RUSSIE, EUROPE CENTRALE ET ORIENTALE

           Etat, Nation, Société civile

 

Cahiers
Anatole
Leroy-Beaulieu

 n° 10

Marina BYLINSKY


L'action publique dans le domaine des énergies renouvelables en Ukraine
   


 

Institut d'Études Politiques de Paris
27 rue Saint Guillaume - 75337 Paris Cedex 07

                                 

Directeur des Cahiers Anatole Leroy-Beaulieu:
Dominique Colas
Professeur des universités à l'IEP de Paris, chercheur au CERI, directeur du programme doctoral Russie et CEI. au sein de l'Ecole doctorale de Sciences Po


PRESENTATION  DU NUMERO 10 DES Cahiers Anatole Leroy-Beaulieu




Ce numéro 10 des Cahiers Anatole Leroy-Beaulieu, est la reprise d'un mémoire de master de recherche en science politique soutenu en juin 2010 par Marina Bylinsky, mémoire qu'elle avait élaborée sous la direction d'Alexandra Goujon dans le cadre du programme doctoral Russie CEI de Sciences Po inséré dans le programme de Science politique de l'Ecole doctorale.

Les Cahiers Anatole Leroy-Beaulieu ont déjà publiés des travaux de jeunes chercheurs qui manifestent la vitalité de la recherche sur l'Europe centrale, orientale et la Russie à Sciences Po. Cette vitalité se montre aussi dans les soutenances régulières de thèses : celle de Philippe Perchoc en novembre 2011, celle d'Arielle Bianquis et de Taline Papazian en janvier 2011 pour ne citer que les plus récentes (voir la page d'entrée). En témoigne aussi les publications des enseignants et chercheurs dont on trouvera deux exemples plus bas.

Certains numéros des Cahiers Anatole Leroy-Beaulieu sont disponibles sur internet à travers le site de l'Ecole Doctorale à l'adresse suivante : http://ecoledoctorale.sciences-po.fr/publications/calb/index.htm

 Ce numéro est proposé ici à titre provisoire dans une présentation qui n'est pas entièrement satisfaisante, mais son intérêt justifiait de ne pas attendre plus longtemps sa diffusion.

Le numéro précédent des Cahiers était lui aussi dû à un jeune chercheur et cette politique de mise à la disposition de travaux sur internet se poursuivra. Elle s'insère dans la politique d'ensemble de l'Ecole doctorale dont le nouveau directeur Hervè Crès vient d'être nommé en janvier 2011.

Parmi les échéances importantes pour les chercheurs et les étudiants : la convention de l'ASN à New York en avril 2010 et la conférence conjointe de l'ASN de l'Institut d'ethnologie de l'Académie des Sciences,  du Centre franco-russe de Sciences Sociales et du RGGU à Moscou fin septembre 2011.


Dominique Colas




Publications récentes des enseignants du programme Russie-CEI

Alexandra Goujon

Révolutions politiques et identitaires en Ukraine et en Biélorussie (1988-2008)
Collection : Europes Centrales
Editeur : Belin


À partir du succès de la « Révolution orange » en Ukraine et de l’échec de la « Révolution de Jeans » en Biélorussie, cet ouvrage propose une étude rétrospective des transformations politiques et identitaires dans ces deux États issus de la décomposition de l’Union soviétique. En analysant les principaux événements politiques survenus sur une période de vingt ans, l’auteur montre comment la vie politique ukrainienne et biélorusse évolue dans le sillage de la chute du système soviétique qui fait apparaître l’électeur libre, le multipartisme, les manifestations spontanées, tout en assurant la continuité des élites politiques. Traversées par des bouleversements politiques, l’Ukraine et la Biélorussie vivent également des révolutions identitaires qui interrogent et modifient différemment leurs histoires nationales, les pratiques linguistiques de leurs habitants et le rapport à l’Autre que représente la Russie.
Cet ouvrage offre un éclairage pertinent et inédit en français sur deux pays frontaliers de l’Union européenne, en quête de régimes politiques stables et de reconnaissance de leurs nations.
Politologue spécialiste de la Russie, de l’Ukraine et de la Biélorussie, Alexandra Goujon est maître de conférences à l'université de Bourgogne et à l'Institut d'études politiques de Paris.




Gilles Favarel-Garrigues et de Kathy Rousselet

La Russie contemporaine

Fayard



La chute de l’URSS en 1991 a marqué la fin d’un monde et provoqué une avalanche de changements qui ont traumatisé la société russe : transition d’une économie planifiée à une économie libérale, démocratisation du régime, redécoupage des frontières du nouvel Etat, redéfinition de la stratégie géopolitique. Les hiérarchies sociales ont été bouleversées et un profond désarroi identitaire s’est emparé de cette grande puissance déstabilisée après la fin de l’affrontement Est-Ouest. Comment la société russe a-t-elle traversé ces vingt années de mutations à marche forcée ? Dans quel état la Russie, souvent dépeinte de manière pessimiste, est-elle réellement ?

Trente spécialistes reconnus de la Russie répondent à ces questions en analysant l’héritage des dernières décennies soviétiques, l’évolution du système politique de Boris Eltsine à Vladimir Poutine, les nouveaux enjeux économiques du pays, l’engagement sur la scène internationale, les tensions qui animent une société démographiquement fragile, ou encore l’évolution du sport, des médias et des arts. Dans une synthèse claire et passionnante, ils proposent une analyse actuelle et complète, sans céder aux passions que suscite encore ce pays dans le monde occidental.

Ont participé à cet ouvrage : Alexis Berelowitch, Alain Blum, Juliette Cadiot, Sarah Carton de Grammont, Bernard Chavance, Jean-Christophe Collin, Françoise Daucé, Myriam Désert, Caroline Dufy, Isabelle Facon, Olga Fadeeva, Gilles Favarel-Garrigues, Anne Gazier, Marlène Laruelle, Jean-Charles Lallemand, Cécile Lefèvre, Anne Le Huérou, Marie-Hélène Mandrillon, Hélène Mélat, Marie Mendras, Nathalie Moine, Valérie Pozner, Jean Radvanyi, Jean-Robert Raviot, Amandine Regamey, Kathy Rousselet, Richard Sakwa, Jean-Pierre Thibaudat, Anne de Tinguy, Anna Zaytseva, Christine Zeytounian-Beloüs.




 

Marina BYLINSKY


L'action publique dans le domaine des énergies renouvelables en Ukraine
   






Marina Bylinsky
L'AUTEURE

Née en Ukraine, Marina Bylinsky a commencé ses études dans le cadre d’un cursus franco-allemand en sciences politiques qu’elle a achevé avec un diplôme de Bachelor of Arts en 2008. Elle avait alors consacré son mémoire de fin d’études à une comparaison des processus de démocratisation en Ukraine et en Russie entre 2000 et 2008. Ayant ensuite intégré le Master de recherche Politique comparée, spécialité Russie-CEI, de l’Institut d’Etudes Politiques de Paris, elle en a obtenu le diplôme en 2010.

Elle parle français, allemand, russe, anglais et ukrainien.

Coordonnées :

marina.bylinsky@sciences-po.org

marina_bylinsky@freenet.de






REMERCIEMENTS





Je tiens tout d’abord à remercier Alexandra Goujon pour sa grande disponibilité et les conseils qu’elle m’a donnés tout au long de la rédaction de ce mémoire. Mes remerciements vont ensuite à toutes les personnes qui ont accepté de  me rencontrer lors de mon travail de terrain en Ukraine. Les entretiens menés avec elles n’ont pas seulement été une source d’informations indispensables pour la réalisation de ce mémoire, mais aussi une source d’enrichissement humain. Enfin, je suis très reconnaissante à ma famille et mes amis qui n’ont jamais cessé de me soutenir et de m’encourager.




TABLE DES MATIERES



REMERCIEMENTS………………………………………………………………………………..1

TABLEAU DE TRANSCRIPTION……………………………………………………………..4

SIGLES ET ABBREVIATIONS…………………………………………………………………5

INTRODUCTION…………………………………………………………………………………..6

1. Présentation du sujet……………………………………………………………………………………..7

2. Cadre théorique de l’analyse…………………………………………………………………………10

3. Sources……………………………………………………………………………………………………….13


CHAPITRE 1 - La politique des énergies renouvelables en Ukraine : une des réponses à la dépendance énergétique à l’égard de la Russie……………………17


I La dépendance énergétique comme fenêtre d’opportunité à la politique des énergies renouvelables…………………………………………………………………………17

1. Présentation des énergies renouvelables et du bilan énergétique de l’Ukraine……18

2. L’évolution temporelle de la politique des énergies renouvelables en Ukraine…..20


II La faible valeur ajoutée des énergies renouvelables dans les représentations des acteurs politiques………………………………………………….26

1. L’absence de l’argument climatique dans la justification de la politique des énergies renouvelables…………………………………………………………………………………27

2. Les énergies renouvelables comme marqueur d’identité européenne ?.................31



CHAPITRE 2 – Le rôle des acteurs institutionnels dans la promotion des énergies renouvelables………………………………………………………………………..35


I La répartition des compétences entre acteurs institutionnels dans le domaine des énergies renouvelables……………………………………………………..35

1. Les conflits d’attribution des compétences en matière d’énergies renouvelables entre le Président, le Gouvernement, et le Parlement……………………………………..36

2. La dispersion des compétences en matière d’énergies renouvelables parmi les acteurs institutionnels spécialisés dans les secteurs énergétique et économique..............................................................................................................40

II Les acteurs institutionnels du secteur énergétique traditionnel : entre marginalisation et instrumentalisation des énergies renouvelables…………47

1. La promotion concomitante des énergies renouvelables et des énergies traditionnelles…………………………………………………………………………………………….48

2. L’instrumentalisation des énergies renouvelables par les acteurs institutionnels des filières énergétiques traditionnelles…………………………………………………………52



CHAPITRE 3 - Le rôle des réseaux entre acteurs économiques et institutionnels dans la promotion des énergies renouvelables…………………58


I La politique énergétique sous le Président Koutchma comme moyen d’arbitrage entre réseaux économico-politiques…………………………………….59

1. Les principaux réseaux économico-politiques en Ukraine……………………………….60

2. L’instrumentalisation de la politique énergétique sous Koutchma comme contrainte à la promotion des énergies renouvelables……………………………………..62


II Le rôle des oligarques-députés dans la promotion sélective des énergies renouvelables après la Révolution orange……………………………………………..65

1. L’engagement des oligarques en faveur de la législation sur les énergies renouvelables………………………………………………………………………………………………67

2. La contribution limitée des oligarques à la convergence des politiques des énergies renouvelables des pays européens et de l’Ukraine…………………………………………..70

III La marginalisation des acteurs associatifs face à la prépondérance des réseaux économico-politiques………………………………………………………………76

1. La sollicitation sélective des agents de conseil et de production dans le domaine des énergies renouvelables……………………………………………………………………………77

2. La mise à l’écart des ONG environnementales dans les processus décisionnels….82


CONCLUSION…………………………………………………………………………………….88

BIBLIOGRAPHIE………………………………………………………………………………..93

ANNEXE……………………………………………………………………………………………………109

1. Chronologie des principaux actes normatifs en matière d’énergies renouvelables en Ukraine………………………………………………………………………………………………..109

2. Liste des personnes interrogées……………………………………………………………………110


TABLEAU DE TRANSCRIPTION


La principale langue slave utilisée pour la rédaction de ce mémoire est l’ukrainien. Sauf exception, nous adoptons la transcription suivante :

Caractère cyrillique    Transcription
_    g,h
_    j
_    y
_    i,_
_    i
_    i, _
_    ou
_    kh
_    ts
_    tch
_    ch
_    chtch
_    iou
_    ia


Un nombre très restreint de documents que nous avons utilisés a été en russe. Pour leur transcription, nous adoptons le modèle ci-dessus sauf pour les caractères suivants :

_    i
_    _

 SIGLES ET ABBREVIATIONS


ATEU                                    Association des participants au marché des combustibles et de  
                                                l’énergie alternatifs de l’Ukraine

BIouT                                   Bloc Ioulia Timochenko

GES                                       gaz à effet de serre

ISD                                        Union industrielle du Donbass

MW                                       mégawatt

NAEI                                    Agence nationale de l’Ukraine en charge des investissements
                                               écologiques

NAER                                  Agence nationale de l’Ukraine en charge des questions de                                            
                                               l’utilisation efficiente des ressources énergétiques

PER                                      politique des énergies renouvelables

PIB                                        produit intérieur brut

PM                                        Premier ministre

PME                                   petites et moyennes entreprises

PR                                         Parti des régions

SKM                                     System Capital Management

TVA                                       taxe sur la valeur ajoutée

UE                                         Union européenne

UWEA                                Association ukrainienne de l’énergie éolienne










INTRODUCTION

Face à une conscience croissante du réchauffement climatique, susceptible de changer radicalement les conditions d’existence humaine sur la planète, face à la crise financière ayant secoué les économies à travers des frontières étatiques, la recherche d’un nouveau modèle de développement économique se trouve aujourd’hui au cœur de nombreux débats publics dans les pays occidentaux. Comment faire en sorte que les agents économiques soient plus attentifs aux conséquences sociales et environnementales de leurs actions ? La notion de « développement durable » se trouve souvent mise en exergue pour indiquer un modèle de développement qui concilierait croissance économique et respect des ressources naturelles, base de la durabilité de ce sentier. Constitutives de ce modèle sont  la réduction de la consommation des énergies traditionnelles comme le pétrole, le charbon, le gaz, mais aussi l’énergie nucléaire, et l’augmentation de celle des énergies dites « renouvelables » ou « alternatives » dont le sources principales sont le soleil, le vent, l’eau. En d’autres termes, il s’agit de changer la politique énergétique, c’est-à-dire une politique publique qui recouvre l’ensemble des activités entreprises par les autorités publiques dans le domaine de la production, du transport, de la distribution ainsi que des échanges internationaux de ressources énergétiques. La promotion de l’usage des énergies renouvelables, que nous désignerons brièvement comme la politique des énergies renouvelables (PER), deviendrait ainsi un nouveau secteur de la politique publique.
La mise en place d’une politique des énergies renouvelables est pourtant loin d’être tributaire d’une bonne volonté des décideurs publics uniquement. Le développement des technologies susceptibles d’exploiter les ressources d’énergie renouvelable est très coûteux et demande, au moins  à  court et à moyen terme, des investissements considérables aux acteurs qui en seraient chargés ; ceux du secteur privé ou bien de l’État. Dès lors, se pose la question de savoir si la promotion des énergies renouvelables ne constitue pas une forme de luxe que ne pourraient se permettre que les pays occidentaux.
Qu’en est-il, par exemple,  des pays post-soviétiques ? Quelle place les énergies renouvelables occupent-elles dans leurs politiques énergétiques ? Ces pays représentent un objet d’étude d’autant plus intéressant qu’ils sont marqués par des legs de l’Union soviétique dans laquelle prévalait une vision du monde anthropocentriste et l’idée de l’infinitude des ressources naturelles, y compris énergétiques. Plus particulièrement, le cas de l’Ukraine nous paraît se prêter bien à une analyse  dans ce domaine.

1. Présentation du sujet

Ceci tient à la fois aux spécificités de la problématique énergétique à laquelle l’Ukraine fait face et au caractère récent et évolutif de son système politique. À l’époque soviétique, l’Ukraine était intégrée dans les échanges de ressources énergétiques avec les autres républiques, en exportant essentiellement du charbon et de l’électricité nucléaire, et en important du gaz. L’effondrement de l’URSS a induit des perturbations dans cette configuration, de sorte à faire passer l’Ukraine d’un pays dans les faits riche en ressources énergétiques à un qui en pauvre.  Révéler dans quelle mesure l’Ukraine promeut l’usage des énergies renouvelables nous donnera ainsi des éléments de réponse à la question de savoir comment ce pays gère cette rupture. 
En ce qui concerne son système politique, l’Ukraine étant un État indépendant nouveau, celui-ci se trouve en gestation et ses structures politiques sont soumises à des changements récurrents. On peut notamment mentionner la Révolution orange de 2004 qui a induit des modifications formelles et informelles importantes dans le fonctionnement de ce système. Il est dès lors intéressant d’analyser comment dans un contexte politique mouvementé la mise en place d’une PER s’effectue. Dans ce contexte, il faut évoquer qu’en mars 2010, l’Ukraine a connu un changement du pouvoir exécutif suite à des élections présidentielles. Ses implications sur la politique des énergies renouvelables sont encore difficiles à cerner, de sorte que nous bornerons notre étude aux périodes de mandat des deux derniers Présidents de l’Ukraine, celles de Leonid Koutchma (juillet 1994- décembre 2004) et de Viktor Iouchtchenko (janvier 2005- février 2010).
La politique énergétique de l’Ukraine est à ce jour faiblement étudiée. Les recherches dans ce domaine concernent par ailleurs essentiellement les relations extérieures de l’Ukraine, d’une part celles avec la Russie dont elle importe une grande part de ces ressources énergétiques, d’autre part celles avec l’Union européenne (UE). L’Ukraine est en effet un pays de transit du gaz en provenance de la Russie et à destination des pays européens. Parmi les études consacrées à ce sujet on peut mentionner l’ouvrage de Keith Smith Russian energy politics in the Baltics, Poland and Ukraine,  celui  de Kateryna Malyhina Die Erdgasversorgung der EU unter besonderer Berücksichtigung der Ukraine als Transitland [L’approvisionnement en gaz de l’UE sous considération particulière de l’Ukraine en tant que pays de transit]  et celui de Margarita Balmaceda Energy dependency, politics and corruption in the former Soviet Union. Ce dernier ouvrage a particulièrement attiré notre attention car il est le seul à aborder aussi la dimension interne de la politique énergétique ukrainienne, de s’en rapprocher en décelant quelques traits fondamentaux des processus décisionnels ukrainiens en la matière. Sinon, ces derniers sont peu éclairés. Certes, on peut mentionner une étude d’Astrid Sahm, portant sur les politiques énergétique et environnementale de l’Ukraine et s’articulant autour de l’énergie nucléaire.  L’équipe du Centre de recherche Europe de l’Est de l’Université de Brême en Allemagne (Forschungszentrum Osteuropa) a également travaillé sur ce sujet, notamment Heiko Pleines qui a étudié les mécanismes propres à la politique publique ukrainienne à travers l’exemple de la politique économique. Mais étant donné le nombre limité de tels travaux, nous espérons contribuer par notre étude à une meilleure compréhension des dynamiques de la prise de décision politique en Ukraine.
A ce jour, aucun ouvrage n’a à notre connaissance traité de la politique des énergies renouvelables en Ukraine. Plus généralement, peu d’études ont été consacrées à la PER dans le contexte des pays de l’Europe de l’Est et les travaux existants abordent ce sujet d’un point de vue technique et économique essentiellement. Ainsi, en 1995, Eric Martinot a publié une étude sur la promotion des énergies renouvelables en Russie, en  relevant les obstacles économiques à leur exploitation.  En 2007 furent publiés un article de Dalia Streimikine  analysant la politique des énergies renouvelables dans les États baltes et un d’Isabel Bigard,  portant sur la Russie. Une équipe de chercheurs de l’Université libre de Berlin, sous la direction de Danyel Reiche, a par ailleurs rédigé un ouvrage collectif en analysant les politiques des énergies renouvelables dans les nouveaux États-membres de l’UE.  Ces travaux restent cependant tous focalisés sur les questions techniques et économiques. La seule étude qui intègre des raisonnements en termes de politique publique a été effectuée par Danyel Reiche et porte sur la politique des énergies renouvelables en Pologne.  De plus, en ce qui concerne la PER des pays occidentaux, il existe  quelques travaux qui abordent les mécanismes décisionnels, en soulignant surtout l’importance des acteurs s’engageant dans le domaine de l’écologie pour la mise en place de cette politique. A titre d’exemple, on peut mentionner l’étude d’Aurélien Evrard qui a comparé les PER de la France et de l’Allemagne en se focalisant sur les dynamiques de politique publique qui leur sont sous-jacentes.  Toujours est-il que la plupart des études de la PER occidentale adoptent également un angle d’approche plutôt technique et évaluatif.
Ainsi notre étude a-t-elle un double objectif : elle vise à contribuer à la fois à une meilleure compréhension des enjeux généraux de la politique des énergies renouvelables  au niveau des instruments et des acteurs qu’elle sollicite dans différents contextes politiques et à une meilleure compréhension des mécanismes fondamentaux de la politique publique en Ukraine. Quant au premier aspect, nous tâcherons notamment de montrer dans quelle mesure les catégories dans lesquelles la politique des énergies renouvelables est pensée en Europe occidentale ne sont que partiellement pertinentes dans le contexte ukrainien. Ceci concerne deux éléments en particulier : d’une part, la perception de la PER comme faisant partie de la politique écologique, l’influence positive des acteurs engagés dans l’écologie et la résistance à la PER de la part des acteurs économiques, notamment ceux actifs dans le secteur des énergies traditionnelles. D’autre part, il s’agit de la conception selon laquelle la PER pose un défi en termes de changement de politique publique, c’est-à-dire d’introduction de dispositifs nouveaux dans un ensemble de mesures de politique énergétique éprouvé et consolidé. En ce qui est du deuxième aspect, nous verrons que les particularités qu’accuse la politique des énergies renouvelables en Ukraine reflètent certains traits constitutifs des processus de prise de décision  dans tous les secteurs de politique publique du pays. Afin de satisfaire à ce double objectif, nous nous proposons d’étudier la PER en Ukraine du point de vue des interactions d’acteurs qui la façonnent.




2. Cadre théorique de l’analyse

Notre étude s’articule autour de trois axes de recherche. Le premier concerne les relations entre acteurs individuels et institutions en Ukraine dans le domaine de la PER.  Les institutions  peuvent être définies en tant que « contraintes socialement construites»  formelles et informelles qui restreignent les options de comportement des acteurs. Dans notre étude, nous confinons cette notion pourtant uniquement à sa dimension formelle, en définissant institution comme structure formelle des interactions. Comme l’a souligné Douglass North, il est par ailleurs important de clarifier le rapport entre institution et organisation.  En parlant d’’organisation comme d’une structure, nous utiliserons le terme d’institution. Lorsque nous  envisageons une organisation en tant qu’acteur, nous recourrons à la notion d’acteur institutionnel. Les organisations ne sont pourtant pas les seuls acteurs institutionnels à notre sens. Nous englobons par le terme d’acteur institutionnel également des acteurs individuels qui agissent au nom d’une organisation (comme un Ministère) ou d’un ensemble de fonctions (comme le Président). Les institutions peuvent être considérées comme des facteurs qui facilitent les anticipations d’un acteur portant sur les conséquences de son comportement potentiel ; elles agissent ainsi comme réducteurs d’incertitude.   De ce point de vue, un changement des institutions, qui peut être le résultat d’une politique publique, impliquerait un rebond d’incertitude pour les acteurs et représente de ce fait peu d’intérêt pour eux. Dès lors, les institutions sont souvent perçues comme un facteur d’inertie de la politique publique, un phénomène connu sous le terme de « path dependence » ou dépendance au sentier.
La notion de « path dependence » est récurrente dans les analyses des trajectoires des pays post-communistes en matière de leur constitution en tant qu’États indépendants. Il est souvent mis en avant que les institutions du passé soviétique continuent de peser sur les choix des acteurs politiques après la chute de l’URSS et limitent les possibilités d’instauration de nouvelles institutions et la conduite de politiques publiques obéissant à des logiques différentes que celles formées dans le cadre institutionnel de l’URSS. Or cette approche a aussi été soumise à des relativisations visant non pas à la contester mais à la complexifier, par exemple dans les travaux de Verena Fritz  ou de Juliet Johnson.  Ces auteurs partent du constat que la chute de l’URSS a contribué à une délégitimation forte des institutions soviétiques et a créé un contexte dans lequel le recours à des logiques d’action forgées dans ces institutions mêmes n’était plus un facteur de réduction d’incertitude.  Partant, les acteurs apparaissent plus libres dans leurs choix que ne le suggère la théorie de la dépendance au sentier. En effet, il semble que les trajectoires d’évolution des systèmes politiques des pays post-soviétiques peuvent être mieux saisies si l’on adopte une grille de lecture plus dynamique que celle en termes de « path dependence ». Ainsi Fritz insiste-t-elle sur la nécessité d’analyser ces trajectoires dans la perspective d’une « mutual constitution of actors and institutions ».  Il s’agit de voir comment se construisent les acteurs institutionnels, de juxtaposer les règles formelles selon lesquelles ils sont censés agir et les principes que suit leur action en réalité. Cette perspective se rapproche de celle de Richard Balme qui considère que l’analyse des politiques publiques dans le contexte post-soviétique devrait s’articuler autour des effets de la politique publique sur la « sociogenèse de l’État »  et la formation des relations entre les acteurs en son sein,  dont participe la création des institutions.
Songer en termes de sociogenèse de l’État soulève aussi la question de savoir dans quelle mesure nous pouvons effectivement parler de politique publique dans le cas de la politique des énergies renouvelables en Ukraine. Cette notion repose sur la vision selon laquelle l’État serait le décideur unique de la politique publique et contrôlerait aussi sa mise en œuvre. Puisqu’il agirait seul, les programmes qu’il dresse sont supposés former un ensemble cohérent, orienté vers la résolution d’un problème public. Une telle approche stato-centrée est toutefois de plus en plus remise en cause dans les analyses occidentales des politiques publiques  et paraît encore moins pertinente pour le contexte ukrainien dans lequel l’État se trouve en gestation. La notion d’ « action publique » semble sous ce jour plus adaptée à l’analyse de la politique des énergies renouvelables en Ukraine. Elle permet en effet de tenir compte des contributions d’acteurs à la fois étatiques et non-étatiques à une politique, acteurs dont les objectifs sont variés et irréductibles à la volonté de résoudre un problème public. Ainsi pourrons-nous par exemple expliquer une possible incohérence des programmes de politique  des énergies renouvelables en Ukraine. Nous utiliserons donc  essentiellement le terme d’ « action publique » pour désigner les interactions d’acteurs, tout en recourant parfois à la notion de politique publique en parlant des résultats de ces interactions, donc le contenu des programmes publics.
Notre deuxième axe de recherche repose sur l’analyse des rapports de force entre différents acteurs désireux de s’impliquer dans l’action publique dans le domaine des énergies renouvelables. L’approche développée par Patrick Hassenteufel qui propose d’étudier les comportements d’acteurs en fonction de leurs ressources, intérêts et représentations  nous paraît pertinente à cet égard. La dimension des intérêts nous renvoie aux théories du choix rationnel selon lesquelles un acteur adopte un comportement en fonction du bilan coûts-bénéfices des différentes options d’action.  L’analyse en termes des représentions suggère quant à elle que les motifs d’action ne correspondent pas forcément à une logique purement instrumentale car ils répondent aussi à des valeurs et à la vision du monde de l’acteur. En ce qui est des ressources, celles-ci peuvent être matérielles et immatérielles (reposant par exemple sur la perception de l’autorité d’un acteur par un autre) et déterminent dans quelle mesure les acteurs ont accès aux processus décisionnels pour faire valoir leurs intérêts et représentations. Une des questions à laquelle nous voulons répondre dans notre étude consiste ainsi à savoir quels acteurs disposent le plus de ressources pour contribuer à la formulation d’une politique des énergies renouvelables en Ukraine et quels traits ils lui empreignent en conséquence de leurs intérêts et représentations. Ceci nous oblige à tenir compte des spécificités du système politique ukrainien, en repérant quelles ressources sont valorisées dans son contexte de sorte à ouvrir l’accès aux processus décisionnels. Il est également nécessaire de tenir compte de l’interdépendance de ces trois variables ; par exemple, les représentations d’un acteur peuvent lui conférer certaines ressources pour s’impliquer dans l’action publique ou au contraire l’en priver
Notre troisième axe de recherche concerne enfin l’évolution temporelle de l’action publique en matière d’énergies renouvelables. Pour la saisir, nous nous proposons d’invoquer le modèle développé par John Kingdon dans son ouvrage Agendas, Alternatives and Public Policies. Dans celui-ci, l’auteur conçoit l’action publique comme le résultat de la confluence entre trois courants indépendants : le courant des problèmes (problem stream), le courant des solutions à ces problèmes (policy stream) et le courant politique, lié aux rapports de force entre acteurs politiques, suivant par exemple le calendrier électoral (political stream).  La décision politique correspond à la jonction de ces trois courants. Une idée fondamentale de cette représentation est que les solutions à un problème ne sont pas conçues suite à son émergence, mais existent indépendamment de celui-ci. La mise sur agenda d’un problème, c’est-à-dire sa prise en charge par des acteurs politiques, correspond ainsi à une sorte de greffe d’une solution préexistante à un problème. Kingdon souligne qu’elle ne correspond pas nécessairement aux critères de l’efficacité, mais est surtout le fruit de la mobilisation de différents acteurs qui se trouvent en compétition pour que leurs solutions respectives l’emportent.
La greffe entre problème et solution intervient lorsque s’ouvre ce que Kingdon appelle une fenêtre d’opportunité (policy window). Elle peut être ouverte par deux dynamiques distinctes. Premièrement, par des événements exceptionnels, dans la mesure où ils attirent l’attention sur l’existence de certains faits susceptibles d’être interprétés comme problèmes. De tels événements ouvrent une fenêtre d’opportunité que Kingdon désigne comme problem window.  Deuxièmement, la fenêtre d’opportunité peut être ouverte par des dynamiques propres aux processus politiques comme des élections, des changements au niveau des acteurs dominants d’une politique publique. Kingdon parle dans ce contexte d’une political window. La concomitance des deux est particulièrement puissante pour la mise sur agenda d’un problème.  Sur le fond de cette approche, nous essayerons de voir quels événements et la mobilisation de quels acteurs sont déterminants pour la mise en place de la politique des énergies renouvelables en Ukraine.

