Le Président de la République
vient d’annoncer sa décision de consulter les Français sur le projet
de constitution pour l’Union européenne.
Après le dernier scrutin européen, il aurait été difficile pour
Jacques Chirac de ne pas redonner la parole au peuple pour ratifier,
ou non, ce texte fondamental. Car quelle légitimité aurait eu un
Congrès dont les deux tiers des sièges sont occupés par les
représentants d’à peine 16% de nos concitoyens ?
Si l’Europe est notre avenir, et nous savons qu’elle le sera, elle
concerne chacun d’entre nous. Le futur de notre continent et celui
de ses peuples méritent d’être débattus publiquement, dans la plus
grande transparence, avec raison et honnêteté.
Dans notre Parti, comme dans la République, aucune interrogation
n’est illégitime. Nous refusons donc tous les préjugés, tous les
raccourcis, qui font dire à certains que le non est eurosceptique et
le oui libéral.
Nous avons lu intégralement le projet de constitution. Nous le
connaissons. Nous avons suivi très attentivement les débats qui ont
entouré son adoption en juin dernier. Encore aujourd’hui, il n’est
pas un article de presse, une analyse, un discours politique,
favorable ou non, qui nous laisse indifférent.
Jusqu’à présent, notre cœur balançait suspendu confortablement à la
décision présidentielle. Mais désormais, il ne le peut plus. Tels
les jurés d’un procès d’assises, nous devons dire oui ou non. Pas «
oui si », pas « non mais », pas « pt’ête ben qu’oui, pt’ête ben
qu’non ». Simplement oui ou non.
Notre cœur bat à gauche et c’est de ce côté qu’il incline.
Au cours du scrutin de juin, tous les gouvernements ou presque, quel
que soit leur couleur politique, ont été sanctionnés. Les urnes sont
restées trop vides. Tout cela révèle combien les Européens ont perdu
confiance en leurs élus et en leur capacité à maîtriser les effets
dévastateurs de la mondialisation libérale. Cela montre aussi les
inquiétudes face au projet européen, l’élargissement semble par
exemple ne pas avoir été compris. Prenons garde à ne pas reproduire
le même schéma avec la constitution.
La question n’est pas celle de savoir si ce texte comporte ou non
des avancées – il en comporte moins que le projet initial issu des
travaux de la convention. Ce qui nous dérange, ce n’est pas tant le
contenu du texte issu de la Convention que son périmètre. Une
constitution est un ensemble de principes et de règles
institutionnelles qui doivent être le cadre d’un jeu démocratique
dans lequel le peuple reste souverain. Elle doit être le socle sur
lequel se construit le débat politique, pas le carcan qui l’étouffe.
Elle n’a surtout pas vocation à contenir l’ensemble du corpus
législatif de la collectivité ; son rôle est de structurer son
fonctionnement et de garantir ses valeurs fondamentales.
Or, la constitution européenne que l’on nous propose n’est rien
d’autre qu’un traité consolidé, retraçant non seulement les
principes fondateurs de l’Union et son système institutionnel, mais
aussi – et c’est là que le bât blesse – l’ensemble de ses
politiques. Il y a donc tromperie sur la marchandise : ceci n’est
pas une constitution ! Notre idée n’est pas d’être tatillon ou de
jouer sur les mots. Si nous mettons en garde nos camarades et nos
concitoyens, c’est parce que nous savons à quel point cet égarement
juridique aura des conséquences concrètes sur la vie de chacun
d’entre nous pour de très nombreuses décennies.
Parmi les arguments que nous lisons ici ou là, nous trouvons
celui-ci : François Mitterrand a pu mener une politique de gauche
avec la constitution de la Vème République ; pourquoi, alors, ne
pourrait-on pas faire l’Europe que nous voulons avec la constitution
européenne que l’on nous propose ? A ceux-la, nous répondons tout
simplement que les politiques économique, pénale, sociale,
environnementale – pour ne citer qu’elles – celles-la mêmes qui
figurent dans le texte aujourd’hui soumis au débat, n’étaient pas
incluses dans le texte fondamental de la République et qu’elles ont
donc pu être modifiées par la loi. François Mitterrand aurait-il pu
abolir la peine de mort si celle-ci avait figuré dans un texte de
valeur constitutionnelle? Rien n’est moins sûr.
