japonais entre les années 1950 et 1990 est l'exotisme. Celui-ci a cependant eu tendance à se faire moins présent au fil des décennies. C'est ainsi que Rashômon , fable en costume, fut primé à Venise dès 1951 alors que les films d'Ozu , traitant du quotidien japonais contemporain, plus proche du notre, ne furent découverts qu'à la fin des années 1970. Ce qui plait est le coté estampe, violence, sexualité, cliché, qui reviennent par vague pour combler les manques de la production occidentale dans ces créneaux là. [1] L'idée d'exotisme tend à disparaître à notre époque [2] , tout au moins, elle se transforme : Lycéennes en mini jupe et cheveux multicolores et Robots remplacent peu à peu les samouraïs et les bonzes ; les cités industrielles oppressantes remplacent le Moyen Age traditionnel. Sans doute ce phénomène est-il plus imputable à l'impact des mangas qu'à celui du cinéma.

La distribution des films japonais en France est, nous l'avons vu, plus qu'anarchique. Le fait pour les fans de devoir eux-mêmes chercher la cohérence entre ces différents films, de devoir s'investir dans la recherche de ces films, donne un caractère affectif fort à cette passion. Même si le film est mauvais, celui qui en a entendu parler pendant plusieurs années, a cherché à le voir sans succès, et le découvre enfin va avoir tendance à lui pardonner ses imperfections, à développer un rapport singulier par rapport à celui-ci. Le spectateur doit faire lui-même sa reconstitution de l'histoire du cinéma japonais. Les aléas de la distribution ont fait qu'il y a eu plusieurs phénomènes/ modes autour du cinéma japonais, sans qu'il y ait de liens entre eux. [3]

Il émane de plus parfois un certain snobisme du fait d'apprécier des films complexes et déroutants. Un film japonais, même de mauvaise qualité, sera toujours plus chic qu'un film américain de même standing. Pourquoi? Parce qu'il sera plus rare, plus difficile à trouver, et que le tout venant n'aura pas la possibilité de le voir. [4]

Ces films sont souvent polémiques. Pour un distributeur, il est intéressant d'avoir un film un peu choquant, qui va soulever de nombreuses réactions dans les médias, faisant ainsi une large promotion au film [5] . Le public concerné est essentiellement intellectuel. Il se caractérise en partie par son amour du contraste, de l'extrême que l'on retrouve dans le cinéma japonais, c'est le cas des films de Kitano où violence et humour tendresse se mêlent harmonieusement.

Le cinéma japonais véhicule une culture singulière et raffinée, aux codes parfois incompréhensibles pour les non-initiés. Cette marge d'incompréhension laisse une large part d'imagination et une grande liberté d'interprétation. L'approche de ces films se fait donc plus personnelle et affective [6] .

La principale difficulté pour le cinéma japonais est de sortir de son ghetto 'films d'arts et d'essais". Son image se résume globalement à CULTURE et EXOTISME, voire ENNUI. Des films comme ceux de Kitano , a priori plus populaires, ne connaissent qu'une diffusion limitée, dans de petites salles, sans promotion particulière. En France, s'il n'y a pas une image de culture, le public ne se déplace pas [7] . Les films commerciaux japonais ne présentent pas d'intérêt aux yeux des français. Ce que veut le Français avant tout, ce n'est pas une nationalité, mais un auteur. L'ouverture la France au cinéma japonais reste toute relative [8] . C'est pour cela que Jackie Chan , acteur auteur de films populaire chinois, même s'il produit des films susceptibles de plaire à un large public international, n'arrive pas à rencontrer le succès en France. La situation est bien différente en Angleterre où est Takeshi Kitano présenté au même titre que Quentin Tarantino , et y connaît un succès considérable. Dans un autre ordre d'idées, le kitsch connaît actuellement une grande vogue en Allemagne où le "rétro", le "fun", connaît actuellement un grand succès. [9]

 

Pour les films non français et non américains, le public se fie à la critique. Mais il commence à décrocher. Dans les années 1950 à 1970, il y avait un réel engouement pour tout ce qui venait du Japon, et le public faisait vraiment confiance à la critique. Les Jeunes se défient à présent d'une certaine critique qui crie au chef d'œuvre. Des films comme Distance ou H Story leur paraissent très complexes, voire ennuyeux. D'autres, plus faciles d'accès et aussi griffés auteur comme de l'Eau tiède sous un Pont rouge les séduisent plus facilement. Il y a donc un changement de perception à la fois de la critique, et par ce biais du cinéma japonais [10] .

Force est d'admettre que l'attraction de la culture extrême orientale reste très relative, et n'atteint pas le grand public [11] . Seul le public un peu plus cultivé, ouvert, capable de dépasser ce qui fait obstacle à cette culture .

Mais pourquoi ces films japonais sont-ils aussi déroutants ? Quelles sont leurs spécificités ?

