L’innocent.


 
L’inspecteur

Asseyez-vous, nous allons prendre votre déposition.

L’innocent

Mais c’est dingue quand même. Qu’est-ce que j’ai fait à ce mec ? Il s’est jeté sur moi, comme une bête. Et il m’a tabassé, regardez dans quel état il m’a mis. Mais il va entendre parler de moi, je vous jure ! Et pour commencer, je veux porter plainte !

L’inspecteur

Calmez-vous et racontez-moi tout.

L’innocent

J’étais dans la rue, je ne faisais rien de mal, je me promenais. Et puis je l’ai vu débouler sur moi, il m’a bousculé, je suis tombé et il m’a balancé des coups de pieds, des coups de poings. Il m’a fait mal, le con, regardez les bleus qu’il m’a laissés, j’en ai partout, mes bras et mes jambes sont tout défigurés. J’espère que vous avez pris des photos en couleurs, il faudra les montrer au juge. Et puis il m’a insulté, comme ça, sans raison. Il disait n’importe quoi, c’est un fou furieux, il faut l’enfermer.

L’inspecteur

Vous ne le connaissez pas ?

L’innocent

Je ne comprends pas pourquoi il a fait ça. Il m’est tombé dessus, en racontant des mensonges. Mais je suis sûr qu’il voulait me voler, m’assassiner, ou pire peut-être. Allez savoir ce qu’un type si violent peut faire à quelqu’un d’aussi doux et pacifique que moi.

L’inspecteur

Heu… Vous pourriez répondre à mes questions ? Le connaissez-vous ?

L’innocent

C’est incroyable quand même ! Ca peut arriver à tout le monde de rencontrer un fou comme lui, mais aujourd’hui il a fallu que ça tombe sur moi. On se promène, on est heureux parce qu’il fait beau et vlan, voilà un dingue qui s’énerve et la journée est fichue.

L’inspecteur

Si vous ne répondez pas à mes questions, je crains qu’on n’aille pas bien loin. Je voudrais savoir si vous le connaissez ?

L’innocent

Je me suis déjà retrouvé dans des situations bizarres mais c’est quand même la première fois qu’un cinglé m’agresse. Ma tête n’a pas dû lui plaire, je ne sais pas pourquoi, je trouve qu’elle est très bien, ma tête. Vous ne la trouvez pas bien, ma tête ?

L’inspecteur

Je ne parle pas bien le français ou c’est vous qui ne comprenez rien ? Le connaissez-vous?

L’innocent

Il y a des jours comme ça où rien ne va. Ce n’était pas mon jour, aujourd’hui. Mais pour tomber sur un type tout droit sorti de l’asile, il fallait vraiment que ce soit un très mauvais jour. Je n’aurais pas dû me lever ce matin. Si j’étais resté au lit, je ne serais pas ici à vous raconter tout ça, avec des bleus partout.

L’inspecteur

Vous êtes un vrai moulin à paroles. A quel endroit il faut taper pour vous faire taire ? Je répète, connaissez-vous votre agresseur ?

L’innocent

J’en parlais d’ailleurs avec ma concierge ce matin. Elle était d’accord avec moi que c’était un mauvais jour. C’est la pleine lune et son chat n’est pas rentré et elle le cherchait partout et elle avait peur qu’il se soit fait écraser. En plus c’est un chat noir et c’est un mauvais signe, vous savez. Vous avez déjà vu un chat noir écrasé ? Ca fait bizarre tout ce noir avec des traînées rouges. Mais moi le rouge, j’aime bien. J’ai vu hier une femme habillée en rouge, c’était très joli. C’est vrai que j’aime bien les jolies femmes et que celle-là était très belle, donc qu’elle soit habillée en rouge ou en bleu, c’est pareil. Même si le bleu, je n’aime pas trop, ça me rappelle un vieux souvenir. Un jour, quand j’avais cinq ans, je regardais des hirondelles qui volaient dans le ciel bleu et une de ces hirondelles est tombée près de moi, je l’ai prise dans ma main, elle s’était blessée je ne sais pas comment, j’ai eu pitié d’elle, une si petite chose, si fragile, si délicate, mais en même temps j’ai eu envie de l’écraser dans mon poing, je n’ai pas pu résister et j’ai serré très fort et le sang s’est mis à dégouliner entre mes doigts. Bon, c’est vrai, je ne sais pas pourquoi ce souvenir me fait penser au bleu du ciel plutôt qu’au rouge du sang, mais les souvenirs, c’est comme ça. Vous vous souvenez de votre enfance, vous ? C’est drôle que je me souvienne d’un évènement qui s’est produit quand j’avais cinq ans alors que je n’ai conservé aucun souvenir quand j’avais dix ans par exemple. Quoique ça s’est peut-être passé quand j’avais onze ans, car je me rappelle qu’un jour…