Aux citoyens qui, lors de la dernière campagne, nous ont fait part
de leur scepticisme quant à l’utilité de leur vote aux élections
européennes, qu’avons nous répondu ! Nous leur avons expliqué que le
Parlement avait désormais un vrai rôle à jouer dans la prise de
décision, et qu’une majorité de gauche à Strasbourg pourrait
réellement « changer la vie » des citoyens européens. Comment leur
expliquerons-nous demain que, finalement, une constitution que nous
avons soutenue nous enlève toute marge de manœuvre et que la gauche
ne peut mettre en œuvre la politique pour laquelle ils ont voté ? En
dépolitisant la question européenne, nous ne pourrons pas éviter de
tomber dans le jeu des extrêmes qui affirment à tout va que gauche
et droite, c’est la même chose. Cet écueil que nous avons toujours
condamné, nous ne ferions que le renforcer.
Là est tout l’enjeu quand une part croissante des peuples ne
reconnaît plus la légitimité de ses institutions. Faut-il alors en
rajouter et aller à toute allure dans une voie que l’on sait sans
issue ? La résignation qui transpire dans les déclarations de
certains de nos camarades est d’une extrême violence pour tous ceux
qui se sentent en insécurité. Elle tranche avec le volontarisme dont
nous avons fait preuve dans la dernière campagne.
Ces deux derniers mois, nous avons promu l’Europe sociale.
L’ensemble de la gauche a su rassembler une majorité de Français
autour de ce dessein. Mais la confiance est fragile. L’espoir que
nous avons fait naître de changer le cours de la construction
européenne peut se dissoudre dans une approche fataliste de l’Europe
qui recule si elle n’avance pas. La réforme-dissolution de la
sécurité sociale de Raffarin empêchera la gauche demain de
simplement rétablir les acquis sociaux ainsi disparus. Voulons-nous
qu’il en soit de même avec l’Europe sociale, oubliée de la
constitution, et qui ne pourra plus, par la suite, y trouver une
place ?
Depuis la victoire de la gauche en France aux européennes, après
celle des élections régionales, beaucoup sont prêts à nous soutenir,
à nous donner une dernière chance. A une condition néanmoins, nous
devons les assurer que nous empêcherons la droite, le patronat et
les puissances de l’argent, de se saisir de nouveaux leviers pour
les asservir encore davantage. Jacques Chirac affirmait le 14
juillet que refuser le projet de traité constitutionnel ramènerait
l’Europe cinquante ans en arrière ; nous voulons le rassurer en
l’informant que tout juste demeurerions-nous à ce qu’elle est
devenue aujourd’hui, ce qui paraît déjà largement satisfaire ses
amis du MEDEF même s’ils aimeraient pouvoir aller encore plus loin.
Notre génération est consciente du monde qui l’entoure. Elle sait
les causes économiques des guerres de notre temps. Elle en connaît
les acteurs étatiques et familiaux. Face à ce monde, elle se sent
impuissante et hésite entre indifférence et révolte. Elle est
partagée entre ceux qui, issus des classes favorisées, bénéficient
des meilleures écoles, des meilleurs soins, de loisirs variés, et
considèrent qu’ils ne peuvent compter que sur eux-mêmes pour réussir
même si c’est au détriment des autres ; et ceux qui, « mal nés »,
savent que pour réussir, ils ne peuvent compter sur personne, pas
même leur propre désir d’en sortir. La jeunesse est réunifiée par sa
seule mais commune certitude que le bonheur pour tous n’existe pas
et n’existera jamais.
Qu’on le veuille ou non, que cela soit juste ou injuste, le projet
de traité constitutionnel est en l’état perçu par cette génération
comme un nouvel instrument au service du libéralisme et du
capitalisme international. Certains osent leur répondre qu’au
contraire, il faut bien une Europe forte pour résister face à
l’empire américain et que Bush serait le plus heureux des hommes si
l’Europe ne parvenait pas à s’entendre sur ce traité
constitutionnel. Mais en disant cela, ils trahissent la nature de
leur projet européen, celui d’un autre empire dont les finalités ne
peuvent être guère différentes de celles des Etats-Unis d’Amérique
du Nord.
Si la réponse des socialistes à ces jeunesses, aux horreurs
intelligemment mises en scène qu’elles ont vu dans Fahrenheit 9/11,
se résumait à un oui au projet de traité constitutionnel, la rupture
serait silencieuse, imperceptible peut-être, mais définitive. Les
jeunesses connaissent d’autres logiques, elles sont en droit
d’attendre un autre discours.
Au oui de résignation, nous préférons un non de mobilisation.
L’opposition frontale des socialistes français est une bonne
solution. Mais elle ne saurait se résumer au seul combat
parlementaire contre la droite. Cette stratégie, pour convaincre
véritablement et durablement, doit embrasser l’ensemble du front du
refus d’un monde non maîtrisé, soumis au diktat de quelques
impérialistes et affairistes avides de richesses. L’enjeu
constitutionnel européen ne peut pas bénéficier d’un régime
dérogatoire à cet égard.
