Histoire du cinéma japonais en France (1951-2001)

Etude

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Une thématique singulière

Une étude des thèmes récurrents traités dans le cinéma japonais révèle une certaine permanence de ceux-ci. Parmi les plus présents, On note la violence, l'exotisme et enfin l'étrange.

"Le Spectateur occidental aura peut être du mal à percevoir ainsi cette ballade si cruelle. Mais il n'oubliera pas la sauvage beauté des images." [1]

a- Violence et douleur

"Le sujet et la forme, la brutalité des images et celle de la musique, tout est fait pour heurter la célèbre délicatesse occidentale dans ce film qui illustre le goût japonais - que nous qualifierons aisément de mauvais goût - pour l'outrance et le paroxysme" [2]

- La violence

L'image de violence, physique ou morale, et très présente dans le cinéma nippon.

Comme le remarque Jean d'Yvoire , le sens de la souffrance imprègne le cinéma japonais, qui semble faire preuve d'une réelle complaisance à son égard. Les victimes, surtout les femmes (viol dans Rashômon , la passion de l'amoureux déçu accule la jeune femme au suicide dans le Démon Doré , le samouraï Morito finit par tuer sa promise dans La Porte de l'Enfer …) l'acceptent une résignation muette qui frise le masochisme. La passion aveugle des bourreaux aboutit souvent au somment de l'horreur tragique.

La philosophie japonaise offre de plus une nouvelle vision du monde à l'occidental en introduisant par exemple l'image du héros négatif, qui s'oppose au héros américain qui construit [3] . Prenons l'exemple de Majin : Cette statue divine arrête les combats des hommes en les écrasant tous de ses pieds, sans distinction, "bons" comme "mauvais". Nous ne compterons pas le grand nombre de héros efféminés, sans parler de Zaitoichi , samouraï masseur aveugle. C'est ainsi que le héros peut être mutilé, animé par le "Mal".

- Un pathos extrême

Dans ses premiers films, Kurosawa montre un certain penchant pour un pathétisme poussé jusqu'aux limites du supportable -au moins pour un occidental "rationaliste" [4] . (…)Ce pathétisme, d'ailleurs caractéristique d'une certaine sentimentalité japonaise, se perpétuera dans plusieurs films de Kurosawa, de Barberousse (1965) à certaines scènes de Dodes' Kaden (1970), comme le vieux clochard idéaliste qui survit avec son fils dans sa carcasse de voiture. Il est quasiment absent, du moins sous sa dorme excessive des autres films de l'auteur, qui sont justement ceux qui ont le plus plu en Occident. [5]

Cependant, le pessimisme sans appel de tant de nos cinéastes semble inconnu aux nippons. En effet, presque toujours l'espoir renaît après la catastrophe. Le mélange des genres n'effraye pas le cinéaste japonais : c'est ainsi que des intermèdes comiques vont rythmer une scène du pire tragique. Ce comique grimace souvent, alliant une forme de densité paysanne proche de nos vieux fabliaux à une amertume souvent douloureuse, parfois atroce. Il y a une sorte de grincement de dents devant la méchanceté de l'homme et d'un implacable destin. Lors de son passage à Paris en 1952, Kinoshita n'hésitait pas à dire que ses comédies n'étaient telles que par la surface, et que toutes se ramenaient au thème commun suivant : la vie est cruelle, essayons d'en rire plutôt que d'en pleurer. Le sourire familier couvre un fond de misère et de douleur dans Okasan , et le sourire glacé de la mort éclaire la plupart des gags des Sept Samouraïs . Le sacrifice infligé ou consenti rompt les mauvais charmes. C'est ainsi que Morito expirera son crime en devenant moine, et deviendra l'ascète célèbre Mongka, de la même façon, le couple du Démon Doré échappera in extremis à la mort.

