Les conseils nationaux se
suivent mais ne se ressemblent pas. Tant mieux ! Il y a deux mois,
nous craignions tous une forte poussée de l’extrême droite et une
possible défaite d’une gauche mal en point, navigant au gré des
tempêtes sociales mais gardant difficilement la tête hors de
l’écume. Soyons fiers, n’ayons pas peur de nous réjouir, même si,
après la vague rose du 28 mars, nous pourrions n’y plus rien
comprendre. Sauf à considérer, enfin, que les citoyens ne sont pas
aussi stupides que d’aucuns le prétendent ou le croient.
Tirons les premiers enseignements de ce scrutin, mystérieux encore
sous certains aspects. Attachons-nous ensuite à réfléchir ensemble
au rôle de notre organisation dans les futurs combats que la gauche
aura à mener.
Le premier enseignement, que nous envisagions dès avant notre
Congrès, réside dans la peine infligée par le peuple à la trahison
chiraquienne. Les Espagnols nous avaient montré la voie, celle du
combat contre le mensonge d’Etat. Les scrutins de 2002 ne
consacraient pas le succès de l’idéologie libérale-répressive dans
notre société. Les Français n’avaient pas voté pour l’arrogance, le
mépris de la démocratie ou l’ultracommunication. Ils avaient exprimé
leur ras-le-bol d’un monde déboussolant, dans lequel les repères
s’effacent les uns après les autres, dans lequel les riches sont de
plus en plus riches, et les autres, de plus en plus délaissés,
isolés, contraints de ne plus croire en un avenir meilleur. A cette
expression, à ce désespoir, la droite n’a pas su répondre autrement
que par le laisser-aller et le laisser-faire du tout marché. L’écart
entre une droite qui réfute la légitimité de la puissance publique
et des citoyens en attente de protections plus justes et plus
efficaces, ne pouvait conduire à autre chose qu’une défaite
cinglante des représentants locaux de la majorité présidentielle.
Le second, incontestablement, c’est la réussite de la stratégie du
Parti socialiste. Laurent Fabius l’esquissait au Congrès de Dijon,
la direction du Parti l’a mise en œuvre ces derniers mois : une
opposition frontale ! Lorsque au Congrès de Lamoura nous appelions à
faire front, nous sentions déjà que la gauche n’avait pas le droit
de fuir ses responsabilités et qu’une telle attitude aurait été
lourde de conséquences dramatiques pour notre pays. Les socialistes
n’ont pas failli à leur tâche. La gauche a conquis vingt régions.
Dix départements supplémentaires sont désormais dirigés à gauche.
Le troisième, que nous ne devons pas oublier dans l’euphorie d’une
France rose, c’est que cette victoire est celle de toute la gauche.
L’union au sein de notre famille bien sûr, mais surtout l’union de
la gauche, ont dans tous les cas été un élément décisif de la
victoire. Evidemment, il existe deux ou trois exceptions, qui
confirment cependant souvent la règle. Mais ce qui est apparu, aux
yeux de tous nos concitoyens, c’est une volonté sincère et
convaincante des communistes, des verts, des radicaux de gauche, des
républicains, des alternatifs parfois, du mouvement syndical et
associatif, des socialistes de faire front uni. De ce grand
rassemblement, de la constitution d’un front uni de la gauche,
provient en partie l’échec du tandem LCR-LO. Cet accord de l’ultra
gauche a, d’une façon presque cocasse, entraîné l’explosion de la
bulle spéculative, née du 21 avril, dans laquelle elle avait
beaucoup d’espoirs.
Le quatrième, le plus inquiétant pour demain, et le plus révélateur
de l’échec du Président de la République et de son gouvernement,
c’est in fine, le bon résultat du Front National. Dans cette
réalité, se situe probablement le cœur du problème qu’il nous faudra
traiter. Oui, le FN connaît un tassement, mais pas un reflux. Oui,
le FN n’a pas imposé ses thématiques dans cette campagne, mais elles
sont désormais ancrées dans l’esprit d’une frange significative de
nos concitoyens. Il ne faut pas être sourd au cri de la bête
immonde. Il conviendra d’ailleurs de regarder de très près les
effets qu’a pu avoir le choix de la fille de l’autre, en faveur
d’une thématique d’insécurité sociale au lieu du traditionnel
refrain sur la délinquance et l’immigration, et les conclusions que
nous devrons en tirer sur notre approche de la question.
Les Français se sont donc servis du bulletin de vote pour
sanctionner la majorité présidentielle et accorder à la gauche leur
confiance pour développer les territoires de la République, dans les
départements et les régions. Nous avons tous entendu, au cours de
l’intense campagne que nous avons mené, le message que voulaient
nous adresser les citoyens, et parmi eux les jeunes : « C’est votre
dernière chance. » Ne la dilapidons pas et abordons les deux
prochaines échéances avec pertinence et responsabilité.
La priorité pour les nouveaux exécutifs régionaux et départementaux
est incontestablement de montrer dans les semaines qui viennent que
la droite et la gauche, ce n’est pas la même chose. L’objectif n°1
est de réaliser tous nos engagements, de la gratuité des livres
scolaires à la construction de logements sociaux, en passant par la
création d’emplois tremplins et la protection des plus faibles face
au risque que représente le RMA dans le secteur privé. Tout cela,
dans le cadre d’une méthode : la démocratie participative. La mise
en place d’un observatoire des engagements, dans chaque région et
chaque département, serait une excellente initiative. De même,
l’organisation de véritables réunions publiques de concertation, au
plus près du terrain, en collaboration avec les communes, est
indispensable dès qu’un projet peut être localisé. La parole doit
être rendue aux citoyens, ils nous le demandent. L’exemple parisien
démontre – il ne faut pas se voiler la face – que ce type
d’initiatives fonctionne mieux dans les quartiers qualifiés de «
bobos » et beaucoup moins bien dans les quartiers populaires. Dans
ces derniers, c’est un effort sans précédent qu’il faut
entreprendre. L’incrédulité qui plane dans ces quartiers impose un
effort financier conséquent, dans le cadre de la politique de la
ville pour les quartiers qui en bénéficient, afin d’agir
visiblement, rapidement, et de ne pas laisser s’instaurer le
sentiment que rien n’est jamais fait, que l’avis de la population
n’est jamais entendu.
L’écueil à éviter, tout le monde l’aura compris et ce dernier
exemple l’illustre parfaitement, serait de laisser penser que les
régions et les départements pourraient constituer un véritable
contre-pouvoir à la majorité parlementaire de Chirac et au
gouvernement Raffarin. La droite ne manquerait pas d’en jouer. Elle
a commencé d’ailleurs à le faire, sur le logement, le nouveau
secrétaire d’Etat en appelant aux collectivités locales pour
atteindre l’objectif de Robien de 80.000 nouveaux logements sociaux
par an. Notre ligne se doit d’être claire : oui, nous utiliserons
tous les leviers dont nous disposons pour résister à la casse
sociale et au libéralisme ; mais pour changer réellement,
concrètement la vie des citoyens et l’avenir de notre pays, il
faudra changer de Président de la République puis de majorité
parlementaire en 2007.
Dans les deux mois qui viennent, cette ligne doit être déclinée :
pour changer l’Europe, réaliser le grand dessein démocratique et
social que nous voulons, il faudra envoyer une majorité de députés
socialistes au Parlement européen le 13 juin prochain. Les comparses
de Chirac et Raffarin, mèneront au niveau européen, la même
politique injuste et inefficace qu’ils imposent à notre pays, contre
l’avis du peuple. L’absence d’un élément de notre succès risque de
nous pénaliser : l’union. Mais si les socialistes, accompagnés dans
cette direction par le MJS, démontrent clairement leur attachement à
la réalisation d’une Europe sociale sur un fondement démocratique,
nous pallierons certainement cette carence d’unité.
