Histoire du cinéma japonais en France (1951-2001)

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De l'influence de la culture occidentale sur le cinéma japonais

Comme nous l'avons souligné dans l'introduction, la culture japonaise est basée sur la coexistence de diverses traditions au nombre desquelles on retrouve la culture occidentale. Celle-ci ne supplante pas les autres, elle s'y additionne juste. En témoigne Akira Kurosawa lorsqu'il parle de ses influences.

" Dans ma jeunesse, on demandait aux étudiants de s'intéresser à la culture traditionnelle de leur pays. Le vieux -fonds culturel du Japon représente quelque chose d'essentiel pour moi. C'est sur cette "base que j'ai été influencé par le cinéma. Cela m'a permis de le juger, de tenter d'en absorber ce qui me paraissait le meilleur, ce qui me convenait, sans jamais oublier les traditions japonaises ." [1]

­Ce qui paraît rendre Kurosawa plus "occidental", c'est sans doute la plus grande importance accordée au scénario, à la charpente écrite du film, beaucoup plus encore que chez Mizoguchi , ou évidemment Ozu , où le récit est réduit à sa plus simple expression.

Ce furent les jidai geki de Kurosawa , qui, comme chez Mizoguchi d'ailleurs, plurent d'avantage en Occident, au grand regret de Kurosawa, qui tenait Vivre pour son meilleur film. Il fallut d'ailleurs des années pour le voir en France, comme pour L'Idiot , probablement la meilleure adaptation de Dostoïevski jamais réalisée transposant le roman éponyme de l'auteur russe (celui qui a exercé sur Kurosawa « la plus grande attraction ») à l'époque moderne dans le nord du Japon (Hokkaido), le cinéaste japonais a illuminé ses personnages d'un feu intérieur que l'on ne trouve certes pas dans les autres interprétations connues ( Georges Lampin en France, Yvan Pyriev en URSS ) et a trouvé l'exact équivalent de cette « compassion » dostoïevskienne qui le touchait tant personnellement. C'est aussi dans son adaptation des Bas Fonds (1957) de Gorki que l'on retrouve cette atmosphère, cette qualité particulière où Kurosawa fait preuve d'une sobriété inhabituelle dans la mise en scène, à part un long travelling d'ouverture qui, partant des hauteurs d'un grand mur d'enceinte, nous entraîne brusquement dans ces bas-fonds que la caméra ne quittera plus. Comme d'habitude, Kurosawa a transposé le roman dans un registre japonais, où le public peut reconnaître des personnages familiers, entre autres le couple inoubliable des propriétaires, sordides et avares , le vieux pèlerin , l'acteur déchu, l'ancien samurai, naturellement Sutekichi, le voleur (Toshiro Mifune), tous plus ou moins membres de la « famille Kurosawa ». Tous ces personnages misérables, prisonniers d'un décor sordide, mais « habité », microcosme de la société « supérieure », gardent une étincelle d'espoir, de vie, et la compassion « humaniste » de Kurosawa est bien présente.

" Si un homme aussi lucide que Kurosawa , capable de manier ne noir et le blanc, la farce et le tragique, la violence et la souplesse, trouve des résonances en Occident, c'est peut être parce que l'Occident est lui-même en marche vers le durcissement et corrélativement, vers la lucidité." [2]

Alors que Mizoguchi , Ozu ou Naruse sont considérés comme authentiques par les Japonais, Akira Kurosawa , à cause peut être de sa technique Occidentale vigoureuse et de l'intérêt qu'il porte dans son œuvre aux grandes œuvres littéraires étrangères comme celles de Dostoïevski, Gorki ou Shakespeare, a longtemps été traité ici comme un cinéaste non japonais, trop occidentalisé, ayant renié sa culture nationale, et souvent même par ceux là mêmes qui la connaissaient mal, au nom d'un nouveau purisme qui voulaient que les Japonais soient plus japonais que nature.

Si l'influence occidentale est indéniable dans le cinéma japonais, celle-ci a évolué au fil du temps, et a pris différents aspects. Eros+ Massacre illustre les possibilités et les limites d'une tradition formaliste où le Japon d'après guerre n'a aucune peine à "annexer" le modernisme européen dans la postérité d'Hiroshima mon Amour ou de l'Aventura .

Une autre forme d'influence, moins prestigieuse celle-ci, transparaît aussi. Beaucoup de jeunes cinéastes japonais ne semblent réaliser des films que pour les grands festivals européens. Si leur film n'est pas distribué, cela leur importe peu, au sens où si celui-ci a été présenté à Cannes , à Venise ou Berlin , il s'agit déjà d'une récompense en soi. Les Japonais ont toujours besoin d'une reconnaissance de l'Occident, encore aujourd'hui. Ce sont généralement des films destinés à la critique, et non au public. Autrefois, il n'y avait pas d'hiatus entre le fait que le film soit présenté dans ces festivals, et le fait qu'il connaisse une sortie nationale. Ce n'est plus le cas depuis la fin des années 1990 où la moitié des films japonais présentés à Cannes en 2000 ne sont pas sortis en France. Il y a actuellement un phénomène de rupture entre un cinéma d'auteurs souvent intéressant mais complexe, replié sur lui-même, et un autre cinéma qui séduit lui le public.

Une autre facette est à envisager, celle qui veut que le cinéma japonais s'occidentalise dans le but de gagner les marchés occidentaux. Et si un public occidental veut, ou tout au moins a voulu, des auteurs comme Kurosawa ou Ozu plus japonais que nature, ce n'est pas le cas de la nouvelle génération qui n'a connu que ce Japon occidentalisé, et l'aime à cause, ou grâce à cela. Plus le film va être typiquement japonais, moins il aura de public occidental. Des films comme les Fleurs de Shanghai ou In the Mood for Love sont des films asiatiques que nous pourrions qualifier de "carte postale" pour occidentaux en mal d'exotisme. Ils ont remporté un immense succès.

Il y aurait cependant des points communs entre le cinéma japonais et le cinéma français, ainsi que le souligne Henri Langlois, président de la Cinémathèque Française .

« Il existe des liens secrets entre nos cinémas : celui de l'Occident et celui du Japon. Et si l'Ecole Japonaise a pu être directement influencée par le cinéma Occidental, particulièrement par le cinéma américain ou, à d'autres moments, par l'Ecole Soviétique et le Néo Réalisme Italien; si elle a été sensible à l'art de Feyder, notre cinéma, par des voies détournées, s'est trouvé lui aussi marqué par le Japon à certains moments essentiels.

On sait l'attraction exercée par Mizoguchi sur nos jeunes cinéastes, l'empreinte qu'a laissé Ozu sur le jeune cinéma anglais, l'audience de Kurosawa en Amérique de Sud, en Italie, en Europe Centrale." [3]


[1] Extraits d'entretiens parus dans Kinema Jumpo (mars 1963), et Kurosawa par Michel Mesnil, Seghers, 1973.

[2] In Télérama , 19/07/1964, Jean D'Yvoire, La Forteresse cachée , terrible et admirable tradition japonaise .

[3] In Collectif, chef-d'oeuvre et panorama du cinéma japonais : 1891-1961 : un hommage à la Cinémathèque japonaise . - Paris : Cinémathèque française, 1963, préface par Henri Langlois, président de la Cinémathèque Française.