3. Les sources

Puisque la politique ukrainienne des énergies renouvelables n’a pas encore été abordée dans le cadre de travaux de recherche, les principales sources de notre étude sont des sources primaires. Pour connaître les dispositifs de la PER en Ukraine nous avons consulté les textes législatifs et les programmes officiels en ukrainien, disponibles sur le site Internet du Parlement ukrainien (Verkhovna Rada) de même que sur les sites des organes exécutifs pertinents. Ceci nous a également permis d’accéder à la documentation des processus d’élaboration des lois, comprenant des textes de différents projets législatifs et des tableaux au travers desquels on peut suivre les modifications qu’un projet subit d’une lecture parlementaire à l’autre le cas échéant. Ceci nous a également permis d’identifier les députés initiateurs de plusieurs lois centrales de la PER ukrainienne et partant, quelques acteurs centraux de la promotion des énergies renouvelables. Les sténogrammes des débats et des audiences parlementaires ont également aidé à dresser une image des différentes représentations des acteurs portant sur les questions énergétiques. 
Au sujet des sources primaires, il faut aussi mentionner le travail de terrain en Ukraine, qui était indispensable pour comprendre la place qu’occupe la politique des énergies renouvelables dans la politique énergétique dans son ensemble. Nous avons notamment pu nous familiariser avec l’état de la mise en œuvre de la PER et la perception des problèmes afférents par les acteurs étatiques et non-étatiques. Il nous a paru remarquable que l’accès aux institutions étatiques ait été plutôt facile, surtout vu que notre travail en Ukraine s’inscrivait dans une période post-électorale, liée à des remaniements du personnel administratif. Ainsi avons-nous pu effectuer des entretiens avec des représentants de l’Agence nationale de l’Ukraine en charge des questions de l’utilisation efficiente des ressources énergétiques (NAER), du Ministère des Combustibles et de l’Énergie [Ministère de l’Énergie], du Ministère de l’Environnement et du Comité parlementaire en charge de la politique énergétique. La seule organisation étatique qui ait refusé un entretien malgré plusieurs sollicitations est l’Agence nationale de l’Ukraine des investissements écologiques (NAEI), en charge de la mise en œuvre du protocole de Kyoto. Si l’accès à ces organismes a été plus aisé qu’escompté en amont, le contraire était le cas concernant les acteurs du secteur privé. Nous n’avons en effet pas pu joindre tous les associations et cabinets de conseil travaillant dans le domaine des énergies renouvelables, que nous avions envisagés comme interlocuteurs potentiels. Les personnes que nous avons sollicitées par téléphone nous ont à chaque fois refusé un entretien en renvoyant à la charge de travail importante à laquelle elles étaient exposées et au manque de temps. Toujours est-il que nous avons pu rencontrer quelques personnes de ce secteur. En revanche, nous n’avons pas obtenu d’entretien avec un représentant de la délégation de la Commission européenne en Ukraine, de sorte que nous ne pouvons qu’effleurer la question de l’influence de l’UE sur la politique des énergies renouvelables ukrainienne dans notre étude.
En ce qui concerne les sources secondaires, du côté de la littérature sur les énergies renouvelables, mis à part les études précitées, nous avons notamment consulté des monographies et des articles traitant la politique des énergies renouvelables des pays occidentaux à travers une approche comparative. La revue Energy Policy nous a fourni la plupart des références pertinentes. Ainsi avons-nous pu identifier les facteurs qui ont été décisifs pour la mise en place des politiques des énergies renouvelables dans les pays occidentaux et que nous avons par la suite essayé de repérer dans le contexte ukrainien. Les travaux de Danyel Reiche, Volkmar Lauber et Lutz Mez, Frédéric Varone et Bernard Aebischer nous ont particulièrement été utiles. La maîtrise de l’allemand nous a aidés à accéder à plusieurs de ces textes. En ce qui concerne la politique publique en Ukraine, hors des ouvrages susmentionnés, nous avons recouru aux travaux focalisés sur le système politique et l’économie politique de l’Ukraine, comme ceux de Paul D’Anieri, Rosaria Puglisi, Oleh Havrylyshyn, qui soulignent notamment l’importance des pratiques informelles et l’influence des acteurs économiques sur les processus décisionnels dans ce pays. Afin de pouvoir déceler leurs spécificités, nous avons également consulté des ouvrages sur la politique publique occidentale, concernant notamment les approches en termes de réseaux et de coalitions d’acteurs. Enfin, les articles de presse ukrainiens nous ont été indispensables, surtout en aidant à discerner des réseaux d’acteurs déterminant la politique publique ukrainienne. Nous avons essayé de nous appuyer sur des articles de journaux reconnus pour la qualité de leurs investigations, comme Zerkalo Nedeli [Le Miroir de la Semaine] et Ukrainska Pravda [La Vérité Ukrainienne]. Un numéro spécial de la revue économique Investgazeta consacré aux énergies renouvelables nous a également fourni des informations importantes. Parfois la consultation de sources moins connues, y compris uniquement électroniques, s’est avérée inévitable, auquel cas nous avons essayé de vérifier l’information y trouvée en cherchant d’autres sources prenant position aux faits en question.

Dans un premier chapitre, nous dresserons tout d’abord un état des lieux de la politique des énergies renouvelables en Ukraine. Nous verrons ainsi quels événements ont ouvert une problem window pour cette politique et quels dispositifs principaux ont été mis en place à ce jour. Il sera également analysé quelles représentations sont adossées à cette politique en abordant la question de la perception de sa valeur ajoutée par les Ukrainiens. Ceci nous amènera notamment à réfléchir sur le rapport entre la politique des énergies renouvelables et la politique climatique en Ukraine, souvent pensées comme naturellement associées en Europe occidentale.
Dans un deuxième chapitre, nous éluciderons les différents acteurs institutionnels qui interviennent dans le domaine des énergies renouvelables et les dynamiques de leurs interactions. Nous verrons en particulier comment les acteurs individuels agissant au nom des institutions étatiques influent sur leur fonctionnement et comment, par conséquent, ils infléchissent la politique des énergies renouvelables.
Dans un troisième chapitre, nous nous focaliserons sur la façon dont les acteurs non-étatiques empreignent les institutions et comment par ce biais ils déterminent la PER. La question des réseaux entre acteurs économiques et institutionnels sera particulièrement significative à cet égard. Elle nous conduira aussi à déceler quels acteurs non-étatiques ont effectivement accès aux processus décisionnels ukrainiens, marqués par des degrés d’ouverture très différents en fonction des acteurs cherchant à y participer. Nous envisageons surtout à juxtaposer l’influence des acteurs représentant des intérêts économiques aux acteurs du domaine écologique. Dans la littérature sur la politique énergétique, les intérêts économiques sont souvent associés à un frein à la promotion des énergies renouvelables et opposés aux acteurs écologistes perçus comme porteurs d’influence positive. Mais dans le contexte ukrainien, les acteurs représentant des intérêts économiques paraissent à l’heure actuelle comme une force motrice du développement des énergies renouvelables plus puissante que les acteurs écologistes, notamment les ONG environnementales.




























CHAPITRE 1 - La politique des énergies renouvelables en Ukraine : une des réponses à la dépendance énergétique à l’égard de la Russie

La mise sur agenda des énergies renouvelables s’inscrit en Ukraine dans le contexte des débats autour du problème de la « dépendance énergétique », c’est-à-dire de la dépendance vis-à-vis de l’importation des ressources énergétiques et partant, des choix faits par des acteurs externes en matière de politique énergétique.  Ce sont des difficultés d’approvisionnement en ressources énergétiques traditionnelles qui ont fait prendre conscience de ce problème. A cet égard, l’exploitation des énergies renouvelables représente une solution possible, dont la temporalité de la mise sur agenda dépend en effet significativement de l’ouverture des fenêtres d’opportunité dans le sens de la problem window (I). Toutefois, ce n’est pas la seule réponse au problème de la dépendance énergétique ; d’autres ressources énergétiques domestiques peuvent également être mobilisées pour le pallier. Diverses solutions circulent donc dans le policy stream. Dès lors, se pose la question de la place qu’occupent les énergies renouvelables dans la politique énergétique ukrainienne. Pour y apporter une première réponse, il conviendra de voir si les acteurs politiques attribuent de la valeur ajoutée aux énergies renouvelables par rapport aux énergies traditionnelles en les considérant comme prioritaires pour la politique énergétique. Ou sont-elles pensées uniquement comme une des multiples réponses possibles ? Ceci risquerait alors de les reléguer au second rang des solutions en raison des coûts que leur exploitation implique. (II)


I La dépendance énergétique comme fenêtre d’opportunité à la politique des énergies renouvelables

À l’époque de l’URSS, la Russie livrait à l’Ukraine des sources d’énergie traditionnelles, notamment du gaz, à des prix fortement subventionnés, qui se situaient largement en deçà du niveau mondial. Après l’effondrement de l’URSS, la Russie a d’abord poursuivi cette pratique, mais n’a pas tardé à pousser l’Ukraine de façon récurrente à des ajustements des tarifs avec ceux en vigueur sur le marché mondial. Les crises qui s’en sont suivies jusqu’à présent résultaient de la réticence des acheteurs ukrainiens à acquitter les nouveaux montants dus pour les importations, d’où une accumulation des dettes et, comme étape ultime, des réductions voire interruptions temporaires des livraisons de la part de la Russie. Cette situation est d’autant plus complexe que la Russie est d’un autre point de vue elle-même dépendante de l’Ukraine, cette dernière représentant un pays de transit du gaz à destination de l’Europe et disposant donc également d’un levier de pression à l’égard de son voisin. Par conséquent, les crises entre la Russie et l’Ukraine ont toujours débouché sur des états de conflit latent pendant les négociations autour des nouveaux contrats d’approvisionnement en gaz.  Etant fortement dépendante des importations d’énergie, l’économie ukrainienne est particulièrement vulnérable à de telles crises et rend le problème énergétique un des centraux du pays (1). Les conflits gaziers avec la Russie ouvrent ainsi des fenêtres d’opportunité dans le sens de la problem window en représentant un facteur géopolitique déterminant dans la mise en place de la politique énergétique ukrainienne (2).

1. Présentation des énergies renouvelables et du bilan énergétique de l’Ukraine

Les énergies renouvelables peuvent être définies comme des sources d’énergie primaire « se renouvelant assez rapidement pour être considérée[s] comme inépuisable[s] à l'échelle de temps humain ».  Leur exploitation repose sur la transformation de cette énergie en énergie thermique ou électrique. Les énergies renouvelables ne représentent pourtant pas un ensemble de sources énergétiques clairement délimité ; selon les pays, différentes définitions sont en vigueur et nous verrons que l’Ukraine adopte elle-même également une acception particulière du terme. Ceci ne renvoie pas uniquement au fait que du point de vue scientifique il existe des dissensions à ce sujet, mais aussi à ce que cette définition même est sujette à des processus de négociation politique. On observe  toutefois un consensus sur la définition d’un certain nombre de sources énergétiques comme renouvelables ; il s’agit ici des énergies solaire et éolienne.  L’énergie solaire peut être exploitée de façons différentes, la plus répandue étant celle de la transformation immédiate du rayonnement solaire en énergie électrique (photovoltaïque).  L’énergie éolienne repose quant à elle sur la transformation de l’énergie cinétique des courants d’air en électricité. La biomasse, regroupant des sources énergétiques d’origine organique ne représente en revanche pas un dénominateur commun des définitions des énergies renouvelables, son caractère écologique étant parfois contesté. Elle peut être utilisée de manières très diverses, à travers la combustion immédiate de matériaux comme le bois et le foin, ou après transformation, par exemple en biocarburants.  Des dissensions existent également par rapport à l’inclusion de l’énergie hydraulique, c’est-à-dire de l’énergie produite à partir du mouvement des courants d’eau, dans la catégorie des énergies renouvelables. Ceci trahit le fait que la définition politique des énergies renouvelables ne s’opère pas uniquement en fonction de l’inépuisabilité d’une ressource, mais aussi en fonction de l’état de développement des technologies permettant son exploitation. Moins les technologies sont productives et le potentiel de leur développement estimé comme élevé, plus le soutien étatique à leur égard se justifie et plus l’inclusion de la source en question dans la définition servant de base à la PER peut être présentée comme légitime. Or l’exploitation de l’énergie hydraulique relève justement des technologies les plus éprouvées en comparaison aux énergies mentionnées précédemment, d’où aussi la réticence à la faire bénéficier de mécanismes de soutien. En même temps, une distinction peut être faite entre la grande hydraulique et la petite hydraulique selon les capacités des installations. La petite hydraulique est parfois comprise dans la définition des énergies renouvelables car elle est moins développée. 
La définition des énergies renouvelables en Ukraine a subi maintes modifications. La version en vigueur actuellement recouvre toutes les sources précitées et y ajoute les énergies géothermique et marémotrice.  La part des énergies renouvelables dans le bilan énergétique de l’Ukraine est à ce jour mineure. Selon les données de l’Agence Internationale de l’Énergie (AIE), en 2007, elles étaient à l’origine de 1,2% de son énergie primaire.  En comparaison, la même année, la part des énergies renouvelables s’élevait à 7,1% en France,   à 8% en Allemagne,  et à 18,1% au Danemark.
L’hydraulique est la source d’énergie renouvelable la plus utilisée en Ukraine à ce jour, dont l’exploitation remonte à l’URSS. Au niveau de la petite hydraulique, en 1960 on comptait environ 1000 centrales en Ukraine.  La mise en place renforcée de centrales thermiques et nucléaires dans les années 1970 a pourtant relégué l’hydraulique au second rang, de sorte qu’aujourd’hui il n’en reste qu’environ 70 centrales.  Toujours est-il que les 1,2% que représentent les énergies renouvelables dans le bilan énergétique de l’Ukraine se décomposent en 0,6% pour l’hydraulique et 0,6% pour les autres sources.
Ainsi les énergies fossiles sont-elles la principale ressource énergétique en Ukraine. La source traditionnellement la plus exploitée dans ce pays constitue le charbon. Entre les années 1960 et les années 1980, l’extraction du charbon avait atteint son paroxysme mais a connu un déclin graduel ensuite, accéléré par la chute de l’URSS. Toutefois, le charbon représente aujourd’hui encore 29,4% de l’énergie primaire en étant la source domestique la plus utilisée.  En parallèle à l’évolution du secteur du charbon, l’énergie nucléaire connut une expansion importante, de sorte que le potentiel de production de l’énergie nucléaire était le plus élevé en Ukraine par rapport à d’autres républiques soviétiques.  Elle est aujourd’hui à l’origine de 17,5% de son énergie primaire.  La source d’énergie traditionnelle la plus utilisée est cependant le gaz, couvrant 40% de l’énergie primaire en 2007, dont 75-80% sont importés en provenance de la Russie et, à un moindre degré, du Turkménistan.  L’approvisionnement de l’Ukraine en énergie est ainsi fortement dépendant des importations russes, ce qui fait que le développement de son économie est dans une large mesure tributaire des décisions politiques faites en Russie, notamment celles relatives au prix du gaz livré. L’économie ukrainienne est d’autant plus vulnérable à des possibles perturbations des livraisons du gaz que son intensité énergétique, c’est-à-dire la consommation d’énergie pour la production d’une unité du produit intérieur brut (PIB), est très élevée. Elle est en effet trois fois plus importante que la moyenne des pays européens. Par exemple, elle équivalait en 2007 à 0,41, contrairement à 0,15% en France.  Ceci augmente la dépendance énergétique de l’Ukraine et en fait un problème public primordial auquel la promotion des énergies renouvelables peut constituer une réponse.

2. L’évolution temporelle de la politique des énergies renouvelables en Ukraine

L’adoption des lois et des programmes nationaux visant à promouvoir les énergies renouvelables est ainsi corrélée aux moments de crise dans l’approvisionnement de l’Ukraine en ressources énergétiques traditionnelles. Ils créent en effet des fenêtres d’opportunité pour la mise en place de deux types de politique énergétique : la politique des économies d’énergie et celle de la diversification des sources énergétiques. La politique des énergies renouvelables s’inscrit nettement dans une démarche de diversification et est souvent mise en place par l’intermédiaire de documents traitant également des économies d’énergie. Cela corrobore l’idée que son instauration résulte de la volonté de réduire la dépendance énergétique du pays.
À cet égard, un parallèle s’impose avec les pays de l’UE par rapport aux temporalités de la mise sur agenda des énergies renouvelables. Dans les deux cas, ce sont des facteurs géopolitiques qui ont poussé les autorités publiques à accorder de l’attention aux énergies renouvelables. Ainsi, les pays européens ont-ils mis en place leurs premières PER suite aux chocs pétroliers des années 1970 . Consistant en des hausses sensibles du prix du baril de pétrole, ces chocs avaient, de la même manière que les conflits gaziers dans le cas ukrainien, mis en évidence les dangers pour le développement des économies fortement dépendantes des importations en ressources énergétiques.
En Ukraine, les premières mesures en faveur des énergies renouvelables furent initiées dans le contexte de la crise que connut le pays entre 1993 et 1995. Durant cette période, la Russie a commencé à augmenter les prix du gaz à l’exportation, d’où le début de l’accumulation de la dette ukrainienne à son encontre. Ceci a notamment mené à des interruptions dans les livraisons en hiver 1993/1994  et à une situation de crise latente dans les années suivantes.  C’est aussi en 1994 que fut adopté le premier acte normatif visant à promouvoir les énergies renouvelables, en l’occurrence l’énergie éolienne. Le Cabinet des ministres a en effet décidé d’introduire une prime sur les tarifs de l’électricité, calculée à partir de 0,5% de la valeur de l’électricité produite, afin d’alimenter un compte budgétaire séparé, destiné à financer la construction des éoliennes.  En 1996-1997, le gouvernement a également élaboré un Programme complexe pour la construction des éoliennes, dans le cadre duquel la prime tarifaire a été augmentée à 0,75% et la capacité de production à atteindre fut établie à 1990 MW pour l’an 2010.  
Par ailleurs, en juillet 1994, à l’initiative du Cabinet des ministres,  le Parlement ukrainien a adopté la première loi ukrainienne portant sur les économies d’énergie et les énergies renouvelables : Sur les économies d’énergie. Elle traite des énergies renouvelables dans le contexte de la promotion par l’État de la recherche et du développement ainsi que de la mise en place d’un soutien financier étatique aux investissements en faveur des économies d’énergie.  Ainsi fut envisagée la création d’un Fonds national des économies d’énergie, d’où devrait provenir le financement budgétaire des projets en la matière et de la promotion de l’utilisation des énergies renouvelables. 
C’est également sous l’emprise de la crise énergétique de 1993-1995 qu’a été élaboré le premier document ukrainien visant à établir des lignes directrices pour le développement de long terme du secteur énergétique, le Programme énergétique national pour la période jusqu’à l’an 2010, voté par le Parlement en 1996. En référence à la nécessité de contribuer à l’indépendance énergétique de l’Ukraine, a été établi l’objectif selon lequel les sources d’énergie renouvelables devraient couvrir 8-10% de la production d’électricité en 2010. 
Le lancement, en 2000, de l’élaboration de la première loi consacrée en premier lieu à la filière des énergies renouvelables dans son ensemble, la loi Sur les sources d’énergie alternatives, a coïncidé avec une autre étape du conflit entre la Russie et l’Ukraine, résultant de l’ouverture du gazoduc Iamal-Europe en automne 1999. Celui-ci fut construit en vue d’acheminer le gaz à destination de l’Europe à travers la Pologne et la Biélorussie, en contournant l’Ukraine.  En compromettant le rôle de pays de transit de gaz de l’Ukraine et en mettant ainsi en péril son levier d’influence sur la Russie, cette dernière a pu augmenter sa pression sur les paiements des dettes ukrainiennes.  En outre, en hiver 1999, l’Ukraine a dû faire face à une interruption des livraisons du pétrole en provenance de la Russie.  Il est donc fort probable que ces événements ont effectivement servi de contexte à l’élaboration de la loi Sur les sources d’énergie alternatives. Lancée par le Premier ministre (PM) de l’époque, Viktor Iouchtchenko,  elle s’inscrit pas ailleurs dans le cadre du programme de réformes du secteur énergétique,  mis en place entre 2000 et 2001.  Adoptée en 2003, cette loi stipule qu’un système de normes de qualité ainsi qu’un système d’attribution d’autorisations en matière de production de l’énergie issue des ressources renouvelables doivent être introduits.  La nécessité de mettre en place des mécanismes financiers suggérés par la loi Sur les sources d’énergie alternatives est réaffirmée, le financement de la production d’énergie à partir des sources renouvelables devant en partie être assuré au travers d’une prime ajoutée aux tarifs de l’énergie électrique et thermique. 
Les mécanismes financiers de stimulation de l’exploitation des énergies renouvelables n’ont toutefois été précisés que suite à la crise du gaz que connut l’Ukraine pendant l’hiver de 2005-2006. La disposition des autorités ukrainiennes à mettre en place des instruments plus concrets en faveur des énergies renouvelables à partir de ce moment-là peut s’expliquer par des facteurs liés aux changements politiques découlant de la Révolution orange du décembre 2004. Nous faisons donc face à l’ouverture d’une political window, concomitante à l’ouverture d’une problem window. L’arrivée de Viktor Iouchtchenko à la présidence de l’Ukraine suite à la Révolution orange a en effet induit une nouvelle orientation de la politique étrangère ukrainienne. Elle est devenue plus pro-occidentale car relayant la politique plus équilibrée entre la Russie et l’Occident, dite « multivectorielle »,  du prédécesseur de Iouchtchenko, Léonid Koutchma. Cela raffermit la perception de la dépendance énergétique comme problème public. Ceci est d’autant plus le cas que les crises du gaz intervenant depuis la Révolution orange étaient vues moins comme le résultat de considérations économiques, mais avant tout comme une stratégie politique de la Russie dirigée contre la politique de Iouchtchenko. Le caractère pro-occidental de cette dernière favorisait en outre le transfert des dispositifs de la PER des pays européens en Ukraine. En effet, nous verrons que les instruments financiers introduits en Ukraine à cette époque s’inspiraient dans les faits nettement des schèmes européens.
Toutefois, le rôle du nouveau président dans la politique des énergies renouvelables ne doit pas être surestimé. Si sa politique étrangère a ouvert une fenêtre d’opportunité à la politique des énergies renouvelables, ce n’étaient ni lui ni ses gouvernements qui ont initié les principales lois en la matière adoptées durant cette période. Certes, c’est sur l’initiative du président qu’a été élaborée la Stratégie énergétique de l’Ukraine pour la période jusqu’à l’an 2030 de 2006, établissant l’objectif selon lequel les énergies renouvelables doivent couvrir 19% de l’utilisation de l’énergie primaire en 2030.  Mais depuis l’arrivée de Iouchtchenko, les dispositifs concrets de stimulation de l’exploitation des énergies renouvelables ont été lancés par les députés du Parlement. À côté de la nouvelle orientation de la politique étrangère, ceci constitue un autre facteur de divergence par rapport à l’époque de Koutchma, pendant laquelle tous les projets normatifs en matière d’énergies renouvelables ont été introduits par des membres de l’exécutif. Ces évolutions s’expliquent avant tout par des changements au niveau du système politique et des intérêts de différents acteurs, sur lesquels nous reviendrons plus en détail dans les chapitres suivants.
Ainsi, en février 2006, le Parlement a déposé le projet de loi Sur les amendements de quelques actes législatifs de l’Ukraine relatifs à la stimulation des économies d’énergie. Promulguée en 2007, cette loi exempte les importations des équipements et des matériaux nécessaires pour l’exploitation des sources d’énergie alternatives du paiement de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) pour trois ans à partir du 1er janvier 2008.  Pendant la même période, ces importations sont également exemptées des paiements des droits de douane.  En ce qui concerne les équipements de production ukrainienne, le revenu des entreprises obtenu suite à leur vente n’est pas imposé. 
Ces mécanismes économiques correspondent largement à ceux qui sont en vigueur dans de nombreux pays européens, de sorte qu’on peut observer une dynamique de convergence, c’est-à-dire un processus de rapprochement entre les instruments mobilisés par la politique des énergies renouvelables en Ukraine et dans ces pays. Ils sont reconnus comme essentiels à la promotion des énergies renouvelables afin d’aider les producteurs à surmonter les coûts importants que requièrent les investissements dans de nouvelles technologies. En ce qui concerne les exemptions fiscales accordées aux importations, elles sont considérées comme un moteur de diffusion internationale des technologies, qui, par la suite, sont susceptibles de servir de base à de nouvelles innovations.
En août 2006, le Parlement ukrainien s’est mis à la promotion de la production d’électricité à partir des sources renouvelables, en concrétisant l’idée d’un tarif préférentiel suggéré dans la loi Sur les sources d’énergie alternatives. Ainsi a été formulé le projet d’un « tarif vert », selon lequel le prix de l’électricité produite à partir des sources renouvelables devait être calculé en multipliant le tarif accordé à l’énergie traditionnelle par un coefficient de 1,8. Le marché de gros de l’électricité de l’Ukraine, qui rachète l’électricité des entreprises génératrices, serait obligé de payer ce prix aux producteurs d’électricité à partir des sources renouvelables.  Cette idée a été retravaillée par la suite, de sorte à aboutir à sa version finale au printemps 2009. La loi qui est aujourd’hui en vigueur vise une différenciation des tarifs selon les sources d’énergie renouvelables, de même qu’eu égard aux capacités des installations produisant l’électricité.  Une fois que le tarif est accordé à une entreprise, il lui est garanti pendant 20 ans. Il est également stipulé que tous les cinq ans après l’entrée en vigueur de le loi, les tarifs sont graduellement réduits pour les entreprises qui le sollicitent pour la première fois.  Cette législation s’inspire explicitement des systèmes de rachat obligatoire (« feed-in-tariff ») introduits dans plusieurs autres pays comme l’Allemagne,  la rémunération plus élevée de la production d’électricité à partir des sources renouvelables devant stimuler des investissements dans cette filière. La différenciation des tarifs est perçue comme cruciale car elle permet de tenir compte des niveaux différents de développement des technologies en fonction des sources énergétiques. Cela signifie qu’elle part aussi des besoins d’investissement différents selon les sources d’énergie en vue de l’augmentation de l’efficacité de leur exploitation. La digression temporelle des tarifs existe également dans d’autres pays et est considérée comme un moyen d’encourager des améliorations continues de la productivité des technologies. Enfin, la garantie d’un tarif une fois qu’il est accordé à une entreprise est, quant à elle, censée conférer une certitude aux producteurs quant aux rendements de leurs investissements.
Toujours en 2009, une autre loi centrale a été adoptée, s’adressant en particulier aux biocarburants : Sur les modifications de quelques lois de l’Ukraine relatives à la promotion de la production et de l’utilisation des biocarburants. Elle prévoit, entre autres, qu’à partir du 1er janvier 2010 jusqu’au 1er  janvier 2019 l’importation des équipements nécessaires pour la production des biocarburants est exemptée du paiement de la douane de même que de la TVA. 
Le fait que ce soit en 2009 que furent promulguées cette loi de même que celle portant sur les tarifs verts paraît de nouveau corréler avec l’aggravation des relations entre la Russie et l’Ukraine à propos des flux de gaz. Ce conflit avait notamment mené à une coupure des approvisionnements de l’UE. L’accord ayant permis la reprise des livraisons a impliqué une hausse considérable des prix du gaz pour l’Ukraine et est donc susceptible d’avoir agi comme nouvelle fenêtre d’opportunité à la politique des énergies renouvelables.
On constate toutefois que tous ces dispositifs sont plutôt déconnectés les uns des autres et ne sont pas intégrés dans une stratégie de développement de long terme de la filière des énergies renouvelables. Ceci se voit par exemple à travers le fait que la législation sur les biocarburants de 2009 reprend essentiellement les dispositions de celle sur les économies d’énergie de 2007 sans pour autant clarifier leurs domaines d’application respectifs. Il paraît aussi qu’à l’issue de  chaque conflit avec la Russie, les énergies renouvelables sont mises à l’écart de l’agenda et n’y réapparaissent que lors de nouvelles difficultés d’approvisionnement. Se pose dès lors la question de la place de la PER par rapport à d’autres politiques de diversification concevables comme solutions au problème de la dépendance énergétique. Les représentations relatives aux énergies renouvelables, qu’ont les acteurs politiques centraux nous indiquent quelques premiers éléments de réponse.

