- Haaaaa raaaaa.
- Bonjour. Ça vous dérange si je vous parle pendant que
vous courez ?
- Haaaaa raaaaa.
- Bien, je comprends que ça ne vous dérange pas. Si je
vous ennuie, il faut me le dire.
- Haaaaa raaaaa.
- Vous avez l’air fatigué. Combien vous faites de
kilomètres en courant ?
- Haaaaa raaaaa.
- Moi, je n’ai pas la force d’en faire autant que vous. Un ou deux
kilomètres, mais pas plus.
- Haaaaa raaaaa.
- