La chemise.


 
Le propriétaire de la chemise
 
Mes chers amis, je vous ai réunis ce soir parce que j'ai besoin de votre aide. Je suis face à un problème que je ne pourrai jamais résoudre seul et j'espère que vous m'apporterez les conseils et le soutien qui me sont indispensables. Vous êtes impatient, je pense, de connaître les circonstances qui m'ont poussé à faire appel à votre amitié et à votre érudition. Donc, sans détour, je vais vous exposer la raison de votre présence ici ce soir.
 
Il y a quelques semaines, trois semaines et deux jours pour être précis, j'ai découvert sur l'une de mes chemises une tache. Elle n’est guère remarquable, elle est assez grande mais grisâtre et légèrement estompée ce qui la rend quasiment invisible. D'ailleurs, je pense qu'elle était là depuis longtemps quand je l’ai vue pour la première fois mais, tant que j’ignorais sa présence, je ne m'en inquiétais pas. Or, et c'est pareil pour tous les défauts, qu'ils soient mineurs ou essentiels, dès qu'on les voit, on finit par ne plus voir qu'eux. Et effectivement, maintenant je ne peux pas mettre une chemise, même une chemise immaculée, sans penser à la tache qui souille l'autre chemise. Quand j'ai essayé de faire disparaître cette tache, dans un premier temps avec des détergents classiques, puis avec des détachants plus puissants et habituellement très efficaces, puis avec tous les produits que j'ai pu trouver, je n'y suis pas parvenu, comme si elle avait été faite avec une substance indélébile.
 
C'est difficile de vous décrire cette tache, alors je préfère vous montrer la chemise. La voilà. Vous pouvez voir ici, sur le dos, la tache. N'hésitez pas à la toucher, vous pouvez même la renifler quoique, après l'utilisation des détergents, vous n’ayez aucune chance de déceler l'odeur d'origine. Si je vous ai amené cette chemise, ce n'est pas seulement pour m'éviter une description fastidieuse et incomplète, mais c'est également pour être sûr que, en voyant cette tache avec vos yeux, vous ne puissiez me dire qu'elle n'existe pas, qu'elle n'a jamais existé, et qu'elle n’est que le résultat d’une phobie ou d’une crise maniaco-dépressive. Cette tache est, comme vous le constatez, fort déplaisante, et vous admettrez qu’une chemise dans un tel état n’est plus mettable. Elle est tout juste bonne à jeter ou, à la rigueur, à servir de serpillière. Mais, et c'est là tout mon problème, je ne peux pas me débarrasser de cette chemise. Je ne peux absolument pas. Pourquoi ? La raison va vous surprendre peut-être, mais cette tache m'intrigue tellement que, tant que je n'aurai pas une explication satisfaisante concernant sa présence ici, je ne pourrai pas me séparer de la chemise.
 
Vous allez me demander pourquoi je me préoccupe tant de cette tache ? C'est vrai que cela peut paraître ridicule mais, voyez-vous, ce n'est pas seulement le fait que la chemise soit souillée qui me trouble - ce n'est pas la première fois qu'un de mes vêtements est taché et je n'hésite pas en général à liquider le problème en bazardant tout à la poubelle. En fait, je dois reconnaître, et j'en ai honte, que cette tache ne se contente pas de m'intriguer, elle me traumatise. Pourquoi ? Hé bien, elle semble me dire quelque chose, quelque chose que je devrais comprendre, mais je ne sais pas quoi. Je suis sûr que cette tache n’est pas aussi anodine qu'on pourrait le penser, je suis même certain qu'elle a un sens pour moi - en tout cas je ne peux pas m'empêcher de le penser - mais malheureusement je ne parviens pas à saisir ce sens. C'est un  peu comme quand on a un mot ou un nom sur le bout de la langue, prêt à être prononcé, mais qu'on en est incapable, quels que soient les efforts qu'on fasse ; et il faut en général attendre des heures et parfois des jours pour que ce quelque chose daigne nous revenir en mémoire, alors qu'il est bien sûr beaucoup trop tard.
 
J’ai pensé au début que ce n'était qu'un de ces petits trous de mémoire, fréquents quand on est stressé. J'ai donc attendu un peu, les jours se sont écoulés, et j'ai commencé à paniquer car il m'était impossible de me rappeler ce que cette tache semblait m'évoquer. Et pourtant, je savais que c'était là, dans ma tête, j’étais certain qu'un jour ça allait sortir et qu'alors je me dirai « mais oui, mais c'est bien sûr ». Mais malheureusement, malgré ma patience, je m'impatientais car je ne voyais rien venir. J'ai déposé la chemise tachée bien en évidence dans mon appartement, accrochée sur le mur au-dessus de la télévision, comme un tableau, et ainsi, l'ayant sous les yeux tous les jours, pendant des heures et des heures, j'espérais que le souvenir égaré me reviendrait plus facilement. Mais rien...
 
Ensuite, comme je pensais que j'étais trop fatigué, trop surmené, que je commençais à perdre la boule à cause de ce problème apparemment insoluble, j'ai décidé de cacher la chemise dans une penderie pour ne plus la voir. On prétend que pour les trous de mémoire, la meilleure méthode est d'oublier ce qu'on cherche afin qu'au bout d'un temps plus ou moins long, le souvenir revienne sans effort. Dans mon cas, malheureusement, cette méthode n'a pas fonctionné, peut-être parce que, quoique ne l'ayant plus sous les yeux, je l'avais encore dans ma tête et que j'étais incapable de l'oublier tout à fait. En bref, en essayant de ne pas penser à elle, je ne pensais qu'à elle.
 
J'ai également essayé de résoudre mon problème par la logique. Après tout, quoique stressé, je ne suis pas totalement idiot. Je me suis dit qu'en analysant la tache, les sinuosités, les circonvolutions, l'épaisseur des traits, en cherchant si elle avait été faite avec de l'encre ou de la peinture ou autre chose, en appréciant la couleur, la texture, je pourrais trouver quelque chose. Mais là encore je ne suis arrivé à rien. J'ai même recherché avec une loupe d'éventuels pleins et déliés, au cas où ce seraient des caractères alphabétiques déguisés. J'ai tenté d'identifier dans ces tracés grossiers un langage que je connaîtrais. Mais, comme vous devez le deviner puisque vous êtes là, je n'ai rien trouvé.
 
Alors voilà où j'en suis, c'est-à-dire nulle part puisque, malgré ma persévérance, cette tache est restée pour moi une grande inconnue. Est-ce un visage ? Un animal ? Un symbole ? Je ne sais pas. Et je suis trop fatigué pour continuer à chercher. Je ne dors plus, je mange à peine, mon travail est négligé. Depuis que j'ai découvert cette tache, je ne vis plus. Alors, mes chers amis, aidez-moi, je n'aurai l'esprit apaisé que lorsque je saurai la signification de cette tache. En fait, il ne s'agit ni plus ni moins que d'une question de vie ou de mort pour moi.


 
Le premier invité
 
C'est terrible, ce qui vous est arrivé, mon cher ami, et je compatis à votre douleur. Je vais vous donner mon interprétation des faits, si vous me le permettez. Bien que je sois persuadé que mon explication vous déplaira, je ne peux pas m’empêcher de vous en faire part car je pense que tout homme a le droit de savoir la vérité. Ainsi, en connaissant votre ennemi, vous aurez l’illusion de vous battre, même si c’est en vain car cet ennemi est pire qu’invisible, il est immatériel et de ce fait inaccessible.
 
