1. PRÉSENTATION
Noirs américains, Afro-américains,
majoritairement les descendants d’Africains amenés comme esclaves dans
le Nouveau Monde entre 1501, date à laquelle l’Espagne autorisa l’envoi
d’esclaves africains dans ses colonies, et 1808, lorsque les États-Unis
prohibèrent l’importation de nouveaux esclaves. Les Noirs des États-Unis
(29 986 060 recensés en 1990) sont généralement restés culturellement
et socialement distincts des autres groupes de la population. Bien que
les valeurs et les comportements des diverses cultures africaines aient
été réprimés par la majorité d’origine européenne en Amérique du Nord,
les Noirs réussirent cependant à combiner des pratiques africaines aux
éléments culturels européens pour créer une culture afro-américaine mélangée
et vivace qui a eu un effet considérable sur les autres groupes culturels,
surtout dans les domaines de la musique, de la danse et des arts. Par
ailleurs, les Afro-américains ont adopté le langage et les pratiques
sociales qui leur étaient nécessaires pour survivre et prospérer dans
une société dominée par les Blancs, tout en conservant leur identité et
leurs intérêts distincts. L’histoire des Noirs aux États-Unis est caractérisée
par des luttes intenses et continues pour l’obtention des droits civiques,
de l’égalité économique et de l’autodétermination politique.
2. LA
PÉRIODE DE L’ESCLAVAGE
L’utilisation intensive de travailleurs
africains du XIV e au XVII e siècle sur les riches plantations de canne
à sucre du Brésil et des Antilles fournit un exemple aux colons européens
d’Amérique du Nord lorsque les Amérindiens et les Européens se révélèrent
insuffisants pour assurer les besoins en main-d’uvre agricole. Des
Africains avaient servi comme guides et comme soldats au cours de la conquête
espagnole du Mexique, mais la majorité de ceux qui furent amenés en Amérique
du Nord furent utilisés pour produire les cultures d’exportation (tabac,
riz, indigo et coton) qui devinrent les principales sources des richesses
extraites de leurs colonies par les nations européennes. Les colons anglais
en Amérique du Nord se tournèrent graduellement vers les esclaves africains
pour résoudre leur déficit en main-d’uvre. L’Espagne fit venir au
moins 100 000 Africains au Mexique au XIV e siècle, mais l’Angleterre
ne participa pas activement à la traite des esclaves avant la création
de la Royal African Company («Compagnie royale africaine ») en 1663.
Les premiers
Africains furent débarqués dans les possessions anglaises en Amérique
du Nord en 1619, leur statut était celui de «travailleurs sous contrat».
À mesure que leur nombre augmentait, ils furent employés dans les plantations
qui se développaient dans les colonies du Sud et du Centre, pour cultiver
la canne à sucre, le riz, l’indigo et le tabac. Ces Africains, achetés
à bas prix en Guinée, étaient revendus dans les Antilles (voir Commerce
triangulaire) et achetés par les planteurs, dont ils devenaient les esclaves
: ils n’avaient aucun droit, dépendaient de leurs maîtres qui pouvaient
en disposer comme de marchandises. Les mariages mixtes étaient interdits
et des lois punissaient la désobéissance des Noirs. 2.1. La guerre de
l’Indépendance américaine et les révoltes noires. Le nombre des Noirs
sur le territoire américain était inférieur à un million au moment de
la guerre de l’Indépendance (1776-1783) : 90 p. 100 étaient des esclaves
et les trois quarts vivaient dans les États du Sud. Malgré les progrès
faits dans certains cercles de Blancs par l’idée de l’émancipation des
esclaves, soutenue par l’idéologie révolutionnaire, influencée par le
rationalisme des Lumières et la piété quaker, la Constitution de la jeune
nation décida de rendre effective l’interdiction de la traite des Noirs
dans un délai de vingt ans, en janvier 1808. De fait, l’esclavage avait
disparu dans les États situés au nord du Maryland, vers 1810, et les Noirs
