Lettre adressée à Robert Solé du journal « Le Monde »
à propos de la couverture par Henri Tincq de l’ordination
de Geneviève Beney
Monsieur,
Nous (soussignés) croyons nécessaire de vous
saisir au sujet de la couverture par Henri Tincq de l'ordination d'une
femme française à la prêtrise (Le Monde, 5 juillet 2005) . Nous voulons exprimer une
protestation de catholiques, membres de réseaux d'associations se donnant pour
tâche d'agir de l'intérieur de l'Eglise en vue d'une réforme qui renoue à
la fois avec les plus anciennes traditions chrétiennes d'une église
fraternellle et non cléricale et qui ouvre la voie à l'urgente inculturation
d'une Eglise bloquée, au moins au sommet. On nous étiquette parfois comme
"contestataires".
Nous allons nous efforcer de réagir au plus près du
texte, sur le commentaire d'abord, sur l'article ensuite.
Le commentaire
: intitulé "Mascarade", titre plutôt insultant. C'est cela
que le lecteur est invité à retenir. Le mot "mascarade" revient
dans le cours du texte. Sur le fond, le commentaire reproduit et enrichit
la gamme des appréciations portées contre l'ordination de Geneviève Beney par
diverses voix officielles de l'Eglise catholique française. H Tincq les
reproduit dans une formulation condensée qui tombe dans un total
manque de respect à l'égard des personnes et dans le déni de la qualité
de ces personnes dont on ne peut pas ignorer le courage.
Point par point:
1. "on se propose au sacerdoce, on ne se le
donne pas" , or -cela apparaît dans l'article- Geneviève Beney a
été ordonnée par des évêques certes excommuniées, ordonnées par un évêque
excommunié mais qui restent évêques donc dans la "succession
apostolique" telle que la doctrine en vigueur la comprend, comme base de
son système de gouvernement. Quand à l'identité de l'évêque argentin
schismatique, elle est connue de la presse.
2. "ordination sauvage":
" illégale" serait plus près des faits.
3. "choix de l'illégalité tenant lieu de
théologie", H Tincq sait, et il le dit dans
l'article, que les personnes en cause ont une formation théologique et on
sait que rien dans l'évangile ni dans la tradition chrétienne ne s'oppose
à l'ordination de femmes à la prêtrise, ce que H Tincq ne peut pas
ne pas rappeler sous peine de passer pour sousinformé.
4. "goût de la provocation, de la
clandestinité" : ici on glisse dans le procès d'intention. La
provocation est bien là et assumée mais l'intention clairement déclarée
est de transgresser une loi, pour la dépasser. Le "goût de" est
un mot de trop. Quant à la clandestinité, fait-elle bon ménage avec
l'hypermédiatisation dénoncée ? Et qui se cache?
5." hypermédiatisées" [les
ordinations sauvages] ? Les médias ont bien évidemment été alertés mais
encore fallait-il -ce qui n'était pas dutout considéré comme acquis- qu'ils
soient intéressés et pensent que le public le serait. Hypermédiatisation,
écrit HT mais en même temps il reproche à GB d'avoir boycotté la conférence de
presse qu'elle avait convoquée et d'avoir fui dans la cale de la péniche où les
photographes ont continué à la traquer à travers les hublots. Elle s'est
attachée à limiter la vedettisation. Quant au Monde lui-même,
n'a-t-il pas accompli son devoir de couverture de l'événement par la plume de
HT?
6. "Où est le peuple de ces femmes
"évêques" et "prêtres" (les guillemets sont dans
le texte) sans fidèles (quid des curés dont les églises se vident ou
sont vides faute de prêtre?). Les femmes ordonnées sur le Danube trouvent
où servir. GB a déjà trouvé . HT pourrait utilement s'en informer à la source? Les
sympathisants présents à bord de la péniche, représentatifs de beaucoup
d'autres ne forment-ils pas un petit peuple?
Venons-en à l'article, à l'information
proprement dite, qu'on attendrait simplement factuelle. Elle transpire
dévalorisation et condamnation.
. Le titre d'abord, qui fait, non de l'ordination
mais de l'excommunication, de la condamnation, l'événement. Le
public s'y est-il trompé?
. Le commentaire du prêtre lyonnais qui "se croirait
au mariage homosexuel de Bègles": méprisant pour ce couple comme pour
l' "héroïne du jour", laquelle "arrive à la dernière
minute, fuit les caméras, etc."
. L'intertitre :"Premier paradoxe: plus de caméras
et de micros que de fidèles, témoins âgés de tous les combats
perdus". Des vaincus. Disqualifiés. A l'avenir de dire s'ils ont
perdu.
. Le symbolisme de la péniche est tronqué. La péniche
rappelle d'abord l'appel par Jésus de ses premiers disciples sur une
barque et aussi la barque de l'Eglise.
. Une citation -attribuée à une des 3 évêques?-
termine l'article sur une note de dérision: "une église
des catacombes est en train de naître".
Comment ce travail de disqualification, au
service d'une position, se situent-il au regard de la déontologie du
journalisme?
Nous espérons que le Monde reviendra sur le
sujet avec du recul.
Avec nos sentiments cordiaux,
Paul Abéla Hubert Tournès
Droits et libertés dans les Eglises
(membre de la Fédération des réseaux du parvis
et du Réseau européen Eglises et liberté,
en lien avec le Mouvement international Nous sommes
Eglise-IMWAC)