Voilà mon idée : je suis sûr que cette tache représente une direction à prendre. Vous voyez ici cette forme un peu floue mais parfaitement dessinée ? Je n’ai aucun doute, il s'agit d'une flèche. Et à quoi sert une flèche, en règle générale ? A orienter dans une direction précise. La personne, ou la chose, qui a placé ce symbole sur votre chemise, vous indiquait sans doute une direction à prendre et vous invitait ainsi à changer de mode de vie. Malheureusement, comme vous ignorez où et quand cette tache a été faite, vous ne pouvez pas savoir, et vous ne saurez sans doute jamais, quelle voie il aurait fallu que vous empruntiez. D'ailleurs, c'est regrettable que celui qui a déposé ce jalon au dos de votre chemise ait été aussi vicieux ou aussi bête : il aurait dû se douter qu'à cet emplacement, vous n'aviez aucune chance de voir rapidement cette marque. Et effectivement, quand vous l'avez vue, il était sans doute déjà trop tard, la chance était passée dans votre dos et vous n'avez pas pu la saisir au bon moment. Moi-même, il y a quelques années, il m'est arrivé une mésaventure semblable qui, à l’époque, m'a déprimé, et qui continue encore maintenant à me troubler.
 
J'étais seul dans ma voiture sur une petite route de campagne. Il n'y avait pas d'autres automobiles en vue, ni aucun piéton. Au milieu du silence, seulement troublé par le bruit de mon moteur, dans cette solitude, j'éprouvais une sensation bizarre, comme si j'étais le dernier survivant après un cataclysme qui aurait exterminé toutes les espèces vivantes. Et je pensais à ma vie d'éternel voyageur, vantant les mérites de produits que je ne consommais même pas, pour le compte d'une entreprise qui ne me connaissait qu'au travers des bons de commande et des notes de frais, circulant sur toutes les routes pour aller d'un endroit sinistre à un autre endroit encore plus sinistre, passant d'un hôtel à un autre où je n’étais identifié que par un numéro de chambre et un numéro de carte bancaire, rencontrant des clients qui se ressemblaient tous mais à qui je devais tout de même faire de grands sourires comme si nous nous connaissions depuis toujours, n'ayant d'attache intime avec personne. Ce jour-là, je voyais cette route uniforme se dérouler devant moi, toute droite sur des kilomètres et des kilomètres, et j’avais tout le temps de réfléchir à mon existence sans intérêt, aussi monotone que cette longue tranchée goudronnée traversant un pays sans vie, pour relier une ville morte à une autre ville morte.
 
Et puis, tout à coup, au milieu de ce no man's land, je vis un panneau dont la présence me sembla un peu incongrue dans un lieu aussi plat et rectiligne. Ce panneau représentait une flèche et cette flèche me proposait sans ambiguïté de tourner à droite. Je roulais depuis si longtemps sur cette route, je me sentais si déprimé, que j'étais prêt à prendre n'importe quelle voie de détournement, même si ça devait rallonger mon trajet, même si je risquais de me perdre. J'aurais donc volontiers suivi le conseil de ce panneau, mais c'était impossible, il n'y avait aucune voie se dirigeant à droite. Comme je vous le disais à l'instant, la route était totalement rectiligne, et du plus loin que je la voyais, il n'y avait aucun virage, aucun carrefour, il n'y avait absolument rien, ni à droite ni à gauche, à part un fossé de chaque côté de la route, quelques arbres et des champs en friche.
 
Intrigué, et même un peu perturbé, j'ai continué à rouler lentement, cent mètres, deux cents mètres, cinq cents mètres, et pendant ce temps, je n'oubliais pas ce panneau énigmatique et je cherchais la bifurcation à droite qu'il était censé indiquer. Mais je n’ai strictement rien vu sur des kilomètres, ni route, ni chemin, pas même un sentier menant à un champ, une ferme ou dans un sous-bois. Je suis retourné en arrière (je n'ai pas eu de problème pour manœuvrer puisque la route était toujours désespérément vide) et je suis repassé devant ce panneau en roulant au pas, attentif à tout ce qui aurait pu ressembler à un chemin praticable pour ma voiture, mais tout le long de la route, il y avait ce fossé qui interdisait tout passage avec un véhicule. Je suis retourné une nouvelle fois en arrière, mais cette fois je voulais vérifier s'il n'y avait pas une sente cachée sous les herbes que j'aurais pu emprunter à pied, en abandonnant ma voiture sur le bord de la route principale. Mais rien…
 
J'ai refait ce trajet cinq ou dix ou vingt fois, je ne sais plus combien exactement car c'était devenu une sorte d'idée fixe, je voulais absolument trouver cette bifurcation, et à ce moment mon cerveau s'était tellement embrumé que je devais agir par automatisme. C'était peut-être une crise maniaco-dépressive ou de la folie furieuse, en tout cas, après de nombreux passages, je me suis arrêté, j'étais trop épuisé pour continuer et, comme la nuit commençait à tomber, j'ai dû abandonner mes recherches en espérant y revenir un autre jour.
 
J'ai eu l'occasion, à maintes reprises, de reprendre cette route et je n'ai jamais revu ce panneau. Avais-je rêvé ? Je ne pense pas. Le jour de ma crise, je l'avais toujours vu à chacun de mes passages. Alors, était-ce un canular ? C'est peu probable, il n'y avait pas assez de voitures sur cette route pour stimuler l'imagination des plaisantins. Etait-ce un panneau jeté là par erreur par un employé des services d’entretien de la voirie ? Si ç’avait été le cas, il n’aurait pas été aussi bien planté sur le bord de la route. Faute de trouver une explication logique, j’en ai été réduit à chercher une interprétation plus… bizarre.
 
Et vous savez à quoi cet événement étrange m'a fait penser ? A une sorte de chemin secret, dont le panneau était le seul indicateur, un chemin secret menant vers un autre monde, vers un pays neuf et beau où la vie est facile, où on peut être heureux sans arrière-pensées, sans états d'âme, où on est assuré de jouir d'un bonheur constant et toujours renouvelé, en parfaite harmonie avec la nature et les autres humains, sans jamais craindre de voir brutalement ce bonheur s'en aller et disparaître à jamais. Le paradis ? Oui, peut-être, mais pas le paradis des chrétiens. Mon paradis à moi, c'est le bonheur total, la paix avec soi et avec les autres, la jouissance sans limite, la liberté sans contrainte, sans dieu, sans maître ni esclave, sans dirigeant, une vie sereine en compagnie de gens simples n'ayant pour désir que de vivre simplement. Le plus terrible, c'est de penser que, si j'avais trouvé cette voie invisible, j'aurais pu passer de l'autre côté, basculer dans cet autre monde où j'aurais peut-être trouvé enfin le bonheur.
 
Cette voie mystérieuse existait-elle ? Je ne sais pas. Je crois que oui, mais je ne peux pas l'affirmer puisque je ne l'ai pas vue. Finalement, ce panneau ne m'était peut-être pas destiné, ce qui expliquerait que je n'aie pas vu le chemin. Il s'adressait peut-être à quelqu'un d'autre, un autre voyageur qui, contrairement à moi, a vu le chemin, et cet autre, s'il a eu le courage, se trouve peut-être actuellement de l'autre côté. Mais parfois je me dis aussi que cette voie était bien là, que j'aurais pu la voir, mais que pour ça, il aurait fallu que j'y croie vraiment, que j'aie la « foi » en quelque sorte. Or, je n'ai pas eu le courage de croire et j'ai préféré perdre mon temps à réfléchir, en retardant peut-être inconsciemment le moment de prendre une décision. Au lieu de douter et d'hésiter, j'aurais certainement dû, dès que j'ai vu le panneau, braquer le volant à droite, et alors, je serais passé de l'autre côté, du côté que j'imagine être le paradis. Mais je n'ai pas eu la force de quitter le monde présent, que j'exècre mais que je connais, pour un autre monde parfait mais incertain.
 
