Love will tear us apart déplace les lieux communs des expositions collectives. Elle les réordonne en les inversant. L’exposition ne trace ainsi aucun ordre auquel le spectateur ne doive couper court. Aussi bien l’une des visées de l’exposition est-elle de mettre en pièce le cloisonnement des catégories artistiques et d’y substituer une imbrication. L’installation est ici la forme d’expression privilégiée de cette mêlée contre-nature. Echantillonnage de techniques, mixed-media fondus dans une œuvre pleine de collusion, et de tension, de césures, l’installation n’harmonise pas les arts dont elle est brassée. Elle en est l’hybridation dont l’effet, imprévisible, n’appartient en propre à aucune de ses composantes qui restent consignées à demeure dans l’œuvre, sans prendre le devant. De même que l’installation amalgame ainsi plusieurs arts, l’exposition présente un foisonnement de travaux sans qu’aucun n’en soit l’emblème ou le résumé, tant leur accumulation voire leur prolifération s’établissent ici comme manière de décevoir toute classification stable et globale. Rien n’est univoque dans cette exposition et la première voix à céder la place est celle de l’artiste, dont l’intention doit s’effacer devant le regard du spectateur. Prime donc ici l’effet de l’art, son expérimentation sensible et non ce qui le sous-tendrait secrètement du fin fond d’un concept désincarné.
De là, l’importance du lieu de la présentation des œuvres. Il est celui où elles prennent effet, où les spectateurs en prennent acte, et où ils les prennent en compte. Cette propension essentielle de l’exposition à la prolifération et au déplacement a donc malgré tout une visée qui la borde et qui coïncide avec l’acte d’exposer : c’est le regard singulier et singularisant du spectateur sur ces pièces, installations ou vidéos. Singulariser c’est distinguer, c’est-à-dire élire selon ses propres affinités ou au contraire différencier, séparer les œuvres les unes des autres, en mettre à l’écart, en mettre finalement au singulier. Ici le regard dénombre sans chercher coûte que coûte le plus petit dénominateur commun mais doit se compter comme partie prenante à cette mêlée de travaux qui s’exposent aussi pour être court-circuités. L’attention du spectateur peut donc sabrer en parties ce travail collectif au lieu de devoir absolument lier des travaux singuliers.

Judicaël Lavrador