L’inspecteur

Fermez-la ! Si vous ouvrez encore votre gueule pour me raconter ce genre de conneries, je vous coffre pour outrage à agent. Maintenant j’aimerais bien que vous arrêtiez de m’embobiner et après on pourra peut-être commencer à parler sérieusement.

L’innocent

Ouais, bon, vous êtes en colère. Pour vous aussi, ce n’est pas un bon jour. C’est la pleine lune et ça énerve tout le monde. Ma concierge vous dirait que…

L’inspecteur en feuilletant un épais dossier

Silence ! Heureusement que nous faisons de beaux dossiers dans la police, car ce n’est pas avec vous que je risque d’obtenir des informations intéressantes. Je vois là-dedans que vous connaissez très bien votre agresseur, et depuis très longtemps. Je voudrais comprendre car, pour l’instant, j’ai comme l’impression qu’il avait de très bonnes raisons pour vous frapper. Si vous êtes aussi innocent que vous le prétendez, aidez-moi un peu. Et ce serait un bon début, si vous admettiez le connaître. Alors, le connaissez-vous ?

L’innocent

Oh ! Un peu…

L’inspecteur

Bon, si la mémoire vous revient, tout va peut-être s’éclaircir. Je vois que vous l’avez agressé il y a trois mois, n’est-ce pas ?

L’innocent

Bah ! Une petite dispute… Il y a des gens qui font des histoires pour pas grand-chose. Je rencontre un pote, l’autre jour, on était des copains depuis longtemps, vous voyez, on était à l’école ensemble et puis on sortait voir les filles et puis tout ça. Ben, l’autre jour, on se croise et il fait semblant de ne pas me voir, alors moi je lui cours après, et je lui demande pourquoi il ne veut plus me parler et là, il me dit que je lui ai fait du tort, mais moi, je ne sais pas ce que je lui ai fait, alors je lui demande et lui il me dit que sa femme l’a quitté et que c’est ma faute, moi je ne comprends rien, et lui il me dit que sa femme lui a dit que je lui ai dit qu’il était un peu homo. Ben moi je lui dis qu’effectivement je l’ai dit à sa femme mais que c’était pour rire et qu’en plus c’est un peu vrai, il est un peu homo, et lui il se met en colère, et il se met à me cogner, et je ne vois pas pourquoi, sauf qu’il ne comprend rien à la plaisanterie et qu’il se venge sur moi alors que je n’y suis pour rien. C’est dingue, vous ne trouvez pas ?

L’inspecteur

Vous êtes vraiment très fatigant. Je reprends : quand, il y a trois mois, vous avez attaqué votre actuel agresseur, vous étiez armé d’un grand couteau tranchant et vous avez voulu vous en servir pour l’égorger. C’était donc un peu plus qu’une dispute.

L’innocent

Oh ! Vous exagérez là. Moi, je ne sais pas égorger les gens, je n’ai jamais appris à le faire.

L’inspecteur

Le juge a dû aussi exagérer en vous condamnant à un mois de prison ferme.

L’innocent

Oh ! Celui-là, il n’a rien compris quand j’ai voulu lui expliquer que le couteau, ce n’était pas pour égorger quelqu’un mais pour couper les pommes en quartiers car j’ai des problèmes de gencives et moi, les pommes, je les aime bien mais quand je les croque ça me fait mal aux gencives alors j’ai un couteau pour les ouvrir, les pommes pas les gencives, et il est grand, mon couteau, parce que les pommes sont parfois grandes, et il est tranchant parce qu’un couteau pas tranchant ce n’est pas un couteau. Moi je trouve que c’est facile à comprendre ça. Mais c’était trop en demander à un juge, il avait un quota de condamnés à atteindre alors j’étais fichu d’avance et puis comme je suis pauvre et que je n’ai pas de protection en haut lieu, je ne pouvais rien faire et il…

L’inspecteur

Taisez-vous ! Je me fiche de vos histoires de pommes et de gencives. Revenons à l’agression d’aujourd’hui. C’est bien le mari de votre ex-épouse qui vous a frappé ?