Il y a beaucoup de « peut-être » dans tout ce que je dis car finalement je ne sais rien, alors je suis obligé d'imaginer et de rêver. De toute façon, le résultat est le même, je suis persuadé que j'ai raté une occasion de changer de vie, et... voilà où j'en suis maintenant, ni très heureux, ni très malheureux, sachant que pendant toutes ces années qui me restent à vivre, je regretterai ce non-choix que j'ai fait, il y a quelques années, sur cette route monotone.
 
J'imagine qu'il vous est arrivé la même chose qu'à moi. Et comme moi, faute de savoir d'où provient cette tache, vous ne saurez jamais où elle vous aurait conduit si vous l’aviez suivie, vers le bonheur ou vers le malheur, vers le paradis ou vers l'enfer, ou vers rien, vers le néant. Et je pense que, comme moi, vous regretterez toute votre vie de ne pas avoir suivi la voie qui vous était destinée.
 


Le second invité
 
Mon cher ami, vous me permettrez de ne pas être d'accord avec vous. Je m'explique...
 
A mon sens, cette tache n'indique absolument pas une direction. D'ailleurs, je ne vois pas ce qui vous fait dire qu'elle ressemble à une flèche. Il me semble plutôt y voir un logo. Il s'agit peut-être du logo d'un nouveau parti politique, et dans ce cas vous avez été à votre insu le vecteur d'idées que peut-être vous n'approuvez pas. Vous savez que certains partis, dont je ne citerai pas les noms, disposent de moyens financiers insuffisants pour faire imprimer les tracts indispensables pour diffuser à grande échelle leurs opinions. Involontairement, vous vous êtes assis quelque part, sur une chaise ou un banc public, ou vous vous êtes frotté contre un mur, et votre dos s’est malencontreusement trouvé en contact avec un emplacement souillé par les partisans trop zélés de ce mouvement politique. Ensuite vous avez circulé en ville, pendant des heures, et peut-être des jours, avec ces symboles ineptes collés sur votre dos. Vous avez été en quelque sorte un tract vivant, peu coûteux et suffisamment remarquable pour attirer l'attention de nombreuses personnes.
 
Je ne connais pas l'efficacité de cette méthode pour la diffusion des idées, d'autant plus que ces symboles me sont inconnus et semblent particulièrement abscons, mais je suis sûr que vous avez été la victime de gens peu scrupuleux qui ont utilisé frauduleusement votre corps, et même votre âme puisque, comme je vous le disais à l'instant, vous avez véhiculé des idées qui ne sont peut-être pas les vôtres. Heureusement, vous avez eu de la chance dans votre malchance, car vous auriez pu rencontrer des opposants à ces idées, et ces gens, vous prenant pour un adversaire, auraient pu vous molester comme on le fait couramment au cours des rencontres politiques.
 
Il se peut aussi que ce soit le nouveau logo d'une entreprise commerciale. A ce propos, moi-même, il m'est arrivé une aventure de ce genre, alors que je n'étais pas encore bien informé des méthodes commerciales modernes et que je m'imaginais vivre dans un monde intègre. J'avais acheté une chemise qui me paraissait tout à fait ordinaire, à l'exception du prix un peu excessif pour un objet qui n'est finalement qu'un ensemble de bouts de tissu avec quelques boutons. Mais comme elle était de coupe classique, avec des couleurs gaies sans être trop criardes, que j'ai trouvé ma taille sans problème, ce qui n'est pas toujours le cas, et qu'en plus son prix quoique élevé ne dépassait pas mon budget, elle me convenait parfaitement, et donc je l'ai achetée.
 
Malheureusement, quand je la portais sur moi, ce qui était fréquent puisqu'elle me plaisait, je remarquais que les regards de mes interlocuteurs, ou même des passants que je côtoyais par hasard dans la rue ou dans le métro ou n'importe où, étaient braqués sur cette chemise. Pourtant elle était banale, sauf au niveau du prix, comme je vous l'ai dit. Je ne comprenais pas ce qui pouvait attirer l’œil de tous ces gens, je me souvenais clairement avoir retiré l'étiquette du prix, donc personne n'était censé savoir que je portais une chemise standard qui coûtait autant qu’un produit de luxe.
 
Au début, je n'ai pas cherché à comprendre cette curiosité déplacée car franchement ça ne m'intéressait vraiment pas d'approfondir une question aussi superficielle, je préférais consacrer mon temps et mon énergie à des choses plus utiles ou plus importantes. Mais, comme l'intérêt de tous ces gens pour ma chemise ne diminuait pas, j'ai bien été forcé de m'en préoccuper, malgré mon dégoût pour ce genre de réaction débile. Elle avait visiblement quelque chose d'exceptionnel, tout au moins pour les autres, car pour moi ce n'était qu'un vêtement parmi d'autres. Mais en quoi cette chemise était-elle remarquable ? Même mon patron semblait sensible à sa « magie ». Quand je suis allé le voir pour lui demander une augmentation, après un bref regard sur ma chemise, sa réponse a été un non catégorique, comme s'il avait jugé que je n'avais pas besoin d'une augmentation puisque j'étais assez riche pour me payer un vêtement luxueux.
 
J'ai dû découvrir tout seul ce que cette chemise avait de si spectaculaire et ça n’a pas été sans difficultés. En effet, je ne me voyais pas demander à mes amis ou à mes collègues pourquoi ils la regardaient avec ces airs ahuris. Et j'ai eu raison car, je l'ai compris plus tard, si je leur avais posé la question qui me brûlait la langue, ils m'auraient pris pour un débile profond. Donc, n'ayant pas la possibilité de compter sur l'assistance des autres, j'ai dû me débrouiller seul.
 
J'ai pris la chemise, je l'ai posée sur mon lit en allumant toutes les ampoules pour être sûr de bien voir et je l'ai analysée lentement. Les manches, les bras, le col, les parties avant, l'arrière. J'ai tout détaillé, toutes les coutures, toutes les poches, tous les boutons. J'étais prêt à employer la loupe que j'avais achetée pour cette occasion, afin de voir les détails les plus microscopiques quand, enfin, j'ai trouvé.
 
Si vous êtes comme moi, peu attentifs à des détails mineurs, vous ne devinerez jamais ce qui attirait l'œil de tant de gens. Vous voulez savoir ? Hé bien... il y avait sur cette chemise... un logo, hé oui, un logo. Pas un logo standard, avec le nom du fabricant en toutes lettres, ce logo je l'aurais remarqué dès le premier coup d'œil. Le logo imprimé sur la chemise était beaucoup plus hypocrite, il était totalement symbolique, tellement symbolique qu'il ne pouvait rien exprimer pour un profane dans mon genre. Par contre, ce logo simpliste à l'extrême est si particulier qu’il saute aux yeux de certaines personnes visiblement conçues différemment de moi. Comment vous le décrire ? C'était une sorte de tache, comme celle de votre chemise, mais ma tache à moi était imprimée dans le tissu, j'avais donc involontairement acheté la tache en même temps que la chemise. Cette tache avait une forme... recourbée. Je vais vous la dessiner car je me sens incapable, malgré sa simplicité, de vous la décrire clairement.
 