qui y vivaient étaient juridiquement libres. Mais en réalité, ils ne pouvaient
exercer aucun de leurs droits et restaient en marge de la société, sans
avoir accès au système éducatif public, à un habitat décent ou à la protection
de la loi. L’évolution dans le Sud fut très différente : l’expansion de
la culture du coton au XVIII e siècle dans les États du «Sud profond»
(les États américains bordant le golfe du Mexique) et du Sud-ouest eut
pour conséquence l’établissement d’un ordre politique conservateur, fondé
sur l’emploi des esclaves. La libéralisation qui s’était faite sentir
dans le Sud à la fin de la guerre fut balayée lorsque furent constatés
les profits rendus possibles par l’invention de l’égreneuse de coton en
1793. Le besoin de main-d’oe uvre augmenta et l’esclavage connut, de fait,
dans la première moitié du XIX e siècle, son «apogée» : on estime que
les esclaves noirs étaient près de quatre millions en 1860. Cette période
vit les premières révoltes importantes d’esclaves noirs, comme celle de
Gabriel Prosser en Virginie en 1800, celle de Denmark Vesey en Caroline
du Sud en 1822, et surtout celle de Nat Turner en 1831; elles furent toutes
sévèrement réprimées. La discrimination contre les esclaves affranchis
était intense, aussi bien au Nord qu’au Sud : restrictions sur leur participation
politique, leur droit de posséder des terres et leurs contacts sociaux
avec les Blancs. Dès les années 1830, la plupart des États du Sud et certains
du Nord limitèrent ou interdirent l’entrée des Noirs libres sur leur territoire,
des émeutes anti-Noirs éclatèrent dans les villes industrialisées du Nord.
- 2.2. Les Noirs semi-libres Ce
fut à cette époque que les communautés urbaines afro-américaines commencèrent
à créer un certain nombre d’Églises, d’ordres fraternels, d’écoles,
de groupes d’aide mutuelle et d’organisations politiques. Bien que l’analphabétisme
fût encore la règle, ces institutions développaient la confiance en
soi des dirigeants noirs et les encourageaient à exprimer leurs inquiétudes
auprès du public. Pour sortir de leur situation, les Noirs américains
envisageaient deux solutions : adopter les valeurs de la société blanche
dominante en la réformant, ou tenter de s’évader de la société américaine,
en retournant en Afrique ou en émigrant au Canada, ce que firent des
milliers de Noirs dans les années qui précédèrent la guerre de Sécession.
- 2.3. Le mouvement abolitionniste
L’aggravation de la discrimination, combinée à la croissance de l’alphabet
isation des Noirs, de la force des institutions et des ressources économiques,
favorisa une augmentation de l’activisme après 1830. Rejetant la lenteur
des plans gradualistes pour mettre un terme à l’esclavage, William Lloyd
Garrison réclama l’abolition im médiate de l’esclavage et, aidé par
des Noirs, il fonda l’American Anti-Slavery Society («Société américaine
anti-esclavagiste») en 1833.
- 2.4. La montée de l’activisme
Pendant les années 1840, les abolitionnistes noirs essayèrent diverses
stratégies pour obtenir la suppression de l’esclavage. En 1843, l’appel
du révérend Henry Highland Garnet pour une révolte générale des esclaves
faillit être suivi par une réunion des représentants noirs. En 1847,
l’énergique orateur et écrivain noir Frederick Douglass, un ancien partisan
de Garrison, s’associa à Martin Delany, un pionnier du nationalisme
noir, pour fonder un journal indépendant, le North Star. Harriet Tubman,
Sojourner Truth et Maria Stewart étaient des abolitionnistes d’action.
Tubman et d’autres aidèr ent des esclaves à s’enfuir par l’Underground
Railroad. Les lois sur les esclaves fugitifs votées entre 1793 et 1850
et notamment celle de cette dernière année, adoptée par un Congrès aux
mains des planteurs du Sud, rendirent les Noirs pessimistes sur les
chances réelles d’une fin de l’esclavage devenu un élément fondamental
du système politique américain.
