Histoire du cinéma japonais en France (1951-2001)

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Comprendre une civilisation à l'extrême de la notre.

La tension qui existe entre la modernité et la tradition est un des motifs les plus récurrents et les plus fascinant de la culture japonaise [1] . Un phénomène étrange dans les années cinquante voulait que les critiques s'interrogent sur le fait que les films japonais soient bien typiquement japonais. Et quand ils le sont, sur leurs facultés à les comprendre.

« Mais peut -il (le spectateur européen) comprendre le sens profond du film? En admettant même qu'il ait une connaissance théorique, tout intellectuelle du bouddhisme, peut-il participer à un tel film! Le metteur en scène ne compose-t-il pas cette histoire avec des moyens qui nous échappent complètement !

En revoyant ce film, j'ai eu l'impression qu'il était composé de pleins et de creux dont l'encrage était peut être pour un spectateur japonais son propre développement intérieur. Mais cette impression est peut être fausse. Le film évolue suivent un processus qui m'échappe complètement. » [2]

Il existe de plus un problème de références : dans les années cinquante, on ne peut pas présenter les films japonais dans leur contexte, et les mettre en relation avec d'autres œuvres japonaises pour révéler une évolution. Trop peu d'œuvres ont été montrés. Pour tenter de faire comprendre aux lecteurs de leurs articles la force de ces films, les critiques ont sans cesse recours à des comparaisons avec de grandes œuvres européennes .

Kurosawa , pour Rashomon , est associé à Pirandello et Dostoïevski, Kaneto Shindo utilise des images qui ont la force de celles de Goya dans Les Enfants d'Hiroshima , Mizoguchi , dans les Contes de le Lune vague après la Pluie , se voit associé à Breughel et Callot, le tout mâtiné de comédie italienne.  Shindo, pour son Ile Nue , est associé cette fois à Eisenstein, Poudovkine, Resnais, Bresson et Antonioni …

Si jusqu'en 1965, tous les films japonais étaient presque considérés comme des chefs d'œuvre, bientôt le doute surgit. Les critiques passent de la notion de "c'est beau mais on ne comprend rien " à "c'est beau, mais serait-ce en définitif vide?"

" Si le cinéma japonais reste très esthétique, on peut se demander si finalement notre incompréhension de ces films est autant justifiée par leur complexité que par leur vide. Les Japonais qui savent tout imiter s'imitent parfaitement eux-mêmes. Il existe un faux exotisme japonais, une fausse brutalité japonaise, dont on commence à faire grand usage à Tokyo dans l'industrie cinématographique. Méfions-nous donc des contrefaçons. Pour un Kwaidan nous risquons de tomber sur 20 Onibaba ." [3]

"Et si ce film n'était pas autre chose qu'une provocation? Un produit de luxe destiné à l'exportation? Un film que le Japon offrirait au monde Occidental comme témoignage des idées reçues, réservant ainsi son véritable mystère? [4]

Un recul apparaît face aux œuvres cinématographiques nippones, et la tolérance face à ces œuvres diminuent. Ce n'est pas parce qu'elles sont japonaises que leurs auteurs peuvent se permettre la médiocrité, sous couvert d'une culture différente. L'œil critique s'aiguise au fil des années. Le nombre important de films japonais distribués en France permet de remettre les films japonais dans leurs contextes cinématographiques. L'attirance pour l'étrange diminue, et le regard sur l'œuvre se fait au fil des années plus objectif.