Un logo monstrueux
Imaginez ma consternation quand j'ai découvert que ce truc, qui ne ressemble à rien, était le logo du fabricant de la chemise. Pendant des mois, sans m'en douter, je m'étais promené avec ce logo sur le devant de ma chemise. Des milliers de personnes ont peut-être acheté la même chemise, ou un autre produit du même fabricant, en voyant le logo que je montrais ostensiblement, mais à mon insu, sur ma poitrine. Et en plus, j'avais payé cher pour devenir malgré moi le support publicitaire ambulant de ce fabricant malhonnête.
 
Savez-vous ce que j'ai fait de cette chemise ? Je n'ai trouvé qu'une solution pour m'en débarrasser définitivement. Cette méthode m'a permis non seulement de satisfaire ma hargne vis-à-vis d'une méthode commerciale honteuse et indigne d'une entreprise ayant pignon sur rue, mais aussi de me venger de ce fabricant à ma manière, avec mes faibles ressources. J'ai pris une paire de ciseaux et j'ai découpé la chemise en morceaux, des morceaux si minuscules qu'à la fin, l'ensemble ne ressemblait plus qu'à une poudre compacte. J'aurais pu ensuite avaler cette poudre pour que, mélangée à mes sucs gastriques et intestinaux, cette abominable chemise se retrouve dans les toilettes, mais j'ai eu peur de me rendre malade. J'ai donc préféré la brûler pour qu'il n'en reste plus aucune trace. En vous racontant ça, je sais que vous risquez de me prendre pour un maniaque mais je ne voulais pas, en jetant simplement la chemise dans une poubelle, qu'elle continue à servir de promotion pour le fabricant jusque dans une décharge d'ordures.
 
Et voilà tout ce que j'avais à dire. Si n'acceptez pas d'être manipulé comme une sorte de pantin par un parti ou une firme, en vous trimballant bêtement dans les lieux publics avec une publicité sur le dos, je vous conseillerais de faire comme moi, de détruire cette chemise, et de ne plus y penser.
 


Le troisième invité
 
Mes amis, vos explications pourraient éventuellement paraître judicieuses à un imbécile, mais vous ne me convainquez pas du tout. Elles sont si idiotes que j'en rirais si mon humeur me portait à ce genre de débordement. Je pense, mon cher ami, que vous avez failli être agressé par une bande de barbares. Ces gens malveillants, voulant profiter d'un moment de faiblesse mais ne trouvant pas l'occasion de vous attaquer personnellement, ont dû se contenter d'agresser votre chemise. Regardez cette marque ici, je suis sûr qu'il s'agit de la trace d'une semelle de chaussure. Et ici aussi. Il est visible pour tout individu sachant regarder que cette chemise a été piétinée par des personnes qui, pour une raison que j'ignore et que vous ignorez certainement vous-même, voulaient se venger. A moins qu'ils aient agi sans raison précise et qu'ils n'aient souhaité que se défouler sur quelque chose, et votre chemise a eu la malchance de croiser leur chemin à ce moment-là.
 
Je vous dis cela parce que, moi-même, j'ai été victime de ce genre de violence. Un matin, en me réveillant, je me sentais très mal, comme si j'étais dans un de ces cauchemars hyperréalistes où l'on ressent à la fois la douleur physique, la peur, la honte. Pourtant, même si mes yeux étaient encore fermés, je savais que je venais de me réveiller. Mais j'avais la sensation bizarre de ne pas être dans mon lit. J'avais froid, et mon corps me semblait mouillé et sale. En plus, j'avais mal partout, sur le visage, sur les membres, dans la poitrine, dans le ventre, j'avais l'impression de m'être bagarré toute la nuit avec une horde sauvage, ce qui n’est pas dans mes habitudes. La douleur terrible dans mon ventre me donnait envie de hurler mais je parvenais à peine à gémir. En plus, j'avais une migraine qui me faisait tellement souffrir que j'aurais préféré être mort plutôt que de continuer à supporter un pareil supplice.
 
J'étais certainement dehors, j'avais très froid et mon corps tremblait violemment. Que s'était-il passé ? Comment avais-je fait pour quitter mon lit ? Je ne savais pas, je ne me rappelais de rien en particulier. Des frissons me parcouraient le corps et, malgré le froid, j’étais couvert de sueur. Je sentais les gouttes de transpiration dégouliner le long de mes tempes et sous mes aisselles. J'avais peur de ce qui était arrivé et de ce qui allait arriver. Est-ce que j'allais rester longtemps ainsi, sans que personne ne vienne me porter secours ? Est-ce que j'allais mourir seul comme un misérable, abandonné de tous ? Les blessures qui me faisaient souffrir étaient-elles graves ? Si je survivais à cette tragédie, quelles en seraient les séquelles ? Serai-je aveugle ? Paralysé ? Je n'étais pas en mesure de répondre à ces questions qui n'arrêtaient pas de me traverser l'esprit. En plus, la migraine me tenaillait le crâne et m'empêchait de réfléchir.
 
Je ressentais des sortes de chatouillements sur le corps et j'étais sûr que de la vermine profitait de mon immobilité pour ramper sur moi ; ces ignobles créatures devaient se préparer à faire un festin. J'aurais aimé ouvrir les yeux, pour savoir où je me trouvais exactement et dans quel état, mais je ne pouvais pas, mes paupières semblaient tuméfiées ou bloquées par quelque chose et je ne parvenais pas à les décoller. J'ai essayé de bouger, pour savoir si mon corps fonctionnait correctement, mais je n'ai pas pu, la douleur était trop forte. Rien que le fait de tenter de remuer un doigt ou de bouger la tête provoquait une sensation de déchirement atroce. Il me semblait que j'étais couché sur un sol terreux car je sentais l'odeur écœurante de la terre près de mon nez. Ma bouche était pâteuse et chargée comme si j'avais avalé le contenu d'une poubelle pour ensuite le régurgiter…
 
J'interromps ici ma description, ce souvenir est trop douloureux pour moi et j'ai peur de vous donner la nausée. A un moment, j'ai dû m'évanouir car je ne me rappelle plus de rien. Quand j'ai repris conscience, j'étais à l'hôpital et quelques jours s'étaient écoulés. Je pouvais enfin ouvrir les yeux, mes paupières s'étaient dégonflées. Tout ce qui s'est passé entre mon évanouissement et mon réveil, je l'ai appris par mes voisins car ce sont eux qui ont découvert mon corps inanimé et qui ont appelé les secours. C'était un samedi et ils s'étaient inquiétés de ne pas me voir tondre ma pelouse, comme je le faisais habituellement ce jour-là. Ils sont passés me voir, pour savoir ce qui n'allait pas, et ils ont découvert mon corps étendu sur la terre, dans un coin de mon jardin, caché entre deux arbres.
 
Quelle surprise ç'a été pour moi d'apprendre qu'on m'avait trouvé presque nu, dans mon jardin ! La veille de cet accident, je m'étais pourtant endormi comme les gens normaux, dans mon lit, sous des couvertures chaudes et... le lendemain matin, on me découvre dans le jardin, le visage et le corps souillés de boue, couverts de bosses, d'ecchymoses et d'égratignures, avec des plaies ouvertes et suintantes. Que s'était-il passé ? Je n'ai jamais pu le savoir exactement. Les gendarmes ont enquêté mais ils ont été incapables de trouver une explication logique et ils ont finalement classé mon dossier comme ils le font toujours avec les affaires qui les embarrassent.
 
