Là-bas dans ma main
Joël Bastard - Tony Soulié
Je n'écrirai pas les herbes de la pampa comme griffonnées devant
moi dans le paysage. Seul le chien y enfonce sa truffe. J'ai vu ce matin
un autre chien marquer là-dedans son territoire. Je n'écrirai
pas la forme de ce bouquet échevelé car je n'aime pas ces perruques
toujours desséchées en leurs pointes tordues qui flottent bruyamment
sur les gazons des villas endormies. Mais à ne pas vouloir l'écrire
et le disant longuement, je plante cette chose inexpliquée dans vos
yeux et elle se reproduit ! Voulant l'extraire de ma vue, je l'essaime à tous
vents. Et ce que vous répétez, c'est ce que je ne veux pas
lire.
Je savais qu'en ouvrant la fenêtre, je ne retiendrai rien de moi
dans le grand vent. Comme d'ouvrir les bras au ciel pour l'accueil d'un
promeneur. Depuis long feu la mer le sait que de se retenir ne fait pas
l'horizon.
Le vent porte les pas et leurs bruits de galets du lointain aux bras de
ma fenêtre.
J'écris là-bas dans ma main. La terre se courbant sous le poids des mots. J'écris là-bas au lendemain de l'astre. D'après ce corps. Et pour des courbes à venir. Après ce corps.
Le dépôt d'ombres et de lumières se fait là sur la table.
J'attends le passage d'un mot. Pour une pesée intime dans ma bouche.
Je partirai d'ici. Laissant dans le fond un bruit. Un lac mouvementé de lumière. Un lac et ses lumières. Tant d'homonymies encore attachées à la mer. Se mêlant d'elle et la répercutant de galet en galet. Aussi la laissant fine sur l'estran tel un tulle en fuite. Bord à bord, une femme ramasse des fleurs pour elle-même si détendue dans le lointain des palues. La joie pour mon compte d'utiliser tel l'adjectif pour la première fois de ma vie !
Assouplie du crachin d'hier, la plante imbécile du nouveau monde se poste encore devant moi. Sur cette joue frissonnante qui gagne sur la masse maritime et son mouvement têtu, mes yeux se reposent à cet instant de finir.
(extrait du texte de Joël Bastard)