La chaussette.


 
Voilà la dernière image de la chaussette perdue !
La chaussette perdue


Cette histoire commence le 25 avril. C’est un samedi. Je sors le linge de la machine à laver. Chemises, chaussettes, etc. que j’étends sur le séchoir. Soudain, je me rends compte qu’il me manque une chaussette. Je me retrouve avec un nombre impair de chaussettes. Je vais voir dans le lave-linge. Il n’y a plus rien dans le tambour. Je vérifie dans les recoins avec ma main. Le tambour est totalement vide. Je jette un coup d’œil autour de la machine car la chaussette a peut-être été égarée au cours du transport vers le séchoir. Rien. Où est passée la chaussette ?

La perte d’une chaussette est un événement a priori bien peu important, je dois l’admettre. Mais la disparition totale d’une chaussette, sans laisser la plus infime trace, est très perturbant. Et je suis certain que cette chaussette a bien existé. Je regarde mes pieds pour vérifier que j’en ai bien deux. Oui, j’ai deux pieds. C’est déjà un peu rassurant. Je suis bien un humain avec deux jambes et deux pieds au bout.

Alors que vais-je faire avec un nombre impair de chaussettes ? En réfléchissant bien à ce grave problème, je vois plusieurs solutions.

Je peux acheter une chaussette neuve. Mais je pense que ce sera difficile. Les chaussettes se vendent par deux. Si je demande au vendeur : « je voudrais une chaussette », il me répondra : « vous voulez dire une paire de chaussettes ? ». « Mais non, je veux une chaussette ». « Mais, monsieur, ce n’est pas possible, Les chaussettes vont toujours par deux ou par quatre ou par six. Mais pas par un. On n’achète jamais une chaussette, mais une paire de chaussettes. Une chaussette n’est jamais autonome. Elle n’existe que si elle est associée à une de ses semblables et les deux forment une paire. Voulez-vous une paire de chaussettes, monsieur ? ».

Je pourrais acheter une paire de chaussettes et me débarrasser de l’une des chaussettes. Mais ce n’est pas possible. Ayant déjà perdu une chaussette, je ne peux pas, délibérément, en faire disparaître une deuxième. C’est inadmissible, cruel, criminel. D’ailleurs, laquelle des deux chaussettes je vais jeter ? Je ne me sens pas capable de choisir celle qui doit être sacrifiée.

Donc c’est décidé, je n’achète pas de chaussette. Je vais me contenter de mes chaussettes en nombre impair. Et pourquoi ne pas rompre les habitudes en ne mettant qu’une seule chaussette ? C’est une idée. Le pied laissé nu serait un symbole, une sorte d’hommage pour la chaussette disparue.

Je pourrais aussi mettre deux chaussettes sur un pied. Ou me faire greffer un troisième pied. Ou me faire amputer d’un pied. Ou me faire amputer des deux pieds et jeter toutes mes chaussettes devenues inutiles.

Toutes ces réflexions profondes me prirent beaucoup de temps et, deux semaines plus tard, alors que je n’avais pas encore pris de décision, la chaussette est réapparue et la vie a repris, enfin, son cours normal.
 


Le 1 mai 2004.

Fabrice Guyot.