2- Une imagerie fascinante

"Ce sont d'abord ces images violentes et érotiques ou exotiques à nos yeux, qui restent gravées dans les mémoires des spectateurs occidentaux; en particulier des Français, peut-être les plus privilégiés parmi les spectateurs "du bout du monde" pour les Japonais" [12]

Une étude des revues de presse des films japonais sortis en France non publiée réalisée par Marcel Martin montre que ce sont toujours les mêmes adjectifs qualificatifs qui reviennent sous la plume des critiques lorsqu'il s'agit de faire le compte rendu du visionnage d'un film japonais. Beau, esthétique, poétique, raffiné ou, dans une autre optique : violent, cruel, compliqué. [13] Selon les films, l'image change, mais ces deux ensembles se retrouvent constamment dans toutes les critiques des films japonais sortis entre 1951 et 1991, avec un certain déclin dans les années 1990, où le film n'est plus présenté avant tout comme japonais, mais comme un film parmi d'autres.

Figure 1 : occurrences des adjectifs qualificatifs utilisés par la presse française au sujet de ces films japonais à leur sortie en France entre 1951 et 1965 [14]

Adjectifs qualificatifs

sobre

Poétique

Esthétique

violent

cruel

érotique

complexe

ennuyeux

lent

exotique

déconcertant

Mélange des genres

Rashômon

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Les Enfants d'Hiroshima

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Le christ en Bronze

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Les Contes de la lune vague après la pluie

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L'Île Nue

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La Légende de madame Pai Nang

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La Forteresse cachée

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Tokyo Olympiades

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Figure 2 : occurrences des adjectifs qualificatifs utilisés par la presse française au sujet de ces films japonais à leur sortie en France entre 1966 et 1991. [15]

Adjectifs qualificatif

sobre

Poétique onirisme

Esthétique

violent

cruel

Erotique

Complexe

ennuyeux

lent

Pittoresque

japonais

déconcertant

Mélange des genres

Onibaba

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Chasseur d'espions

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Evadés de l'espace

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Eros+Massacre

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Premier amour, version infernale

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La Cérémonie

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L'Empire des Sens

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Le Goût du saké

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Goldorak

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Kagemusha

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La Ballade de Narayama

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Furyo

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Nuages flottants

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Crazy Family

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Tampopo

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Typhoon club

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Akira

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On remarque que pour les critiques français, décrire un film japonais passe le constat d'une alliance des contraires, du mélange des genres, ce qui interloque. Les Contes de la Lune vague après la Pluie est un "mélange constant de réalisme et de féerie" [16] , un "étonnant mélange japonais de raffinement et de sauvagerie, de politesse et de brutalité, de douceur et de violence, dont nous ne sommes pas encore blasés" [17] , où "la fierté, l'angoisse, l'indifférence épaisse, la mélancolie sans nom, jusqu'au charme et à l'esprit." [18] Le tout baigné d'une "tranquille cruauté" [19]

L'oxymore le plus rencontré est "beau et violent",aussi bien accolé à Onibaba que Furyo , en passant par la Ballade de Narayama , l'Empire des Sens …soit aux plus grands succès japonais en France. C'est l'Eros contre Thanatos, le sexe et la violence, l'esthétisme outrancier…finalement moteur de l'art?

    En 1955, Jean d'Yvoire [20] dresse une pseudo typologie de ce qui fait la spécificité du cinéma japonais à nos yeux. Il distingue des traits majeurs : la psychologie des extrêmes dans un premier temps, puis une certaine liberté.


[1] idem

[2] Entretien avec Hubert Niogret op.cit

[3] Entretien Xavier Leherpeur op.cit

[4] idem

[5] idem

[6] idem

[7] Entretien David Martinez op.cit

[8] Entretien Hubert Niogret op.cit

[9] Entretien David Martinez op.cit

[10] Entretien Max Tessier op.cit

[11] Entretien avec Hubert Niogret op.cit

[12] Cité in Max Tessier, Images du cinéma japonais 2e éd. - Paris : H. Veyrier, 1990.
- collection : Cinéma., page 11

[13] Eude personnelle

[14] Voir bibliographie et la revue de presse de chacun des films en annexes.

[15] Voir bibliographie et la revue de presse de chacun des films en annexes.

[16] In le Figaro Littéraire , 27/03/1959, Claude Mauriac, Plastique et Musique .

[17] In L'Express , 02/07/1964, Claude Tarare, Cet étonnant mélange japonais.

[18] In Le Monde , 21/05/1965, Olivier Merlin, Tokyo Olympiades , fresques populaires sur les jeux Olympiques .

[19] In Le Monde , 29/09/1983, Colette Godard , Une complicité plus forte que la plus incestueuse tendresse .

[20] In Le Cinéma Japonais , Marcel Giuglaris , Editions du cerf, Paris 1956