OPERA, OPERATEUR, OPERATION

 

Juste ce qu'il faut savoir : faire vivre, circuler les images afin de donner sa chance au livre.

Pas n 'importe que livre.

Le livre qui d'une certaine façon ne s'écrit pas, ne fait pas que s'écrire. Le livre impossible auquel Eric Coisel tel un espion dormant - les plus dangereux - aura donné sa chance.

C'est ainsi que l'idée germe ;: faire intervenir artistes et musicien sur l'ensemble du corp(u)s : l'opéra ne sera plus seulement "acte " ( x 4) mais distribué en séquences (x 15).

Chaque séquence sera donc dans la trace rhizomatique d'interventions à livre ouvert - comme on parle d'opérations à cœur ouvert puisqu'il s'agit de " greffes " - où chaque artiste (praticien) est un opérateur.

Et les 15 livres ne seront qu 'un au sein même d'une distribution polymorphe.

Histoire de bande si l'on peut dire - nous y reviendrons.

Eric Coisel construit donc le livre impossible : celui dont rêve René Quinon, le livre qui n 'est pas et qui naît sous ses yeux, le livre qui préserve le fragment, l'appelle à son horizon par les interventions plastiques comme autant de décor, de scénarisation.

Dès lors, l'opéra ne se chantera pas (l'intervention sonore se veut plus espace que son), ne se jouera (du moins dans un premier temps) mais se développe autrement, glisse entre les genres, n'a de nom que le non.

A la verticalité du vide répond l'horizontalité de la trace. A la partition musicale répond la séquence (l'espace).

Apparaît le multiple et l'un, l'opération) impossible, le livre à venir où derrière la présence des artistes et de l'écrivain, il faut bien parler encore de celui sans qui rien n 'aurait eu lieu : Eric Coisel. Il convient de souligner son rôle capital de l'idée de départ, à la distribution du travail, en passant par les choix de mise en matière et de format jusqu 'à cet aboutissement final d'un livre que l’œil bandé respire, où la trace (de l'âme?) et le trou (du corps?) emportent loin des docks, où le cri est silence pour accoucher du nom à l'instant du premier regard comme du dernier accord

Dans l'opéra muet ce n'est donc pas le mot qui manque car la langue est retrouvée à travers la cruauté des traces, - souvenirs de la peau ? des draps ? souvenir de la peau dans les draps froissés (d'une de si belle cruauté qu'elle en oublie d'être cruelle sur le moment) ?

Le livre ne répond pas, ou plus, ou trop bien.

Donner ainsi l'espace à l'instant où jubilent les fantasmes puisque quoiqu'on fasse tous repoussent comme une herbe noire.

Où si l'on veut encore .- s'abandonner comme un serpent qui mue laissant le souvenir d'une peau entre les 15 draps froissés qui nous dénudent et nous drapent.

Texte de Jean-Paul Gavard-Perret