Bien que je ne sache pas tout, j'ai néanmoins une conviction ferme. Je suis sûr que j'ai été la victime d'une agression. Je pense que des personnes, je ne sais pas qui, en tout cas des gens malveillants, peut-être maléfiques, profitant de mon sommeil profond, m'ont tiré de mon lit pour me jeter dans le jardin et que, non contents d'avoir commis cet acte odieux et délibéré, ils se sont ensuite acharnés à me piétiner le corps et le visage. J'en ai parlé à mes proches, aux gendarmes, mais tous ont semblé considérer, sans oser me le dire franchement, que j'affabulais ou même que je délirais. Ils m'ont parlé de somnambulisme et d'automutilation. Ils m'ont traité comme un malade mental, comme une personne ayant subi un grave traumatisme, presque comme un fou, et les médecins m'ont fait des ordonnances grandes comme l'édition complète du Vidal. Mais moi, je sais bien qu'il m'est arrivé quelque chose de terrible et je ne l'oublierai jamais. Je suis sûr que j'ai été victime, cette nuit-là, de quelque chose de plus grave et de bien plus inquiétant que la simple méchanceté humaine, je suis convaincu d'avoir... rencontré le MAL, le MAL absolu.
 
Finalement, je crois que vous avez eu de la chance car seule votre chemise piétinée gardera le souvenir de cette rencontre avec des bourreaux sanguinaires. Moi, c'est mon corps et surtout mon âme qui ont été marqués à jamais.
 


Le quatrième invité
 
Moi, ça me ferait plutôt penser à une trace de nourriture, peut-être une giclée de sauce au basilic ou une coulure de crème glacée vanille-pistache. Ce qui pourrait étonner, si on y réfléchit sommairement, c'est que cette tache se trouve sur le dos de la chemise alors qu'elle devrait plutôt se situer sur le devant. A moins de faire des acrobaties en mangeant, ce que les gens normaux et sains d'esprit font rarement, on ne peut pas se baver dans son propre dos. Mais cette bizarrerie ne me choque pas et je vais vous expliquer pourquoi.
 
Il y a quelques années, je me trouvais dans un restaurant. Il était 13h et il y avait beaucoup de clients. Les serveurs couraient dans tous les sens, c'était l'heure de la presse, comme on dit, et l'agitation était à son comble. Après une attente interminable, un serveur est venu prendre ma commande et j'ai attendu d'être servi. A un moment, alors que je rêvassais, j'ai éprouvé une sensation curieuse dans le dos, comme si quelque chose de liquide me coulait dessus. Je me suis retourné brusquement et j'ai vu clairement un des serveurs s'éloigner avec un plateau dégoulinant. Je me suis tâté le bas du dos pour rechercher l'origine de cette sensation désagréable et j'ai constaté avec horreur que ma chemise avait été abondamment éclaboussée de sauce au poivre (j'ai reniflé mes doigts et j'ai nettement reconnu l'odeur du poivre). J'ai extrait le bas de la chemise de mon pantalon et je me suis tortillé le cou pour voir l'étendue des dégâts, et en effet, le résultat était aussi effroyable que je l'avais imaginé. Tout le bas de ma chemise, et peut-être aussi le haut, mais je ne pouvais pas le voir, à moins de retirer complètement la chemise, ce qui n'aurait pas été convenable dans un lieu public, donc tout le bas de ma chemise avait été inondé de cette même sauce brune et gluante. Je me suis souvenu alors du serveur que j'avais vu s'éloigner si rapidement et j'ai soupçonné immédiatement qu'il devait être le responsable de cet accident fatal à ma chemise.
 
Je me suis levé et je l'ai cherché au milieu de la foule. Je l'ai finalement vu en train de courir à l'autre extrémité de la salle du restaurant. Alors je me suis dit que cet hypocrite, après l'accomplissement de son forfait, et sachant que je connaissais le responsable, ne souhaitait plus s'approcher de trop près de mon secteur. Comme il me semblait évident que je ne pouvais pas laisser cet acte impuni, bien que j’aie honte de me faire remarquer avec une chemise aussi répugnante, je me suis précipité vers lui. Mais le bougre, m’ayant vu, a essayé de s'échapper, en slalomant entre les tables, en évitant les clients qui revenaient des toilettes, en contournant habilement les enfants qui couraient dans tous les sens.
 
Après quelques minutes de poursuite, j'ai enfin réussi à le coincer entre une table, une desserte et un coin de la salle. Il a pris une expression d'étonnement, comme s'il ne savait pas pourquoi je le poursuivais avec tant d'acharnement. Puis il m'a bousculé sans violence, en me disant « pardon, monsieur » comme s'il souhaitait passer pour reprendre son travail. Bien sûr, je ne l'ai pas laissé partir et je lui ai dit sans prendre de gants qu'il m'avait souillé ma chemise et qu'il devrait au moins s'excuser de sa maladresse, et qu’ensuite on pourrait s'arranger pour tenter, soit de faire disparaître la tache, même si je n'avais guère d'espoir, soit de l'atténuer pour que la chemise puisse continuer à servir comme vêtement d'intérieur ou pour le jardinage ou au pire pour le bricolage.
 
Mais cet hypocrite, au lieu d'admettre sa maladresse, que je me sentais pourtant prêt à excuser, m'a répondu qu'il n'avait rien fait et qu'il n'était absolument pas responsable de cette tache. Il a ajouté, avec une mauvaise foi qui m'a laissé pantois, qu'il n'était jamais allé dans la rangée que j'occupais et qu’il ne pouvait pas m'avoir fait couler quoi que ce soit dans le dos à un endroit où il n'était jamais allé. C'est avec consternation que je l'ai entendu dire ce mensonge éhonté. Et en plus, en me disant cela, il me regardait droit dans les yeux avec une belle assurance. Moi, je le savais bien que je l'avais vu derrière moi au moment de l'accident. S'il m'avait dit qu'il n'était pas responsable de la tache, je l'aurais peut-être admis puisqu’au fond, j'avais le dos tourné quand ça s'était produit. Mais qu'il prétendît n'être jamais passé derrière moi, je ne pouvais pas l'accepter car je l'avais vu, comme je vous vois, quand j'avais tourné la tête. Je n'étais pas fou, c’était bien lui et il était peu probable qu’il ait un sosie travaillant dans le même restaurant.
 
Donc, voyant qu'il me prenait pour un idiot, je me suis énervé, j'ai insisté en parlant fort et en faisant de grands gestes. Je voulais le forcer à dire ne serait-ce qu'une partie de la vérité, mais il m'a été impossible d’en tirer le moindre aveu. Pour me déstabiliser encore plus, il a ajouté que je m'étais fait cette tache moi-même, peut-être pour l'embêter, pour lui faire du tort auprès de son patron, etc. Devant un tel parti pris mensonger, qu’auriez-vous fait ? Moi, j'ai perdu tous mes moyens, j'en étais réduit à douter de ce que j'avais pourtant très bien vu, et finalement, j'ai battu en retraite. Tout penaud, je suis retourné à ma table en trébuchant, tout rouge de colère et de honte. J’ai essayé de ne pas attirer l’attention, mais il était trop tard, la foule me dévisageait comme une bête curieuse et les gens me montraient du doigt en parlant à voix basse comme si j’étais le coupable. J'ai payé pour le repas que je n'avais pas consommé et je suis parti en essayant de cacher du mieux que je pouvais ma chemise dégoûtante.
 
Je parierais qu'il vous est arrivé la même chose qu'à moi, sauf que la quantité ou la nature de la sauce qui s’est répandue sur votre chemise n'a pas été suffisante pour vous alerter immédiatement, et vous n'avez découvert les dégâts que bien plus tard ; ce qui n’est pas une mauvaise chose puisque vous n’avez pas eu à vous ridiculiser en public en accusant d’un vrai crime un faux innocent assez habile à se faire passer pour un faux coupable.