"On les entendrait crier -nos esthètes- si un metteur en scène occidental se permettait des ficelles aussi grossières: la nuit pour symboliser l'obscurantisme, l'arbre pour évoquer le phallus, un puit pour représenter le gouffre. [5] "

"Parfois, on reconnaît ses erreurs "ET que l'on aille point rétorquer que notre tempérament d'occidental est insensible à des morceaux de ce genre : un de mes amis japonais, aussi intellectuel qu'on peut l'être nous assure que la réputation de Kaneto Shindo n'a jamais atteint au japon celle qu'on lui a fait en France après l'Ile Nue " [6]

"Dans Onibaba , le réalisateur fait preuve de virtuosité, mais comme si la virtuosité était une fin en soi. Rien ne vient justifier ce choix de mise en scène, sinon sans doute l'argent rapporté par l'Ile Nue qui ne refusait pas non plus semblables facilités" [7]

Au début des années 1980, Hiroko Govaers arrive à ce constat

"Durant une trentaine d'année, ce public a pu découvrir des films japonais qui l'ont attiré quelques fois par des aspects exotiques. Le samouraï, le kimono ou le hara kiri ont été des objets de sa curiosité. De nos jours, cet exotisme ne suffit plus à accrocher le public occidental." [8]

La décennie 1980-1990 a vu émerger un nouveau Japon, plus proche de notre civilisation, et plus effrayant. Son aspect de mystérieuse force économique combattive et triomphante fascine, mais suscite aussi la méfiance. Dans quelle mesure la diffusion de films japonais en France permet-elle au Japon de devenir une puissance culturelle ?

" La vérité est que, au Japon, tout est programmé pour la conquête : le cinéma comme le commerce, la souplesse des muscles, la puissance de l'industrie, ou la philosophie. Ce n'est sûrement pas une histoire d'ouvrier au chômage que Tokyo enverra dans nos festivals, avec la mission de remporter, plus encore que la victoire, un marché ! (…) La partition a été minutieusement mise au point. Il y a les films destinés aux autochtones, et les autres, réservés à l'exportation." [9]

Mais si le cinéma peut se faire reflet de la puissance et de l'influence d'une civilisation, il peut aussi en révéler les failles. Le cinéma se fait plus fécond en période de crise et de contestation, et cela au Japon comme ailleurs.

"Le cinéma japonais, qui a toujours connu un statut trouble en Occident (Est-il une expression pittoresque de l'art extrême oriental ou un décalque gauchi (sic) des stéréotypes Hollywoodiens?), a connu sa grande période dans les années 50-60 avec Kurosawa et Mizoguchi , cinéastes de la tradition, où la mythologie était poussée à son d egré ultime. Or aujourd'hui, la perspective a sensiblement changé : signe des temps, les valeurs traditionnelles sont systématiquement bafouées dans tous ces films…" [10]

Au fur à mesure, le film n'est plus présenté comme japonais avant tout. Grandes références européennes diminuent, au profit référence auteurs japonais : on a plus de points de repère dans ce cinéma-là. Les références aux arts traditionnels diminuent aussi. Les années 1990 voient émerger de nouvelles façons d'appréhender le cinéma, quelle que soit sa nationalité. Cinquante ans après la victoire de Rashômon à Venise , le cinéma japonais n'apparaît plus comme un objet exotique rare, mais une alternative au reste de la production proposée, au même titre qu'un film espagnol ou mexicain. Si le cinéma japonais reste essentiellement apprécié d'une forme d'élite intellectuelle, il se démocratise au fil du temps, et quiconque veut voir des films japonais en France peut actuellement s'en procurer facilement.


[1] Entretien Xavier Leherpeur op.cit

[2] In Radio France télévision , 19/04/1959, Paule Sengissen, Une Interrogation .

[3] In Le Monde , 02/02/1966, J. B., Onibaba .

[4] In l'Année du Cinéma 1982 , Heymann Danièle, Lacombe Lucien ; avec la collaboration de P. Murat. - Paris : Calmann-Levy, 1982.

[5] In Combat , 31/01/1966, Henri Chapier, Onibaba .

[6] In France catholique , 17/02/1966, non signé , Fabricant de faux .

[7] In Révolution , 26/01/1984, jean Roy , Onibaba .

[8] In Le Figaro , 28/09/1983, Hiroko Govaers, La question fondamentale de Shohei Imamura .

[9] In Le Figaro , 28/09/1983, F. C., Les Fils de Kurosawa .

[10] In L'Express , o6/05/1983, Max Tessier, La Ballade de Narayama .

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