- 3. LA GUERRE DE SÉCESSION, LA
RECONSTRUCTION ET LA MIGRATION URBAINE Bien que la plupart des Blancs
nordistes ne se soient pas attendus à ce que la guerre de Sécession
aboutisse à l’abolition de l’esclavage, les abolitionnistes noirs offrirent
leurs services à la cause de l’Union (les États du Nord) précisément
dans ce but. Ironiquement, la politique du Nord concernant l’engagement
des Noirs était incohérente au début de la guerre car le président Abraham
Lincoln et les autres dirigeants, bien qu’excédés de la tutelle politique
des États du Sud, dont la prééminence économique avait cessé depuis
l’expansion industrielle des villes du Nord, voulaient sauvegarder l’Union
sans abolir l’esclavage ni faire cesser la discrimination dans le Nord.
Ancienne esclave, Harriet Tubman (ici à gauche) participa au réseau
clandestin d'aide aux esclaves noirs et organisa la fuite de plus de
300 d'entre eux.
- 3.1. Les Noirs au service de
l’Union Le Congrès accorda au président la permission d’employer des
forces noires en 1862. Lincoln publia également sa Proclamation d’émancipation
qui libérait les esclaves des sudistes qui seraient encore en rébellion
le 1 er janvier 1863. Cette loi eut peu d’effet immédiat mais elle marqua
un changement dans l’attitude de Lincoln, qui aboutit à l’abolition
de l’esclavage par le 13 e amendement de la Constitution des États-Unis,
entré en vigueur le 18 décembre 1865.
- 3.2. Reconstruction En dépit
de la victoire des nordistes, les Noirs du Sud virent leurs libertés
soumises à de sévères limitations après la fin de la guerre de Sécession.
Ils avaient espéré recevoir les terres confisquées ou abandonnées, ce
qui leur aurait donné l’indépendance économique, mais les propriétaires
fonciers réussirent à faire adopter des «codes noirs» qui restreignaient
leur droit de propriété et leur liberté de mouvement. Ce mauvais vouloir
du Sud décida le Congrès à prolonger l’existence du Bureau des affranchis
et à adopter des lois pour protéger les droits civiques des Noirs :
les 14 e et 15 e amendements de la Constitution, adoptés en 1868 et
1870, interdisaient toute discrimination entre citoyens américains et
donnaient le droit de vote aux Noirs. L’occupation du Sud par les autorités
fédérales ne changea pas la domination économique des Blancs, mais elle
permit temporairement aux dirigeants noirs de se présenter aux élections
et de faire campagne pour des réformes visant à un meilleur enseignement
public et à l’ abolition des conditions de propriété pour le droit de
vote, de la prison pour dettes et de la ségrégation dans les établissements
publics. En général, les Noirs du Sud essayèrent d’exercer les droits
qu’ils venaient d’acquérir face au régime de terreur appliqué par des
groupes tels que le Ku Klux Klan.
- 3.3. Érosion des droits des
Noirs Après le retrait des troupes nordistes en 1877, l’intense discrimination
raciale et l’économie déprimée incitèrent de nombreux Noirs à fuir le
Sud. De plus, une série de d décisions de la Cour suprême dans
les années 1880 et 1890 réduisit considérablement la protection qui
leur avait été accordée par le 14 e amendement de la Constitution américaine.
Le point final de ce processus fut marqué par la décision de la Cour
suprême dans l’affaire Plessy contre Ferguson en 1896, qui approuvait
les établissements publics séparés pour les Noirs. Les droits économiques
de ces derniers se dégradèrent avec les lois sur le droit de rétention
des récoltes qui donnait aux propriétaires blancs un titre sur la production
des fermes des Noirs, du péonage pour dette et des lois contre le vagabondage
qui forçaient les Noirs à accepter des emplois sous-payés. Les libertés
politiques et économiques des Noirs furent également réduites par des
artifices tels que le suffrage censitaire ou les tests de lecture et
par la terreur, comme l’illustre le fait que plus de mille Noirs furent
mis à mort par lynchage pendant les années 1890. Théoriquement citoyens
américains, les Noirs étaient, dans la pratique, maintenus en marge
de la société.
- 3.4. La migration urbaine La
détérioration des conditions de vie dans le Sud après la Reconstruction
provoqua des vagues de migration des Noirs vers le nord et l’ouest.
En 1900, la répartition de la population noire avait subi des changements
significatifs par rapport à ce qu’elle était avant la guerre de Sécession.