II La faible valeur ajoutée des énergies renouvelables dans les représentations des acteurs politiques

À la question du facteur le plus puissant dans la mise sur agenda des énergies renouvelables, Oleksandr Matviitchouk, notre interlocuteur du Comité parlementaire en charge du secteur énergétique nous a répondu : « Évidemment le prix du gaz. Dès lors que [le Président russe Vladimir] Poutine a serré la vis du gaz, on s’est mis à réfléchir sur les énergies renouvelables. On est des Slaves, que voulez-vous ! On ne pense pas dans le long terme. »   Certes, cette remarque ne nous amène pas à chercher une explication culturaliste des représentations que les Ukrainiens peuvent avoir des énergies renouvelables, mais renvoie au facteur cognitif déterminant pour la place que la PER occupe dans la politique énergétique d’un pays. En raison des coûts élevés que la promotion des énergies renouvelables impose dans le court terme, la mise en place de la PER est tributaire d’une justification sur la base de ses implications dans le long terme. Une telle justification est difficilement concevable sur la base d’arguments économiques uniquement. Elle doit plutôt reposer sur des considérations écologiques (1) ou idéologiques (2).

1. L’absence de l’argument climatique dans la justification de la politique des énergies renouvelables

Dans les pays ouest-européens, c’est la préoccupation du changement climatique, émergeant graduellement à partir de la fin des années 1970, qui a doté les énergies renouvelables d’une légitimité particulière.  Avant cette évolution, leurs stratégies de diversification énergétique concernaient les sources traditionnelles en premier lieu, les énergies renouvelables représentant une filière secondaire.  Or puisque l’exploitation des énergies renouvelables ne produit pas d’émissions des gaz à effet de serre (GES), elle a de plus en plus été perçue comme une stratégie visant non seulement à réduire la dépendance énergétique mais aussi à contrecarrer le réchauffement climatique. Ses coûts élevés devinrent dès lors plus justifiables et supportables. Grâce à cet argumentaire, la PER n’est plus uniquement une partie de la politique énergétique mais est placée au cœur de la politique écologique qui relativise les raisonnements strictement économiques en termes de coûts-bénéfices propres à la politique énergétique. En tant que partie de la politique écologique, elle appelle à la prise en compte des externalités de l’activité économique, c’est-à-dire des coûts imposés à la société par une activité privée. Ceci ne signifie pas que dans les pays européens, la politique des énergies renouvelables soit entièrement dissociée des raisonnements économiques. Mais à travers la prise en compte de l’argumentation écologique, son évolution peut suivre une logique différente de celle de la politique énergétique dans son ensemble. La PER acquiert donc une certaine autonomie par rapport à cette dernière.
Tous les documents que l’UE et ses pays membres ont adoptés en faveur des énergies renouvelables mentionnent le réchauffement climatique comme un des objectifs centraux de leur exploitation. Par exemple, au tout début de la directive 2001/77/CE, qui oblige les États membres de l’UE à créer des conditions favorables à la vente de l’électricité produite à partir des sources d’énergie renouvelables, il est question de la « nécessité de promouvoir en premier lieu les sources d’énergie renouvelables, car leur exploitation contribue à la protection de l’environnement et au développement durable ».  Une telle argumentation ne s’observe toutefois pas en Ukraine. En effet, si les implications pour le climat sont évoquées dans les lois ou des documents explicatifs les accompagnant, elles sont présentées avant tout comme une des conséquences secondaires qu’aurait une mesure, et pas en tant que l’un de ses objectifs intrinsèques.
Le constat de cette divergence ne suffit pourtant pas pour en inférer sur une faible conscience écologique de la part des acteurs politiques ukrainiens. Ce raisonnement peut aussi résulter d’un facteur objectif, à savoir des obligations peu contraignantes en matière de réduction des émissions des GES dans le cadre d’accords internationaux, contrairement à ce qui est le cas pour les pays de l’UE. L’Ukraine a, en 1996, ratifié la Convention Cadre des Nations Unies sur le Changement Climatique (CCNUCC) de 1992 ainsi qu’en avril 2004, le protocole de Kyoto (Protocole) joint à cette dernière en 1997. Le Protocole oblige l’Ukraine à maintenir ses émissions de GES en 2012 au niveau de celles de l’année 1990. Cet objectif ne requiert toutefois pas d’efforts de la part de l’Ukraine, parce que suite à l'effondrement de sa production industrielle après la chute de l'URSS, ses émissions ont déjà été largement réduites par rapport à 1990, malgré la reprise économique enregistrée au milieu des années 2000.  L’Ukraine dispose ainsi même des droits d’émission excédentaires qu’elle peut revendre à d’autres pays. De ce fait, le protocole de Kyoto ne constitue pas d’incitation pour l’Ukraine à promouvoir l’exploitation des énergies renouvelables.
Abstraction faite des obligations internationales de l’Ukraine, il semble que la conscience des acteurs politiques du réchauffement climatique ne joue pas non plus en faveur de la promotion des énergies renouvelables. Ceci s’exprime moins par la contestation du bien-fondé scientifique des théories du changement climatique que par l’ignorance, comme le montre l’analyse des débats parlementaires préalables à la ratification du Protocole.  Les députés s’avouent mal informés et se montrent avant tout préoccupés des conséquences que la ratification aurait pour l’économie ukrainienne. Par exemple, un député de la fraction du Bloc Ioulia Timochenko (BIouT), Andrii Chkil, a demandé au ministre de l’Environnement d’expliquer en quoi l’Ukraine pourrait gagner exactement en ratifiant le Protocole puisque « les émissions de l’Ukraine sont trop faibles pour que s’ensuivent des pertes matériels [pour le pays] ».   Mykola Roudkovskii du Parti socialiste de l’Ukraine se demande quant à lui dans quelle mesure le Protocole peut entraîner « une restriction partielle voire capitale de la croissance économique de l’Ukraine ».  Iryna Stavtchouk, coordinatrice du programme climatique auprès de l’ONG Centre national écologique de l’Ukraine (NECU), nous a confirmé cette attitude sceptique des députés. Lorsque son organisation sollicite les députés pour des groupes de travail communs ou l’organisation de débats parlementaires autour de l’enjeu climatique, soit ses demandes n’obtiennent pas de réponses, soit leur traitement est reporté. 
Si l’Ukraine a néanmoins adopté le protocole de Kyoto, cela s’explique avant tout par les gains financiers escomptés des dits mécanismes flexibles du Protocole.  Il s’agit ici de la vente des droits d’émission et de la réalisation des projets de mise en œuvre conjointe. Dans le cadre de ces derniers, des entreprises étrangères peuvent investir dans la réduction des GES en Ukraine tout en faisant en sorte que les réductions effectuées soient créditées sur le compte de leurs pays. L’existence de ces mécanismes a aussi représenté l’argument principal du ministre de l’Environnement de l’époque, Sirhii Poliakov, en faveur de la ratification.  Ainsi a-t-il insisté sur le fait qu’« un retard d’un an [de la ratification pourrait]  aboutir à la perte par l’Ukraine d’environ $ 1,5 milliards d’investissements étrangers».
Iryna Stavtchouk a également affirmé que le protocole de Kyoto est vu par les acteurs politiques ukrainiens sous un angle strictement économique, sans qu’il n’y en ait des personnes désireuses de remédier au changement climatique.  Par ailleurs, nous en trouverons une preuve dans le fonctionnement de l’organe exécutif qui est à l’heure actuelle le principal acteur institutionnel en matière climatique en Ukraine : l’Agence nationale de l’Ukraine des investissements écologiques (NAEI).
Son instauration en avril 2007 fut justifiée par la nécessité de suppléer le Ministère de l’Environnement dans la mise en œuvre du protocole de Kyoto. Ainsi la NAEI a-t-elle été conçue comme un organe se trouvant sous la tutelle de ce Ministère  et remplissant des fonctions techniques, comme la mise en place d’un registre des émissions des GES ou la gestion de la procédure d’approbation des projets de mise en œuvre conjointe. Les compétences politiques, notamment en matière de conclusion d’accords internationaux, devaient rester auprès du Ministère. En janvier 2008, Igor Loupaltsov, entrepreneur de Kharkov, fut placé à la tête de la NAEI. Au préalable, il s’était fait remarquer par une attitude très critique à l’égard du protocole de Kyoto. Ainsi, dans un article de 2005 l’a-t-il décrit comme une « arme écologique »  forgée par les pays occidentaux en vue de faire disparaître la concurrence de pays exportant des marchandises dont la production est liée à des émissions de GES élevées. Le caractère anthropogène du changement climatique ne serait pas scientifiquement prouvé et constituerait ainsi essentiellement un prétexte noble aux politiques économiques discriminatoires et anticoncurrentielles des pays occidentaux.  Pour contrecarrer les implications apocalyptiques que le Protocole aurait sur l’économie ukrainienne, il a recommandé d’« apprendre, enfin, de faire de l’argent à partir des mécanismes flexibles».  De ce point de vue, il a en particulier critiqué le Ministère de l’Environnement en tant qu’organe chargé de la mise en œuvre du Protocole, estimant qu’il ne dispose pas de capacités nécessaires pour la gestion de la dimension financière de ce dernier.  Par conséquent, il s’est exprimé en faveur de l’instauration d’un organe exécutif à part, qui reprendrait les fonctions du Ministère en la matière. La création de la NAEI a représenté un pas dans cette direction, mais avant l’arrivée de Loupaltsov, le Ministère restait encore l’acteur institutionnel central de la politique climatique. Or quelques mois après la nomination de Loupaltsov à la tête de l’agence, le gouvernement a transmis à la NAEI de nouvelles compétences.  Ceci trahit l’influence du nouveau président de l’agence sur ce processus, puisque suite à ce remaniement, la NAEI ne représente plus une agence assumant uniquement des fonctions techniques, mais l’acteur central de la prise de décision politique, conformément aux conceptions précitées de Loupaltsov. Ainsi l’agence est-elle habilitée à mener des négociations internationales en matière climatique, de même qu’à parapher des accords correspondants,  ce qui lui confère le pouvoir de contrôler les obligations de réduction des GES de l’Ukraine et d’éviter la mise en place d’objectifs contraignants. Lors du sommet de Copenhague en décembre 2009, au cours duquel  il a été délibéré sur un nouvel accord climatique international, la détermination de la NAEI à ne pas accepter des obligations contraignantes de réduction des GES s’est traduite par la proposition de l’Ukraine de réduire ses émissions de 20% en 2020 par rapport à 1990. Des acteurs externes à l’agence, représentant notamment les ONG environnementales, considèrent qu’il s’agit d’un objectif qui permet à l’Ukraine d’augmenter, dans les faits, ses émissions de 75% pendant la période concernée.  Enfin, le Parquet général de l’Ukraine a engagé une investigation relative à l’utilisation de fonds obtenus par l’agence suite à la vente de droits d’émission au Japon en 2009 ; ils ont en effet disparu d’un compte spécifique sans que soient lancés les projets de réduction de GES par lesquels la vente des droits était conditionnée.
La politique de la NAEI démontre nettement le manque de détermination des acteurs politiques à lutter contre le réchauffement climatique. Par conséquent, la mise en place de la politique des énergies renouvelables semble rester soumise à des calculs économiques au même titre que celle s’adressant aux énergies fossiles, et ne pas bénéficier d’une légitimité propre. Elle ne fait ainsi pas partie de la politique écologique, mais reste un sous-secteur de la politique énergétique, qui se constitue en fonction des évolutions que connaît l’approvisionnement de l’Ukraine en sources énergétiques traditionnelles. Il semble qu’elle n’est mise en place que pour compléter le potentiel de l’approvisionnement de l’Ukraine en énergies fossiles et uniquement tant que ce complément soit indispensable. Cette idée de la complémentarité des énergies renouvelables est bien révélée par les propos tenus par Mikhailo Koulyk, directeur de l’Institut de l’énergie générale de l’Académie des Sciences de l’Ukraine. Dans une audience parlementaire sur le secteur énergétique, il s’est prononcé en faveur de l’exploitation renforcée du charbon. Cependant, il a aussi constaté que « la part du charbon [dans le bilan énergétique] [pouvait] être augmentée à 32-33%, malheureusement, pas plus. Par conséquent, les sources d’énergie renouvelables vont voir leur part s’accroître. »  La politique des énergies renouvelables s’apparente ainsi à une catégorie par défaut de la politique publique ukrainienne. Toutefois, avant d’affirmer cette idée avec certitude, nous devons analyser dans quelle mesure la politique des énergies renouvelables ne se justifie pas par des arguments dissociés à la fois de l’économie et de l’écologie.     Avec quelles représentations d’ordre strictement idéologique est-elle interconnectée pour les différentes forces politiques ukrainiennes ?


2. Les énergies renouvelables comme marqueur d’identité européenne ?

Force est tout d’abord de constater que les énergies renouvelables ne sont pas perçues comme un enjeu faisant partie intégrante des oppositions idéologiques caractérisées en Ukraine par de multiples clivages socioculturels, religieux et linguistiques. Tous nos interlocuteurs ont en effet souligné cet aspect ; ils distinguent les représentations liées à la PER de celles que met en jeu la politique étrangère ou la politique linguistique en Ukraine.   Ainsi observe-t-on que les programmes des partis politiques ne se différencient quasiment pas au niveau de la place accordée aux énergies renouvelables. Ainsi le programme défendu par Ioulia Timochenko, dirigeante du BIouT, en vue des élections présidentielles de février 2010 mentionne-t-il la promotion des énergies renouvelables en dernier lieu après plusieurs autres objectifs de politique énergétique.  Il en va de même pour le programme du Parti des régions (PR), considéré comme plus pro-russe et étant le concurrent principal du BIouT.  Comme nous le verrons en analysant les initiatives parlementaires en faveur de la PER, l’appartenance partisane d’un député ne présage en effet pas de sa disposition à s’engager en faveur des énergies renouvelables.  Par ailleurs, toutes les principales lois en la matière ont toujours été votées par une grande majorité des députés. 
L’arrivée de Viktor Iouchtchenko à la présidence paraissait néanmoins pouvoir doter la politique des énergies renouvelables d’une légitimité idéologique particulière car elle a souvent été présentée comme constitutive d’un mode de développement européen.  Par extension, la mise en place des mesures de soutien aux énergies renouvelables, qui s’inspirent des instruments européens, était aussi perçue comme une façon de mettre en évidence le caractère européen de l’Ukraine et de la rendre éligible pour l’intégration européenne.
De telles affirmations générales étaient par ailleurs de plus en plus accompagnées de références concrètes à des documents européens en la matière, ce qui renvoie à une volonté de transfert de politique publique. Par exemple, dans la Stratégie énergétique pour 2030,  il est énoncé que les démarches ukrainiennes dans le domaine des énergies renouvelables devraient s’orienter au Livre vert Une stratégie européenne pour une énergie sûre, compétitive et durable, adopté en mars 2006 par la Commission européenne. Les explications des projets portant sur l’instauration du système des tarifs de rachat obligatoire incluent une référence explicite à la directive européenne 2001/77/CE que nous avons mentionnée ci-dessus.  Enfin, un projet de loi déposé en septembre 2009 a appelé explicitement à la transposition de cette directive dans le droit ukrainien, notamment en ce qui concerne l’instauration des procédures administratives allégées en vue du raccordement des installations produisant de l’électricité à partir des sources renouvelables au réseau électrique.
Ce lien cognitif entre les énergies renouvelables et l’UE peut s’interpréter de deux manières. D’une part, il se peut que les énergies renouvelables soient véritablement considérées comme un marqueur d’identité européenne. D’autre part, ce lien peut aussi être interprété comme instrumental, de sorte que c’est moins une vraie conviction des avantages des énergies renouvelables qui sous-tend leur promotion, mais plutôt l’idée que la mise en place d’une PER constitue une condition à l’adhésion à l’UE. Une argumentation récurrente dans les discours des députés ukrainiens consiste en effet à dire que l’UE rejettera la candidature de leur pays si celle-ci n’enregistre pas un certain pourcentage minimum en énergies renouvelables dans son bilan énergétique. Comme l’exprime la députée Lioudmyla Souproun, « [n]ous voulons nous rapprocher de l’Europe qui n’acceptera pas notre électricité si les énergies renouvelables ne sont pas à la base d’au moins 10% de sa production. »  Or étant donné les réticences de l'UE à accorder une perspective d'adhésion à l'Ukraine, la justification européenne de la promotion des énergies renouvelables ne suffit pas à en faire une priorité dans la politique énergétique ukrainienne. Ceci est d’autant plus le cas que dans les relations actuelles entre l’UE et l’Ukraine, les énergies renouvelables jouent un rôle mineur, d’autres enjeux énergétiques comme la sécurité de l’approvisionnement en gaz étant beaucoup plus centraux car stratégiquement plus importants pour l’UE. Par exemple, dans le cadre de la coopération énergétique entre l’Ukraine et l’UE, établie en février 2005 par le dit Memorandum of Understanding, il était prévu d’instaurer quatre groupes de travail, chacun destiné à un secteur d’énergies traditionnelles. Un groupe de travail sur les énergies renouvelables ne fut établi qu’en juillet 2006  mais, à en juger des comptes rendus de l’activité de ces groupes, ses progrès sont très modestes. Enfin, aucun de nos interlocuteurs en Ukraine n’était informé de l’existence d’une telle forme de coopération en matière d’énergies renouvelables
Ainsi l’argument européen ne paraît-il pas constituer une force motrice pour la promotion des énergies renouvelables. Il ne peut en réalité pas être considéré comme lui conférant une légitimité à part et il ne permet pas de la positionner au premier plan des solutions face au problème de la dépendance énergétique par rapport à d’autres réponses circulant dans le policy stream. La PER se trouve donc de fait concurrencée par d’autres politiques de diversification. A y regarder de plus près, l’absence d’une légitimité particulière des énergies renouvelables est alors tout à la fois à l’origine de leur place mineure dans la politique énergétique générale, mais aussi le résultat des processus décisionnels. Elle peut donc être abordée comme variable non seulement indépendante mais aussi dépendante.  Les représentations qui dominent dans une politique publique se manifestent en effet en fonction des différents intérêts des acteurs y participant ainsi que des ressources dont ils disposent pour les faire valoir. A cet égard, nous examinerons dans un premier temps la façon dont les acteurs institutionnels pèsent sur la conception et la mise en œuvre de la politique des énergies renouvelables.
































CHAPITRE 2 - Le rôle des acteurs institutionnels dans la promotion des énergies renouvelables

En reprenant la théorie et les termes de Kingdon, il s’agit de voir pourquoi la conception de la PER comme une priorité n’est pas la solution qui réussit la greffe au problème de la dépendance énergétique dès lors qu’une fenêtre d’opportunité s’ouvre. À ce titre, il est indispensable de prendre en compte à la fois les acteurs institutionnels chargés spécifiquement des énergies renouvelables et ceux dont les compétences recouvrent les énergies traditionnelles. Les deux types d’acteurs déterminent le développement des énergies renouvelables. L’action des institutions chargées des énergies renouvelables et ses implications ne peuvent en effet pas être saisies si l’on ne prête pas d’attention aux acteurs en charge des énergies traditionnelles. Ainsi verrons-nous d’abord qu’en Ukraine, les compétences en matière d’énergies renouvelables ne sont pas nettement réparties et font l’objet de dissensions entre acteurs désireux de s’approprier du pouvoir de décision dans ce domaine (I). Ceci rend difficile la mise en place d’une PER ambitieuse face aux acteurs institutionnels du secteur des énergies traditionnelles, qui tendent soit à marginaliser soit à instrumentaliser les énergies renouvelables (II).

I La répartition des compétences entre acteurs institutionnels en matière d’énergies renouvelables

Bien qu’un rôle mineur soit attribué aux énergies renouvelables dans l’ensemble de la politique énergétique, différentes institutions manifestent de l’intérêt pour les compétences que sollicite la politique en la matière. Ceci s’explique entre autres par la possibilité d’exercer un contrôle sur la répartition des ressources économiques qu’elle confère. Comme nous l’avons vu, la législation dans ce domaine est liée à l’attribution de fonds pour des programmes de recherche et développement ainsi qu’à la gestion des subventions accordées dans le cadre des mécanismes financiers. Aussi observe-t-on des conflits autour de l’attribution de fonctions et de la répartition des compétences à ce propos parmi les institutions politiques centrales, c’est-à-dire le Parlement, le Président et le Gouvernement. Les tensions que l’on peut observer entre ces acteurs ont par ailleurs une portée allant au-delà de la problématique des énergies renouvelables puisqu’elles reflètent les traits particuliers de la genèse du système politique ukrainien (1). En outre, il faudra analyser le partage des compétences en matière d’énergies renouvelables entre les acteurs institutionnels consacrés exclusivement aux enjeux économiques et au secteur énergétique en particulier (2). Ceci nous amènera aussi à réfléchir si la politique des énergies renouvelables fait plutôt l’objet de processus de décision en termes d’action publique et qu’en termes de politique publique, étant donné la multitude d’acteurs intervenant dans ce domaine et la nature de leurs interactions.