L’innocent

Bah, oui ! Un connard comme ça, je ne sais pas comment il a fait pour me piquer ma femme. Mais il faut dire qu’elle n’est pas très futée et que finalement ils vont bien ensemble. Si je vous disais combien de temps il lui faut pour choisir une paire de chaussures dans un magasin, vous ne me croiriez pas. Et ne parlons pas de son acharnement à avoir toujours raison, alors que c’est moi qui avais toujours raison, eh bien, non ! Elle ne voulait jamais l’admettre. Je vous le dis, elle est bête à en pleurer…

L’inspecteur

Silence ! Depuis votre sortie de prison, vous avez menacé le mari, la femme et leurs deux enfants. Je pense que les lettres anonymes qui se trouvent dans le dossier sont de vous, n’est-ce pas ?

L’innocent

Bah… pourquoi moi ? Je ne suis pas le seul à savoir écrire. Vous aussi, vous pouvez écrire des lettres anonymes, c’est facile maintenant. Vous ne l’avez jamais fait ? Plus besoin de journaux, de ciseaux, de colle. Un ordinateur, une imprimante, une enveloppe avec un timbre et c’est tout. Et la poste met des jolies boîtes jaunes à notre disposition pour nous faciliter la vie. Donc c’est peut-être lui-même qui s’est envoyé des lettres anonymes, ça arrive ce genre de choses, je l’ai lu dans le journal.

L’inspecteur

Après avoir reçu quelques exemplaires de ces lettres, il a porté plainte contre X… mais en nous faisant clairement comprendre que le X, c’était vous.

L’innocent

Hum ! Le salaud, il m’en veut, je ne sais pas pourquoi, peut-être parce que je suis plus intelligent que lui. Ouais, c’est ça, c’est de la jalousie. Son peu d’intelligence, il l’utilise pour se comparer à moi et forcément, il se sent humilié d’être aussi stupide et il est jaloux et il veut se venger comme si sa vengeance pouvait le rendre moins sot. L’autre jour avec ma concierge, on a fait un test de QI et c’est moi qui étais le meilleur. Vous voulez savoir mon QI ?

L’inspecteur

Non. Ce que je veux comprendre ce sont les raisons de vos relations conflictuelles avec votre agresseur. Et j’ai bien du mal à obtenir des informations cohérentes de votre part. Je ne sais pas si vous avez un QI supérieur à celui de votre concierge, mais vous n’avez pas le don de vous exprimer.

L’innocent

Je ne veux pas étaler ma vie privée en public, ça ne regarde que moi. En plus vous allez tout raconter à tout le monde, écrire tout ça dans des dossiers qui seront conservés trente ans, on en parlera encore dans les livres d’histoire dans un siècle. Ben, je ne veux pas qu’on parle de moi dans mon dos, j’ai le droit d’avoir mes petits secrets, c’est mon jardin personnel comme dit ma concierge. D’ailleurs, quand nous étions couchés la nuit dernière et qu’on allait s’endormir et qu’on a entendu son mari arriver alors qu’on l’attendait pas car il est gardien de nuit et il ne devrait pas rentrer avant 7 heures et il était seulement 5 heures, alors quand il est arrivé et que ma concierge m’a dit « merde, mon mari ! », et qu’elle m’a poussé hors des draps, je me suis caché sous le lit et j’ai attendu pendant des heures avant qu’il s’endorme parce qu’en plus, avant de dormir, il a fallu qu’il fasse l’amour avec sa femme comme si son travail ne l’avait pas assez fatigué et ça a duré longtemps car il est vigoureux d’après ce que j’ai entendu et ma concierge lui en redemandait comme si avec moi elle n’en avait pas eu assez et quand enfin ça s’est terminé et qu’il s’est mis à ronfler, je suis sorti doucement en rampant et puis…

L’inspecteur

Vous m’énervez et quand on m’énerve à ce point, je peux devenir méchant. Je veux seulement savoir pourquoi, à votre avis, vous avez été agressé aujourd’hui. Répondez-moi simplement, une seule phrase devrait suffire.