Bien que les Noirs fussent toujours, pour la plupart, concentrés dans
le Sud, environ un quart vivaient dans des zones urbaines. Dans les
États du nord-est et de l’ouest, plus des trois quarts des Noirs habitaient
dans des villes. Les plus grandes concentrations étaient établies à
Washington, Baltimore (Maryland), La Nouvelle-Orléans (Louisiane), Philadelphie
(Pennsylvanie), New York (État de New York) et Memphis (Tennessee),
ayant chacune plus de 40 000 résidents noirs. Cette migration du Sud
rural vers les villes nordistes fut un mouvement continu, avec une intensité
variable, qui dura jusqu’aux années 1970 : elle fit de la «question
noire» un enjeu national, et fit plus pour le progrès économique des
Noirs que toutes les lois sur les droits civiques.
4. LA
CULTURE NOIRE AU DÉBUT DU XX E SIÈCLE
Cette migration provoqua de profonds
changements dans la société et la vie culturelle afro-américaines. Des
intellectuels formés dans les universités comme W.E.B. Du Bois abandonnèrent
la politique d’accommodation prônée par le gouvernement et se mirent à
exiger l’égalité des droits par l’intermédiaire de divers groupes de pression,
uniquement composés de Noirs, et la National Association for the Advancement
of Colored People (NAACP, «Association nationale pour le progrès des gens
de couleur») qui comprenait à la fois des Noirs et des Blancs.
- 4.1. La prise de conscience
des Noirs La croissance en taille et en niveau d’éducation de la population
noire urbaine stimula les activités culturelles et intellectuelles.
Des journaux et des revues publiés par des Noirs firent leur apparition
dans toutes les communautés d’une certaine importance. Les compositeurs
Scott Joplin, W.C. Handy et J. Rosamond Johnson, frère de l’écrivain
James Weldon Johnson, et le poète romancier Paul Laurence Dunbar sont
quelques-uns des artistes noirs qui connurent le succès au début du
siècle. De nombreux autres musiciens et écrivains moins célèbres combinèrent
les styles musicaux occidentaux à des formes rythmiques et mélodiques
tirées de leurs racines africaines et de l’esclavage pour créer le jazz
afro-américain. Dès le début du XX e siècle, de nombreuses communautés
noires s’étaient suffisamment développées pour avoir une minorité des
leurs dans les professions libérales et les affaires, et l’ancienne
déférence envers les valeurs des Blancs fit place peu à peu parmi les
Noirs qui avaient le mieux réussi, à un sens de fierté ethnique et de
cohésion sociale. Les ordres fraternels, les organisations politiques,
les clubs et les journaux noirs imposèrent une prise de conscience à
ceux qui vivaient en ville et devint ainsi la base de l’activisme et
des innovations culturelles des années 1920.
- 4.2. Première Guerre mondiale
La Première Guerre mondiale marqua un tournant dans l’histoire des Noirs
américains en accélérant le processus à long terme d’urbanisation des
Noirs et de développement des institutions. Lorsque les migrants noirs
s’installèrent dans les villes pour prendre les emplois industriels
libérés par les travailleurs blancs qui s’étaient engagés, la croissance
de leur population augmenta ainsi que les occasions offertes dans les
métiers libéraux et commerciaux. Les Noirs réagirent au racisme blanc
en exprimant leur fierté ethnique et leur unité. Les intellectuels noirs
ne s’entendaient pas sur le soutien à apporter à la guerre — le syndicaliste
A. Philip Randolph et le socialiste Chandler Owen s’y opposaient vigoureusement
— mais ils s’accordaient à penser que les Noirs devaient se servir de
cette guerre pour améliorer leur condition. La majorité des 370 000
Noirs dans le service armé furent assignés à des unités de soutien pendant
la guerre, mais certains régiments participèrent activement aux combats.
Le 369 e régiment d’infanterie fut la première unité alliée à atteindre
le Rhin et fut décoré de la Croix de Guerre par la France pour ses états
de service pendant la guerre. Les soldats noirs revinrent chez eux déterminés
à exiger le respect de la nation pour laquelle ils avaient combattu.