1. Les conflits d’attribution des compétences en matière d’énergies renouvelables entre le Président, le Gouvernement, et le Parlement

Comme nous avons vu précédemment, à l’époque de la présidence de Leonid Koutchma, tous les projets législatifs portant sur les énergies renouvelables ont été lancés par l’exécutif. Qui plus est, la seule législation impliquant des mécanismes financiers concrets, celle destinée à promouvoir l’énergie éolienne, peut être expliquée par les intérêts économiques privés de Koutchma. La mise en place de cette législation se justifie ainsi par le fait qu’avant d’être élu président, Koutchma était directeur de l’usine « Ioujmach » de Dnipropetrovsk, la plus grande productrice d’équipements pour missiles à l’époque de l’URSS.  Or dans la première loi sur les éoliennes, l’utilisation des capacités de production du complexe militaire est énoncée comme un des objectifs centraux de la loi.  Quant au Programme complexe pour la construction des éoliennes, il a été élaboré suite à un décret du Président, dans lequel il fut explicitement indiqué que « Ioujmach » était une des usines à qui la construction devait être confiée.  Il est ainsi probable que l’introduction du programme a été motivée par un échange de services entre Koutchma et des personnes encore impliquées directement à la gestion de « Ioujmach ». Cette logique reflète un système politique dans lequel le Président occupe le rôle central et utilise l’institution présidentielle en fonction de ses intérêts personnels.
La genèse de ce système a été favorisée par le fait qu’au lendemain de l’indépendance ukrainienne régnait une situation dans laquelle la priorité des élites nationalistes (les dits national-démocrates) consistait à consolider l’intégrité du nouvel État, ce qui nécessitait une attitude consensuelle à l’égard des élites communistes.  Par conséquent, les premières années de l’indépendance ukrainienne furent marquées par l’absence d’une répartition claire de compétences entre le Président, le gouvernement et le Parlement.  Accédant à la présidence en 1994, Leonid Koutchma a su concentrer de plus en plus le pouvoir politique entre ses mains, une tendance entérinée par la Constitution de 1996 qui en a fait l’acteur politique central de la prise de décision. Un rôle important était également joué par l’Administration présidentielle puisqu’elle avait quasiment supplanté le Cabinet des ministres comme organe exécutif central et remplissant toutes les injonctions du Président. 
Cependant, la présidence de Koutchma n’a pas consacré un système autoritaire, mais plutôt un « autoritarisme compétitif » selon l’expression de Lucan Way.  Koutchma n’est en effet jamais parvenu à priver de tout pouvoir le Parlement ou à enrayer complètement la compétition électorale.  Ceci a été corrélé à des querelles de compétences récurrentes entre le Président et le Parlement. La relation entre ces deux institutions était empreinte de l’aspiration de Koutchma à court-circuiter le Parlement, au sein duquel une majorité présidentielle stable ne pouvait s’établir. Les décrets présidentiels représentaient une stratégie clé de contournement du Parlement par le Président. Comme nous avons vu, c’est justement par décret que Koutchma a fait élaborer le Programme complexe sur les éoliennes dans lequel « Ioujmach » est explicitement évoqué. Selon Paul D’Anieri, cette tendance de contournement du Parlement peut s’expliquer par la conjonction entre un système pluripartisan et le système présidentiel instauré par la Constitution de 1996.  En vertu de cette dernière, le Parlement ukrainien n’était, jusqu’à une réforme constitutionnelle en 2004, pas associé à la désignation du Gouvernement, excepté au travers de la confirmation formelle des personnes choisies par le Président et de la possibilité d’une motion de censure.  En conséquence, les députés n’étaient pas incités à former des coalitions majoritaires stables.  Afin de s’imposer en tant qu’institution porteuse de pouvoir politique, le Parlement visait dans cette situation essentiellement l’obstruction des décisions du Président.  En retour, le Président ne disposant pas de droit de dissolution du Parlement dans un système présidentiel  l’attitude du Parlement l’amenait à le contourner davantage en accumulant encore plus de pouvoir décisionnel informel. Par la suite, le Parlement était encore moins prêt à coopérer avec lui.  Dans un tel contexte qui rendait des blocages entre deux acteurs institutionnels centraux très fréquents, une politique de long terme en matière d’énergies renouvelables était difficile à concevoir, ce qui nous fournit une explication du caractère hétéroclite de la PER sous Koutchma. Ceci était particulièrement évident lorsque furent proposés des dispositifs mettant en jeu des ressources financières, chacune des institutions ayant intérêt à contrôler leur distribution. Cette dynamique transparaît nettement à la lumière de l’élaboration la loi précitée Sur les sources alternatives d’énergie.
Le lancement de son élaboration en octobre 2000 s’inscrit dans un contexte dans lequel l’opposition entre le Président et le Parlement avait atteint un paroxysme. En avril 2000, Koutchma avait annoncé un référendum afin de modifier la Constitution en faveur du pouvoir présidentiel. Ce référendum a eu lieu et ces dispositions ont été assenties, mais en amont, la Cour constitutionnelle était intervenue, en supprimant une des questions centrales à travers laquelle le Président visait à obtenir le droit de dissolution du Parlement.  Ceci a consacré l’échec de Koutchma en matière de contournement du Parlement, de sorte que le blocage mutuel entre lui et la Verkhovna Rada perdurait. Le processus d’élaboration de la loi en question a duré trois ans au cours desquels trois vétos présidentiels ont été interjetés. Comme nous l’avons évoqué, le projet initial de même que la loi finalement adoptée ne prévoient pas de mécanismes financiers pour la promotion des énergies renouvelables. Mais des propositions en vue d’établir de tels mécanismes, à travers des exemptions fiscales et des taux réduits pour des crédits, ont été émises par des députés au cours de la première lecture au Parlement.  Le Parlement a entériné la loi avec ces modifications, mais Koutchma s’est exprimé contre le texte. Il a déposé un véto en juillet 2001, en contestant explicitement les mécanismes financiers. Il a émis une critique en particulier : la loi n’indiquerait pas qui devait gérer l’attribution de fonds en question.  Or le Parlement a outrepassé ce véto en votant encore une fois en faveur de la loi sans apporter les amendements souhaités par le Président.  Le même scénario s’est reproduit en 2002, Koutchma intervenant avec un nouveau véto et le Parlement votant sans prendre en compte l’avis du Président. C’est seulement après le troisième véto que les députés ont accepté d’intégrer les propositions de Koutchma.  Ce processus montre clairement la détermination avec laquelle le Parlement pouvait s’opposer au Président et la difficulté avec laquelle ce dernier arrivait à imposer ses décisions aux élus. En définitive, ceci souligne les bornes des pratiques autoritaires de Koutchma et justifie la qualification de son régime comme « autoritarisme compétitif » et non absolu.
La Révolution orange a également mis en évidence les limites de ce régime politique. Elle était le fruit d’une défection de la part des élites auparavant loyales à l’égard du Président eu égard à sa délégitimation croissante auprès de la population.  Lors des élections présidentielles de 2004, la fraude électorale en faveur du candidat Viktor Ianoukovitch, soutenu par le camp présidentiel, a débouché sur un troisième tour du scrutin que le candidat de l’opposition, Viktor Iouchtchenko a emporté. Un changement politique important s’en est suivi. Le rôle du Président a été réduit, ce que consacre une réforme constitutionnelle en vigueur depuis janvier 2006. Elle était à la base de l’assentiment des adeptes de Ianoukovitch au troisième tour. Ceux-ci voulaient en effet maintenir leur influence sur les processus décisionnels après la victoire anticipée de Iouchtchenko.  Visant à instaurer un régime « présidentiel-parlementaire » , la nouvelle Constitution n’a pourtant pas opéré de répartition nette de compétences entre les acteurs institutionnels centraux, notamment le Président et le Gouvernement.
Des situations de blocage entre ces institutions, les tentatives de chacune de s’emparer de nouveaux pouvoirs formels et informels garantissant une position dominante en ont résulté. Elles étaient particulièrement évidentes lorsque Iouchtchenko dût accepter Viktor Ianoukovitch, son ancien rival, comme Premier ministre après les élections législatives de mars 2006. Les partis des alliés de la Révolution orange, de Viktor Iouchtchenko et de Ioulia Timochenko, en étaient en effet sortis sans obtenir de majorité nécessaire pour la formation d’une coalition commune. C’est durant cette cohabitation entre Iouchtchenko et Ianoukovitch qu’a été élaboré le paquet des lois portant sur les économies d’énergie et introduisant les premiers mécanismes financiers concrets pour la stimulation des énergies renouvelables. Comme nous avons vu, cette législation prévoit notamment la mise en place d’exemptions fiscales pour les importations d’équipements visant à l’exploitation des énergies renouvelables. Or c’est le Cabinet des ministres qui est désigné comme l’institution qui décide quels équipements exactement peuvent en bénéficier. Le Gouvernement est également en charge de déterminer quelles entreprises productrices d’équipements domestiques peuvent jouir des exemptions de l’impôt sur le revenu. C’est essentiellement contre ce pouvoir discrétionnaire conféré au Gouvernement que le Président Iouchtchenko a interjeté un véto en janvier 2007, en argumentant que ce pouvoir pourrait entraîner des attributions « non-objectives » du soutien financier aux entreprises.  Les propositions du Président ont été partiellement prises en compte et la loi votée en mars 2007 n’a plus fait l’objet de contestation de sa part. Cet épisode peut être interprété comme la tentative du Président d’éviter une accumulation du pouvoir dans les mains du Gouvernement, surtout en matière de distribution des ressources financières. Toutefois, le fait que les objections de Iouchtchenko aient été prises en compte en partie seulement montre aussi que sous le mandat du nouveau Président, le rôle du Parlement dans la prise de décision a été valorisé.

Ainsi voit-on que malgré la faible priorité accordée au développement de la filière des énergies renouvelables en comparaison à d’autres enjeux énergétiques, l’acquisition de compétences dans ce domaine est convoitée par les acteurs institutionnels centraux de l’Ukraine. Il en va de même pour d’autres acteurs institutionnels, d’orientation plus spécifique en matière énergétique et économique.


2. La dispersion des compétences en matière d’énergies renouvelables parmi les acteurs institutionnels spécialisés dans les secteurs énergétique et économique

L’acteur institutionnel ayant la vocation d’être le décideur central dans le domaine des énergies renouvelables est l’Agence nationale de l’Ukraine en charge des questions de l’utilisation efficiente des ressources énergétiques (NAER). Sa genèse révèle à elle seule l’existence d’une indécision des acteurs politiques par rapport à l’attribution de compétences en matière d’énergies renouvelables. Ainsi le prédécesseur juridique de la NAER était le Comité des économies d’énergie, premier organe exécutif consacré aux questions de l’efficience énergétique et des énergies renouvelables. Il était créé pour mettre en œuvre la loi Sur les économies d’énergie de 1994, et représente donc comme ce programme même une réponse à la fenêtre d’opportunité ouverte par le conflit gazier avec la Russie, connu par l’Ukraine entre 1993 et 1995. Après l’arrivée de Viktor Iouchtchenko à la présidence, le Comité fut aboli en avril 2005 et ses fonctions transférées au Ministère de l’Énergie, ce qui s’est probablement effectué sous  l’emprise de ce dernier. Cette décision a été critiquée par des acteurs du secteur des énergies renouvelables car elle implique qu’un même acteur institutionnel gère la promotion des énergies traditionnelles et renouvelables.  En décembre 2005 fut cependant fondée la NAER, de sorte que les missions liées à la PER furent de nouveau transmises à un organe indépendant. La temporalité de cette décision renvoie à la fenêtre d’opportunité ouverte par une nouvelle aggravation des relations avec la Russie en matière du gaz, que nous avons évoquée au premier chapitre. Cette situation de crise a sans doute aussi permis que la NAER ne reprenne pas seulement les fonctions de son prédécesseur institutionnel ; ses compétences ont en effet été augmentées. Contrairement au Comité, elle n’est pas subordonnée à un Ministère, mais directement au Cabinet des ministres.  C’est ce qui lui permet de soumettre directement des propositions de loi. En matière d’énergies renouvelables, elle est explicitement chargée d’accroître la part de celles-ci dans le bilan énergétique de l’Ukraine.  Enfin, sa tâche principale consiste à  l’élaboration d’une « politique unique » , signifiant qu’elle doit établir les lignes directrices de la PER dans toutes les filières des énergies renouvelables et coordonner l’activité d’autres organes étatiques dans ce domaine.
Au regard de ces compétences, c’est la NAER qui devrait veiller à la cohérence des dispositifs de la PER, mais nous avons vu que le caractère hétéroclite de cette politique, observable sous Koutchma, persiste pendant la période suivant l’instauration de l’agence. En outre, quant au lancement de la législation en matière de PER, nous avons mentionné ci-dessus que depuis 2006, ce ne sont plus des organes exécutifs qui en sont les acteurs institutionnels centraux, mais le Parlement. Par ailleurs, la NAER n’est quasiment pas associée au travail du Comité parlementaire en charge du secteur énergétique. Bien que notre interlocuteur du Comité ait affirmé qu’elle est bien sollicitée dans leur travail législatif,  notre interlocuteur de la NAER a quant à lui suggéré le contraire, de même que les acteurs associatifs ayant parfois l’occasion de contribuer au travail législatif.  L’agence n’aurait ainsi participé ni à l’élaboration du système des tarifs verts, ni à la loi portant sur les mécanismes de stimulation de la production des biocarburants.  Cela suggère qu’elle n’est pas en mesure de remplir les fonctions qui lui sont formellement imparties par son statut. Au lieu de concevoir une politique de long terme pour le développement des énergies renouvelables, son rôle se trouve réduit à la conception de programmes déclaratifs et à la réalisation de projets ponctuels, ce que notre interlocuteur de l’agence a désigne comme une mission  « technique » et non politique.
Cette situation s’explique d’un côté par le fonctionnement interne de l’agence, d’un autre par ses relations à l’égard d’autres acteurs institutionnels. Ainsi observe-t-on que si l’agence se montre effectivement désireuse de promouvoir les énergies renouvelables, sa politique tend à s’adresser à quelques sources énergétiques uniquement. En effet, les acteurs externes à la NAER que nous avons interrogés, les associations des industriels des énergies renouvelables et les ONG environnementales, considèrent l’agence comme véritablement dédiée à la promotion des énergies renouvelables.  Par exemple, Ioulia Berezovskaia du cabinet de conseil « Fuel Alternative » a décrit le personnel de la NAER comme constitué d’« idéologues » de la filière, c’est-à-dire de personnes sincèrement convaincues de la nécessité de la PER.  Cependant, on constate que la personnalité du président de l’agence induit des biais importants dans son activité. Presque tous les présidents qu’elle a connus jusqu’à présent ont en réalité infléchi la politique des énergies renouvelables en fonction de leurs considérations personnelles, ce qui trahit en outre l’impact de la hiérarchie dans l’action de la NAER. Il s’en est suivi que l’agence s’est focalisée sur la promotion d’un nombre restreint d’énergies renouvelables seulement. Par conséquent, la fonction de la promotion de la filière dans son ensemble comme le suggère la notion de politique unique n’est-elle pas pleinement assumée. Ainsi, le premier chef de l’agence, Evgenii Soukhin, a-t-il orienté le travail de la NAER sur la promotion de la production des gaz synthétiques.  Ceci peut s’expliquer par le fait qu’il possède lui-même une entreprise élaborant des technologies de production de ces gaz, la « SKB Soukhina ». Son successeur, Igor Tcherkachin, s’est particulièrement intéressé à la production du bioéthanol, proposant  la création d’une entreprise étatique à part entière pour cette filière.  Sergei Ermilov, le président de l’agence entre avril 2009 et mars 2010 est considéré par des acteurs internes et externes  comme celui qui est le plus engagé en faveur de la promotion des énergies renouvelables dans leur ensemble.  Ingénieur spécialisé dans le secteur énergétique de formation, Ermilov était ministre de l’Énergie entre 2000 et 2002. Ensuite, il a fondé le dit « Institut des problèmes de l’écologie  et des économies d’énergie», chargé de l’élaboration de projets des économies d’énergies pour la métallurgie. Cette trajectoire, qui associe expérience d’un poste politique élevé avec une activité scientifique, lui vaut d’être désigné comme un « expert » (ekspert) par des acteurs internes  et externes à la NAER.  Durant son mandat de ministre, Ermilov s’est par ailleurs fait remarquer pas sa détermination à réduire la dépendance énergétique de l’Ukraine. Ainsi s’est-il par exemple exprimé contre le revers de l’oléoduc Odessa-Brody.  Initialement conçu pour acheminer du pétrole en provenance de l’Azerbaïdjan en contournant la Russie, il a également été proposé de lancer l’oléoduc dans la direction opposée, pour acheminer du pétrole en provenance de la Russie.  Finalement, la première option, endossée par Ermilov, a été retenue. Il est estimé que c’est son attitude pro-européenne qui fut à l’origine de la destitution de Ermilov par Koutchma.  On peut supposer qu’elle lui a aussi conféré de la crédibilité à son poste en tant qu’adepte de la diversification des ressources énergétiques de l’Ukraine.
Toujours est-il que la NAER a des difficultés à imposer ses décisions à d’autres acteurs institutionnels en charge des énergies renouvelables. Ceci peut s’expliquer par les représentations associées aux énergies renouvelables que nous avons évoquées précédemment, en particulier la faible valeur ajoutée qui leur est attribuée en comparaison aux énergies traditionnelles en Ukraine. L’implication dans ce domaine n’est donc pas considérée comme prioritaire par des acteurs institutionnels dont les responsabilités concernent aussi d’autres sphères de la politique publique. Parmi ces derniers, on trouve le Ministère de l’Énergie à qui incombe la fonction générale de conception du développement stratégique du secteur énergétique.  Il est ainsi aussi responsable de l’orientation de la politique des énergies renouvelables, et notamment de la définition de sa place par rapport à d’autres politiques sectorielles, ce qui crée un chevauchement de compétences avec la NAER. Par ailleurs, il se concentre sur la promotion des ressources énergétiques traditionnelles, notamment en raison des entreprises étatiques « Naftohaz Ukrainy» (« Naftohaz ») et « Energoatom » qui se trouvent sous sa tutelle et, comme nous verrons plus tard, exercent une influence déterminante sur la politique des énergies traditionnelles. Les interactions entre la NAER et le Ministère sont ainsi conflictuelles. Notamment l’attitude du Ministère à l’égard de la promotion des énergies renouvelables est perçue comme négative.  Ainsi, comme l’affirme Vasilii Kotko de l’Association énergétique de l’Ukraine, « le Ministère de l’Énergie s’est toujours opposé à la promotion des énergies renouvelables ».  Dans le même sens a aussi argumenté notre interlocuteur de la NAER, selon lequel l’agence et le Ministère de l’Énergie représentent des « antipodes »,  le Ministère tendant à valoriser une politique contraire à celle promue par la NAER. Selon Kotko, ceci serait dû au fait que le personnel du Ministère est constitué d’individus ayant toujours travaillé dans le secteur des énergies traditionnelles. Pour eux, les énergies renouvelables ne sont pas suffisamment productives, de sorte que leur promotion paraît inutile.  Par extension, la tension entre le Ministère et la NAER peut aussi être due à la perception du personnel de l’agence, à l’exception de Ermilov, comme des non-experts ; cette évaluation nous est donnée par un acteur externe  à la fois à la NAER et au Ministère, mais il est possible que cette logique soit bien sous-jacente à l’action du Ministère, eu égard à sa justification : le personnel de la NAER aurait été formé par défaut. Cette expression nous semble insinuer que les « vrais » experts du secteur énergétique seraient à cette heure-là déjà mobilisés par d’autres organisations. Notre entretien avec un représentant de la NAER indique toutefois que le personnel de l’agence est bien constitué de personnes ayant une formation technique et de l’expérience dans le domaine énergétique.  Quel que soit son bien-fondé, une perception négative peut néanmoins être déterminante dans l’interaction entre le personnel des différents organismes et contribuer à la réticence du Ministère d’accepter les décisions de la NAER.
Par ailleurs, les dissensions entre le Ministère et la NAER peuvent aussi receler une dimension personnelle et refléter un conflit d’intérêts privés entre le Ministre de l’Énergie et le président de la NAER, intérêts qui n’ont pas trait aux énergies renouvelables. Nous pouvons constater l’existence d’un tel conflit entre Sergei Ermilov et Iourii Prodan, Ministre de l’Énergie entre décembre 2007 et mars 2010.  Ils appartiennent à deux réseaux d’acteurs différents qui sont supposés s’être affrontés pour le contrôle de l’entreprise étatique « Ukrinterenergo », effectuant des exportations d’électricité. 
D’autres Ministères sont également impliqués dans la PER, notamment en matière de gestion des programmes dédiés à la réalisation de projets de recherche, par exemple le Ministère de l’Industrie dans le domaine de l’énergie solaire ou le Ministère de la Politique de l’Agriculture en ce qui concerne la biomasse.   L’attribution de ces responsabilités semble reposer sur les compétences de ces Ministères dans les filières économiques qu’ils gèrent respectivement. La promotion d’une source d’énergie renouvelable est ainsi être déduite de la promotion de la filière économique qui s’y rapporte. Par exemple, dans un programme sectoriel de 2009 , le Ministère de l’Industrie s’est exprimé en faveur de la promotion prioritaire de l’énergie solaire en comparaison à d’autres sources renouvelables. Cela a été justifié par les capacités de production des entreprises ukrainiennes spécialisées dans les matériaux utilisables pour les panneaux photovoltaïques.  Souhaitant concevoir la politique des énergies renouvelables dans un sens qui est propice à leurs secteurs respectifs, ces acteurs institutionnels veulent maintenir leurs pouvoirs de décision dans la PER, d’où aussi une possible opposition stratégique à un renforcement de la NAER. Une telle attitude est d’autant plus plausible que les compétences respectives de ces organes en matière d’énergies renouvelables ne sont pas concrétisées, ce qui leur confère une marge de manœuvre dans le maniement des programmes et des fonds. A titre d’exemple de tension entre la NAER et les Ministères on peut mentionner qu’un grand nombre de ces derniers et d’autres organes nationaux étaient obligés, par une décision du Cabinet des ministres en 2008, de soumettre à la NAER des programmes sectoriels de l’efficience énergétique, que l’agence devait revoir et approuver.  Ces programmes étaient susceptibles de servir de base à la rédaction du programme national de l’efficience énergétique. La NAER n’a pourtant pas reçu tous les projets à temps, ce qui a freiné l’élaboration du programme en question. 
La réticence des autres Ministères de suivre la politique que promeut la NAER transparaît aussi dans une décision du Cabinet des ministres de février 2009.  Au lendemain d’une nouvelle aggravation des relations avec la Russie dans le secteur gazier, le Cabinet des ministres a en effet chargé la NAER et d’autres organes exécutifs d’étudier la possibilité de la mise en place de deux nouvelles entreprises nationales : « Biocarburants de l’Ukraine » et « Énergie renouvelable de l’Ukraine ».  Dans le cas où de telles entreprises seraient effectivement instaurées, la NAER serait responsable de la gestion de tous les fonds budgétaires destinés à la PER, fonds qui se trouvent actuellement dispersés entre les différents Ministères mentionnés ci-dessus.  Il faut souligner qu’il s’agit ici d’une formulation prudente qui laisse la décision au sujet d’un réagencement institutionnel en faveur de la NAER entre les mains de tous les acteurs associés aujourd’hui à la politique des énergies renouvelables et déterminés de maintenir leurs compétences. Dès lors, il n’est pas surprenant qu’aucune décision n’ait encore été prise en la matière.  Qui plus est, dans le même document, le Cabinet des ministres désigne le Ministère de l’Énergie comme le principal responsable de la politique des économies d’énergie et des énergies renouvelables.  Ceci contredit la disposition relative à un renforcement de la NAER et témoigne de la difficulté du Gouvernement de trouver un consensus pour répartir de façon claire des responsabilités parmi les acteurs actuellement en charge de la PER.
Les difficultés de la NAER de mener à bien sa mission de coordination de la PER ne pose pas seulement problème à la formulation d’une politique unique, mais aussi à la mise en œuvre des dispositifs déjà en vigueur. Ainsi des entrepreneurs souhaitant obtenir des exemptions fiscales conformément à la législation de 2007 racontent-ils qu’aucune institution ne se voit responsable pour appliquer cette mesure.  Ioulia Berezovskaia du cabinet de conseil « Fuel Alternative » affirme en particulier que les fonctions assumées par la NAER ne sont pas claires aux yeux des acteurs non-étatiques travaillant dans le secteur des énergies renouvelables.  Elle parle dans ce contexte d’une « irresponsabilité collective »  des acteurs institutionnels, aucun ne s’engageant dans la mise en œuvre de la PER.
Une telle configuration institutionnelle se distingue par ailleurs des pratiques courantes dans les pays européens, les acteurs institutionnels du secteur écologique,  notamment le Ministère de l’Environnement, ne participant pas à la politique des énergies renouvelables en Ukraine. Comme l’affirment Frédéric Varone et Bernard Aebischer, « the administrative institution chosen for the implementation of an instrument is selected in direct relation to the nature of the collective problem which is socially perceived».  De ce point de vue, la mise à l’écart du Ministère de l’Environnement en matière de prise en charge des énergies renouvelables reflète la dissociation entre le problème du réchauffement climatique et la question des énergies renouvelables en Ukraine, que nous avons évoquée au premier chapitre.  D’un autre côté, la détermination des Ministères prémentionnés à garder leurs compétences en matière de la PER indique aussi qu’il existe des acteurs institutionnels ne permettant pas que le Ministère de l’Environnement reprenne leurs fonctions. Ceci empêche en retour l’association entre les questions climatiques et énergétiques dans l’élaboration de la PER et pérennise la faible importance accordée aux énergies renouvelables.

Ainsi faisons-nous face à une répartition floue de responsabilités institutionnelles dans le domaine des énergies renouvelables, qui résulte de la volonté des différents acteurs de maintenir des compétences en matière de distribution des ressources liées à la PER. Il devient dès lors compréhensible pourquoi une politique cohérente, orientée davantage vers le long terme fait à ce jour défaut en Ukraine. Ceci nous fournit par ailleurs une première confirmation de notre hypothèse selon laquelle les dynamiques de la PER en Ukraine se laissent moins représenter en termes de politique publique, mais plutôt en termes d’action publique irréductible à des processus décisionnels visant un ensemble de dispositifs logiquement interconnectés. Nous pourrons corroborer davantage cette vision des choses en nous penchant sur les acteurs institutionnels du secteur des énergies traditionnelles et leurs interventions dans la PER.


II Les acteurs institutionnels du secteur énergétique traditionnel : entre marginalisation et instrumentalisation des énergies renouvelables

Comme nous avons déjà expliqué, si la dépendance énergétique de l’Ukraine induit la volonté politique de diversifier ses ressources énergétiques, ce raisonnement n’agit pas en faveur de la promotion des énergies renouvelables uniquement. Ce sont dans les faits toutes les sources énergétiques que l’Ukraine peut exploiter comme substitut au gaz russe qui profitent d’une politique de diversification. En reprenant la terminologie de Kingdon,  on observe ainsi qu’en Ukraine, c’est la promotion concomitante de sources traditionnelles et renouvelables qui réussit, en tant que solution circulant dans le policy stream, la greffe au problème de la dépendance énergétique (1). Une telle dynamique sape la mise en œuvre effective des dispositifs s’adressant aux énergies renouvelables en raison des coûts élevés qu’ils impliquent en comparaison aux politiques des énergies traditionnelles. Elle témoigne aussi de l’influence qu’exercent les acteurs institutionnels représentant les différentes énergies traditionnelles sur la formulation de la politique énergétique. Cette influence ne doit pas pour autant être représentée comme agissant de manière univoque en faveur d’une marginalisation des énergies renouvelables. Les acteurs de certains secteurs énergétiques traditionnels soutiennent la promotion des énergies renouvelables en les utilisant comme moyen de réduire l’apport d’autres énergies traditionnelles servant à approvisionner l’Ukraine en énergie (2).