L’innocent

Mais je ne sais pas, je n’ai rien fait. Je me fais agresser et c’est moi qu’on accuse. Bientôt, on va me dire que je l’ai fait exprès de me mettre sur son chemin, que c’est moi qui ai poussé son poing vers ma figure, que c’est moi qui ai orienté son pied vers mon bas-ventre. Et s’il s’est blessé au doigt en me cassant mes lunettes de soleil, c’est certainement ma faute aussi car je n’aurais pas dû mettre des lunettes.

L’inspecteur

Arrêtez de me jouer le rôle du persécuté. Si vous ne savez pas pourquoi il vous a agressé, votre agresseur semble le savoir. Nous allons donc reprendre en détail tout ce qu’il m’a dit et je pense que vous avez tout intérêt à vous en souvenir car je sens que je vais devenir méchant et vous pourriez bien ressortir d’ici avec quelques bleus supplémentaires et un petit litre de sang en moins. Vous avez compris ? Répondez par oui ou par non. Je dis bien par oui ou par non, ou alors je vous donne un aperçu de ma mauvaise humeur.

L’innocent

Oui...

L’inspecteur

La semaine dernière, vous avez écrit une lettre anonyme à son employeur en inventant une histoire un peu compliquée. En résumé, vous le présentez comme incestueux, terroriste, homosexuel, voleur et assassin. Vous vouliez qu’il soit licencié ?

L’innocent

Oh ! Juste une petite lettre. Et encore, je n’ai pas tout dit sinon j’aurais écrit un roman.

L’inspecteur

Bon, je vois qu’on avance, vous avez donc écrit cette lettre. Vous avez aussi écrit à l’employeur de votre ex-femme. Je préfère taire le contenu de cette lettre. En vingt ans de carrière dans la police, j’ai vu des milliers de lettres anonymes mais je n’avais encore jamais lu quelque chose d’aussi odieux. Je pense que ce courrier n’était pas destiné à l’aider à obtenir une promotion.

L’innocent

Ouais, mais ce que j’ai écrit est vrai. C’est sûr, je n’aurais pas dû écrire la vérité, il y a des gens qui ne supportent pas, j’aurais dû le savoir et faire comme tout le monde, mentir en disant n’importe quoi et on m’aurait cru mais là quand je dis la vérité on me dit que c’est odieux. Moi, je ne comprends plus, je ne suis pas fait pour vivre dans ce monde d’hypocrites nourris de mensonges, c’est trop compliqué pour moi.

L’inspecteur

Vous êtes allé à la sortie de l’école pour raconter aux enfants des horreurs sur leurs parents. Et les enfants sont rentrés chez eux en pleurant et ils ont tout répété. Ce qu’on m’en a dit ne ressemblait pas du tout à une plaisanterie.

L’innocent

Bah moi, j’aime bien les enfants, alors je leur parle. Ils n’ont peut-être pas bien compris…

L’inspecteur

Cher innocent, vous pensez toujours que ce monsieur n’avait aucune raison de vous tabasser ?

L’innocent

Bah ! C’est tout de même lui qui s’est jeté sur moi. C’est vrai qu’il avait l’air très en colère mais je ne sais pas pourquoi, je n’ai rien à me reprocher.

L’inspecteur

Si vous le voulez bien, nous allons parler de toutes les catastrophes qui se sont produites au cours du dernier mois. Vous êtes bien sorti de prison depuis un mois ? Alors, dites-moi, est-ce vous qui avez tué leur chien ?

L’innocent

Mais je n’ai rien fait ! C’est vrai que je n’aime pas trop les chiens, je préfère les chats, mais quand même, tuer un chien, c’est lâche. Bon, j’admets que les chiens sont un peu énervants quand ils se mettent à aboyer pour vous empêcher de faire de beaux dessins artistiques sur les murs des maisons. Dans ce cas, ils méritent une bonne raclée, mais c’est de la légitime défense.