- 4.3. L’après-guerre Les Noirs
revenant au pays y trouvèrent une opposition blanche encore plus intense
aux progrès qu’ils avaient pu obtenir. Leurs difficultés dans les villes
étaient toujours importantes : ségrégation à l’embauche, au niveau du
salaire, chômage plus important, logements chers et délabrés. De plus,
de 1917 à l’«été rouge» de 1919, des émeutes anti-Noirs se produisirent
un peu partout dans le pays. Ces événements les décidèrent encore plus
à défendre leurs droits et à suivre leurs dirigeants les plus énergiques.
- 4.4. La renaissance de Harlem
Mais la fierté et la prise de conscience ethnique qui caractérisèrent
les années 1920 furent marquées par l’activiste noir le plus populaire
à cette époque, un immigrant jamaïcain, Marcus Garvey. Un mouvement
culturel afro-américain appelé «la renaissance de Harlem» reçut le soutien
des intellectuels noirs : le poète et romancier d’origine jamaïcaine
Claude McKay, le romancier Jean Toomer, le poète Countee Cullen, le
poète Langston Hughes, le directeur de publication Charles S. Johnson,
Jessie Fauset et Du Bois.
Militant jamaïcain, Marcus Garvey
(1887-1940) fonde en 1914 la Universal Negro Improvement and Conservation
Association (Unica). Ses dons d'orateur en font un défenseur influent
de la cause des Noirs dans sa région natale, mais aussi aux États-Unis
et en Afrique. Activiste très populaire, il est expulsé des États-Unis
en 1927. Précédemment confinés dans le Sud, le jazz et le blues commencèrent
à être joués dans les cités du Nord pendant la Première Guerre mondiale,
les plus grands noms en sont : Louis Armstrong, King Oliver, Jelly Roll
Morton, Duke Ellington et Fletcher Henderson.
5. LA CRISE ÉCONOMIQUE
DE 1929 ET LA SECONDE GUERRE MONDIALE
L’éveil de la culture afro-américaine
des années 1920 perdit souffle dans les années 1930 tandis que les effets
de la grande crise détournaient des affaires culturelles l’attention qui
se concentrait sur les problèmes économiques. Le chômage et la pauvreté
étaient déjà élevés chez les Noirs avant le krach boursier de 1929, mais
la dépression généralisée de l’économie donna l’occasion aux Noirs de
se joindre aux Blancs pour demander des réformes sociales. Une petite
minorité de Noirs rejoignit le Parti communiste. Beaucoup plus importante
fut la participation des leurs au syndicalisme; ils s’établirent de plus
en plus fermement dans de nombreuses industries pendant les années 1930
et 1940. En partie à cause de leur appartenance syndicale, les électeurs
noirs se détachèrent du Parti républicain, auquel ils avaient été fidèles
depuis la Reconstruction, pour se tourner vers le Parti démocrate.
La crise économique permit d’établir
les fondations des réformes de droits civiques qui suivraient, grâce à
l’alliance entre libéraux noirs et blancs. Pendant les années 1930, la
NAACP organisa une bataille légale acharnée contre la discrimination,
se concentrant sur la ségrégation dans l’enseignement public.
- 5.1. La Seconde Guerre mondiale
La guerre contre les puissances de l’Axe fut l’occasion de grands changements
dans la politique raciale nationale car elle augmenta les besoins en
main-d’oe uvre et donc celui en travailleurs noirs, en même temps, elle
rendit les Blancs plus conscients du danger des idées racistes. Au début
de la guerre, la menace d’une marche des Noirs sur Washington organisée
par A. Philip Randolph força le président Roosevelt à émettre un décret-loi
prohibant la discrimination raciale dans les industries de la défense
et au gouvernement. Tout en marquant des points dans la vie civile,
les Noirs cherchèrent également à obtenir une amélioration de leur condition
par leur service militaire. Comme dans les guerres précédentes, les
Noirs qui s’engageaient dans l’armée étaient confrontés à une discrimination
considérable, bien que le ministère de la Guerre ait fini par approuver
la formation d’un certain nombre d’officiers noirs et que certains aient
servi comme pilotes et dans des unités médicales et du génie. Environ
un demi-million de Noirs servirent outre-mer dans des unités ségrégées
dans le Pacifique et en Europe. Comme dans la vie civile, des conflits
raciaux se produisirent dans les camps, aux alentours et dans les zones
d’occupation à l’étranger. De graves révoltes éclatèrent également dans
plusieurs camps où les soldats noirs protestèrent contre leurs conditions
de vie déplorables et contre la discrimination raciale.
