Histoire du cinéma japonais en France (1951-2001)

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La question de la traduction et de l'image offerte par les distributeurs.

Le premier élément est que le cinéma japonais que nous voyons est rarement exactement celui qui est présenté au Japon. Producteurs et distributeurs ont la liberté d'adapter comme ils l'entendent l'œuvre initiale en jouant sur la traduction le doublage, les affiches, les bandes-annonces, et cela dans le but d'attirer un public particulier.

    On peut remarquer une évolution notable. Au départ Il était très difficile, dans les années 50-60 de trouver quelqu'un qui puisse directement traduire du japonais au français, de même que pour la littérature, il y avait très peu de japonisants. Souvent, les sous -titres étaient traduits de l'anglais, et non du japonais. De plus, ces sous titres eux-même adaptés de l'anglais avaient parfois peut à voir avec ce que disent effectivement les personnages en japonais, et demeurent parfois assez clairsemés. Ces sous titres tenaient plus de l'interprétation que de la traduction.

Parfois aussi n'était-ils pas lisibles, tout simplement

" Pour le reste, la demoiselle raconte sa vie. Evocation passablement compliquée et traduite en sous-titres que la blancheur des kimonos et des fleurs de cerisiers ne rend pas toujours déchiffrable… " [1]

Lors de la première présentation de Kagemusha d'Akira Kurosawa à Cannes , les sous titres avaient été réalisés par un traducteur littéraire qui n'avait rein à voir avec le cinéma, spécialiste de la poésie médiévale, mélange de vieux français, d'argot. La Fox, qui sortait le film après la réaction à Cannes où le public s'était écroulé de rire en lisant les sous-titres de ce film pourtant sérieux, a décidé de ne pas sortir cette version du film, et de refaire le sous-titrage, dans un français plus accessible.

Il y a eu un changement dans les années 1980 après Kagemusha notamment. S'il reste très peu de traducteurs, ceux-ci sont plus nombreux et compétents. Il y a surtout une spécialiste qui s'appelle Catherine Cadoux qui fait 90% des traductions pour le cinéma japonais importé en France. Mais elle laisse de plus en plus de place aux jeunes, aux vues du très grand nombre de films qui sortent sur les écrans depuis les années 1990. Ce renouveau est assuré souvent par des femmes qui sont japonisantes, ont vécu au Japon et connaissent très bien le japonais, ce qui n'était pas le cas autrefois.

Les versions doublées sont réalisées pour la distributions dans de larges réseaux de cinéma, y compris grand public, qui ne va pas voir un film japonais, mais un film dont on parle. C'est ainsi que la Ballade de Narayama a une version doublée. Les versions doublées altèrent l'œuvre au sens où un film historique japonais où les personnages s'expriment en français courant, s'il permet une meilleure perception immédiate du film, altère son intégrité et donne un rendu très étrange,

" Il faut y insister, c'est A TOUT PRIX la version originale qu'il faut voir et entendre, car des japonais parlant français sont certainement pis que peu crédibles, ils sont assez risibles et cela ne peut que contribuer à faciliter une fausse réception, bêtement égrillarde, du film, la transformer en horrible gaudriole " [2]

Mais le doublage devient de plus en plus un enjeu dans la réussite du film, et celui-ci est de plus en plus soigné, notamment en ce qui concerne les films d'animation qui sont destinés à un public plus large. C'est ainsi que Jean Reno a prêté sa voix à Porco Rosso pour le film éponyme. Le dernier Miyazaki , le Voyage de Chihiro , devait sortir en janvier 2002, sa sortie a été repoussée en avril parce que la version française n'avait pas été jugée satisfaisante, et qu'elle a par conséquent été refaite. Aujourd'hui, la question est presque résolue au sens où grâce au câble, il est possible de choisir si l'on veut voir en version originale ou en version française. Mais il est un fait étrange qui veut que les nippo cinéphiles préfèrent les films en version originale. Comme le souligne Jean-Pierre Dionnet , [3]

" A la différence du cinéma de Hong Kong que l'on a souvent vu doublé, il est culturellement important pour nous de voir les films japonais en VO. On a tous la voix de Toshiro Mifune dans la tête et personne n'a envie de voir un film japonais doublé. (…). Ce qui me laisse à penser que le cinéma japonais est un cas particulier. "

Les titres eux-mêmes sont souvent retravaillés et adaptés. C'est ainsi que le Merry Christmas Mister Laurence de Nagisa Oshima a été traduit en français par le terme désuet de Furyo , qui signifie prisonnier de guerre, sans doute à cause de sa tonalité plus exotique.