Notre Conseil national est l’occasion de débattre de l’Europe, de la
meilleure stratégie politique à adopter pour gagner en juin, et du
rôle de notre organisation dans ce combat. La première étape pour le
MJS, à laquelle nous souscrivons pleinement, sera de soumettre à nos
aînés une série de propositions audacieuses, porteuses d’espérance
et, élément déterminant à nos yeux, utiles au PS. Nous ne croyons
pas qu’il faille des dizaines et des dizaines de propositions, dont
l’avantage serait qu’elles dessinent, additionnées les unes avec les
autres, notre projet global pour l’Europe, mais dont le plus
important défaut serait de ne jamais être reprises, in fine, par le
Parti. Pourquoi ? Parce qu’elles abordent des questions sur
lesquelles le Parti a ses propres orientations, parce qu’elles ne
sont pas différentes de ce que le Parti peut écrire, parce qu’elles
ne sont pas lisibles. Or ce que nous voulons, notre rôle : c’est
porter les aspirations de la jeunesse, pour ce qui la concerne,
c’est-à-dire tous les sujets déterminants pour son avenir et le
monde de demain ; c’est porter ces aspirations efficacement et
convaincre le Parti socialiste de les faire siennes. Oui il est
important que le MJS se prononce sur une refonte de la politique
agricole commune, oui il est important que le MJS développe sa
propre vision des institutions européennes. Mais comment le Parti
pourrait-il en tirer quelque profit pour lui-même, pour son
orientation, pour son programme, dans les trois mois à venir ?
L’exercice auquel nous nous plions au cours de ce Conseil national
est différent. Nous ne refaisons pas la Convention nationale de
Gruissan, nous devons faire des propositions pour le programme des
socialistes. Ces propositions, symboliques et concrètes, doivent
donner incontestablement une plus-value décisive à son programme,
lorsqu’il sera présenté au peuple, et aux jeunes en particulier.
C’est dans cet esprit, avec ces objectifs, que nous formulons une
proposition. Elle répond à chacun de ces critères, car elle est au
cœur de toutes les problématiques : rapprocher l’Europe des
citoyens, rendre son existence palpable, expliquer concrètement à
quoi elle pourrait servir, utiliser les leviers dont nos disposons
depuis le 28 mars pour bâtir un autre monde, mobiliser la jeunesse,
esquisser la naissance d’une véritable citoyenneté européenne. Nous
proposons donc la création, dans chaque département, par un
financement croisé de l’Union européenne, des Régions et des
Départements, en partenariat avec les CDJ, de Maisons
Départementales de l’Union Européenne. Lieu d’information,
d’orientation, d’échanges et d’initiatives, ces structures
pourraient servir d’appui aux associations culturelles, de jeunesse,
d’insertion par l’économique par exemple, pour mettre en place des
projets en relation avec d’autres Etats européens. Dans l’esprit des
MJC, à la fois sites ressources, lieux de vie, de conférences, de
formation et de création, elles donneraient une proximité et une
visibilité forte à l’Union européenne, et populariseraient ses
missions et son rôle. Puisque nous souhaitons la création d’un
espace public européen, contribuons concrètement à son émergence par
cette initiative.
La charte des Jeunes socialistes, que nous adresserons au Parti
socialiste, doit être pleine de ce type de propositions. Ajoutons, à
titre d’exemples, la création d’une carte orange européenne pour
faciliter et amplifier les déplacements des jeunes à travers le
territoire européen, la mise en place de campagnes européennes de
prévention santé, l’harmonisation des législations sur l’IVG pour
faciliter l’exercice de ce droit aux femmes de toute l’Europe, la
création d’un service civil européen obligatoire, etc.