- 5.2. Une meilleure compréhension
de la part des Blancs Le désir des Afro-Américains de remporter la victoire
à la fois contre le fascisme à l’étranger e t contre le racisme dans
leur propre pays s’exprima dans la campagne appelée du Double-V, qui
mit également en lumière leur mécontentement. La propagande alliée sur
la lutte pour les «quatre libertés» permit aux Noirs d’espérer que ces
idéaux pourraient être réalisés aux États-Unis. Les occupations pacifiques
de locaux organisées par le Congress of Racial Equality (CORE, Congrès
d’égalité raciale) formé en 1942 démontrèrent une nouvelle détermination
de la part des réformateurs aussi bien noirs que blancs à défier la
ségrégation raciale. Les succès des Noirs en sport et en science favorisèrent
également le changement d’attitude des Blancs
. 6. LA
LUTTE POUR LA LIBERTÉ
- La période de l’après-guerre
vit d’importants changements dans les relations raciales aux États-Unis.
À mesure qu’un nombre croissant de Noirs quittaient le Sud rural pour
s’installer dans les zones urbaines, leur statut économique s’améliora,
même si leur revenu moyen restait inférieur à celui des Blancs. 6.1.
L’arrêt Brown Ni le président Dwight Eisenhower, ni le Congrès n’étaient
prêts à agir en faveur des droits civiques des Noirs au début des années
1950, mais les nominations présidentielles à la Cour suprême des États
-Unis préparaient la voie à la prohibition de la ségrégation raciale
d ans les écoles, qui avait été établie par l’arrêt du procès Plessey
contre Fergusson en 1896. En 1954, la Cour jugea à l’unanimité dans
Brown contre le Bureau d’éducation de Topeka, que «des établissements
d’enseignement séparés sont intrinsèquement inégaux» et, l’année suivante,
ordonna aux écoles d’État de cesser la ségrégation «avec toute la rapidité
possible». Mais la résistance était forte et, en 1957, l’armée fédérale
dut protéger l’entrée d’enfants noirs à l’école de Little Rock (Arkansas).
Dix ans après l’arrêt Brown, moins de 2 p. 100 des enfants noirs allaient
dans des écoles intégrées du Sud. Au début des années 1960, il fut nécessaire
d’envoyer l’armée et la police fédérale sur le campus de l’université
du Mississippi pour faire valoir le droit d’un étudiant noir à assister
aux cours.
- 6.2. La lutte pour la déségrégation
L’arrêt Brown encouragea les Afro-Américains à lancer une campagne pour
obtenir la déségrégation de tous les établissements et lieux publics.
Elle commença dans un autobus de la ville de Montgomery en Alabama,
en décembre 1955, lorsqu’une femme noire nommée Rosa Parks refusa de
donner sa place à un Blanc et fut arrêtée. Sous la direction du révérend
Martin Luther King, Jr., les habitants noirs répondirent en boycottant
les autobus de la ville pendant plus d’un an, jusqu’à ce qu’un tribunal
fédéral déclare que la loi de l’Alabama sur la ségrégation dans les
autobus était inconstitutionnelle. L’utilisation par King et ses partisans
du Southern Christian Leadership Conference (SCLC, «Congrès des dirigeants
chrétiens du Sud») ou ceux du Student Nonviolent Coordinating Committee
(SNCC, «Comité de coordination des étudiants non violents»), de moyens
non violents pour obtenir des réformes leur donnèrent une presse favorable.