 

Quand le romantisme se tait, le quotidien en prend le relais pour nous enseigner encore et toujours la valeur du sacrifice. Okasan renonce à tout bonheur personnel au profit de ses enfants, et son mari est mort à la tache pour la même cause. La petite chrétienne mourante des Enfants d'Hiroshima offre sa vie pour la cause de la paix, quatre des sept samouraïs mourront pour que les villageois puissent à nouveau semer leur riz en paix. Le thème du sacrifice de la génération ancienne au bénéfice de la nouvelle est l'un de ceux qui reviennent le plus souvent dans la thématique. La Ballade de Narayama n'en est que l'une des plus belles illustrations. Au Japon règne la culture du groupe, de la collectivité qui supplante l'individu. Aspect corporatiste que l'on retrouve chez les fans de mangas. Cette culture du groupe a un aspect fascinant pour des adolescents qui se cherchent plus ou moins. Celle-ci a cependant des aspects plus ou moins négatifs : Les personnalités sont écrasées, et il y a vite un phénomène d'exclusion. [6]

Le fait est que le cinéma japonais est un cinéma de contrastes qui peut effrayer et dérouter.

" Le sens du gouffre, du noir habite cette antique nation placée à l'avant-garde de l'Asie (…), et comme il imprègne notre Renaissance, celle qui vit les danses macabres et le romantisme sombre de Machiavel, de Dürer, de Cervantès, de Shakespeare…On n'abandonne pas les vieilles traditions religieuses pour les sortilèges de la sciences et de la puissance terrestre sans le regret de la lumière céleste perdue " [7]

b- La permanence d'un certain exotisme

Hiroko Govaers [8] , dans on article intitulé " La question fondamentale de Shohei Imamura " [9] relate une projection d'un film japonais contemporain en France qui se déroulait à la fin des années 1960 :

"Une Femme s'est levée, furieuse, en disant "Je ne suis pas venue ici pour voir une japonaise porter une jupe. Je veux voir des femmes en Kimonos, des samouraïs avec des sabres, tout ce que nous ne pouvons pas voir dans notre vie de tous les jours ."

L'exotisme demeure une figure de proue de l'image du cinéma japonais en France. Avant de monter un film de tel ou tel genre, les critiques insistent avant tout sur le fait qu'il soit japonais. Cet exotisme transparaît sans cesse dans les articles écrits à ce sujet. Tout d'abord dans la références presque constante aux arts traditionnels japonais. "Estampes cinématographiques" [10] , "empreintes des dessins et gravures japonaises" [11]

De la même façon, il y a une déception quand l'exotisme n'est pas présent. La question se pose de savoir si les films présentés en Occident sont typiquement japonais ou seulement des produits destinés à l'export…question qui semble angoisser les critiques, visiblement peu enthousiastes à l'idée de se faire berner par des produits préfabriqués pour Européens. La fiche IDHEC du film Les Contes de la Lune vague après la Pluie (01/01/1959), réalisée par HO-Xich-Ve propose comme sujet de débat au sujet du film

" Ce film est-il spécifiquement japonais ? S'il l'est, dans quelle mesure le public occidental peut-il comprendre, juger et apprécier ce film?"

Si la notion d'exotisme a tendance à s'atténuer au fil des années, une certaine forme de celui-ci perdure à travers le coté animiste, le rapport à la nature, l'idée que tout est vivant par rapport à l'âme. Le rapport au matériel en devient très différent, sans être fétichisé. Une série comme Evangélion est très liée à la philosophie orientale, où l'homme se retrouve fondu dans l'univers. [12]

Les conditions dans lesquelles vivent les spectateurs sont inversées. Il y a deux Japon : L'un, mystérieux et lointain, pays de kimonos et de samouraïs, et un autre, proche du notre, presque trop, qui perd son aspect exotique.

La Banlieue de Lyon ressemble énormément à celle de Tokyo…ce qui était loin d'être le cas dans les années 1960. C'est pourquoi les films nippons parlant du Japon contemporain marchent moins bien en France, que ceux qui montrent le Japon traditionnel. En effet, les personnes qui aiment le Japon aiment sa culture, son patrimoine, plus que ses buildings. Le Japon contemporain inquiète, monde terrifiant sans homme politique, sans philosophe, sans porte-parole, sans ligne claire, partant à la conquête du marché, assimilable à une machine aveugle.