Les affiches françaises sont de plus très différentes des affiches japonaises, plus stylisées, avec de gros plans et des titres énormes, dans l'esprit des années cinquante.

Les bandes-annonces elles aussi sont retravaillées afin de cibler un public particulier : C'est ainsi que le film d'horreur Ring a été présenté comme un film d'horreur destiné aux jeunes, et que l'on en a gommé tous les aspects japonais afin de ne pas rebuter le public visé qui cherche le divertissement.

Parfois, c'est le travail même du réalisateur qui est détérioré. C'est ainsi que pour le film Tokyo Olympiades , le comité de sélection du Festival de Cannes a demandé en 1965 une coupure de cinquante minutes, tant est si bien que le film montré ne durait plus que deux heures dix. Tokyo Olympiades a été présenté à Paris dans une version qui n'était pas tout à fait celle de Cannes ( Mais Ichikawa a modifié son montage une dizaine de fois). On a un peu étiré les séquences concernant les champions français, et sacrifié ça et là quelques scènes d'un intérêt indifférent. Les distributeurs français, moins sensibles que les esthètes à la pudeur du film de Kon Ichikawa ont demandé à Claude Darget , l'un de ses commentaires « bien de chez nous, qui vont droit au cœur des braves gens ».

De la même façon, les Sept Samouraïs de Kurosawa connaît deux versions : une de près de trois heures, l'autres de moins de deux heures.

Jacques Canestrier , qui a découvert Goldorak au Japon raconte comment il est intervenu pour l'adaptation de film en France.

" Nous avons alors travaillé pour adapter les dialogues et surtout inventer un langage caractéristique pour la France. Goldorak est venu de Goldfinger et de Mandrake, (...). J'ai même modifié les montages parfois, et notamment pour le film" [4]

Ainsi, comme le note Nagisa Oshima , les films japonais sont les fruits d'une culture aux antipodes de la notre :

«  A mes yeux, il s'agit là du même phénomène qui consiste à couper les fleurs épanouies de la nature, pour servir d'ornement dans une maison. L'ikebana est, certes, un art traditionnel japonais, et les fleurs naturelles sont coupées pour décorer un intérieur. Mais, au Japon, la maison d'origine est faite de bois, de bambou et de terre battue, et c'est parce que l'ikebana est une partie de ce tout naturel qu'il a pu atteindre à une beauté parfaite - cette perfection qu'il ne peut atteindre dans une maison occidentale moderne en ciment. Lorsque je vois des films japonais projetés dans des salles parisiennes, il m'arrive donc d'être perplexe et de ressentir une certaine tristesse, de la même façon qu'en voyant un bouquet japonais ornant un intérieur occidental moderne. La plupart des spectateurs contemplent ainsi uniquement les fleurs, sans connaître la nature qui les a fait naître, c'est-à-dire la terre japonaise. Bien sûr, on peut dire que cela est amplement satisfaisant. » [5]

Au delà de l'aspect purement formel se pose la question des influences respectives des cinémas japonais et européens, afin de savoir dans quel jeu d'interpénétrations culturelles ceux-ci se situent. Si l'influence du cinéma occidental est indéniable sur le cinéma japonais, il paraît intéressant de s'interroger sur la façon dont le Japon a influencé notre cinéma. Cette influence potentielle apparaît en effet un indice important du degré d'acceptation et d'assimilation du cinéma japonais en France.


[1] In Le Canard Enchaîné , 22/10/1969, J.-P. G ., Eros+Massacre .

[2] In L'Humanité , 27/09/1976, A. C., Corrida de l'Amour

[3] Présentateur de l'émission Cinéma de Quartier sur la chaîne Canal+, aussi distributeur de films japonais en France tels que les quatre premiers films de Kitano , Porco Rosso de Miyazaki , les films de Tsukamoto , ou plus récemment la saga des Ring . L'interview citée est issue de " Parcourt FNAC, le souffle asiatique, du 25 avril au 25 mai ", brochure gratuite éditée par FNAC SA. RCS Nanterre.

[4] In la Croix , 06/04/1979, J- M de M., Dialogue avec l'Oncle du Héros .

[5] voir préface de Nagisa Oshima dans " Images du Cinéma Japonais " de Max Tessier.