 
Le cinquième invité
 
La couleur et la texture de cette tache me font penser à quelque chose. Il y a deux mois, j'étais dans mon bureau, en train de remplir des paperasses, ce qui me met en général d'assez mauvaise humeur, quand un de mes collègues m'a appelé, il avait besoin de moi pour lui donner un coup de main sur un dossier difficile. Je suis allé le voir immédiatement, ravi d'abandonner mes papiers ennuyeux, et nous avons étudié ensemble l'affaire en question qui était effectivement délicate. Quelques éléments du dossier qu’il m’a présenté m'ont interpellé, je dirais même qu'ils m'ont bouleversé. Je n'ai rien dit et j'ai fait en sorte de cacher mon trouble, ce qui n'était pas très fair-play de ma part, je dois le reconnaître. Là où lui ne voyait qu'une affaire embrouillée et risquée pour son avenir professionnel au cas où il interpréterait mal les faits, moi je décelais quelque chose de bien plus important. Tout en prenant un air détaché, comme si cette affaire ne m'intéressait pas outre mesure, et que je n'étais là que pour donner quelques bons conseils, j'ai bien analysé le dossier, en essayant d'éclaircir les parties les plus opaques. Après quelques minutes d'une discussion qui n'a guère aidé mon collègue, je le crains, je suis retourné dans mon bureau et j'ai rédigé un rapport, destiné à mon usage personnel et donc non officiel. Puis je l'ai placé en lieu sûr pour qu'il ne soit diffusé qu'en cas de nécessité absolue, si mes soupçons s'avéraient exacts ou s'il m'arrivait un... malheur.
 
Vous vous demandez, je pense, de quelle affaire il s'agissait ? Et je vois sur vos visages que vous aimeriez savoir le contenu de ce rapport, un rapport si confidentiel que même la personne chargée officiellement de l'affaire n’en connaît pas l’existence. Hé bien, je crois que c'est aujourd'hui le bon jour pour vous révéler mes soupçons et vous serez ainsi les premières personnes à les entendre. J'espère seulement que vous n'aurez pas à le regretter.
 
Le collègue dont je vous parlais, l'inspecteur Tougy, était chargé d'enquêter sur le meurtre d'une jeune femme. C'était un crime assez banal, comme il s'en produit tous les jours, mais cet inspecteur a un don particulier qui lui permet souvent d'établir des liens entre des affaires en apparence très différentes. Dans ce cas précis, il avait découvert que le signalement de la jeune victime était presque identique à celui de plusieurs autres femmes assassinées au cours des deux dernières années. Elle avait des cheveux châtains, coupés court, elle était petite, 1m65, assez maigre mais avec une forte poitrine, elle portait des lunettes qui cachaient de grands yeux sombres un peu globuleux, son petit nez aquilin contrastait avec une bouche trop grande qui recouvrait des dents également trop grandes. Son appartement était à peu près disposé de la même manière que celui des autres femmes. En plus, les circonstances de la mort - je vous fais grâce des détails peu ragoûtants, sachez seulement qu'entre autres choses, elle avait un couteau d'une marque bien connue planté dans la poitrine - ainsi que les rares indices laissés certainement volontairement sur place par le criminel, étaient trop semblables pour qu'on puisse croire à un hasard.
 
Vous allez me dire que ce genre d'enquête est assez classique, tout au moins au cinéma : un tueur récidiviste agit en respectant scrupuleusement un rituel macabre, et un enquêteur doué comme l'inspecteur Tougy établit le rapprochement entre les crimes, même s'ils sont commis dans des lieux géographiques très éloignés les uns des autres. Dans la réalité, si les tueurs récidivistes ne sont pas rares, les inspecteurs doués le sont beaucoup plus. Souvent à cause de l'incompétence des enquêteurs, mais aussi parfois parce que le criminel ne joue pas franc-jeu, par exemple en ne suivant pas toujours le même rituel, ou en semant de faux indices destinés à nous égarer, parfois les enquêtes peuvent être difficiles, ce qui laisse du temps, beaucoup de temps, au coupable pour continuer à agir sans être inquiété.
 
Mon but n'est pas ici de vous décrire le déroulement d'une enquête criminelle, ni d’en justifier la lenteur. Sachez seulement que dans cette affaire, c'était sans conteste le manque de sérieux des enquêteurs qui avait été à l'origine de la multitude de meurtres commis. Heureusement, l'inspecteur Tougy avait été chargé du dernier meurtre et il avait su en tirer les conclusions correctes. Vous vous demandez sans doute pourquoi, moi, je voyais des éléments dans ce dossier que l'inspecteur Tougy ne voyait pas, alors que cet inspecteur est si doué qu'il avait réussi à rassembler une douzaine de dossiers en provenance de tous les coins de France et sur une période de presque deux ans ? Je dois avouer que s’il en était ainsi, ce n'était dû ni à ma compétence, ni à mon expérience professionnelle. En fait, je comprenais mieux que lui parce que... j'étais impliqué dans l'affaire. Ho ! Ne vous inquiétez pas, je ne suis pas le criminel. Mais... je connais le criminel et c'est même un de mes meilleurs amis.
 
Il y a maintenant deux semaines que j'ai vu ce dossier, alors pourquoi n'ai-je pas dénoncé le criminel immédiatement, au lieu de faire un rapport dont moi seul connais l’existence ? Il aurait suffi que je donne le nom et l'adresse du coupable à l'inspecteur Tougy, lequel inspecteur aurait été bien content de conclure brillamment l'affaire ; et il m'aurait peut-être même fait profiter d'une partie de sa gloire. Alors pourquoi ai-je attendu si longtemps ?
 
Bien sûr, j'ai comme excuse le manque de preuve. Je soupçonnais peut-être à tort un ami très cher. Imaginez que je me sois trompé, et que malgré son innocence, il ait été arrêté à cause de moi, et qu'ensuite on me demande de témoigner à charge à son procès, et qu'il soit condamné. Comprenez-moi, je n'étais pas encore sûr à cent pour cent de sa culpabilité et je ne me sentais pas le courage de le dénoncer avant d'avoir une certitude. Alors, il m'a bien fallu attendre patiemment que mes vagues soupçons se transforment en preuves irréfutables. Maintenant, je me sens un peu responsable, presque complice, car un autre meurtre a peut-être été commis à cause de mon silence. Cependant, je préfère regretter mon mutisme plutôt que de supporter le remord d'avoir fait condamner un ami peut-être innocent.
 
Pourquoi je vous parle de cette série de meurtres, alors que vous ne vous sentez certainement pas concernés ? Parce que malheureusement, sans vous en douter, vous êtes autant impliqués que moi, même si trois d'entre vous n'ont rien à se reprocher et que le quatrième ignore peut-être sa participation... active aux horreurs dont il est question.
 
Revenons à votre chemise, mon cher ami. Je connais ce genre de tache, j'en ai vu souvent au cours de ma carrière et je ne peux pas me tromper : c’est une tache de sang. Quand vous dites que vous ne savez pas d'où elle provient, je vous crois sans hésitation. Je pense en effet que vous ignorez complètement dans quelles circonstances elle a été faite, et malheureusement le drame vient de là : vous ne savez rien alors que vous êtes le principal concerné.
 