Le Mouvement des Jeunes Socialistes doit mettre à profit les mois
d’avril et de mai pour mener une campagne pédagogique sur l’enjeu
européen. Une camarade de Seine-et-Marne expliquait au cours d’une
AG le grand désintérêt de la population pour ces élections, en
raison principalement de leur méconnaissance de l’extraordinaire
impact de l’Union européenne dans notre pays. A l’image de ce que
nous avons su faire pour les élections régionales et
départementales, expliquant inlassablement, pas des exemples
concrets, l’influence sur nos vies, au quotidien, des politiques
menées par ces collectivités ; nous devons réaliser ce même travail
pédagogique, avec la délégation des socialistes français au
Parlement européen, avec les associations d’éducation populaire,
avec les syndicats, auprès des lycéens, des étudiants, des jeunes
travailleurs. Nous soutenons la proposition de Julie Méry,
Secrétaire nationale du MJS à l’animation, aux innovations
militantes et à la laïcité, en partenariat avec plusieurs
fédérations du MJS, d’entreprendre des initiatives originales
favorisant une meilleure connaissance de l’Union européenne, une
compréhension de l’enjeu déterminant des élections de juin et,
naturellement, une adhésion forte à notre ambition d’une Europe
démocratique et sociale.
Et après l’Europe ? Trois ans. Trois ans sans rendez-vous électoral,
trois ans d’opposition frontale, trois ans d’intense travail
régional et départemental. Et trois ans pour élaborer un projet
socialiste, inspiré des attentes et des ambitions de nos
concitoyens. Ce projet sera bâti en partenariat avec tous ceux qui
ont fait la grande mobilisation civique du 5 mai 2002 et du 28 mars
2004. Mais le contrat doit être clair : si le projet doit être
concerté, il sera tout de même celui des socialistes. Ensuite
seulement, les socialistes confronteront leur projet avec les autres
composantes de la gauche pour rechercher l’union. Dans cette
perspective et selon ce calendrier propre au PS, le Mouvement des
Jeunes Socialistes doit appliquer le cocktail explosif qui nous a
menés à la victoire aux régionales et cantonales, qui nous mènera à
celle des élections européennes : pédagogie, clarté, fermeté,
innovation, pragmatisme. Il doit avoir une démarche autonome.
Proposons aux autres organisations de jeunesse, dans le cadre de «
Rencontres citoyennes 2007 » ouvertes aux jeunes, l’élaboration de
propositions de la jeune gauche, que chacune d’entre elles
présentera ensuite à ses aînés. Ces propositions, portées par toute
la jeune gauche, revêtiraient une telle charge symbolique, qu’elles
ne pourraient qu’être entendues par celui, celle et ceux qui la
représenteront aux scrutins de 2007. Œuvrer concrètement à l’union
de la gauche, au rapprochement des cultures progressistes, fédérer
la jeunesse autour de cet engagement, sont nos priorités. C’est
ainsi également que nous parviendrons à faire du MJS une grande
organisation populaire de jeunesse. Nous connaissons le cap.
Choisissons la bonne boussole pour nous y conduire.
Premiers signataires : Nicolas Bays (Secrétaire national chargé de
la décentralisation, de l’égalité entre les territoires et de la
politique de la ville), Jérémie Bériou (Secrétaire national chargé
des élections, des actions et politiques culturelles), Medhi
Boukacem (AF de Seine-Maritime), Mickaël Camus (AF de l’Eure),
Bastien Coriton (Délégué régional Haute-Normandie), Céline Dion (BN
– Rhône), Franck Fiandino (AF de Lozère), David Fontaine (Secrétaire
national chargé de l’environnement et du développement durable),
Lysiane Kowalski (C.N.A.), Teddy Lauby (Délégué régional Nord –
Pas-de-Calais), Guy-Eric Lemouland (AF de la Sarthe), Julie Loock
(AF du Pas-de-Calais), Grégory Mêche (C.N.A.)., Julie Méry
(Secrétaire nationale chargée de l’animation, des innovations
militantes et de la laïcité), Hocine Nordine (AF de l’Isère),
Guillaume Quercy (Président de la C.N.A.), Philippe Serre (BN –
Lozère).