La tendance exotique demeure, mais change d'apparence et d'objet. Les écolières en uniforme aux cheveux multicolores remplacent les geishas, les robots se substituent aux samouraïs. L'échec des films japonais récents, à l'exception de ceux de Kitano , dont le cinéma conserve une certaine humanité, peut s'expliquer par sa noirceur, et le thème omniprésent de la déshumanisation, oppressant et peu porteur pour un public qui cherche à se divertir et passer un bon moment, d'autant que des difficultés dans la recontextualisation des faits dépeints nuit à leur compréhension

" Cette famille Sakurada dont le film raconte l'histoire pendant 25 ans, nous avons de la peine à la situer exactement dans la société japonaise que nous connaissons mal. S'agit-il d'aristocrates de naissance ou de bourgeois enrichis ?" [13]

Le public n'a pas l'image d'un Japon heureux. Si la génération mangas accepte le pessimisme, ce n'est pas le cas des générations précédentes, qui recherchent l'exotisme familier. La jeune génération, depuis internet, connaît un rapprochement incroyable avec le Japon : les distances sont réduites, et il est aisé de se trouver un correspondant japonais avec lequel parler du quotidien. Le Japon se fait de moins en moins dépaysant.

c- Un cinéma à décoder différemment

C'est un cinéma autre. Il propose un programme intelligent sans renier le public. Le fait est qu'en France, il y a souvent antagonisme entre cinéma populaire et cinéma d'auteur, or le cinéma japonais est une sorte d'hybride réussi entre le cinéma d'auteur européen et le cinéma de genre de Hong Kong, dont le langage cinématographique est abouti. C'est aussi un cinéma complètement décomplexé qui n'a pas peur de trop déplaire. [14]

La grande différence réside dans le fait qu'en Europe, tout est intellectualisé, alors qu'au Japon, tout est esthétisé sans être préalablement intellectualisé [15] : le cinéma nippon propose un rapport plus franc aux choses, émotions ou confrontations, mais sans notion de conflit. L'introspection y est plus grande.

Au début, ce cinéma pouvait "choquer".

" Il se produit dans ce film d'autres aventures impossibles à raconter. D'abord parce qu'elles heurtent de front les bonnes mœurs, et aussi parce qu'elles pénètrent encore plus loin dans le domaine de la loufoquerie et mettent en action des personnages se ressemblant à un point insensé, tout au moins aux yeux d'un Européen ." [16]

Mais l'évolution de nos sociétés, des mœurs, font que le Japon et la France se « ressemblent de plus en plus », au sens où elles sont toutes deux des civilisations industrialisées dans l'ombre des Etats Unis, et qui cherchent à conserver leur identité. Si la représentation du sexe et de la violence jetait le discrédit aux yeux du grand public sur le cinéma japonais, force est de constater que ces modes d'expression se sont banalisés. Reste un fond d'universalité …


[1] In Les Echos , n 13973, 29/09/1983, Annie Coppermann, La Ballade de Narayama .

[2] In le Quotidien de Paris , 21/01/1984, Dominique Jamet , Les Contes de l'amour et de la mort .

[3] Entretien avec Xavier Leherpeur op.cit

[4] Images du cinéma japonais , Max Tessier , page 182.

[5] Interview Christian Rakotomamonjy op.cit

[6] Entretien Xavier Leherpeur op.cit.

[7] Jean d'Yvoire , préface, page 13, in Shinobu Giuglaris et Marcel Giuglaris, Le cinéma japonais de 1896 à 1955 - Paris : Ed. du Cerf, 1956. - collection : 7ème Art.

[8] Japonaise déléguée en Europe du Japan Library Council pour la Diffusion culturelle.

[9] In Le Figaro , 28/09/1983.

[10] In Combat , 17/03/1954, R.-M. Arlaud, Les Enfants d'Hiroshima .

[11] In Rouge , 21/06/1968, Paulo Antonio Paranagua, L'Ile Nue

[12] Entretien avec David Martinez op.cit

[13] In Télérama , 08/10/1972, Jean Louis Tallenay, Entretien avec l'auteur de la Cérémonie : Nagisa Oshima .

[14] Entretien avec Christian Rakotomamonjy op.cit

[15] Entretien Hubert Niogret op.cit

[16] in l' Aurore , 25/08/1953, Steve Passeur, " Les contes de la lune vague", un film aussi poétique que compliqué .

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