A l’image de la résistance de nos élus locaux, tous profondément
attachés à la démocratie territoriale et pourtant opposés à la
pseudo-décentralisation Raffarin, les pro-européens aujourd’hui
doivent avoir le courage de dire non au projet de
pseudo-constitution européenne. François Mitterrand, que ses anciens
détracteurs citent aujourd’hui pour défendre le projet de traité
constitutionnel, souscrirait-il au contenu de la décentralisation
Raffarin sous le seul et unique prétexte qu’elle accorde plus de
compétences aux départements et aux régions ? Nous savons que non et
que la problématique européenne est la même.
Pour nous, le futur Président de la République, s’il est de gauche,
accordera naturellement une priorité particulière à la relance du
processus de construction politique de l’Union, d’une plus grande
intégration. Pourra-t-il le faire si le texte qui nous est soumis et
qui n’entrera pleinement en vigueur qu’en 2009, était ratifié ? Cela
paraît impossible dans la mesure notamment où ce texte ne pourra
jamais être légalement révisé.
2009 : il nous reste presque 5 ans. Est-ce trop peu pour réfléchir à
un nouveau texte ? Nous ne le pensons pas. Contrairement à ce que
l’on veut nous faire croire, refuser la pseudo-constitution Giscard,
ce n’est pas renvoyer aux calendes grecques l’adoption d’une
véritable constitution pour l’Europe, ou faire un bond en arrière de
cinquante années. En mai 1946, les Français refusaient un projet
constitutionnel pour leur République ; quelques mois plus tard, ils
en adoptèrent un autre, plus conforme à leurs attentes d’alors. La
politique a horreur du vide : si nous rejetons le projet actuel, ce
ne sera que pour en construire un autre.
La précipitation pourrait conduire l’Europe dans une impasse et les
politiques dans la nasse. Il faut se donner du temps. Refusons ce
texte et inventons une alternative dans les trois ans à venir.
Car naturellement, dire non au projet de traité constitutionnel ne
suffit pas en soi. Cette position nécessite un accompagnement par un
travail de fond, avec les citoyens, avec nos partenaires de la
gauche européenne et avec les syndicats européens.
Le débat lancé pour élaborer notre projet pour 2007 sera l’occasion
de définir l’Europe de demain. Ce n’est qu’ainsi que la France
retrouvera son rôle historique de moteur de la construction
européenne. Le devoir des socialistes, quand une majorité de nos
concitoyens se sent étouffée par le monde qui l’entoure, est
d’ouvrir de larges espaces de respiration démocratique.
Le projet de traité constitutionnel n’offre pas cet espace. Son
éventuelle adoption rendrait quasiment inutile la création d’un
espace public européen, car à quoi bon débattre s’il est de toute
façon impossible de changer les règles dans l’avenir ? Dire non, en
revanche, nous impose de le créer véritablement. La démocratie
participative est l’un des piliers de nos politiques locales, nous
pensons qu’elle doit l’être également pour notre politique
européenne.
Il faut dire non au contenu de ce projet et donner au peuple
européen de gauche, à l’ensemble de nos concitoyens et à la France,
la possibilité d’initier demain une nouvelle étape pour progresser
vers une belle Europe sociale et politique.
Premiers signataires, membres des instances nationales du MJS.
Nicolas Bays, Secrétaire national chargé de la décentralisation, de
l’égalité entre les territoires et de la politique de la ville,
Jérémie Bériou, Secrétaire national chargé des élections, des
politiques et actions culturelles, Medhi Boukacem, AF de
Seine-Maritime, Mickaël Camus, AF de l’Eure, Bastien Coriton,
Délégué régional Haute-Normandie, Céline Dion, membre du BN, Franck
Fiandino, AF de la Lozère, David Fontaine, Secrétaire national
chargé de l’environnement et du développement durable, Lysiane
Kowalsky, membre de la CNA, Guy-Eric Lemouland, AF de la Sarthe,
Julie Loock, AF du Pas-de-Calais, Grégory Mêche, membre de la CNA,
Julie Méry, Secrétaire nationale chargée de l’animation, des
innovations militantes et de la laïcité, Hocine Nordine, AF de
l’Isère, Guillaume Quercy, Président de la CNA, Bruce Ritter,
Délégué régional Nord – Pas-de-Calais, Philippe Serre, Délégué
régional Languedoc-Roussillon, Mickaël Velayguet, membre du BN.