- 6.3. L’inscription des électeurs
Les «Freedom Rides» (marches de la liberté) organisées par le CORE en
1961 étaient destinées à faire cesser la ségrégation dans les installations
qui dépendaient du commerce inter-États et elles démontrèrent que les
protestataires étaient capables de forcer les autorités fédérales à
intervenir dans le Sud. Elles amenèrent de nombreux jeunes activistes
au Mississippi où les dirigeants blancs résistaient farouchement à toute
concession au mouvement des droits civiques. Les responsables noirs
du Mississippi, qui s’étaient longtemps battus avec l’aide du NAACP,
demandèrent aux jeunes Alex HALEY affiliés au SNCC de concentrer leurs
efforts sur l’obtention du droit de vote.
Dès 1962, Robert Moses, un instituteur
ayant fait ses études à Ha rvard, avait rassemblé une équipe d’organisateurs
qui travaillaient en contact étroit avec les résidents locaux essayant
de se faire enregistrer comme électeurs. La résistance des Blancs demeurait
cependant forte. En 1964, après le meurtre de trois des organisateurs,
une action à l’échelle nationale aboutit à la tentative infructueuse du
Mississippi Freedom Democratic Party (Parti démocrate de la liberté du
Mississippi), dirigé par Fannie Lou Hamer, d’évincer la délégation cent
pour cent blanche à la convention nationale du Parti démocrate. À la différence
des difficultés rencontrées au Mississippi par le mouvement du droit de
vote, les protestations pour les droits civiques remportèrent de grands
succès dans les centres urbains du Sud grâce aux marches de la liberté
en 1961-1962, et connurent leur apogée le 28 août 1963, lors d’une gigantesque
manifestation non violente à Washington, demandant au Congrès d’agir sur
la question des droits civiques et des lois sur l’emploi. Le Congrès finit
par approuver les lois sur les droits civiques, destinées à faire cesser
la ségrégation dans les établissements publics. En 1965, une nouvelle
série de manifestations à Selma en Alabama décida le président Lyndon
B. Johnson à proposer une nouvelle loi sur le droit de vote qui fut approuvée
le même été et qui eut un effet considérable sur l’inscription des électeurs
noirs. Au Mississippi, le pourcentage de Noirs sur les registres électoraux
passa de 7 p. 100 en 1964 à 59 p. 100 en 1968.
- 6.4. Fierté noire Les années
d’activisme pour les droits civiques dans le Sud provoquèrent unemontée
de la fierté raciale et du militantisme chez les Noirs dans tout le
pays. En 1966, le SNCC annonça que le but du mouvement noir n’était
plus les droits civiques mais le Black Power, «le pouvoir noir». Une
tendance à l’activisme noir apparut dans les centres urbains du Nord
avec, à sa tête, les Black Muslims (Musulmans noirs) de Malcolm X. Les
idées de ce dernier devinrent de plus en plus populaires après son assassinat
en 1965. Ses appels à l’autodéfense armée reflétaient la colère généralisée
des Noirs des villes et se traduisirent par des explosions de violence
raciale de 1965 à 1968.
De nouvelles organisations militantes
telles que le Parti des Black Panthers se créèrent pour organiser le mécontentement
des Noirs dans les villes. Mais le radicalisme déclaré de nombreux dirigeants
noirs entraîna une répression fédérale considérable et, dès la fin des
années 1960, la plupart des groupes militants noirs avaient été affaiblis
par les raids de la police autant que par leurs dissensions internes.
Avant son assassinat en 1968, même Martin Luther King devint la cible
de la surveillance et du harcèlement du gouvernement lorsqu’il attaqua
vigoureusement la participation américaine dans la guerre du Viêt Nam
(1959-1975) et exigea des réformes économiques.
- 6.5. Les dirigeants modérés
Le déclin de l’efficacité des radicaux donna l’occasion aux dirigeants
noirs plus modérés de reprendre la situation en main, tout en adoptant
certains éléments du discours sur la prise de conscience noire. Durant
les années 1970, l’attention du public fut ainsi de plus en plus attirée
par des dirigeants mettant en oe uvre diverses stratégies qui ne menaçaient
pas l’ordre social américain. Thurgood Marshall, le premier Noir nommé
à la Cour suprême américaine, fut le symbole des possibilités qui s’offraient
lorsque l’on acceptait de travailler à l’intérieur du système politique.