1. La promotion concomitante des énergies renouvelables et des énergies traditionnelles

Parmi les sources traditionnelles les plus sollicitées en Ukraine se trouve d’abord le charbon. Jusqu’en octobre 1994, l’institution centrale en charge du secteur minier était le Comité de l’industrie du charbon (Comité du charbon), qui se situait dans la ville de Donetsk, dans la principale région minière de l’Ukraine, le Donbass.  Du fait de sa proximité avec les acteurs économiques directement engagés dans le secteur, il se focalisait sur le maintien des subventions soutenant l’industrie du charbon. De plus, entre septembre 1993 et mars 1994, c’est le Premier ministre Efim Zviahilski, lui-même issu du Donbass et directeur d’une mine,   qui a joué un rôle important dans la formulation de la politique du charbon. Ainsi sous son mandat les subventions destinées à cette filière ont été quasiment doublées.   Or en même temps, c’est aussi sous ce Premier ministre que le gouvernement a lancé l’élaboration de la loi Sur les économies d’énergie que nous avons mentionnée précédemment. Une politique aussi incohérente réduit les stimulations des acteurs privés à investir dans les énergies renouvelables et entraîne par ailleurs la diminution des fonds budgétaires disponibles pour des programmes de subventionnement. Par conséquent, il n’est pas surprenant que le Fonds des économies d’énergie créé par cette loi ait toujours connu une insuffisance de financements.  Il en va de même pour la prime tarifaire instaurée en faveur de l’énergie éolienne à cette époque, qui n’est que partiellement parvenue à la filière.  Ainsi, contrairement à l’objectif d’atteindre en 2010 une capacité globale des éoliennes de 1990 MW, seulement 89 MW étaient installés jusqu’en 2008.
Après son élection à la présidence en juillet 1994, Leonid Koutchma s’est efforcé de reculer l’emprise du secteur minier en réduisant les subventions, mais fut contrebalancé par le Comité du charbon qui répondait par une mobilisation des travailleurs des mines à chaque fois que le gouvernement annonçait une réforme.  Pour réduire le poids politique du Comité, il fut transféré à Kiev et transformé en Ministère de l’Industrie du Charbon (Ministère du Charbon) en 1996,  auquel a été confiée l’élaboration d’un programme de restructuration du secteur. Celui-ci fut pourtant boycotté par les directeurs des mines et n’a pas pu être mis en œuvre ; au contraire, le financement public de ce secteur a de nouveau été augmenté.  La tentative suivante d’une réforme fut entreprise sous le Premier ministre Viktor Iouchtchenko en 2000, lorsqu’il a intégré le Ministère du Charbon dans le Ministère de l’Énergie qu’il venait de fonder, en espérant d’affaiblir par cette voie les acteurs de la filière, réticents aux réformes.  En juin 2005, le Ministère du Charbon fut pourtant rétabli, de sorte que le pouvoir de ces acteurs s’est de nouveau accru. Ceci se manifeste nettement dans le contenu de la Stratégie énergétique pour 2030, destinée à établir les lignes directrices de la réduction de la dépendance énergétique du pays. Elle prévoit en effet un quasi-doublement de l’utilisation du charbon jusqu’en 2030, tandis que les objectifs à atteindre en matière d’énergies renouvelables sont mineurs. 
L’autre filière qui joue un rôle prépondérant dans la politique énergétique ukrainienne est le nucléaire. À cet égard, il faut souligner le rôle de l’entreprise étatique « Energoatom » qui gère l’ensemble des actifs étatiques dans le secteur nucléaire depuis 1996.  Cette entreprise est formellement subordonnée au Ministère de l’Énergie, mais peut, selon Margarita Balmaceda, être considérée comme un quasi-Ministère à l’instar d’autres entreprises étatiques dans le secteur énergétique.   Elle est en effet supposée avoir exercé la plus grande influence sur l’élaboration de la Stratégie énergétique pour 2030, notamment en l’ayant financée.  La première ébauche de la Stratégie a été formulée par l’Institut de l’énergie générale de l’Académie des Sciences de l’Ukraine, mais elle a été soumise à des critiques de la part d’  « Energoatom », insistant sur une plus grande prise en compte du potentiel d’expansion du secteur nucléaire.  En fin de compte, le nucléaire a été défini par la Stratégie comme la source énergétique qui doit fournir la contribution la plus considérable à l’indépendance énergétique de l’Ukraine. Ainsi est-il prévu qu’en 2030 seront construits 14 nouveaux blocs nucléaires et que sera prolongée la durée du fonctionnement de 8 centrales existantes.  La promotion des énergies renouvelables se voit donc concurrencée par le nucléaire, notamment sur le plan de l’attribution de fonds budgétaires. Le fait que ce soit juste après l’adoption de la Stratégie que se multiplient les lois instaurant des mécanismes financiers de soutien aux énergies renouvelables augure de difficultés de leur mise en œuvre. En effet, le paquet des lois portant sur les économies d’énergie, adopté en 2007, ainsi que celui concernant les exemptions fiscales pour les biocarburants de 2009 ne fonctionnent pas proprement faute de financement.
L’influence d’ « Energoatom » et la place centrale accordée à l’énergie nucléaire dans la politique énergétique de l’Ukraine soulèvent par extension la question de l’impact des intérêts économiques privés sur la perception de la dépendance énergétique comme problème public. Le développement de la filière nucléaire nous dévoile en effet une autre dimension de la dépendance énergétique de l’Ukraine et montre dans quelle mesure l’existence objective d’un problème ne coïncide pas forcément avec son articulation en tant que tel et sa mise sur agenda. Similairement au secteur gazier, le secteur nucléaire ukrainien est en effet fortement dépendant des importations du combustible nucléaire, de même que de nombreuses installations pour les centrales nucléaires en provenance de la Russie.   Qui plus est, les prix pour ces importations sont, comme ceux pour le gaz, de plus en plus revus à la hausse par la Russie, ce qui représente une charge supplémentaire pour l’économie ukrainienne.   Or la gestion de cette dépendance ne fait pas unanimité et a notamment été à l’origine de dissensions entre le Ministère de l’Énergie et « Energoatom ». Ainsi, en 2007, l’entreprise est-elle supposée avoir sensiblement modifié la dite Stratégie du développement du secteur nucléaire pour l’an 2030, initialement élaborée par le Ministère, en ayant accordé un rôle encore plus important aux entreprises russes dans le développement du nucléaire ukrainien. Elles devaient être associées à la construction de centrales en Ukraine et obtenir des actifs d’entreprises ukrainiennes du secteur nucléaire.  Sous cet angle, la promotion de l’énergie nucléaire apparaît moins comme une stratégie de réduction de la dépendance énergétique ukrainienne, mais comme une stratégie visant à remplacer une forme de dépendance par une autre.
Ce phénomène renvoie à l’existence d’acteurs ukrainiens qui tirent profit, à titre individuel, de certaines formes de la dépendance énergétique et la veulent maintenir.  Ils sont en conséquence intéressés à ce que les énergies renouvelables demeurent au second rang de la politique ukrainienne. Etant donné le poids de ces acteurs dans la prise de décision, c’est ce qui peut expliquer pourquoi les énergies renouvelables ne sont mises sur agenda qu’à l’occasion de tensions accrues avec la Russie, mais en sont retirées dès lors que les relations se détendent.
Le fait qu’il y ait des acteurs qui  bénéficient de la dépendance énergétique et empêchent l’inscription sur agenda durable de la PER se manifeste également à travers l’exemple de l’entreprise étatique « Naftohaz ». Nous l’avons vu, la dépendance induit objectivement des difficultés d’approvisionnement en énergie de l’Ukraine et des pertes pour les entreprises achetant le gaz russe, depuis 1998 uniquement Naftohaz. Or ceci n’empêche pas que des acteurs individuels au sein de cette entreprise profitent de sa quasi-faillite permanente. Margarita Balmaceda considère ces acteurs comme porteurs de « private-interests-within-the-corporation »,  qui agissent donc au sein d’une entreprise, mais uniquement en fonction de leurs intérêts privés. Un tel phénomène est rendu possible par le fait que les personnes gérant « Naftohaz » n’en sont pas les propriétaires, et ne subissent donc pas personnellement ses pertes. En tant que propriétaire de « Naftohaz », c’est en effet l’État qui doit en fin de compte acquitter le montant du gaz non payé à la Russie, de sorte que l’accumulation de la dette ne représente pas une contrainte économique pour les activités de ses gestionnaires. Par le biais des pratiques illégales, ils peuvent ainsi bénéficier de ce que Balmaceda appelle les « rentes de la dépendance ».  Parmi ces pratiques, on trouve la revente, à titre privé et dans l’opacité, du gaz russe et donc l’obtention de gains sans l’avoir payé au préalable.  Une autre tactique consiste à déclarer officiellement comme étant imposés par la Russie des tarifs plus hauts que ceux demandés en réalité. Le montant de la dette que doit acquitter l’État devient ainsi plus élevé que l’endettement réel de l’entreprise, la différence pouvant être retenue par des acteurs individuels au sein de « Naftohaz ».  On considère notamment que le premier président de l’entreprise, Ihor Bakai, s’est personnellement enrichi par le biais de tels mécanismes.   Selon Balmaceda, ces phénomènes de privatisation de l’action d’une organisation étatique constituent la raison principale pour laquelle les politiques de diversification énergétique ne sont pratiquement pas mises en œuvre. 
L’emprise sur la politique énergétique d’acteurs agissant selon leurs intérêts privés au sein d’une organisation étatique est favorisée par le fait qu’il existe une tendance à la rotation des cadres sinon au cumul des postes les plus élevés du Ministère de l’Énergie et ceux de la présidence des entreprises étatiques. Il en va ainsi pour Iourii Boiko, le ministre de l’Énergie entre août 2006 et décembre 2007, qui en 2002 fut nommé président de « Naftohaz ». Entre 2003 et 2005, il était à la fois président de cette entreprise et vice-ministre de l’Énergie.  Par ailleurs, après la fin de leurs mandats exécutifs, des anciens ministres et présidents des entreprises étatiques se trouvent souvent dans le Comité parlementaire en charge du secteur énergétique. Boiko peut encore une fois être mentionné à cet égard.  Un autre exemple est celui de Serhii Touloub qui fut ministre de l’Énergie et chef d’« Energoatom » à la fois, ensuite membre du Comité parlementaire.  Les mêmes personnes ont ainsi la possibilité de contribuer à la promotion des énergies traditionnelles au sein de l’exécutif de même que du législatif.
Le poids prépondérant de ces acteurs ne se manifeste pas uniquement dans la place mineure qui est accordée aux énergies renouvelables, mais aussi dans l’instrumentalisation de celles-ci en vue de la promotion, indirecte, des énergies traditionnelles.

2. L’instrumentalisation des énergies renouvelables par les acteurs institutionnels des filières énergétiques traditionnelles

La relation entre les acteurs institutionnels prenant en charge les énergies traditionnelles et leur attitude à l’égard des énergies renouvelables ne se laisse pas interpréter de manière univoque comme hostile. Une promotion modeste de la PER, c’est-à-dire celle qui ne remet pas en cause la prépondérance des ressources traditionnelles, peut être dans l’intérêt de ces acteurs. Nous désignons cette action comme étant une instrumentalisation dans la mesure où elle envisage la politique des énergies renouvelables comme un moyen pour atteindre un objectif différent de celui de l’accroissement soutenu de leur part dans le bilan énergétique ukrainien. Cet objectif nous paraît être la réduction du rôle d’une source énergétique traditionnelle par des acteurs travaillant dans la production d’une autre. Cette instrumentalisation s’inscrit ainsi dans le contexte de la concurrence entre les acteurs institutionnels représentant différentes filières des énergies traditionnels. Selon Astrid Sahm, la pratique ukrainienne de la prise en charge des différentes sources énergétiques par des acteurs institutionnels différents, renvoie bien à l’existence de cette concurrence. Ceci se voit notamment à la séparation entre le Ministère de l’Énergie, auquel sont subordonnées les filières nucléaire, gazière et pétrolière, et le Ministère du Charbon.  Par extension, on peut aussi supposer une rivalité économique entre « Naftohaz » et « Energoatom » dans la mesure où, par exemple, la réduction de l’approvisionnement en gaz pourrait profiter à ce dernier en augmentant l’utilisation de l’énergie nucléaire, mais nuirait à « Naftohaz ». De ce point de vue, la promotion des énergies renouvelables représente un moyen à l’aide duquel une filière peut compléter son propre potentiel de développement pour réduire l’apport d’autres secteurs énergétiques traditionnels.
Ceci s’observe tout d’abord à travers l’influence que les acteurs institutionnels associés aux énergies traditionnelles exercent sur la définition même des énergies renouvelables. En ce qui concerne les acteurs du secteur du charbon, ils ont probablement eu une influence sur la délimitation de la notion des énergies renouvelables par rapport à celle des « énergies alternatives ». Si dans les pays européens, ces deux notions sont synonymes, il n’en va pas de même pour l’Ukraine. Bien qu’elles soient souvent utilisées comme équivalentes, le contenu du terme des énergies alternatives est plus large. Or les documents législatifs ukrainiens prévoyant des mécanismes de soutien aux énergies renouvelables s’adressent pour la plupart en vérité aux énergies alternatives. Cela permet aux sources énergétiques qui ne sont pas strictement renouvelables de bénéficier des mêmes mécanismes de soutien que les sources renouvelables. C’est encore une fois la loi Sur les économies d’énergie élaborée sous Zviahilski qui est significative, car elle a établi la définition de ces deux notions : mis à part les énergies renouvelables au sens strict, la notion d’« énergies alternatives » englobe aussi les « ressources énergétiques secondaires ».  Elles sont définies comme ressources qui représentent le résultat secondaire d’une activité économique et ne sont pas valorisées dans le cadre de cette activité.  De telles ressources sont produites dans le secteur minier notamment ; au cours du temps cette notion a été concrétisée dans ce sens et inclut entre autres, de manière explicite, des gaz émis lors de l’extraction du charbon, comme le gaz méthane.  Il s’agit donc de ressources qui sont produites lors de la production ou de l’exploitation de sources énergétiques traditionnelles. Par conséquent, les faire bénéficier des dispositifs de soutien destinés aux énergies renouvelables dans le sens strict favorise indirectement la production du charbon et joue à l’encontre d’autres sources traditionnelles comme le nucléaire. En même temps, la prise en compte des ressources secondaires peut être vue comme condition de l’assentiment des acteurs du secteur du charbon à la mise en place d’une PER. Dès lors, bien qu’ils instrumentalisent la notion des énergies renouvelables de sorte à promouvoir l’industrie du charbon, cette même instrumentalisation permet aussi que des sources intrinsèquement renouvelables bénéficient des mécanismes de soutien.
Dans le cadre de l’élaboration de la loi Sur les sources alternatives d’énergie, en 2000, une modification de la définition des énergies alternatives fut essayée pour la restreindre aux énergies renouvelables. Cette tentative s’inscrit dans le programme des réformes du PM Iouchtchenko dans le cadre desquelles ont été réduites les subventions à la filière du charbon et fut supprimé le Ministère du Charbon.  Ainsi, dans la première version de la loi que le Premier ministre a déposée, les énergies alternatives ont été définies comme énergies renouvelables exclusivement, sans référence aux ressources secondaires.  Cette version n’a pourtant pas été approuvée, mais fut modifiée après la démission de Iouchtchenko, de sorte à inclure de nouveau les ressources secondaires. 
En vertu de la Stratégie énergétique de 2030, l’influence des acteurs institutionnels représentant les intérêts du secteur du charbon est également évidente dans les objectifs fixés pour l’exploitation des sources d’énergie alternatives. Si les énergies alternatives doivent couvrir 19% de la consommation d’énergie primaire en 2030, cet objectif se décompose en environ 7% pour les ressources secondaires et 12% pour les ressources renouvelables.  Un rôle central est accordé au gaz méthane en comparaison avec les énergies renouvelables. Dans les critiques adressées à la Stratégie par des acteurs non-étatiques travaillant dans le domaine des énergies renouvelables, il a été souligné que ces chiffres sous-estiment les potentiels à la fois géographique et technique de l’exploitation des sources d’énergie intrinsèquement renouvelables en Ukraine. 
Parmi les sources renouvelables qui doivent couvrir les 7% de la consommation d’énergie selon la Stratégie énergétique se trouve aussi la dite « énergie de l’environnement » dont l’exploitation doit être multipliée par 100 entre 2005 et 2030.  Il s’agit ici de la chaleur émanant de différents processus dans l’environnement, qui peut être exploitée par des dites pompes à chaleur. Or l’utilisation de ces pompes requiert de l’énergie électrique. La source principale de la génération d’électricité dans la Stratégie est pourtant l’énergie nucléaire. Ce fait ne permet pas de traiter l’énergie de l’environnement comme une source d’énergie renouvelable et suggère qu’  « Energoatom » a appelé à la définition de cette forme d’énergie comme une énergie renouvelable. Il convient dans ce contexte de rappeler que cette entreprise est supposée avoir façonnée considérablement la Stratégie énergétique. De même que pour le charbon, nous pouvons toutefois considérer que l’inclusion de cette source d’énergie dans la catégorie des énergies renouvelables était une condition préalable au consentement d’ « Energoatom » à une politique destinée à des sources renouvelables au sens strict. L’engagement des acteurs des secteurs traditionnels en faveur de leurs propres filières profite donc dans une certaine mesure indirectement aux énergies renouvelables.
Qui plus est, on observe que certains parlementaires ukrainiens, clairement liés au secteur nucléaire, ont été à l’origine des lois portant sur les énergies renouvelables. Parmi eux, on trouve Volodymyr Bronnikov, membre du Parti des régions et du Comité parlementaire en charge des questions énergétiques. Son activité professionnelle était dès sa formation comme ingénieur liée au secteur nucléaire ; il fut entre autres directeur de la centrale nucléaire de Zaporizja, en 2000, président d’Energoatom et est actuellement directeur général d’un département de cette entreprise.  Mais il a aussi été un des initiateurs de la législation sur les économies d’énergie de 2007 et des premiers projets sur les tarifs verts, de même que d’un projet non retenu portant sur la petite hydraulique. Il est probable qu’il conçoive les énergies renouvelables comme un complément au potentiel ukrainien de production d’énergie nucléaire, de sorte que leur exploitation est appréhendée comme un moyen de réduire les rôles respectifs du secteur gazier et de la filière du charbon. Un autre député dont la logique d’action pourrait être interprétée de façon similaire est un membre du Bloc Ioulia Timochenko, Oleksandr Dubovoi. Ses affaires privées sont liées à Energoatom, mais il a été un des initiateurs du paquet des lois sur les biocarburants et d’une loi sur l’efficience énergétique, traitant également des énergies renouvelables, qui se trouve actuellement sous examen au Parlement.
Une autre raison d’action probablement sous-jacente à cet engagement, et sans doute complémentaire à celle liée à la concurrence entre secteurs énergétiques, pourrait consister à une amélioration de l’image des acteurs politiques en question aux yeux d’autres. Ainsi, plusieurs de nos interlocuteurs  ont cité Bronnikov comme le meilleur exemple de l’existence d’un consensus autour de la nécessité de la promotion des énergies renouvelables en Ukraine. Notre interlocuteur du Comité parlementaire en charge du secteur énergétique l’a par ailleurs présenté comme le modèle d’un « professionnel » qui, bien qu’issu de la filière nucléaire, sait s’engager en faveur du secteur énergétique dans son ensemble.  Comme nous a expliqué Vasilii Kotko, ancien vice-président d’Energoatom, qui s’engage aujourd’hui pour la PER, la promotion des énergies renouvelables peut en effet être conçue par les acteurs des secteurs traditionnels comme une contribution à « l’équilibre » de l’ensemble du secteur énergétique.  Ceci est d’autant plus le cas qu’à l’heure actuelle, les énergies renouvelables ne représentent de toute façon pas un concurrent sérieux des énergies traditionnelles. 

Toujours est-il que la promotion indirecte des énergies renouvelables par les acteurs du secteur des énergies traditionnelles n’est pas orientée vers une PER plus cohérente que celle existant aujourd’hui, car elle impliquerait à terme de revoir la place des énergies traditionnelles dans la politique énergétique ukrainienne. Les logiques d’action des divers acteurs institutionnels, que nous avons éclairées dans ce chapitre sont divergentes et ne se rejoignent pas dans la détermination à accorder une place plus importante aux énergies renouvelables au cœur de la politique énergétique. Ceci nous permet de souligner de nouveau la pertinence d’une approche en termes d’action publique dans laquelle sont impliquées différents acteurs dont les motivations sont irréductibles à la volonté de répondre à un problème public. Ce chapitre nous a également permis de suggérer l’impact des acteurs individuels sur le fonctionnement des institutions. Qu’il s’agisse des institutions politiques centrales ou des institutions plus spécifiques, on observe que des acteurs individuels tendent à mobiliser les institutions en tant que ressources en fonction de leurs considérations personnelles et de les dévier le cas échéant des fonctions qu’elles sont censées remplir formellement. Nous l’avons vu à travers l’exemple de la politique du Président Koutchma, mais également en montrant l’impact des intérêts personnels des présidents de la NAER, de même que de ceux des acteurs individuels au sein de « Naftohaz » et d’ « Energoatom » sur les activités respectives de ces organisations. Les interactions de la NAER avec d’autres organisations étatiques ont également élucidé combien les rapports de force entre acteurs influent sur le fonctionnement d’une institution. Cette tendance se manifeste d’une façon plus nette encore si nous prenons en compte les liens entre les acteurs institutionnels et les acteurs non-étatiques, défendant notamment des intérêts économiques privés.

















































CHAPITRE 3 : Le rôle des réseaux entre acteurs économiques et institutionnels dans la promotion des énergies renouvelables


La mobilisation des acteurs non-étatiques est essentielle à ce que la politique des énergies renouvelables soit mise sur agenda, en ouvrant une fenêtre d’opportunité au sens de la political window. Plus précisément, c’est la conjonction entre la political window  et la problem window corrélée aux difficultés de l’approvisionnement en gaz qui s’avère propice à la promotion des énergies renouvelables  en Ukraine.
Prendre en compte le poids des acteurs non-étatiques dans la formulation et la mise en œuvre de la PER amène aussi à relativiser la conception de la politique publique comme étant exclusivement le fait de l’État et corrobore le bien-fondé d’une réflexion en termes d’action publique. Étant donné que la politique des énergies renouvelables accuse une composante économique importante, c’est le rôle des acteurs agissant en fonction de leurs intérêts économiques (acteurs économiques) qui nous intéresse en premier lieu. L’analyse de leur rôle conduit à déceler l’impact des intérêts économiques privés sur la politique publique censée s’orienter vers la résolution des problèmes qui concernent des collectifs, que ce soit la société dans son ensemble ou certains de ses secteurs.
En ce qui concerne les pays occidentaux, l’influence des intérêts économiques privés sur la politique publique a notamment été abordée dans le cadre de l’approche en termes de « réseaux d’action publique » (« policy networks »), marquée entre autres par Roderick Rhodes.  Cet auteur représente le processus décisionnel comme relevant des réseaux formés entre acteurs étatiques et non-étatiques. Ces acteurs sont pensés comme collectifs ; des groupes d’intérêt  d’un côté, des organisations étatiques de l’autre.  Puisqu’un réseau repose sur des relations horizontales et réciproques entre acteurs,  ils sont liés par un échange de ressources, notamment économiques et informationnelles.  Il s’ensuit que la frontière entre le public et le privé s’estompe dans la prise de décision ; certains auteurs parlent de ce fait de l’instauration d’un « gouvernement ‘privé’ » sous l’emprise de ces réseaux.  Par ailleurs, les réseaux d’action publique sont souvent considérés comme stables et fermés à l’accès d’acteurs externes. C’est donc un éventail restreint et constant d’intérêts qui façonne la politique publique, d’où aussi l’association fréquente des réseaux de l’action publique à un facteur d’inertie, de résistance au changement de politique publique.
Des réseaux entre acteurs économiques et politiques existent également en Ukraine. Pourtant, nous estimons que les réseaux ukrainiens ne peuvent pas être englobés par le concept occidental des réseaux de l’action publique, excepté au niveau du trait général de l’effacement de la frontière entre le public et le privé. La PER représente un terrain appropriée pour déceler les caractéristiques propres aux réseaux ukrainiens en raison de l’influence qu’ils exercent sur sa mise en œuvre.
Il nous paraît judicieux de ce faire du point de vue de l’évolution temporelle de ces réseaux. Ainsi verrons-nous d’abord comment ils se sont constitués en Ukraine après son indépendance et quelles ont été les implications de leur existence sur la politique des énergies renouvelables sous Koutchma (I). Ensuite, nous analyserons leur impact sur la politique des énergies renouvelables d’après la Révolution orange (II). Enfin, nous démontrerons combien l’accès aux processus décisionnels en matière de PER est rendu difficile pour les acteurs qui ne font pas partie des réseaux économico-politiques (III).


I La politique énergétique sous Koutchma comme moyen d’arbitrage entre réseaux économico-politiques

Les réseaux économico-politiques qu’on trouve aujourd’hui en Ukraine se sont forgés dans le contexte des réformes au lendemain de l’effondrement de l’URSS, tout en remontant aussi à des groupes d’allégeance qui s’étaient construits à l’époque soviétique. Certains auteurs comme Oleh Havrylyshyn, Joel Hellman ou Rosaria Puglisi considèrent que c’est le caractère très graduel des réformes économiques ukrainiennes en comparaison à celles d’autres pays qui a favorisé l’émergence de processus décisionnels dans lesquels les intérêts économiques privés jouent un rôle prééminent.  En effet, lorsqu’à l’arrivée de Leonid Koutchma à la présidence fut entamé un programme de réformes, celui-ci visait l’instauration d’une économie de « troisième voie » se situant entre l’économie planifiée et celle de marché,  ne prévoyant pas de réformes radicales. On faisait ainsi face à la privatisation seulement partielle de la propriété étatique, et l’intervention de l’État dans les relations économiques était maintenue dans plusieurs domaines comme la fixation des prix. En conséquence, le cours des affaires des acteurs économiques dépendait des relations privilégiées avec les autorités publiques qui établissaient les règles pour l’activité économique et contrôlaient leur application. Des moyens d’influence informelle comme la corruption, c’est-à-dire « l’abus conscient du pouvoir public et/ou des ressources publiques pour le bénéfice privé »   ont joué un rôle important à cet égard en étant favorables à la fois aux acteurs économiques et politiques/bureaucratiques en question. Tous les deux types d’acteurs obtenaient par ce biais accès aux « rentes », c’est-à-dire à des gains financiers qui excèdent ceux envisageables dans un contexte de compétition sur le marché et de légalité.  Si le recours aux moyens d’influence informelle ne constitue pas une spécificité ukrainienne et peut également être conçu dans le cadre du modèle des réseaux d’action publique, c’est la persévérance de telles pratiques et le manque de possibilités d’influence légale, notamment dans le cadre du Parlement, qui représentait une particularité des processus décisionnels de l’Ukraine sous Koutchma. De telles pratiques rendent à elles seules difficile le développement de la filière des énergies renouvelables dans la mesure où elles peuvent entraîner une dissociation entre la productivité des entreprises et leur entrée ou sortie du marché, actionnée par pression informelle sur l’administration. C’est ce qui est en effet observé en Ukraine.  Il s’ensuit que l’innovation qui sous-tend le développement des énergies renouvelables risque de ne pas être rémunérée, d’où aussi la réticence des acteurs économiques à investir dans ce domaine.
Les plus puissants des réseaux entre acteurs politiques et économiques sont basés sur une origine régionale commune. La notion fréquemment utilisée pour ces réseaux est celle de « clan ». Ainsi peut-on distinguer les clans de Dnipropetrovsk, de Donetsk et de Kiev (1). Leurs relations sont marquées de concurrence, ce qui se répercute sur la façon dont la politique énergétique est formulée en recelant des facteurs inhibant la promotion des énergies renouvelables (2).

1. Les principaux réseaux économico-politiques en Ukraine


Un premier élément qui différencie les réseaux économico-politiques ukrainiens du modèle des réseaux d’action publique est leur composition : ils ne sont pas formés d’acteurs collectifs, mais d’acteurs agissant à titre individuel. Du côté des acteurs économiques, ceci reflète le faible degré d’organisation des entrepreneurs en groupes d’intérêt institutionnalisés en Ukraine.   S’il existe quelques associations d’entrepreneurs comme l’Union ukrainienne des industriels et des entrepreneurs (USPP), leur poids dans les processus décisionnels est considéré comme négligeable.  Du côté des acteurs politiques, ceci reflète aussi l’influence majeure qu’exercent des acteurs individuels sur le fonctionnement des organisations étatiques, mentionnée dans le deuxième chapitre.
Parmi les membres les plus puissants de ces réseaux, on trouve les « oligarques ». Il s’agit d’individus dont le rôle prépondérant résulte de la conjonction entre des fortunes personnelles extraordinaires et le lien étroit avec le pouvoir politique. Ces ressources se renforcent mutuellement et peuvent être considérées comme constitutives de la définition même du terme d’« oligarque ».  Les oligarques sont ainsi des acteurs économiques ayant particulièrement tiré profit de la libéralisation partielle des années 1990.  Chacun des clans régionaux est dominé par quelques oligarques qui représentent des pôles d’influence en son sein. Ces réseaux économico-politiques ne sont en effet pas homogènes, mais fragmentés selon les allégeances personnelles des acteurs et selon leurs liens avec différents secteurs économiques.
Leonid Koutchma était issu du clan de Dnipropetrovsk ; aujourd’hui, son gendre Viktor Pintchouk représente l’acteur le plus influent de ce clan. Les acteurs économiques qui en font partie s’engagent notamment dans le secteur de la métallurgie, mais détiennent aussi des actifs dans l’industrie pétrolière, la finance et l’extraction du charbon.  On peut également mentionner Igor Kolomoiskii, propriétaire du holding « Privat », comme un pôle d’influence du réseau.
     Le clan de Donetsk possède avant tout des actifs dans la filière du charbon, mais est également associé à la métallurgie. L’oligarque le plus puissant de ce réseau est Rynat Akhmetov, l’homme le plus riche de l’Ukraine et propriétaire des holdings System Capital Management (SKM), Metinvest et DTEK qui réunit ses actifs dans le secteur énergétique. L’Union industrielle du Donbass (ISD), fondée par Serhii Tarouta et Vitalii Haidouk, est également associée au réseau de Donetsk, tout en représentant un pôle d’influence à part en son sein. D’autres personnalités influentes du réseau sont Mykola Azarov et, dans les années 1990, Volodymyr Chtcherban.
Le clan de Kiev est dominé par Viktor Medvedtchouk et Grigorii Sourkis, qui ont joué un rôle politique central sous la présidence de Koutchma. Medvedtchouk était alors le chef de l’Administration présidentielle depuis 2002. L’engagement économique des acteurs du clan se réalise dans plusieurs secteurs, à savoir la finance, les médias et l’alimentaire.
La composition de ces réseaux nous indique une autre différence par rapport au modèle des réseaux de l’action publique de Rhodes. Celui-ci repose en effet sur l’idée que les acteurs économiques et institutionnels forment des réseaux en fonction de leur appartenance sectorielle, par exemple les acteurs économiques du secteur énergétique avec le Ministère de l’Énergie. Chaque secteur de l’action publique serait ainsi dominé par un réseau d’acteurs indépendant. Cependant, en Ukraine, nous observons que chacun des clans s’engage dans différents filières économiques à la fois. Par conséquent, les différents clans se trouvent en compétition les uns avec les autres en matière d’influence sur la politique publique dans différents secteurs.