L’inspecteur

Avez-vous brisé toutes le vitres de leur maison ?

L’innocent

Oh ! Je faisais ça quand j’étais gamin et j’adorais entendre le choc du caillou contre les vitres et voir les bouts de verre tomber et éclater en touchant le sol. Et après, j’allais écraser avec ma chaussure les gros morceaux de verre qui traînaient par terre et ça faisait un bruit long et sec. Crrrraaaaaccccc….

L’inspecteur

Taisez-vous ! Est-ce vous qui avez crevé les pneus de leur voiture, fait des graffitis immondes sur les murs de leur maison, détruit les conduites d’eau et de gaz, coupé les fils électriques et téléphoniques, cassé l’antenne de télévision, vidé une fosse sceptique dans le jardin, apporté des termites et des cafards, inversé les tuyaux d’eau chaude et froide ?

L’innocent

Oh ! Là vous abusez, je n’ai pas pu faire tout ça. Je ne sais pas quoi dire. Quoique j’aime bien les termites, ces petites bêtes qui bouffent tout, sans qu’on le sache et puis un jour, boum, la maison s’effondre. On se demande pourquoi et puis, en regardant bien, on se rend compte que ces bestioles ont tout rongé, petit à petit, sans déranger personne. Moi, je trouve que c’est des petites bêtes sympathiques qui font du bon boulot.

L’inspecteur

Vous ne seriez pas un mutant moitié homme et moitié termite ? Car il faut reconnaître que vous aussi, vous êtes très efficace quand il s’agit de semer la pagaille. Vous sortez de prison et un mois plus tard le taux de catastrophe dans cette famille a été multiplié au moins par 100. J’ai du mal à croire que c’est un hasard.

L’innocent

Pourquoi pas ? J’en parlais avec ma concierge, je ne sais plus quand. La vie est faite de hasards, et ce sont les hasards qui font le destin, et c’est le destin qui gouverne tout. Par exemple, si le chat de ma concierge s’est fait écraser aujourd’hui, c’est que le hasard a dirigé la voiture vers lui pour l’écraser et que c’était le destin du chat d’être écrasé aujourd’hui et que c’était le destin de la voiture de l’écraser. C’est clair, n’est-ce pas ?

L’inspecteur

Je me fiche de votre concierge et de son chat. Et le destin vous pouvez vous le mettre quelque part. Je n’ai jamais vu le destin lâcher des termites et des cafards dans une maison. Nous allons enquêter et je suis sûr que nous trouverons quelques traces de votre passage. Si vous avouez tout de suite, on pourrait gagner du temps.

L’innocent

Vous voyez pourquoi je ne voulais pas vous parler de mes problèmes avec ce mec ? Maintenant, c’est moi le coupable, c’est moi le fou. Vous allez peut-être aussi m’accuser d’avoir mis le feu à leur maison de campagne, hier soir, d’avoir démoli les freins de leur bagnole, ce matin, d’avoir branché le tuyau d’arrivée du gaz sur le robinet d’eau chaude, ce midi. Eh bien ! Je préfère vous le dire tout de suite, je suis innocent, totalement innocent. D’ailleurs, tout ça, c’est le destin, vous n’avez qu’à en parler avec ma concierge, elle peut vous recevoir pour pas cher de minuit à 7 heures du matin, et elle vous expliquera.


L’inspecteur lit une note qu’on lui apporte.


L’inspecteur

Eh bien ! Le destin a encore frappé. On vient d’apprendre qu’il y a eu, hier, un incendie criminel dans la maison de campagne de votre agresseur. Alors, je pense que ce serait plus prudent que nous vérifiions les freins de la voiture et, peut-être aussi, le branchement du gaz. En espérant que votre concierge sera d’accord si nous modifions le destin. Quant à vous, votre destin a décidé que vous resterez avec nous pendant quelques temps, le temps de la garde-à-vue, et puis le temps de l’instruction, et puis le temps du procès, et puis le temps de l’incarcération. A moins que le juge ne préfère vous payer un petit séjour dans un asile. Vous allez avoir beaucoup de temps pour réfléchir au destin qui vous a fait perdre tant de temps.

 


Le 26 juillet 2004.

Fabrice Guyot.