- 6.6. Les Noirs dans les arts
Les grands noms de la vie intellectuelle noire américaine depuis les
années 1960 sont les écrivains Ralph Ellison, James Baldwin, Lorraine
Hansberry, Amiri Baraka, Alex Haley, Paule Marshall, Alice Walker, Gloria
Naylor, Toni Morrison, Charles Fuller et August Wilson; les poètes Gwendolyn
Brooks, Maya Angelou, Nikki Giovanni et Ntozake Shange; les cinéastes
tels que Gordon Parks, Melvin Van Peebles et Spike Lee; et les peintres
Romare Bearden, Jacob Lawrence et Benny Andrews. Ce dernier, dont les
peintures sont des commentaires sociaux sous forme allégorique, fut
l’un des organisateurs de la Black Emergency Cultural Coalition (Coalition
d’urgence culturelle noire) qui protesta en 1969 contre la sous-représentation
des Noirs dans l’art américain surtout que leurs contributions étaient
devenues une partie intégrante de l’art et de l’architecture américains,
ainsi que de la littérature américaine.
7. LES AFRO-AMÉRICAINS
DE LA FIN DE SIÈCLE
- En dépit des revers, l’activisme
noir des années 1960 a obtenu des gains politiques durables. À mesure
que les résidents noirs des villes devenaient une minorité importante
de l’électorat, parfois même une majorité, des candidats noirs se mirent
à remporter des élections. Le nombre d’élus dans tous les États -Unis
s’éleva d’environ 300 en 1965 à 7 480 (y compris 26 membres du Congrès)
fin 1990 et la première femme sénateur afro-américaine, Carol E. Moseley-Braun,
fut élue en 1992 dans l’État de l’Illinois. Dans les années 1980, des
maires noirs furent élus à Chicago, Philadelphie, New York et d’autres
villes de tout le pays. Il y avait 318 maires afro-américains à la fin
de 1990, l’année où L. Douglas Wilder fut élu gouverneur de Virginie.
Dans l’armée américaine, le général Colin L. Powell fut nommé à la tête
de l’état -major interarmées en 1989 et il joua un rôle important dans
la guerre du Golfe. Ces progrès furent contrebalancés par des tendances
moins favorables. La vague d’inscription des Afro-Américains sur les
listes électorales cessa après 1988. En 1990, seulement 59 p. 100 des
Afro-Américains en âge de l’être étaient inscrits sur les listes. Les
centres des zones urbaines où ils vivaient en majorité se trouvaient
dans des conditions économiques désastreuses tandis que la coalition
démocrate libérale qui avait soutenu les précédentes lois sur les droits
civiques perdait de sa force. Les tensions ethniques ainsi créées furent
violemment mises en évidence par les émeutes de 1992 à Los Angeles,
à la suite de l’acquittement des policiers accusés d’avoir rossé Rodney
King, un Afro-américain qu’ils avaient arrêté pour une infraction
routière.
- 7.1. Le revenu et l’emploi Le
statut économique des Afro-américains est lui aussi un mélange
d’améliorations évidentes et de problèmes persistants.
Durant toutes les années 1970 et
1980, les Afro-américains, qui représentent environ 12 p. 100 de
la population américaine, firent des progrès réguliers au niveau de l’éducation,
ce qui fit croître de façon considérable la taille de la classe moyenne.
Ces progrès devinrent de plus en plus difficiles à entretenir à la fin
des années 1980 et de petits reculs se pr oduisirent. Le revenu moyen
des familles afro-américaines a atteint 19 700 dollars par an et 29,6
p. 100 d’entre elles ont des revenus annuels de plus de 35 000 dollars,
mais cette somme ne représente toujours que les trois cinquièmes du salaire
moyen des Blancs. Tandis que la perte des emplois industriels continue
dans les années 1990, un nombre croissant d’Afro-américains des
villes font l’expérience de la désintégration des familles et de la perte
de la sécurité de l’emploi et, en l’absence d’un mouvement noir qui militerait
efficacement pour le changement social, les valeurs et les comportements
qui ne se conforment pas à ceux de l’ordre social dominant conduisent
souvent à l’échec dans la société américaine.
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