2. L’instrumentalisation de la politique énergétique sous Koutchma comme contrainte à la promotion des énergies renouvelables

Cette dimension conflictuelle des relations entre les réseaux économico-politiques a comme conséquence l’utilisation de la politique publique par certains acteurs dans le but de valoriser le poids de leur propre clan dans un secteur particulier et de réduire le rôle d’un autre clan. Dans ces cas, la politique publique paraît conçue moins pour répondre à un problème public mais plutôt pour être un outil de redistribution des ressources entre différents réseaux d’acteurs.  Ces ressources peuvent être de nature économique, comme l’attribution de subventions, ou de nature politique, telle l’attribution d’un poste public à une personne, constitutive de la pratique du patronage.
Cette instrumentalisation de la politique publique était particulièrement répandue sous le Président Koutchma. Comme nous l’avons montré, l’institution présidentielle occupait le rôle central dans les processus décisionnels à cette époque. Même s’il était issu du clan de Dnipropetrovsk, Koutchma a su acquérir une position d’arbitre dans les relations entre les clans ; Margarita Balmaceda parle dans ce contexte d’un « président-arbitre » (« president-as-balancer »).  Le pouvoir de Koutchma reposait en effet sur sa capacité à partager des ressources avec les acteurs de différents réseaux tout en veillant à ce qu’aucun d’entre eux ne puisse en accumuler tant à pouvoir contester le pouvoir du président même.  Dans ce but, Koutchma mobilisait aussi le droit. Souvent, eu égard à une législation délibérément complexe et contradictoire, les acteurs économiques n’avaient pas d’autre choix sauf l’infraction pour poursuivre leurs affaires. La prise en compte mais tolérance de l’infraction par le Président mettait les personnes concernées dans une situation de dépendance. En cas de manque de loyauté à l’égard du Président, ces infractions pouvaient ensuite être servir de prétexte à une procédure pénale à l’encontre de déviationnistes. Keith Darden désigne ce système comme un « État d’extorsion » (« blackmail state »).
Dans ce contexte, nous pouvons comprendre la raison pour laquelle la politique des énergies renouvelables est restée déclarative sous Koutchma, excepté pour le programme des éoliennes auquel il avait un intérêt propre. Il n’est en effet pas évident qu’à cette époque, les réseaux politico-économiques aient montré un intérêt quelconque pour la filière des énergies renouvelables. Par conséquent, la mise en place des mécanismes de soutien concret en sa faveur n’aurait pas pu être instrumentalisée dans le sens d’un arbitrage entre les clans. La motivation du président à élaborer une telle politique était donc limitée et se cantonnait sans doute à l’exercice d’un geste symbolique à l’égard de la Russie aux moments des difficultés d’approvisionnement en gaz.
En revanche, c’est dans le secteur gazier que la politique publique pouvait particulièrement bien être utilisé aux fins de redistribution de ressources provenant du commerce avec la Russie. Comme indiqué précédemment, ce commerce se prête en réalité particulièrement à l’obtention de gains privés par des acteurs individuels. En 1995, le Premier ministre Pavlo Lazarenko, faisant partie du clan présidentiel de Dnipropetrovsk, a lancée une politique de libéralisation du secteur gazier en Ukraine, qui avait été monopolisé par l’entreprise étatique « Ukrhazprom » jusque lors.  Cette politique a permis l’émergence d’entreprises privées dans le secteur gazier, dont une a été gérée par une autre personnalité du clan de Dnipropetrovsk, Ioulia Timochenko : « Edyny Enerhetytchny Systemy Ukrainy »  (EESU). Par la suite, Lazarenko a mené une politique en faveur d’EESU uniquement, ce qui est supposé avoir été le résultat d’une action de corruption de la part de Timochenko.  Or il était ainsi en train d’accumuler des ressources économiques et politiques considérables, ce qui fut perçu par Koutchma comme potentiellement dangereux pour sa propre position dominante. Ceci a provoqué la démission du Premier ministre en 1997 et entraîné une scission du clan de Dnipropetrovsk autour de Koutchma d’une part et des personnes loyales à Lazarenko d’autre part.  Lazarenko fut, dans la logique de l’ « Etat d’extorsion », soumis à une poursuite judiciaire pour corruption. Koutchma a par ailleurs fait réinstaurer une entreprise étatique monopolisant de nouveau le secteur gazier, « Naftohaz ».  À sa tête fut placé Ihor Bakai, l’un des conseillers les plus proches du président. Mais dès lors qu’il a apparu profiter lui aussi de son poste public pour s’approprier des ressources, il fut contrebalancé par la nomination de Ioulia Timochenko au poste de vice-Premier ministre en charge du secteur gazier, bien qu’elle ait été ancienne rivale de Koutchma. Ayant un intérêt personnel dans le démantèlement du monopole de « Naftohaz » qui avait évincé sa propre entreprise du marché gazier,  elle s’est en effet montrée déterminée à affaiblir Bakai. L’attribution des ressources politiques en faveur de Timochenko par Koutchma paraît un cas exemplaire de l’arbitrage entre différents réseaux de la part du Président, reposant entre autres sur l’habilité en matière d’exploitation des conflits entre différents clans en sa faveur.
Cet exemple nous dévoile une autre différence entre les réseaux économico-politiques ukrainiens sous Koutchma et le modèle des réseaux d’action publique. Si ces derniers sont conçus comme un facteur d’inertie de la politique publique, les réseaux ukrainiens, en raison de leur instabilité interne et leur concurrence, rendent la politique publique ukrainienne éclectique. Elle oscille entre différentes lignes directrices, en l’occurrence la monopolisation et la libéralisation du marché gazier. Plutôt que de contrecarrer des changements de politique publique, les interactions des clans ukrainiens font des changements récurrents une norme. Appliqué à notre objet d’étude, il s’ensuit des changements fréquents dans le subventionnement des énergies traditionnelles, d’où aussi l’absence de signaux de prix clairs pour des investissements dans la filière des énergies renouvelables de même qu’une incertitude générale sur leurs rendements. Dans ce contexte, la mise en place de la politique des énergies renouvelables sous Koutchma se laisse moins concevoir comme un enjeu de changement de politique énergétique, mais plutôt comme celui de l’existence d’une politique énergétique en général. Ce constat demeure vrai pour l’Ukraine d’après la Révolution orange, même si la présidence de Iouchtchenko est allée de pair avec un changement de rôle du Président face aux réseaux économico-politiques.


II Le rôle des oligarques-députés dans la promotion sélective des énergies renouvelables après la Révolution orange

Si dans un premier temps les échanges de services informels entre les acteurs économiques et politiques étaient centraux aux interactions au sein des clans, à partir de la fin des années 1990, on a pu observer la tendance à une certaine légalisation des stratégies d’influence de la part des acteurs économiques, notamment les oligarques.  Elle s’est manifestée à travers des fondations de partis et l’obtention de mandats parlementaires, ce qui ne permettait pas seulement de prendre part plus activement aux processus décisionnels, mais aussi de bénéficier de l’immunité parlementaire, cruciale dans le contexte juridique politisé de l’ « Etat d’extorsion ». Le clan de Dnipropetrovsk était ainsi associé au Parti national-démocrate de l’Ukraine, celui de Kiev au Parti social-démocrate uni de l’Ukraine. Le clan de Donetsk était quant à lui représenté par le Parti libéral et le Parti des régions, ce dernier occupant aujourd’hui encore une place primordiale dans la vie politique ukrainienne.  Malgré la volonté affichée d’en finir avec la forte emprise des oligarques sur la politique nationale par les adeptes de la Révolution orange, la présence des oligarques au Parlement a été non seulement continue mais renforcée depuis la fin du mandat présidentiel de Koutchma en 2004 ; un nombre plus important d’oligarques dispose désormais des mandats parlementaires. Comme l’explique Ioulia Shukan, ceci est dû à la réforme constitutionnelle de 2006 ayant augmenté les pouvoirs du Parlement dans la formation du gouvernement et les compétences de ce dernier, tout en ayant réduit les compétences du Président.  Le rôle informel du Président a également subi des mutations puisque Iouchtchenko n’agissait plus comme arbitre entre différents clans.  L’absence d’un Président-arbitre n’a toutefois pas éliminé le problème de la concurrence entre les clans, ce qui rend la prise de décision difficile  et empêche de nouveau la formulation d’une politique énergétique cohérente. Ceci s’est par exemple observé à l’occasion de la renégociation du contrat gazier avec la Russie en janvier 2009, durant laquelle la PM Ioulia Timochenko et le ministre de l’Énergie Iourii Boiko se sont affrontés au sujet du rôle des entreprises intermédiaires dans le commerce gazier avec la Russie. L’appartenance des deux acteurs aux réseaux économico-politiques différents est supposée avoir joué un rôle décisif dans ce conflit, moins les raisonnements relatifs à l’efficacité de sa résolution. 
Toujours est-il que par opposition à l’époque de Koutchma, après la Révolution orange, la détention d’un mandat parlementaire est devenue un moyen de façonner activement la politique publique. Ceci est d’autant plus le cas que ce mandat peut être combiné avec des stratégies d’influence informelles. Selon les données du Centre d’études politiques Razoumkov de 2009, ce serait en effet une douzaine d’élus qui, par le biais de la corruption, contrôlent le comportement de votes d’autres parlementaires. 
Le phénomène des oligarques-députés témoigne par ailleurs d’un autre trait distinctif des réseaux économico-politiques ukrainiens en comparaison au modèle des réseaux d’action publique. Dans le cadre de ce dernier, les acteurs économiques et les acteurs institutionnels sont conçus comme clairement discernables et séparés. C’est leur interaction qui fait que la frontière entre le public et le privé s’estompe. En revanche, en Ukraine, certains acteurs tels les oligarques sont à la fois acteurs économiques et acteurs institutionnels ; la différenciation entre le public et le privé ne s’efface donc pas seulement lors des interactions au cours de la prise de décision, mais aussi au niveau de certains acteurs individuels mêmes. Leurs intérêts économiques privés peuvent ainsi peser de façon plus directe sur la politique publique.
Nous avons vu qu’à l’exception des dispositifs pour la construction des éoliennes, la mise en place de mécanismes financiers en faveur des énergies renouvelables a été entamée en 2006. De plus, c’est à partir de cette année que les principaux actes législatifs en matière d’énergies renouvelables ont été lancés par les membres du Parlement et non par ceux de l’exécutif. Il a également été  montré que l’aggravation des relations avec la Russie en matière d’approvisionnements en gaz a agi en faveur de cette évolution en ouvrant une problem window selon le lexique de Kingdon. L’orientation pro-européenne de Iouchtchenko a, quant à elle, ouvert une political window  à la mise en place de la PER.  Nous pouvons y ajouter que la valorisation du Parlement au sein duquel sont présents des oligarques-députés intéressés à la promotion des énergies renouvelables de même que des personnes représentant leurs intérêts constitue une autre dimension de la political window ouverte par les implications de la Révolution orange. Aussi est-ce l’effet conjugué entre le conflit gazier avec la Russie et la mobilisation de ces acteurs qui a joué en faveur de l’accélération de la PER à partir de 2006 (1). Toutefois, on observe aussi que la législation sur les énergies renouvelables mise en place par ces acteurs est marquée de biais qui sont conformes à leurs intérêts économiques individuels, mais ne favorisent pas nécessairement le développement du secteur des énergies renouvelables dans son ensemble. On fait en effet face à une promotion sélective des énergies renouvelables. Ceci renvoie à la possible dissociation entre les intérêts collectifs des acteurs d’un secteur économique (intérêts sectoriels) et les intérêts économiques privés d’un acteur individuel bien qu’il soit engagé dans le secteur même. Cette dynamique nous amène à réfléchir sur la façon dont l’influence des oligarques-députés peut être interprétée du point de vue de la problématique de la convergence entre les normes de politique des énergies renouvelables des pays ouest-européens et de l’Ukraine (2).

1. L’engagement des oligarques en faveur de la législation sur les énergies renouvelables

Une des filières des énergies renouvelables à laquelle s’intéressent les oligarques est celle de la biomasse, puisqu’elle peut être développée sur le fond d’activités commerciales traditionnelles dans le secteur agraire,  dans lequel un grand nombre d’eux s’engagent. Ils le font notamment à travers des entreprises verticalement intégrées, de sorte qu’ils contrôlent à la fois la production des ressources primaires et leur transformation successive. Cette structure encourage l’exploitation de la biomasse car elle peut être transformée et consommée dans une même entité de production et est donc indépendante de la demande extérieure, à ce jour faible en Ukraine.  Toutefois, les projets en matière d’exploitation de la biomasse qu’ont entrepris quelques oligarques n’ont pas encore débouché sur une production et une utilisation massives de cette source énergétique  ; leur intérêt pour la législation en la matière est d’autant plus remarquable. Parmi les oligarques en question, on peut mentionner Bohdan Goubskii, associé au groupe oligarchique de Kiev, qui dispose des actifs dans la filière du sucre et qui est par ailleurs réputé pour des rachats de terres arables. Il peut donc être considéré comme potentiellement intéressé par la filière des biocarburants et, en raison des activités dans le domaine du sucre, du bioéthanol en particulier. Bien qu’il soit lui-même député au sein de la fraction du Bloc Ioulia Timochenko, une influence directe de sa part sur la législation dans le domaine des biocarburants ne peut toutefois pas être retracée. En revanche, il est probable que l’un des initiateurs du paquet des lois portant sur la biomasse de 2009, Sirhyii Pachinskii, également député du BIouT,  a représenté les intérêts de Goubskii. Pachiniskii est reconnu comme une personne loyale envers ce dernier  et, à en juger ses propos sur la législation en question dans un article de presse,  il a milité pour l’instauration de mécanismes financiers en faveur du bioéthanol uniquement.  En effet, la législation en vigueur a cette orientation, d’autres types de biocarburants étant négligés. Cette orientation n’a pas été incontestée lors de l’élaboration de la législation, mais a bien causé des dissensions autour des représentants des intérêts des autres sous-filières de la biomasse.  Nous ne pouvons pas identifier d’autres impacts nets sur cette législation de la part de personnalités précises, mais nous supposons que celles-ci existent, puisque certains autres oligarques intéressés par la biomasse sont représentés au Parlement, soit directement, soit par d’autres membres de leurs réseaux. Par exemple, il en va ainsi pour Igor Kolomoiskii du holding « Privat », produisant du colza dans l’entreprise « Privat-Agrocentr », et membre du Parlement dans la fraction de BIouT. 
Si nous prenons en compte l’intérêt des oligarques pour le secteur large des énergies alternatives telles que définies en Ukraine, on peut mentionner l’utilisation du gaz méthane comme étant liée à l’activité dans une autre filière traditionnelle, celle du charbon. Le holding « Metinvest » de Rynat Akhmetov y est par exemple engagé. En particulier, « Metinvest » travaille sur dix projets de mise en œuvre conjointe dans le cadre du protocole de Kyoto,  dont deux ont déjà été approuvés par la NAEI   et se trouvent en cours de réalisation. Député du Parti des régions depuis les élections du mars 2006 et associé à une vingtaine d’autres élus, Akhmetov semble avoir empreint la législation en matière d’énergies renouvelables, y compris celle concernant les tarifs verts. En effet, peu après l’adoption de cette dernière en avril 2009, deux députés ont proposé d’inclure les ressources secondaires dont le méthane dans le système des tarifs de rachat obligatoire duquel elles étaient exclues auparavant.  Ces propositions se trouvent actuellement sous examen du Comité parlementaire en charge du secteur énergétique. Les députés en question sont le membre du Parti des régions Efim Zviahilskii, que nous avons déjà mentionné dans sa fonction de premier ministre, propriétaire de la mine « Zasiadko » et bénéficiaire de la mise en œuvre conjointe dans le cadre d’un projet d’exploitation du méthane, et Iourii Voropaev, ayant la même affiliation partisane et considéré comme loyal à l’égard d’Akhmetov.  Il est donc susceptible d’avoir agi dans les intérêts de ce dernier.
Récemment, Akhmetov s’est aussi engagé dans la filière de l’éolien. En 2008, son holding DTEK a élaboré une stratégie pour la construction de parcs d’éoliennes, avec comme objectif de faire en sorte que l’énergie éolienne représente à long terme 20% des capacités gérées par DTEK.  À cet effet, en 2009, une entreprise à part fut fondée dans son cadre, « Wind Power » ; c’est elle qui s’occupe de la mise en œuvre de la stratégie.  L’influence sur la politique en matière d’éolien est toutefois surtout exercée par Andrii Kliouev, qui constitue un pôle d’influence indépendant, mais qui a aussi coopéré quelques fois avec Akhmetov.  Une telle coopération existe probablement aussi dans le secteur de l’éolien, d’autant plus qu’il ne représente pour aucun des deux le centre de leurs activités respectives et n’est donc pas susceptible de servir de base à des relations concurrentielles.
Comme Akhmetov originaire de Donetsk, Kliouev est l’oligarque le plus engagé politiquement en matière de promotion des énergies renouvelables. En tant que député du Parti des régions entre mars 2006 et mars 2010, il a personnellement été l’un des initiateurs des deux paquets de lois fondamentales dans ce domaine : celui portant sur les économies d’énergies de 2007  et celui de 2009 sur les tarifs verts,  ayant introduit la différenciation des tarifs selon les sources d’énergie et prolongé les délais de validité des tarifs une fois qu’ils sont attribués aux investisseurs. A part son rôle d’initiateur, il est reconnu comme ayant été déterminant lors de l’élaboration de ces lois.  Andrii Kliouev est, avec son frère Serhii, propriétaire du holding « Ukrpodchipnik », cofondatrice de l’entreprise « Vitroenergoprom »  chargée quant à elle de la construction des éoliennes dans le cadre du Programme de la construction des éoliennes de 1997, et gérant à l’heure actuelle le plus grand parc éolien de l’Ukraine.  Depuis 2006, « Ukrpodchipnik » a acquis plus de 50% d’actifs de « Vitroenergoprom ».  Par ailleurs, « Ukrpodchipnik » contrôle depuis 2009 une entreprise de fabrication de semi-conducteurs, y compris pour des panneaux photovoltaïques. Les deux frères ont en outre déclaré vouloir fonder une nouvelle usine consacrée à la construction des installations pour l’exploitation de l’énergie solaire.  Ses intérêts pour les énergies éolienne et solaire peuvent expliquer pourquoi Kliouev a justement milité en faveur d’une différenciation des tarifs de rachat obligatoire, puisque cela lui permettait d’attribuer des tarifs plus importants à ces deux sources que le tarif unique prévu auparavant. « Vitroenergoprom » est du reste une des premières entreprises à avoir obtenu le tarif vert en août 2009, de sorte à obtenir des gains financiers supplémentaires à travers la vente d’électricité à des tarifs préférentiels. 
Toujours est-il que l’influence des oligarques en matière d’énergies renouvelables paraît, elle aussi, dépendante de fenêtres d’opportunités que nous avons décelées dans le premier chapitre. Ainsi faut-il dire que déjà présent au Parlement entre 2002 et 2004, Kliouev avait initié deux projets législatifs visant à la mise en place d’un système de tarifs préférentiels – toutefois pour l’énergie éolienne uniquement,  qui était aussi la seule énergie renouvelable pour laquelle il disposait des actifs à l’époque.  Mais ces projets n’ont pas été adoptés. Cet échec peut s’expliquer par le manque d’intérêt de la part d’autres acteurs économiques qui n’étaient pas encore impliqués économiquement dans ce secteur, comme Akhmetov. Cependant, le fait que pendant cette période il n’y ait pas eu de conflit gazier avec la Russie peut aussi constituer une raison du manque de soutien à son projet. Ceci témoigne encore une fois de l’importance de la conjonction entre une problem window et une political window autour d’un enjeu pour sa mise sur agenda.


2. La contribution limitée des oligarques à la convergence des politiques des énergies renouvelables des pays européens et de l’Ukraine

Comme nous avons observé dans le premier chapitre de notre étude, les instruments financiers et notamment le système des tarifs de rachat obligatoire ukrainiens revêtent des similarités avec les politiques en vigueur dans les pays de l’UE. De ce point de vue, les oligarques-députés paraissent comme des possibles porteurs de convergence des normes de politique des énergies renouvelables entre les pays ouest-européens et l’Ukraine.
Certains chercheurs comme Inna Melnykovska et Rainer Schweickert  considèrent qu’étant intéressés à exporter et à investir dans les marchés européens, les oligarques se voient obligés de respecter la législation des pays ouest-européens et de l’UE en matière de transparence de l’activité économique et des normes de qualité de la production. Leur rôle étant prépondérant dans la formulation de la politique publique, ils pourraient par conséquent infléchir celle-ci de sorte à favoriser la transposition du droit des pays européens dans la législation ukrainienne. Ainsi, la réticence de l’UE à accorder une perspective d’adhésion à l’Ukraine ne déboucherait pas sur l’absence totale de motivation des acteurs ukrainiens à œuvrer en faveur de la convergence des normes. Les oligarques seraient donc le moteur de ce que Colin Benett appelle une convergence « par pénétration »,  c’est-à-dire une convergence qui ne résulte pas de la coercition directe ni du transfert volontaire de normes : il s’agit plutôt d’une dynamique enclenchée par l’enchevêtrement des économies nationales. Il s’ensuit que les choix de politique publique faits par des acteurs extérieurs à un État donné impliquent des conséquences immédiates pour ses acteurs intérieurs.  En l’occurrence, les pays de l’UE exercent une telle forme d’influence indirecte sur la politique ukrainienne : leur législation impose en effet des contraintes aux acteurs économiques des États non-membres désireux d’intervenir sur leurs marchés. C’est donc l’aspiration à être compétitifs à l’échelle internationale qui pousserait les oligarques à s’engager en faveur du transfert de normes  des pays européens en Ukraine.
L’engagement des oligarques en faveur de la promotion des énergies renouvelables est en réalité stimulé par la confluence entre deux facteurs ayant trait à l’UE. D’une part, la dynamique de la convergence par pénétration paraît effectivement être en œuvre. Comme l’a affirmé un représentant de la SKM d’Akhmetov, les entreprises ukrainiennes sont d’ores et déjà obligées de réduire leurs émissions des GES puisque l’UE pourrait introduire des barrières douanières aux marchandises dont la production va de pair avec des émissions trop importantes.  Il s’agit donc pour ces entreprises de contrecarrer les effets d’une nouvelle forme de protectionnisme possible. Ceci constitue d’autant plus un mobile d’action fort qu’une part considérable de la production des holdings ukrainiens est effectivement destinée à l’exportation, notamment dans le secteur de la métallurgie. La puissance de cette motivation se voit notamment à travers le fait que ce ne sont même pas des normes déjà en vigueur qui poussent à la convergence, mais des normes potentielles envisagées par certains acteurs politiques, comme Nicolas Sarkozy qui s’est montré favorable à l’instauration d’une taxe carbone aux importations dans l’UE.  D’autre part, au-delà de l’argumentaire purement économique, les énergies renouvelables sont présentées par les oligarques comme faisant partie de l’orientation écologique de leurs activités économiques. Cette orientation est quant à elle perçue comme composante de la responsabilité sociale des entreprises et comme marqueur d’identité européenne.  Un tel raisonnement peut être interprété en tant que tentative des oligarques de se départir de l’image négative dont ils pâtissent dans la société ukrainienne. 
Toujours est-il que la législation ukrainienne est également marquée par des spécificités que nous estimons résulter de l’impact des oligarques-députés mais qui nous amènent à relativiser l’hypothèse selon laquelle ceux-ci seraient une force motrice de convergence. Ces spécificités ont en commun de servir moins au développement de l’ensemble du secteur des énergies renouvelables, mais plutôt aux intérêts économiques privés qu’ont les oligarques dans ces domaines ; c’est-à-dire à leurs entreprises. Certes, les intérêts sectoriels et les intérêts économiques privés des oligarques ne sont pas nécessairement divergents. À titre d’exemple, on peut évoquer la loi sur le système de rachat obligatoire : la hauteur des tarifs ainsi que leur différenciation sont conçus de sorte à profiter potentiellement à toutes les sources d’énergie renouvelable. Dans ce cas-là, les intérêts privés des oligarques, de Kliouev avant tout, ont agi en faveur des dispositifs pouvant soutenir l’ensemble du secteur des énergies renouvelables, d’autant plus que ce système est effectivement appliqué. En effet, 24 entreprises bénéficient des tarifs verts à ce jour.  Cependant, d’autres dispositions de la même législation témoignent de certains biais au détriment des entrepreneurs actifs dans les mêmes sous-filières des énergies renouvelables que Kliouev. Cela suggère que les oligarques s’inspirent de la législation des pays européens de façon sélective uniquement.
Ainsi, à partir de 2012, seule l’électricité générée à l’aide d’une main d’œuvre et d’installations dont au moins 30% de la valeur sont d’origine ukrainienne pourra bénéficier des tarifs préférentiels.  À partir de 2014, ce pourcentage doit s’élever à au moins 50%.  Étant donné que dans le secteur des énergies renouvelables Kliouev n’est pas seulement engagé dans la production d’électricité, mais aussi dans la production d’équipements, ces restrictions ressemblent clairement à une tentative de contrecarrer l’émergence de concurrents pouvant bénéficier de technologies étrangères. Ceci vaut particulièrement pour l’énergie solaire. En effet, c’est déjà à partir de 2011 que 30% de la valeur de la main d’œuvre et des équipements pour l’exploitation de l’énergie solaire doivent être issus de la production intérieure.  Cela explique aussi pourquoi dans le paquet des lois sur les économies d’énergie de 2007, les équipements importés sont exclus des exemptions fiscales contrairement aux équipements similaires produits en Ukraine. Il s’agit nettement d’une mesure visant à garantir la position monopolistique des oligarques.
Un autre exemple de biais probablement introduits par l’influence des oligarques concerne la biomasse. La loi sur les biocarburants de 2009 a adopté une définition étroite de la notion de « biomasse ». En effet, cette définition ne regroupe que des sources énergétiques d’origine végétale et laisse donc de côté des sources d’origine animale. Ceci peut s’expliquer par le fait qu’aucun des oligarques n’a à présent manifesté de l’intérêt pour ces dernières, leur exploitation ne se prêtant pas à une marchandisation de masse.
La PER ukrainienne se caractérise aussi par le fait qu’elle vise avant tout de stimuler l’offre des énergies renouvelables et non leur demande. Ceci semble être la conséquence du fait que les oligarques que nous avons mentionnés investissent au premier chef justement dans l’offre des énergies renouvelables, en l’occurrence la production des équipements pour l’exploitation des sources renouvelables ou dans la transformation de la biomasse. Il est vrai que les holdings de Kliouev, d’Akhmetov et l’Union industrielle du Donbass sont engagés dans la production d’énergie secondaire à partir des sources d’énergie renouvelables. Mais la demande de cette production peut provenir de l’étranger ou bien être assurée par d’autres entreprises au sein de leurs propres holdings. Qui plus est, la stimulation de la demande des énergies renouvelables à l’intérieur de l’Ukraine mais à l’extérieur de leurs holdings pourrait profiter à des concurrents potentiels et semble de ce fait d’autant moins souhaitée par les oligarques. En effet, les entreprises n’appartenant pas aux oligarques, qui se spécialisent exclusivement dans la production des équipements pour l’exploitation des énergies renouvelables, considèrent que c’est justement le manque de demande qui freine l’émergence d’un marché des énergies renouvelables en Ukraine et qui risque de vider de sens la promotion de l’offre.  Les intérêts économiques privés des oligarques et leur accès privilégié aux processus décisionnels vont de ce point de vue à l’encontre de la dynamique de convergence. Partant, nous trouvons une autre raison du caractère hétéroclite de la PER ukrainienne qui ressemble davantage à une juxtaposition de dispositifs déconnectés qu’à une stratégie de long terme : ses composantes sont conçues en fonction des intérêts des acteurs économiques puissants et non en réponse aux besoins du secteur des énergies renouvelables dans son ensemble.
Il nous semble qu’une autre caractéristique de la PER ukrainienne (excepté la loi sur les tarifs verts) peut également être en partie expliquée par l’emprise des oligarques : des lois qui ne prévoient pas de mécanismes concrets de leur mise en œuvre. Faute de données suffisantes, nous ne pouvons pas prouver ce fait, mais le considérons comme une hypothèse intéressante : en principe, les oligarques peuvent, de par leurs pouvoir politique, assurer une mise en œuvre sélective des lois, de sorte qu’elles ne soient appliquées qu’en vue de satisfaire leurs propres intérêts, mais pas ceux de possibles concurrents. L’instauration de mécanismes précis de la mise en œuvre conférerait aux concurrents une base juridique sur laquelle ils pourraient réclamer l’application des lois. L’absence de tels mécanismes peut donc être vue comme intentionnée par les oligarques et découle de la persévérance de pratiques informelles dans le cadre de réseaux économico-politiques ukrainiens.
La volonté d’éviter des concurrents nous paraît aussi être une raison possible du défaut d’engagement de la part des oligarques susmentionnés en faveur du renforcement de la NAER en tant qu’organe qui aurait le pouvoir de décision central dans le domaine des énergies renouvelables. Si l’on suppose que le renforcement du statut de la NAER débouche effectivement sur une politique équilibrée de promotion de toutes les sources d’énergie renouvelable, celle-ci pourrait jouer à l’encontre des intérêts des oligarques engagés respectivement dans quelques sous-filières uniquement et non dans la filière des énergies renouvelables dans son ensemble. Un renforcement de la NAER pourrait aussi jouer en faveur de quelques acteurs uniquement, en étant une courroie de transmission des intérêts privés de ceux qui se trouvent à la tête de l’agence ou appartiennent au même réseau que le président. Ceci pourrait déboucher sur une PER encore moins équilibrée, se manifestant par des mesures orientées davantage vers une ou quelques sous-filières des énergies renouvelables uniquement et donc agissant au détriment de ceux qui exploitent des sources renouvelables non concernées. C’est pourquoi les oligarques pourraient être réticents à acquiescer à un remaniement institutionnel en matière d’énergies renouvelables.
Enfin, l’absence d’un ordre de priorités net dans la politique énergétique ukrainienne peut également s’expliquer par l’emprise des oligarques. En effet, l’exploitation des énergies renouvelables ne représente à ce jour qu’une part minime de leurs activités économiques. Aussi les oligarques sont-ils également intéressés à mettre en place des politiques dont pourraient profiter d’autres filières. Par exemple, ceux qui, comme Kliouev et Akhmetov, disposent des actifs dans la métallurgie, tiennent à des prix d’énergie bas. Dès lors, il est compréhensible que durant son mandat en tant que vice-Premier ministre pour le secteur énergétique entre 2002 et 2004,  tout en étant favorable à certaines restructurations dans le secteur minier, Kliouev s’est engagé pour le maintien du subventionnement du prix du charbon.  En amont de sa nomination au même poste en mars 2010, il a également plaidé pour l’attribution de tarifs d’énergie bas à certaines filières, malgré ses intérêts accrus pour le secteur des énergies renouvelables en comparaison à son premier mandat.  Il s’ensuit une autre limite à la convergence dont les oligarques seraient porteurs : s’ils tendent à s’inspirer de la PER des pays européens, ils ne sont pas pour autant susceptibles d’accepter les restrictions en matière de subventions aux énergies traditionnelles qu’imposerait, à terme, la transposition de la législation européenne dans le droit ukrainien. 
Les oligarques détenant des actifs dans le secteur des énergies renouvelables sont donc enclins à la poursuite concomitante d’objectifs différents, dont la combinaison fait sens par rapport à leurs affaires privées, mais revêt des contradictions pour les secteurs énergétiques en question. C’est aussi ce qui explique pourquoi, au-delà de la période du mandat de Koutchma, pendant laquelle la politique énergétique était instrumentalisée en fonction des intérêts politiques privés du Président, une politique énergétique cohérente fait toujours défaut en Ukraine. La promotion sélective des énergies renouvelables par les oligarques, qui s’ensuit, s’apparente ainsi à ce que David Dolowitz désigne comme « émulation »  : la convergence au niveau des idées générales d’une politique publique, mais non au niveau de ses détails.