Je vais essayer d'être clair. Ne m'avez-vous pas dit qu'en février, vous étiez allé chez votre cousin à Toulouse ? Oui ? Ensuite en avril, vous étiez à Lille où vous rendiez visite à votre oncle. Je ne me trompe pas ? En juin, vous avez séjourné dans la région de Perpignan et en août vous êtes revenu à Toulon. Je ne fais pas d'erreur ? Alors, étudions la chronologie des meurtres. L'affaire dont s'occupait mon collègue concernait un crime commis à Toulon en août. Jusque là, je n'avais rien à dire, nous sommes nombreux à habiter cette ville et nous ne sommes pas tous des assassins. Mais le précédent meurtre avait été découvert à... vous devinez où ? A Perpignan, en juin. Celui d'avant, à Lille, en avril. Et encore avant, à Toulouse, en février. Je ne me rappelle plus votre emploi du temps avant février mais je suis presque sûr que vous ne deviez pas être très éloigné des lieux où s'étaient produits les précédents crimes. En tout cas, ça fait au moins quatre meurtres qui se sont déroulés dans une ville où vous vous trouviez et quand vous vous y trouviez. Étonnant, non ?
 
En plus, vous nous montrez aujourd'hui une chemise qui a visiblement été tachée avec du sang, alors les doutes que je pouvais encore avoir concernant votre culpabilité s'amenuisent. D'où vient ce sang ? D'un nouveau meurtre ? J'espère que non. D'ailleurs, il me semble que depuis août vous n'avez pas quitté la ville et l'inspecteur Tougy ne m'a pas parlé d'un nouveau meurtre ici. Je pense donc que cette chemise a été tachée lors du dernier meurtre connu, celui du mois d'août.
 
Comme pour notre ami ici présent, qui pense bêtement que cette tache est due à une coulée de sauce, vous allez sans doute me dire qu'il est invraisemblable que cette chemise soit celle du meurtrier puisque la tache se trouve sur le dos, alors qu'elle devrait logiquement se situer sur le devant. Quand vous enfoncez violemment un objet perforant dans le corps d'une victime, le sang ne s'amuse pas à faire une parabole au dessus de votre tête pour retomber sur votre dos. Cependant, je suis sûr qu'en vous décrivant le lieu et les circonstances du crime, vous comprendrez pourquoi je ne suis pas surpris.
 
Je vous ai dit que les appartements des victimes sont presque semblables. En fait, ce sont tous des duplex. Les corps ont été découverts au niveau inférieur, là où la plupart des crimes ont eu lieu. Mais il y a un cas où le corps a été déplacé au niveau inférieur après que la mort est intervenue au niveau supérieur : c'est le dernier, celui de Toulon en août. Exceptionnellement pour ce cas précis, et nous en ignorons la raison, le meurtre n'a pas pu être commis à l'emplacement habituel. Le coupable, après avoir tué sa victime à l’étage supérieur, a été obligé, pour mettre en place la suite de son rituel, de transporter le cadavre dans l'escalier étroit et difficilement praticable qui mène à l’étage inférieur. A mon avis, le meilleur moyen pour le criminel de descendre le corps était de le porter sur son dos, et cela explique justement la position particulière de cette tache. 
 
Maintenant, il nous reste à savoir si vous avez commis un autre meurtre depuis août. L'inspecteur Tougy et moi-même avions remarqué que le criminel agissait systématiquement tous les deux mois. Or, nous sommes en octobre, deux mois après le dernier meurtre. Soit vous avez déjà exécuté votre crime d'octobre, soit vous comptiez le faire prochainement. Aviez-vous un voyage de prévu pour ce mois-ci ?


 
Le premier invité
 
Mais c'est horrible, ce que vous nous racontez là.
 
Le troisième invité
 
Effectivement. Et j’ai bien du mal à imaginer notre ami en assassin.
 
Le deuxième invité
 
Êtes-vous sûr de ce que vous nous dites ? N'auriez-vous pas fait une erreur sur les dates ou les lieux ? Il doit y avoir nécessairement une explication, le hasard organise parfois les choses si bizarrement.
 
Le quatrième invité
 
Je savais que notre ami était un peu hors norme, extravagant même, mais je ne le voyais pas en assassin. Quoique... finalement... Il n'y a qu'un pas entre la bizarrerie et la folie, et il est très facile de sauter de l'un à l'autre sans que personne ne puisse prévoir quand cela se produira.
 
Le deuxième invité
 
Et nous avions déjà eu occasion, rappelez-vous, de constater certaines preuves de folie dans son comportement. Mais ce n'était jusqu'à maintenant que de la folie douce. Dans ce cas, nous parlons de meurtres nombreux et horribles, et c'est une accusation bien plus grave.
 
Le troisième invité
 
Pour ma part, j'avais constaté chez lui une forte tendance à la paranoïa. Et, comme tout le monde le sait, la paranoïa conduit très souvent au crime. Mais de là à devenir un tueur en série, il y a une marge et je ne pensais pas qu'il la franchirait.
 
Le quatrième invité
 
Comment ces idées de meurtres lui sont-elles venues en tête ? Peut-être soupçonnait-il ses victimes d'être responsables de son désarroi ? Quand on est malheureux et qu'on voit tant de coupables potentiels autour de soi, on peut facilement commettre des crimes aussi horribles...
 
Le premier invité
 
C'est peut-être aussi sa tendance à la rêverie qui l'a poussé à une telle extrémité. A vouloir chercher trop loin la satisfaction de ses plaisirs, il a fini par atteindre un point critique où il n'était satisfait que par la douleur des autres. Enfin, je dis ça comme ça, mais je n'en sais rien.
 
Le troisième invité
 
Qu'allez-vous faire, maintenant que vous êtes sûr de sa culpabilité ? L'arrêter ? Attendre qu'il se dénonce lui-même ?
 
Le propriétaire de la chemise
 
Heu... excusez-moi de vous déranger mais pourrais-je parler un instant ? Je vois que vous avez naïvement écouté tout ce que vous disait cet individu que je croyais être un ami. Et vous semblez croire toutes ses sornettes, sans chercher à me demander mon avis. Pourtant, nous sommes amis depuis longtemps, j'aimerais que vous me fassiez confiance et que vous m'écoutiez moi aussi. Après tout, j'ai peut-être des choses intéressantes à dire, par exemple que je suis innocent et que notre ami est un blagueur qui ne sait pas que les plaisanteries les plus courtes sont les meilleures. Ou c'est un menteur qui essaie de vous tromper pour je ne sais quelle raison. Ou ce n'est qu'un vulgaire affabulateur qui tente de se faire passer pour ce qu'il n'est pas, une sorte de Hercule Poirot, alors que son niveau d'intelligence lui permet tout juste d'enquêter sur des affaires de vols de couches-culottes dans des supérettes de banlieue.
 
Oubliez tout ce qu'il vous a dit. Après tout, à l'origine, il ne s'agit que d'une chemise tachée et cet individu profite de cette circonstance pour nous faire part d'une affaire de meurtres abominables. Vous ne trouvez pas son attitude suspecte ? D'abord, est-il vraiment inspecteur comme il le prétend ? Personnellement, c'est la première fois que j'en entends parler et pourtant nous nous connaissons depuis deux ans. Ensuite il nous parle d'une douzaine de meurtres commis en deux ans. Or je ne me souviens pas le moins du monde avoir entendu parler de cette douzaine de meurtres. Et puis il nous dit qu'il a fait un dossier prouvant ma culpabilité, mais ce dossier mystérieux, il ne nous le montre pas, et d'ailleurs il nous avoue que personne ne l'a vu, même pas son soi-disant collègue. Ensuite, il prétend que cette tache est une tache de sang, mais à l'instant je vous ai demandé ce que vous en pensiez et j'ai bien écouté vos divers avis. Or, je constate que cela pourrait être n'importe quoi, y compris du jus de framboise ou un crachat de tuberculeux aviné.
 