Le poids des intérêts économiques privés dans la politique ukrainienne des énergies renouvelables peut être appréhendé comme le résultat d’une spécificité des réseaux économico-politiques ukrainiens, que nous avons mentionnée ci-dessus : la prépondérance en leur sein d’acteurs économiques individuels et non des groupes d’intérêt organisés susceptibles de promouvoir davantage les intérêts collectifs des acteurs d’un secteur économique. De tels groupes d’intérêt organisés existent en Ukraine, mais ils se situent hors des réseaux économico-politiques et ont par conséquent du mal à imposer leur vision de la politique des énergies renouvelables. Ceci fournit une autre explication de l’existence d’une PER sélective et de sa place mineure dans la politique énergétique globale en Ukraine.

III La marginalisation des acteurs associatifs face à la prépondérance des réseaux économico-politiques

Les ONG environnementales et les associations d’industriels du secteur des énergies renouvelables ont joué un rôle déterminant dans la mise en place de la PER dans les pays ouest-européens. C’est surtout la mobilisation commune de ces différents groupes d’intérêt qui est considérée comme un levier essentiel à sa mise sur agenda.  Cette coopération est souvent analysée en termes de l’approche de « coalition de cause » («advocacy coalition framework »), développée par Paul A. Sabatier.  Sabatier insiste sur le fait qu’il pense ces coalitions comme composées d’acteurs à la fois non-étatiques et étatiques, l’interaction entre les deux étant selon lui décisive pour saisir l’évolution de l’action publique.  Si à ce niveau, un parallèle se manifeste par rapport à l’approche en termes de réseaux d’action publique, le lien entre les deux types d’acteurs est pensé différemment par Sabatier. Contrairement au modèle des réseaux d’action publique qui repose sur la primauté des intérêts dans les interactions, le modèle des coalitions de cause valorise la dimension cognitive de l’action publique. Les coalitions de cause regroupent des « acteurs qui partagent un système de croyances lié à l’action publique et coordonnent leurs comportements dans une certaine mesure».  Quoiqu’il s’agisse de deux modèles distincts de l’interaction entre acteurs publics et privés, on pourrait les combiner en concevant les coalitions de cause comme se superposant aux réseaux d’action publique. Sur le fond de cette approche, nous analyserons dans un premier temps la façon dont les agents de conseil et de production dans le domaine des énergies renouvelables interagissent les uns avec les autres, de même qu’avec les acteurs institutionnels, étant donné la prépondérance des réseaux économico-politiques dans la prise de décision (1). Dans un deuxième temps, nous verrons quel rôle les ONG environnementales, considérées comme les acteurs centraux des coalitions de cause en faveur de la promotion de la PER dans les pays ouest-européens, occupent dans les processus décisionnels ukrainiens. Leurs relations avec le Parti des Verts, un autre acteur clé des coalitions de cause en Europe occidentale, seront également à examiner (2).

1. La sollicitation sélective des agents de conseil et de production dans le domaine des énergies renouvelables

Si les oligarques sont actifs dans le secteur des énergies renouvelables par l’intermédiaire de grands holdings, il existe en Ukraine des acteurs économiques qui s’engagent dans cette filière par le biais de petites et moyennes entreprises (PME). À la différence des oligarques, les énergies renouvelables constituent donc le centre de leur activité économique. Parmi ces acteurs, on trouve les entreprises qui se spécialisent dans différents domaines techniques comme la production des équipements pour l’exploitation des sources d’énergie renouvelables ou la production d’électricité sur leur base. D’autre part, il y a des organisations qui allient activités techniques et celles du conseil comme « l’Agence de l’utilisation rationnelle de l’énergie et de l’écologie » (ARENA-ECO) et le Centre scientifico-technique « Biomassa », de même que d’autres qui se consacrent exclusivement à des activités de conseil comme « Fuel Alternative ».  Toutes ces entreprises partagent l’intérêt pour l’expansion de la filière et la valorisation de la PER par rapport à la politique des énergies traditionnelles.
Certains de ces acteurs ont formé des associations de représentation d’intérêts. Nos recherches sur Internet et nos enquêtes de terrain témoignent de l’existence formelle de plusieurs associations, mais celles qui sont effectivement actives, c’est-à-dire prennent la parole dans la presse, organisent ou participent à des conférences du secteur et, surtout, ont accès aux autorités publiques, sont peu nombreuses  : ainsi existe-t-il une association consacrée à la promotion de l’énergie hydraulique, « Ukrhydroenergo » , l’  « Association ukrainienne de l’énergie éolienne » (UWEA)  et l’ « Association des participants au marché des combustibles et d’énergie alternatifs de l’Ukraine » (ATEU). Toutes ces associations sont de création récente. « Ukrhydroenergo » fut fondée en 2002 et représente ainsi la plus ancienne des associations, ce qui s’explique par une plus grande tradition de l’exploitation de l’énergie hydraulique en Ukraine, mentionnée au premier chapitre. Elle représente un cas particulier en comparaison aux autres organisations dans la mesure où elle compte aussi trois entreprises étatiques, à savoir « Ukrhydroenergo », « Ukrenergo » et « Elektrovajmach » parmi ces membres. Par ailleurs, elle associe 12 autres entreprises privées et une vingtaine de membres individuels représentant des entreprises consacrées à l’exploitation de la petite hydraulique, comme Oleksandr Nikitorovych, président du groupe « Novosvit ». La création des deux autres associations s’inscrit temporellement dans la période de l’engagement accru des oligarques dans le secteur des énergies renouvelables. Sous ce jour, elle paraît répondre à la  political window  ouverte par cet engagement en représentant la tentative des PME d’influer également sur l’élaboration de la politique de la filière. L’UWEA fut ainsi fondée au printemps 2008. Elle se consacre explicitement à la promotion des PME dans le domaine de la fabrication des matériaux pour les éoliennes de même que dans celui de leur montage.  L’ATEU représente la création la plus récente ; elle fut instaurée en septembre 2009. À présent, elle regroupe 8 entreprises du secteur de la biomasse,  travaillant à la fois dans la production et le conseil.
Que ce soient seulement ces quelques associations qui sont actives peut s’expliquer par plusieurs raisons. La première est de nature économique, à savoir que le nombre d’associations reflète la petite taille du marché des énergies renouvelables en Ukraine.  La seconde est de nature politique. En effet, nos entretiens avec des membres de quelques associations ont montré que le facteur essentiel pour l’accès au processus décisionnel par une association ne consiste pas en la représentation des intérêts collectifs, mais dépend uniquement du profil personnel des acteurs individuels qui en font partie. En d’autres termes, s’il est admis que certains membres des associations peuvent participer à l’élaboration de la PER, ce n’est pas parce qu’ils représentent une association ; les associations en tant que telles ne confèrent pas de statut ou de pouvoir particulier à leur membres et ne peuvent pas être considérées comme acteurs à part entière.  Par conséquent, l’activité d’une association est tributaire des personnes qui en font partie et surtout, de ses dirigeants. Il faut en effet que ceux-ci soient reconnus comme experts (« eksperty »)  auprès des pouvoirs publics.
Le statut d’expert peut résulter de différents profils : d’un côté, de la conjonction d’une trajectoire scientifique et d'une activité économique dans le domaine des énergies renouvelables.  Contrairement à la notion d’expert au sens occidental qui se réfère en premier chef à la compétence scientifique d’un acteur, l’acception ukrainienne du terme repose à la fois sur la légitimité scientifique et sur l’activité pratique censée démontrer l’applicabilité du savoir scientifique d’un acteur. Ceci rejoint par ailleurs les qualités que nous avons décelées comme constitutives du statut d’expert du président actuel de la NAER, Ermilov. Ainsi, le président de l’UWEA, Andriy Konetchenkov, est reconnu pour son travail scientifique dans le domaine de l’éolien, tout en étant vice-directeur de l’entreprise « Konkord Group », spécialisée dans la production du matériel pour la construction d’éoliennes.   Le président d’ « Ukrhydroenergo », Semen Potachnik, professeur lauréat de plusieurs prix scientifiques, est aussi président de l’entreprise nationale « Ukrhydroenergo ».  D’un autre côté, l’activité dans le domaine des énergies traditionnelles peut être favorable à la perception de certains acteurs individuels comme experts des énergies renouvelables. Il en va ainsi pour Vitalii Davii, président de l’ATEU et de « Fuel Alternative », qui a également travaillé dans le secteur du pétrole.  La conjonction des activités dans les deux domaines de l’énergie paraît favorable à l’accès aux processus décisionnels, car elle repose sur une vision des énergies renouvelables qui veut qu’elles soient une filière à travers laquelle les producteurs des énergies traditionnelles peuvent diversifier leur activité économique et non un secteur concurrentiel. Elle permet ainsi de réduire la méfiance possible des acteurs politiques travaillant exclusivement dans les secteurs traditionnels.
Face à l’importance des experts pour la participation d’une organisation à la prise de décision, même des entreprises n’étant pas alliées à une association peuvent influer sur les processus décisionnels à titre individuel, à condition que leurs dirigeants soient bien jugés comme des experts. Il en est ainsi pour le centre « Biomassa » qui affirme avoir contribué à la rédaction de 50-60% des dispositifs du paquet des lois portant sur la promotion des biocarburants de 2009.  Docteur en physique, membre de l’Académie des sciences de l’Ukraine, le directeur de l’entreprise « Biomassa », Georgii Geletoukha est en effet bien reconnu comme expert.  
Toutefois, si les profils de ces personnes leur ouvrent l’accès aux processus décisionnels, il ne s’agit pas d’un accès systématique ; nos interlocuteurs ont déploré de ne pas avoir la possibilité de dialoguer et d’échanger de façon régulière avec les autorités étatiques, que ce soit sur la base de relations formelles ou informelles.  Cette marginalisation peut s’expliquer par le fait que les acteurs en question ne disposent pas de moyens financiers qui leur permettraient de s’intégrer dans un échange de services pourtant constitutif des processus décisionnels en Ukraine. Il paraît en effet que ces acteurs sont essentiellement sollicités pour apporter leur contribution à la mise en place des éléments techniques de la PER. Ils ne sont ainsi pas susceptibles de prendre des décisions en matière stratégique, par exemple au niveau du choix des sources énergétiques à promouvoir.
Ainsi un représentant de l’association « Ukrhydroenergo » nous a affirmé que la création de groupes de travail commun avec le Comité parlementaire en charge du secteur énergétique a presque exclusivement lieu à l’initiative de l’association même et non suite à une sollicitation de la part des députés.  Georgii Geletoukha regrette quant à lui que son centre n’ait pas été invité à participer à l’élaboration de la législation sur les tarifs verts, ce qui aurait débouché sur des carences des dispositions portant sur la biomasse, notamment une définition trop étroite que nous avons déjà évoquée ci-dessus.  La coopération avec les organes de l’exécutif, le Ministère de l’Énergie avant tout, s’avère encore plus difficile pour ces acteurs. Bien qu’il existe un « conseil civique » auprès du Ministère qui réunit des représentants de la science ou des associations, aucun des membres de ce conseil n’est issu du domaine des énergies renouvelables. Ceci est compréhensible vu l’attitude plutôt hostile de ce Ministère à l’égard de ces sources énergétiques, que nous avons éclairée au deuxième chapitre.  L’existence d’un tel conseil confère pourtant une certaine légitimité aux programmes que le Ministère soumet à des délibérations ou même à l’approbation en son sein. Les critiques de la part des associations non représentées peuvent par conséquent être rejetées comme illégitimes.
Il en fut ainsi pour la Stratégie énergétique pour 2030 qui a été fortement critiquée par les acteurs engagés dans le domaine des énergies renouvelables ainsi que par les ONG environnementales pour la place centrale qu’elle accorde à l’énergie nucléaire et pour le processus de son adoption : la Stratégie ne fut soumise ni à l’approbation parlementaire ni à celle du Cabinet des ministres et a été paraphée uniquement par le Président et le ministre de l’énergie. Nous avons déjà suggéré que ceci est essentiellement le résultat de l’emprise des intérêts d’acteurs de la filière nucléaire ; il reste à ajouter que dans l’introduction de la Stratégie, le Ministère affirme avoir pris en compte les « délibérations avec des citoyens »  dans la rédaction du texte, ce qui est interprété comme une référence au conseil civique par les contestataires du programme.  Par conséquent, ils ont revendiqué la formulation d’une nouvelle stratégie énergétique, qui soit élaborée et approuvée de sorte à permettre l’expression des ONG environnementales et des associations des industriels des énergies renouvelables. Ces appels sont toutefois restés sans effet.
Il faut encore ajouter que la coopération entre les représentants des intérêts des sous-filières différentes des énergies renouvelables est rare. En effet, presque toutes les associations que nous avons énumérées se spécialisent dans la promotion d’une seule source renouvelable. Seule l’ATEU a en principe la vocation de représenter différentes énergies renouvelables. Mais dans les faits, elle ne regroupe à l’heure actuelle que des entreprises actives dans le domaine des biocarburants, ce qui peut s’expliquer par les intérêts de son directeur dont nous avons mentionné qu’il travaille également dans le secteur des carburants traditionnels. Cette configuration semble résulter d'une concurrence qui n'est pas affichée par nos interlocuteurs mais qui est implicite. Vu le rôle par défaut qu’occupent les énergies renouvelables dans la politique énergétique ukrainienne,  les acteurs associatifs reconnaissent que des mécanismes de soutien ne pourront bénéficier qu'à quelques-uns d'entre eux. Aussi militent-ils pour que leurs filières soient les premiers destinataires d’une PER. Ainsi, dans un plan d’action pour le développement de la biomasse, à la rédaction duquel a participé le centre « Biomassa », on trouve par exemple la revendication de la création d’une agence qui se consacrerait uniquement à ce sous-secteur.  Notre interlocuteur de « Ukrhydroenergo », qui a contribué à l’élaboration de la législation sur les tarifs verts, nous a quant à lui affirmé qu’à l’origine, son association s’exprimait en faveur d’une loi prévoyant des tarifs préférentiels pour l’énergie hydraulique uniquement. Par la suite, d’autres acteurs ont réclamé que les sources qu’ils représentent eux bénéficient également de tarifs spéciaux, ce qui a favorisé la mise en place de la législation sur les tarifs verts dans sa version actuelle.  Il s’agit donc d’une représentation des intérêts organisée selon les sous-secteurs de la filière des énergies renouvelables. Certes, dans le cas des tarifs verts, on a vu qu’une telle configuration peut déboucher sur un dispositif qui traite de l’ensemble du secteur. Mais ce cas nous paraît aussi singulier dans la mesure où les représentants des différents sous-secteurs ont effectivement eu accès à la prise de décision. Cela résulte probablement du fait que des députés comme Kliouev, intéressés par un système de tarifs de rachat obligatoire qui s’adresse à plusieurs sources d’énergie renouvelable, aient sollicité la contribution technique d’acteurs associatifs divers.  En d’autres termes, la mesure dans laquelle la représentation sectorielle des intérêts peut être favorable à l’ensemble de la filière est tributaire des décisions stratégiques prises par des acteurs plus puissants, tels les oligarques-députés. Il faut dire que les acteurs représentant les groupes d’intérêt s’en montrent conscients. Ils doutent du reste également de la  disposition des oligarques à promouvoir la filière au-delà de leurs intérêts économiques privés.
Ainsi les acteurs associatifs du secteur des énergies renouvelables ne semblent-ils pas faire partie d’une coalition de cause tout en se trouvant également en marge des réseaux économico-politiques. Il en va de même pour les ONG environnementales dont les possibilités de contribuer à la politique des énergies renouvelables sont pourtant encore moindres.

2. La mise à l’écart des ONG environnementales dans les processus décisionnels

Il paraît en effet que les ONG environnementales ont encore plus de difficultés de participer aux processus décisionnels et s’en trouvent carrément mises à l’écart. Si certains des acteurs économiques précités peuvent bénéficier d’un statut d’expert auprès des pouvoirs publics et contribuer au moins au côté technique de la PER, l’expertise des ONG environnementales se trouve souvent remise en cause en Ukraine. Ceci inhibe non seulement leur accès aux processus décisionnels dominés par des réseaux économico-politiques, mais aussi la coopération avec les associations des industriels du secteur des énergies renouvelables.
La raison de cette méfiance à l’égard des associations à vocation écologique réside dans le fait qu’elles focalisent leur attention sur la contestation de l’énergie nucléaire ce qui est un héritage de l’époque fondatrice du mouvement écologique ukrainien. La formation des associations environnementales en Ukraine remonte à la période des réformes de la Perestroika de la fin des années 1980 et est liée au mouvement national ukrainien. La conjonction entre les problématiques écologique et nationale a en réalité joué un rôle important dans l’expansion du mouvement environnemental. Un événement fondamental pour l’émergence du mouvement écologique fut l’accident nucléaire de Tchernobyl du 26 avril 1986. La gestion de l’accident par le pouvoir soviétique a été soumise à des critiques virulentes, puisque le gouvernement a misé sur une dissimulation des informations à propos de l’ampleur et des conséquences de l’accident. Parmi les adeptes de l’indépendance ukrainienne, cette stratégie politique fut interprétée comme la tentative d’un « écocide » du peuple ukrainien,  donc une atteinte à son intégrité génétique à travers l’exposition préméditée à la radiation nucléaire. Le lien entre les problématiques écologique et nationale représente pourtant aussi une raison pour laquelle le mouvement environnemental a graduellement perdu d’ampleur après l’effondrement de l’URSS, le point focal de la critique du mouvement qu’était le centre soviétique étant supprimé.  De ce fait, si nombre d’associations créées à cette époque continuent d’exister, peu de nouvelles ont été constituées dans les années suivantes. Ainsi, parmi les ONG actives à l’heure actuelle dans le domaine énergétique, la plupart ont été fondées soit à l’époque de la Perestroika, soit au lendemain de l’indépendance ukrainienne comme l’association « Zelenyi Svit »  (Le Monde Vert) de 1988, le Centre national écologique de l’Ukraine (NECU)  de 1991, ou « Golos Prirody »  (La Voix de la Nature) de 1994. C’est ce qui peut expliquer qu’elles continuent d’accorder une place centrale à la problématique de l’énergie nucléaire dans leurs activités. Or l’utilisation de l’énergie nucléaire en Ukraine repose sur un consensus entre différents acteurs politiques mais aussi scientifiques.  Par voie de conséquence, la contestation de cette forme d’énergie par les ONG nuit à leur crédibilité auprès de ces acteurs ; il nous semble qu’elles sont perçues comme hostiles au progrès par ces derniers. Par exemple, notre interlocuteur du Comité parlementaire en charge du secteur énergétique a remarqué que les ONG environnementales « contestent aujourd’hui toujours l’énergie nucléaire, tandis qu’elles devraient depuis longtemps se concentrer davantage sur la promotion des énergies renouvelables. »  De ce fait, ces organisations ne sont qu’exceptionnellement  sollicitées dans le cadre du travail du Comité.
Cette délégitimation des ONG environnementales est d’autant plus grande que les acteurs du secteur de l’énergie nucléaire ont tendance à la présenter comme une énergie renouvelable. Ainsi Iourii Nedachkovskii, ancien président d’Energoatom, a-t-il décrit le nucléaire comme une « énergie écologiquement propre, qui répond le mieux à l’objectif du développement durable et à la lutte contre les changements climatiques globaux de la planète. »  Bien que l’argument climatique ne soit pas à l’origine de la PER ukrainienne, il est donc mobilisé par les représentants du secteur nucléaire en leur faveur. On a ainsi affaire à ce qu’Aurélien Evrard a désigné comme le « verdissement du nucléaire » , c’est-à-dire la représentation de l’énergie nucléaire comme conforme aux impératifs écologiques. Une telle tendance fut observée par l’auteur en France et estimée être une des raisons expliquant la place mineure qu’y occupent les énergies renouvelables en comparaison à l’Allemagne. Dans le cas ukrainien, ce raisonnement semble moins le résultat d’une vraie préoccupation pour le climat qu’une stratégie visant à affaiblir l’argumentaire des adeptes des énergies renouvelables. La contestation du nucléaire par les ONG environnementales peut d’autant plus facilement être délégitimée par les acteurs politiques, ce qui compromet la formation de coalitions de cause entre acteurs étatiques et non-étatiques.
La critique de l’énergie nucléaire semble aussi être la raison pour laquelle les représentants des groupes d’intérêt économiques actifs dans le domaine des énergies renouvelables sont réticents à coopérer avec les ONG environnementales. Ces acteurs économiques risqueraient en effet de voir leur crédibilité à eux également mise en cause. C’est ainsi que les débats autour de la Stratégie énergétique pour 2030 furent l’unique occasion à laquelle a eu lieu une coopération entre ces deux types d’acteurs. Elle s’est manifestée par la rédaction du Concept du développement « non-nucléaire » du secteur énergétique de l’Ukraine dans lequel fut démontré que le potentiel de l’exploitation des énergies renouvelables avait été largement sous-estimé par la Stratégie.  Pourtant, il faut ajouter que du côté des acteurs économiques, ce ne furent pas des organisations toutes entières qui y ont participé, mais encore une fois des experts à titre individuel, Konetchenkov et Geletoukha notamment.  La formation de coalitions de cause entre différents types d’adeptes des énergies renouvelables n’a donc pas lieu, et ce sont uniquement des individus qui font parfois le pont entre eux. Des liens plus étroits entre ces acteurs nuiraient sans doute aux statuts d’expert de ces individus, d’où leur réticence à un plus grand rapprochement.
La promotion des énergies renouvelables par le biais de la mobilisation de l’argument climatique et de l’action auprès des acteurs institutionnels dans le domaine écologique s’avère également pénible pour les ONG environnementales. En 2000, fut fondé un réseau de 16 associations qui travaillent sur le réchauffement climatique en Ukraine : le « Groupe de travail sur le changement climatique » (Groupe de travail).   C’est ce groupe qui essaie d’influer sur la politique climatique ukrainienne en poussant le gouvernement à endosser des objectifs contraignants de réduction des GES. Mais ces associations n’ont accès qu’au Ministère de l’Environnement, qui pourtant ne dispose aujourd’hui de presqu’aucune compétence en matière de politique climatique et dont l’action, nous l’avons vu, est complètement dissociée de la politique des énergies renouvelables. Par ailleurs, on peut s’interroger si l’ouverture du Ministère témoigne véritablement de sa préoccupation pour le climat. Si dans notre entretien, la coordinatrice du Groupe de travail, Iryna Stavtchouk, a affirmé que le Ministère se montre plus préoccupé du changement climatique que la NAEI, dans un article de 2008 , elle a dressé une image plus conflictuelle des relations entre les ONG et le Ministère, notamment dans la période d’avant la création de la NAEI. Cela suggère que c’est sans doute la formation de cette agence qui a fait changer d’attitude le Ministère. Par exemple, initialement le Ministère se refusait à la publication de données sur les projets de la mise en œuvre conjointe et n’y a consenti que suite à la pression de la part des ONG.  Ainsi nous semble-t-il que l’ouverture dont le Ministère fait preuve aujourd’hui à l’égard des ONG pourrait résulter d’une stratégie de légitimation face à la NAEI. Cette dernière ayant repris les ressources formelles du Ministère en matière climatique, la coopération avec les ONG représente un moyen d’obtenir des ressources informelles en se positionnant dans l’espace public comme l’institution déterminée à agir contre le réchauffement climatique, contrairement à l’agence. La NAEI est en effet perçue comme fermée à toute coopération avec les ONG environnementales. Ceci s’est manifesté nettement lors du sommet de Copenhague en décembre 2009. À part la délégation gouvernementale qui devait y participer, le Groupe de travail était sur place. Comme le raconte Iryna Stavtchouk, mis à part le fait que lors des deux premiers jours de la conférence, seules deux personnes de la délégation gouvernementale étaient présentes à Copenhague, les ONG ukrainiennes n’ont reçu de leur part aucune réponse à leurs sollicitations en vue d’une rencontre. 
En ce qui concerne le Parti der Verts, il est également focalisé sur la contestation du secteur nucléaire.  Cependant, pour la formation de coalitions de cause, un problème plus fondamental encore se pose et concerne les relations entre les ONG environnementales et ce parti. Au cours de son histoire, le Parti des Verts s’est en effet largement délégitimé auprès des organisations environnementales, la composante écologique de son activité leur paraissant de plus en plus délaissée.  Issu de l’association « Zelenyi Svit » en 1990, il s’agit d’un des premiers partis officiellement enregistrés en Ukraine indépendante. Très populaire au lendemain de sa fondation, il perdit toutefois graduellement du soutien auprès de la population ; si en 1992, plus de 50% de la population le préféraient aux autres formations politiques, ce pourcentage chuta à 16% une année plus tard,  ce qui reflète aussi la trajectoire du mouvement écologique dans son ensemble. Néanmoins, lors des élections parlementaires de 1998, 19 de ses membres sont entrés au Parlement ukrainien.  Le financement que le parti a pu obtenir d’entrepreneurs puissants est considéré comme un des facteurs de ce succès. En effet, 12 des élus de la liste des Verts étaient des hommes d’affaires.  On estime qu’un oligarque en particulier a contribué au financement du parti, Vadim Rabinovitch,  supposé avoir des liens personnels avec le fondateur du Parti des Verts, Iourii Chtcherbak.  Ce lien du parti avec des acteurs économiques a affaibli sa crédibilité, puisqu’il révélait que ce parti politique fut instrumentalisé par des intérêts privés, dans le but de servir, au même titre que d’autres partis ukrainiens de l’époque, à la promotion des intérêts d’acteurs individuels. Sur cette base, il a également connu des conflits internes  et une scission, sous l’influence de Chtcherbak qui lui reprochait de s’être distancié de l’écologie.  Certes, il existe aussi des membres du Parti des Verts qui ont activement contribué à la mise en place d’une politique écologique pendant leurs mandats parlementaires. Il en va ainsi pour le président du parti de l’époque, Vitalii Kononov, qui a entre autres participé à l’élaboration de la loi Sur les sources d’énergie alternatives lancée en 2000.  On peut également mentionner Vitalii Kourykin, qui était ministre de l’Environnement pendant ces années-là et qui est décrit comme ayant effectivement défendu des principes écologiques.  Toujours est-il que l’image qu’ont les ONG environnementales de ce parti l’isole, de sorte qu’il ne peut être considéré comme faisant partie d’une coalition de cause en faveur des énergies renouvelables.
    Ceci démontre aussi l’ambivalence de la marginalisation de certains acteurs par rapport aux réseaux économico-politiques. D’un côté, la marginalisation pose un obstacle à leur influence sur la politique des énergies renouvelables. D’un autre, elle leur assure le maintien d’une légitimité particulière dans l’espace public, reposant justement sur la contestation du caractère fermé des processus décisionnels ukrainiens.

Cette intégration sélective d’acteurs non-étatiques dans les processus décisionnels nous dévoile en outre une autre différence ayant trait à la prise de décision en matière de politique des énergies renouvelables dans les pays européens. Dans ces derniers, les acteurs non-étatiques ne sont pas seulement davantage sollicités, mais leur intégration est parfois aussi associée à une emprise excessive des experts sur les processus décisionnels qui sont supposés de les soustraire au contrôle démocratique. Au sujet de la politique environnementale (dont la PER fait partie en Europe occidentale) Pierre Lascoumes constate-t-il ainsi l’émergence d’un « gouvernement des experts »,  en raison du degré élevé de la technicité des enjeux traités dans son cadre. Cette expression signifie que la prise de décision politique est de plus en de plus déterminée par des acteurs porteurs du savoir technique, dont la sollicitation par les acteurs politiques ne correspond toutefois pas au critère de la légitimité démocratique. Il s’ensuivrait aussi une dépolitisation de la politique. En Ukraine, une telle tendance n’est cependant pas observable. Les experts peuvent être sollicités par des acteurs politiques, mais avant tout en vue d’assurer l’applicabilité technique et la légitimité scientifique d’une politique dont les lignes directrices elles sont établies en fonction des intérêts des acteurs économico-politiques uniquement.  La mobilisation des institutions en tant que ressources par ces derniers acteurs demeure ainsi une propriété centrale de la prise de décision relative à la politique des énergies renouvelables en Ukraine.










CONCLUSION

Par notre étude, nous envisagions à la fois de contribuer à une meilleure compréhension de la politique des énergies renouvelables, des caractéristiques qu’elle peut accuser dans différents contextes politiques, et d’éclairer les spécificités de l’action publique ukrainienne qui se manifestent aussi dans d’autres secteurs. En ce qui est du premier point, nous avons pu constater que la politique des énergies renouvelables ne représente pas une sous-catégorie de la politique écologique en Ukraine, comme il est le cas dans les pays européens. Ce phénomène est lié à l’absence de l’argument climatique dans la justification de cette politique, de sorte qu’elle n’est pas perçue comme un moyen pour contrecarrer le réchauffement climatique. Par conséquent, elle représente uniquement une sous-catégorie de la politique énergétique, destinée à contribuer à la résolution du problème de la dépendance énergétique ukrainienne. Aussi est-elle toutefois exposée à la concurrence de la politique des énergies traditionnelles. La promotion des énergies traditionnelles étant moins chère car plus éprouvée, il s’ensuit la réticence à subir les coûts qu’imposerait une PER stratégique et orientée vers le long terme, visant à accroître la part des énergies renouvelables dans le bilan énergétique du pays. La PER ukrainienne ressemble ainsi moins à un ensemble cohérent et unique de dispositifs en faveur des énergies renouvelables, mais plus à une juxtaposition de différentes mesures déconnectées les unes des autres. Étant donné qu’il s’agit ici de dispositifs qui ont tous été instaurés à l’occasion de tensions avec la Russie en matière de l’approvisionnement en gaz, ils apparaissent une réponse de court terme au problème de la dépendance énergétique,  inscrite sur agenda grâce à l’ouverture d’une problem window.
La façon dont s’opère la promotion des énergies renouvelables en Ukraine nous conduit cependant aussi à relativiser l’opposition entre les catégories économie et écologie, qui est souvent invoquée pour expliquer le « succès » ou l’ « échec » de la politique des énergies renouvelables dans différents pays. L’absence de la justification écologique de la PER et les coûts élevés qui lui sont dès lors associés n’empêchent pas pour autant qu’il y ait des acteurs désireux à promouvoir les énergies renouvelables sur la base d’une logique purement économique. Nous l’avons vu à travers l’exemple des acteurs du secteur nucléaire qui s’engagent en faveur de la PER en espérant qu’elle leur permettra de contrecarrer la concurrence exercée par d’autres sources énergétiques traditionnelles. Il en va de même pour les acteurs économiques puissants que sont les oligarques, prêts à effectuer des investissements élevés dans les énergies renouvelables pour que leurs produits soient compétitifs sur les marchés internationaux. La mobilisation de ces acteurs ouvre en effet une political window à la mise sur agenda de la PER, qui, en conjonction avec des tensions dans les relations avec la Russie, a jusque-là débouché sur l’adoption de dispositifs en faveurs des énergies renouvelables. La promotion des énergies renouvelables peut donc aussi s’effectuer sans recours à l’argument climatique, bien qu’elle soit moins ambitieuse que dans les cas où cet argument est mobilisé.
Il s’ensuit que les traits propres à la PER ukrainienne, que nous estimons peu propices au développement de long terme de la filière des énergies renouvelables dans son ensemble, se laissent difficilement interpréter en termes d’« échec », en tant que résultat d’un manque de capacités étatiques. Ils représentent plutôt l’aboutissement logique de la manifestation des intérêts de certains acteurs pour lesquels une telle forme de politique recèle des avantages et qui disposent des ressources suffisantes pour faire valoir leur vision des choses. Les spécificités de la politique des énergies renouvelables ukrainienne peuvent ainsi être considérées comme intentionnées. Ceci nous amène à faire le point sur le deuxième objectif de notre étude que sont les mécanismes généraux de l’action publique ukrainienne, décelés à travers l’exemple de la PER mais valables aussi bien pour d’autres domaines.
La politique des énergies renouvelables en Ukraine reflète des inégalités en matière d’accès aux processus décisionnels de la part de différents acteurs individuels. Ce sont en effet avant tout les acteurs économiques puissants comme les oligarques qui façonnent la politique des énergies renouvelables en fonction de leurs intérêts économiques privés, qui ne correspondent pourtant pas nécessairement aux besoins du secteur des énergies renouvelables dans son ensemble. Ainsi tiennent-ils à instaurer des dispositifs qui empêchent l’émergence d’une possible concurrence de la part d’autres acteurs économiques du secteur. Étant donné que les oligarques sont pour la plupart des propriétaires de grands conglomérats d’entreprises qui peuvent à la fois agir comme producteurs et consommateurs, rien ne les pousse à mettre en place des mécanismes destinés à stimuler la demande des énergies renouvelables. Or ceci empêche l’émergence d’un marché des énergies renouvelables et agit donc à l’encontre du développement de la filière. Par opposition, les acteurs comme les ONG environnementales ou les associations des industriels des énergies renouvelables, convaincues de la nécessité d’une PER plus ambitieuse, sont rarement sollicités pour contribuer à la formulation de cette politique.
En ce qui est des acteurs institutionnels, on fait également face à des rapports de force défavorables à une politique des énergies renouvelables plus développée. Ainsi avons-nous constaté que tout en étant un acteur désireux de promouvoir l’exploitation des énergies renouvelables, la NAER éprouve des difficultés à exercer les fonctions dont elle est dotée formellement. L’aspiration d’autres acteurs institutionnels à garder des compétences dans un domaine qui confère la possibilité de distribuer des ressources économiques semble être décisive pour cette configuration.
En ce qui concerne les liens entre institutions et acteurs individuels, on observe que conformément à notre hypothèse de départ, les acteurs empreignent considérablement le fonctionnement des institutions, de sorte que celles-ci agissent moins comme contraintes mais plutôt comme ressources mobilisables en fonction des intérêts des acteurs. Ainsi avons-nous vu dans quelle mesure l’activité de la NAER est influencée par la personne de son président et combien le poids d’une personne a infléchi le fonctionnement de la NAEI de sorte à en faire l’institution politique centrale en matière de politique climatique. Nous avons également vu combien les intérêts d’acteurs individuels peuvent non seulement façonner le fonctionnement d’une institution, mais aussi aller à l’encontre de ses objectifs en tant qu’organisation, comme l’ont prouvé les exemples des bénéficiers de la dépendance énergétique ukrainienne au sein de « Naftohaz » et d’« Energoatom », compliquant par ce biais aussi la mise sur agenda du problème de la dépendance énergétique.
Comme nous l’avons suggéré en invoquant le modèle des réseaux d’action publique, l’influence des intérêts particuliers sur la politique publique n’est toutefois pas un phénomène exclusivement ukrainien. Dans les pays occidentaux les institutions sont également susceptibles d’être mobilisées par des acteurs individuels à leurs fins privées, mais il nous paraît que l’ampleur de ces phénomènes est plus importante en Ukraine. Ceci s’explique par le fait que les institutions ukrainiennes ne sont pas consolidées et sont soumises à des remaniements récurrents ; or une certaine stabilité institutionnelle semble être un préalable à ce que les institutions agissent comme contrainte aux comportements individuels. Ce n’est en effet qu’au bout d’un certain temps que certaines normes de comportement, des routines, deviennent constitutives des institutions. Etant donné le caractère très récent des institutions ukrainiennes, elles se trouvent encore en gestation, ce qui ouvre aussi de plus grandes possibilités aux acteurs individuels d’influer sur leur fonctionnement. 
En ce qui concerne les acteurs économiques qui participent effectivement aux processus décisionnels, c’est leur faible degré d’organisation qui nous paraît décisif pour l’emprise des intérêts individuels sur le contenu et la mise en œuvre de la politique publique. Ainsi ces acteurs ne sont-ils pas obligés de tenir compte des intérêts collectifs d’un secteur économique, mais peuvent agir uniquement en fonction de leurs intérêts privés. Comme il a été démontré, ces deux types d’intérêts peuvent être congruents mais aussi diverger. Quant aux oligarques en particulier, nous avons vu qu’ils disposent des actifs dans différents secteurs économiques, ce qui réduit de surcroît leur détermination à s’engager pour la filière des énergies renouvelables.
Enfin, une autre différence entre les interactions des acteurs étatiques et non-étatiques en Ukraine et ceux des pays de l’Europe occidentale semble tenir à la dynamique temporelle de leur déploiement. Ainsi en Ukraine, l’effacement de la frontière entre le privé et le public nous semble-t-il dû au processus de la formation de l’État, à une faible institutionnalisation des relations entre acteurs. Il s’agit donc d’une dynamique qui relève d’un processus de différenciation graduelle de l’État par rapport à d’autres structures de la société, de la sociogenèse de l’État, que nous avons évoquée dans notre introduction. Or dans les pays de l’Europe occidentale,  l’estompement de la délimitation entre le public et le privé paraît relever d’une dynamique inverse : celle de  « désinstitutionalisation » et de «  dédifférenciation » à partir d’un État consolidé.   On assiste donc à un processus de partage conscient de compétences entre acteurs étatiques et non-étatiques, processus contrôlé et guidé par l’État, qui ne perd pas d’importance mais change de fonctions. L’intervention étatique par la coercition à l’égard des acteurs privés cède donc la place à celle par l’encadrement.  La question qui se pose dès lors est de savoir comment la gestation de l’État ukrainien va continuer sous l’impact de telles dynamiques d’évolution de l’État occidental qui représente un objet d’émulation.

En partant de ces résultats de notre recherche, nous pouvons nous interroger sur les conséquences probables qu’auront la présidence de Viktor Ianoukovitch et le gouvernement dominé par le Parti des régions sur la politique des énergies renouvelables.
Nous faisons en effet face à une situation originale qui nous fait réfléchir de nouveau sur les notions de problem window et de political window. Comme nous avons vu, c’est la concomitance des deux qui a permis une certaine accélération de la PER après la Révolution orange, du fait des tensions accrues avec la Russie d’un côté, et de la présence des oligarques intéressés aux énergies renouvelables dans un Parlement dont les compétences ont été augmentées de l’autre. Avec le changement de gouvernement en Ukraine la political window nous semble plus ouverte dans la mesure où la plupart des oligarques que nous avons mentionnés comme intéressés aux énergies renouvelables sont membres du Parti des régions. Ce dernier étant désormais aussi le parti gouvernemental, ils peuvent influer de façon plus directe sur la politique publique. Par ailleurs, certains des oligarques en question ont acquis des postes exécutifs dans le nouveau gouvernement et sont ainsi à même de promouvoir davantage la PER, même si elle risque d’être biaisée par leurs intérêts économiques privés.  Il en va ainsi pour Andrii Kliouev qui est maintenant de nouveau vice-Premier ministre pour le secteur énergétique.
Mais en même temps, la problem window semble s’être fermée.  Avec l’arrivée du nouveau Président, plus pro-russe que Iouchtchenko, les relations entre la Russie et l’Ukraine sont en train de se détendre, notamment en matière énergétique. De nouvelles tensions en matière d’approvisionnement en gaz ne paraissent ainsi pas envisageables durant le mandat de Ianoukovitch. Une motivation centrale à la mise en place de la politique des énergies renouvelables est ainsi supprimée car la dépendance énergétique de l’Ukraine ne sera sans doute plus perçue comme problème public. La question qui se pose dès lors est celle dans quelle mesure l’intérêt des oligarques pour les énergies renouvelables va perdurer et dans quelle mesure ils feront valoir leurs intérêts pour cette filière malgré l’absence d’une problem window.






















BIBLIOGRAPHIE


N.B. : Les documents émis par le Conseil suprême de l’Ukraine (Verkhovna Rada Ukrainy), le Cabinet des ministres (Kabinet Ministriv Ukrainy), le Président de l’Ukraine (Prezident Ukrainy) ainsi que le Conseil de la sécurité et de la défense nationales de l’Ukraine (Rada natsionalnoi bezpeky i oborony Ukrainy) ont tous été consultés sur le site www.rada.gov.ua


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Politique environnementale

Sources secondaires :

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Greiner, Sandra, Joint Implementation in der Klimapolitik aus Sicht der Public-Choice-
Theorie [La mise en œuvre conjointe dans la politique climatique du point de vue de la théorie du choix rationnel], Hambourg : HWWA, 1996

Jepma, Catrinus (dir.), The feasibility of joint implementation, Dordrecht: Kluwer, 1995

Korppoo, Anna; Moe, Arild, « Joint Implementation in Ukraine: national benefits and
implications for further climate pacts. » Climate Policy 8, n° 3, 2008, pp. 305–316

Korppoo, Anna, « JI approval system in Ukraine: outline and experiences », Climate
Strategies, Cambridge: University of Cambridge, décembre 2007

Korppoo, Anna. « Joint Implementation in Russia and Ukraine: review of projects
submitted to JISC », Climate Strategies, Cambridge: University of Cambridge, octobre
2007

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Korppoo, Anna. Russia and the Kyoto Protocol : Opportunities and Challenges, London:
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Lascoumes, Pierre, L’éco-pouvoir : environnements et politiques, Paris: Découverte, 1994

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Mandrillon, Marie-Hélène, « La polémique sur la ratification du protocole de Kyoto : poids des réseaux soviétiques et nouveaux clivages », Revue d’Études Comparatives Est-Ouest, vol. 36, n°1, mars 2005, pp. 179-205

Mariotte, Clément, L'Europe centrale et le protocole de Kyoto sur les changements climatiques: Quels bénéfices en perspective? Paris: L'Harmattan, 2006

Ministère de la Protection de l’Environnement de l’Ukraine, Facilité Globale Environnementale, PNUD, National Environmental Policy of Ukraine: assessment and development strategy, Kiev, 2007

Point Carbon, Carbon 2009 – Emission Trading Coming Home, 17.03.2009

Stavcuk, Iryna, « Ukraine : Doppelter Klimawandel. Treibhausgase senken, Wissen vermehren » [L’Ukraine: double changement climatique. Réduire les gaz à effet de serre, multiplier le savoir] Osteuropa, 2008, pp. 231-250

Tsatourian, Mariia, « Nezdorovyï klimat : Ukraina vybrala destrouktivnouiu positsiiou na
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de la conférence de l’ONU], Kommersant, décembre 2009, dernière consultation
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Tsatourian, Maria; Sidorenko, Sergei; Dolgopolova, Lioudmila, « Investitsiiam ne khvataet zeleni » [Les investissements manquent de verdure], Kommersant, n°75, 29.04.2010


Documents officiels:

Ukraine. Ministry of Environmental Protection, National Action Plan on Climate Change, Kiev, 1998

Ukraine. The First National Communication on Climate Change, Kiev, 1998

Ukraine. Kabinet Ministriv Ukrainy. Postanova : Pro zatverdjennia Polojennia pro Natsionalne agentstvo Ukrainy ekologitchnykh investitsii [Sur l’approbation du statut de l’Agence nationale des investissements écologiques de l’Ukraine], 30.06.2007, N 977

Ukraine. Kabinet Ministriv Ukrainy. Postanova : Pro zabezbetchennia vykonannia mijnarodnykh zoboviazan Ukrainy za Ramkovoiou konventsieiou OON pro zminou klimatou ta Kiotskim protokolom do nei [Sur la mise en œuvre des obligations internationales de l’Ukraine conformément à la Convention Cadre des Nations Unies sur le Changement Climatique et au protocole de Kyoto], 17.04.2008, N 392

Ukraine. Rada natsionalnoi bezpeky i oborony, Richennia : Pro stan ta problemy implementatsiï Ukraïnoiou Ramkovoï konventsiï Organizatsiï Obednannykh Natsiï pro zminou klimatou [Sur l’état et les problèmes de la mise en œuvre par l’Ukraine de la Convention Cadres des Nations Unies sur le Changement Climatique],  15.06.2007

Convention Cadre des Nations Unies sur le Changement Climatique, Report of the centralized in-depth review of the second national communication of Ukraine, 23 septembre 2009

Nations Unies, Kyoto Protocol to the United Nations Framework Convention on Climate Change, 1998

Autres sources de première main:

Sténogramme des débats parlementaires du 4.02.2004


Coopération Ukraine – Union européenne

Copsey, Nathaniel ; Shapovalova, Natalya, Energy Efficiency in Ukraine : Policy Implications for SIDA Assistance, SIPU report for the Swedish International Development Agency (SIDA), 10 février 2009

Denysyuk, Vitaliy, « A la recherche d'une communauté paneuropéenne de l'énergie : intégration de l'Ukraine dans la politique énergétique européenne, implications et contours. », Revue du Marché commun et de l'Union européenne, n° 516, 2008, pp. 186–202

Prange-Gstöhl, Heiko, « Enlarging the EU’s internal energy market : Why would third countries accept EU rule export ? », Energy Policy, vol. 37, 2009, pp. 5296-5303

Wolczuk, Kataryna, « Implementation without Coordination : The Impact of EU Conditionality on Ukraine under the European Neighbourhood Policy », Europe-Asia Studies, vol. 61, n°2, pp. 187-211


Sources de première main:

Commission européenne, EU-Ukraine Association Agenda to prepare and facilitate the implementation of the Association Agreement, novembre 2009

Commission européenne , 4th Progress Report on the Implementation of the EU-Ukraine Memorandum of Understanding on Energy Co-operation during 2009, disponible sur http://ec.europa.eu/external_relations/ukraine/docs/index_en.htm, dernière consultation 15.04.2010

Commission européenne , 3rd Progress Report on the Implementation of the EU-Ukraine Memorandum of Understanding on Energy Co-operation during 2008, disponible sur http://ec.europa.eu/external_relations/ukraine/docs/index_en.htm, dernière consultation 15.04.2010

Commission européenne,  2nd Joint Progress Report on the Implementation of the EU-Ukraine Memorandum of Understanding on Energy Co-operation during 2007, disponible sur http://ec.europa.eu/external_relations/ukraine/docs/index_en.htm, dernière consultation 15.04.2010

Commission européenne, 1st Joint Progress Report on the Implementation of the EU-Ukraine Memorandum of Understanding on Energy Co-operation during 2006, disponible sur http://ec.europa.eu/external_relations/ukraine/docs/index_en.htm, dernière consultation 15.04.2010

Commission européenne, Memorandum of Understanding on co-operation in the field of energy between the European Union and Ukraine, décembre 2005, disponible sur http://ec.europa.eu/external_relations/ukraine/docs/index_en.htm, dernière consultation 15.04.2010

Commission européenne, EU-Ukraine Action Plan, février 2005

Sites Internet visités régulièrement

www.rada.gov.ua
www.naer.gov.ua
www.neia.gov.ua
www.fuelalternative.com.ua
www.zn.ua


Colloque

Drougii ukrainskii biznes-samit: Zmina klimatou: globalni vyklyky ta novi strategii dlia ukrainskogo biznesou [Deuxième sommet ukrainien d’entrepreneurs : Le changement climatique : défis globaux et nouvelles stratégies pour l’entrepreneuriat ukrainien], 24.03.2010, Kiev; notes personnelles





















ANNEXE


1. Chronologie des principaux actes normatifs en matière d’énergies renouvelables en Ukraine



Date d’adoption     Forme juridique et initiateurs    Nom du dispositif
15.06.1994    Arrêté [Postanova] du Cabinet des ministres    Sur la construction des éoliennes
1.07.1994    Loi [Zakon Ukrainy] lancée par le Cabinet des ministres    Sur les économies d’énergie
2.03.1996    Décret présidentiel [oukaz Prezidenta]    Sur la construction des parcs d’éoliennes
20.02.2003    Loi lancée par Cabinet des ministres    Sur les sources d’énergie alternatives
16.03.2007    Loi lancée par députés    Sur les amendements de quelques actes législatifs relatifs à la stimulation des économies d’énergie
25.09.2008    Loi lancée par députés    Sur les amendements de quelques lois de l’Ukraine relatives à la mise en place d’un tarif ‘vert’
1.04.2009    Loi lancée par députés    Sur les amendements de la loi de l’Ukraine « Sur l’énergie électrique » relatifs à la stimulation de l’utilisation des sources d’énergie alternative [complète loi précédente sur les tarifs verts]
21.05.2009    Loi lancée par députés     Sur les amendements de quelques lois de l’Ukraine relatives à la stimulation de la production et de la consommation des carburants biologiques










2. Liste des personnes interrogées


Ioulia Berezovskaia, consultante du cabinet de conseil « Fuel Alternative », 6.04.2010 (par téléphone)

Georgii Geletoukha, directeur du Centre scientifico-technique « Biomassa », 17.03.2010, Kiev

Ioulia Ibragimova, spécialiste principale en charge de la politique des économies d’énergie, Ministère des Combustibles et de l’Énergie, 24.03.2010, Kiev

Oleksandr Karamouchka, directeur exécutif de l’association « Ukrhydroenergo », 11.03.2010, Kiev

Vasilii Kotko, ancien vice-président d’ « Energoatom » (1992-1997), président de l’Association énergétique de l’Ukraine, 26.03.2010, Kiev

Oleksandr Matviitchouk, vice-chef du secrétariat du Comité parlementaire en charge du secteur énergétique, 12.03.2010, Kiev

Iryna Stavtchouk, coordinatrice du programme climatique du Centre national écologique de l’Ukraine (NECU), coordinatrice du réseau des ONG environnementales « Groupe de travail sur le changement climatique », 18.03.2010, Kiev

Georgii Veremeitchik, spécialiste principal du département en charge de la protection de l’atmosphère et du monitoring écologique national, Ministère de la Protection de l’Environnement de l’Ukraine, 23.03.2010

un fonctionnaire de la NAER, 10.03.2010



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Document mis en ligne et formaté par D. Colas le 3 février 2011
 
 
Professeur Dominique  Colas, professeur des universités à l'Institut d' Etudes Politiques de Paris
email :  dominique.colas@sciences-po.fr

Directeur du programme doctoral Russie et CEI
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Fax  :  (33) 1 45 44 95 49


 

 
 

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