Le cinquième invité
 
Mon cher, excusez-moi de vous avoir mis dans tous vos états pour une bagatelle comme celle-ci. Ce n'était qu'une plaisanterie. J'entendais tous nos amis dire des choses absurdes au sujet de cette tache et je me suis dit que, moi aussi, j'en étais capable. Je suis vraiment désolé que vous ayez pu croire que j'étais sérieux, j'ai pourtant fait des efforts pour dire les choses les plus ridicules qui soient et de la manière la plus bouffonne possible.
 
Le deuxième invité
 
Qu'avez-vous dit ? Il me semble vous avoir entendu nous accuser de tenir des propos absurdes ? Non seulement vous êtes un menteur, un raté, mais en plus vous êtes insolent.
 
Le cinquième invité
 
Je disais ça pour me faire pardonner par notre hôte, je n'avais pas l'intention de vous insulter...
 
Le premier invité
 
Mais vous l'avez fait quand même. Donc, si je récapitule : vous accusez notre hôte d'être un dangereux criminel et vous vous imaginez qu'il va vous pardonner, vous nous prenez pour des naïfs en nous racontant cette histoire abracadabrante comme si nous étions capables de croire n'importe quoi, et ensuite vous nous traitez d'imbéciles en prétendant que nous racontons des absurdités. Quoi d'autre ?
 
Le cinquième invité
 
Heu...
 
Le propriétaire de la chemise
 
Je crois que vous feriez bien de partir. Il serait même plus prudent qu'on ne vous revoie plus jamais ici.
 
Le troisième invité
 
Et si vous croisez notre chemin dans une rue, je vous conseille de changer de trottoir si vous ne voulez pas être jeté sous les roues d'une voiture.
 
Le quatrième invité
 
Et quand vous vous promenez, n'oubliez pas de jeter un petit coup d'œil derrière vous de temps en temps. L'un d'entre nous pourrait suivre votre conseil et devenir un tueur en série s'attaquant aux menteurs comme vous.
 
Le cinquième invité
 
Hé bien, je m'en vais, au revoir. J'espère que vous ne m'en voudrez pas trop longtemps et qu'on se reverra et qu'on rira de tout ça.
 
Le propriétaire de la chemise
 
N'y comptez pas. Allez-vous-en tout de suite, sinon je vous jette dans la rue comme un malpropre.


 
Le premier invité
 
Enfin, il est parti. J'ai eu chaud à un moment.
 
Le quatrième invité
 
Moi aussi. J'ai presque cru qu'il était sérieux.
 
Le deuxième invité
 
Effectivement, on aurait pu croire qu'il avait tout découvert. Heureusement, ce n'est qu'un petit imbécile prétentieux et sans envergure.
 
Le propriétaire de la chemise
 
C'est vrai mais n'oubliez pas que ce sont les imbéciles qui sont les plus dangereux.
 
Le troisième invité
 
En effet... J'ai bien failli, à un moment, lui poser des questions qui auraient été fort compromettantes pour nous.
 
Le premier invité
 
C'est vrai qu'avec ses absurdités, il est presque parvenu à nous faire dire des choses que nous n'aurions pas aimé qu'il sache.
 
Le propriétaire de la chemise
 
Je crains que, même en ne sachant rien, il soit dangereux pour nous. Trop dangereux...
 
Le premier invité
 
Il faudrait qu'on fasse quelque chose, nous risquons trop gros.
 
Le troisième invité
 
Mais... Jusqu'où peut-on aller ?
 
Le deuxième invité
 
Peut-être... Le grand jeu ?
 
Le propriétaire de la chemise
 
Oui, il est trop bête et ce sera bien fait pour lui. Je crois qu'un couteau « d'une marque bien connue » planté dans la poitrine ne lui ferait pas de mal.
 
Le premier invité
 
D'accord, c'est décidé. Qui s'en charge cette fois ?
 
Le troisième invité
 
Je suis volontaire, je n'ai rien fait depuis un an et je commence à me rouiller.
 
Le propriétaire de la chemise
 
N'oubliez pas que ce sera moins agréable qu'avec les petites brunes à lunettes... Mais si vous êtes volontaire, tant mieux.
 
Le troisième invité
 
Ça me changera de la routine. Je n'avais jamais tué un ami, ce sera une expérience intéressante. Je vous raconterai.
 
Le deuxième invité
 
Bon, tout est réglé. Nous avons quand même passé une bonne soirée ensemble. Chapeau ! Cette idée de chemise tachée était un peu risquée mais tout de même géniale. Décidément vous avez toujours des distractions passionnantes à nous proposer.
 
Le propriétaire de la chemise
 
Vous me faites rougir de plaisir. J'aime distraire mes amis.
 
Le premier invité
 
C'est vrai, la chemise et cet imbécile nous ont bien divertis. A bientôt, mon ami.
 
Le troisième invité
 
A propos, j'y pense... Vous ne trouvez pas curieux qu'il nous ait parlé de ces petites brunes à lunettes assassinées ? Pourquoi nous a-t-il parlé d'elles alors que, pour le commun des mortels, elles ne devraient avoir aucun rapport avec la chemise ?
 
Le propriétaire de la chemise
 
A y bien réfléchir, vous avez raison. Je ne crois pas que l'un d'entre nous ait eu l'imprudence de lui parler de notre goût immodéré pour les petites brunes à lunettes avec un couteau planté dans la poitrine.
 
Le deuxième invité
 
Heu... Au fait, quelqu'un connaît sa profession ?
 
Le propriétaire de la chemise
 
Non, je sais seulement qu'il est fonctionnaire mais j'ignore ce qu'il fait exactement.
 
Le troisième invité
 
Mais alors... Ne serait-il pas policier ? Après tout, il n'y a que la police qui ait accès à tous les dossiers criminels. Et donc seul un policier a pu faire le rapprochement entre tous ces meurtres...
 
Le premier invité
 
Mon dieu... j'ai bien peur que vous ayez raison.
 
Le deuxième invité
 
Et s'il est réellement inspecteur, ce soir, nous lui avons offert une preuve de notre culpabilité sur un plateau en lui montrant cette chemise.
 
Le quatrième invité
 
Aïe, c'est vrai, et il n'a plus qu'à venir nous cueillir.
 
Le propriétaire de la chemise
 
Mon cher ami, nous pensions qu'il fallait se débarrasser de lui à l'occasion, sans précipitation, mais je crois finalement qu'il y a une urgence. Je suis désolé de vous presser mais vous devez agir dès ce soir, tout de suite même, avant qu'il ait le temps de réagir et de comprendre que nous savons qu'il sait.
 
Le troisième invité
 
Oui, j'y vais de ce pas, mais je crains que ce soit fait un peu à la va-vite, je n'ai pas le temps de tout fignoler comme nous avons l'habitude de le faire.
 
Le propriétaire de la chemise
 
Ça ne fait rien, faites pour le mieux, nous n'avons pas le choix. Allez-y tout de suite et bonne chance. Nous comptons sur vous.
 
Le troisième invité
 
J'y vais, à bientôt.
 
Le premier invité
 
Je me sauve aussi. A bientôt.
 
Le deuxième invité
 
Je pars avec vous. A bientôt, mes amis.
 
Le quatrième invité
 
Attendez-moi, je vous suis. Au revoir, cher ami.
 
Le propriétaire de la chemise
 
Au revoir, mes amis. A bientôt.
 
 


Le 23 octobre 2005.

Fabrice Guyot.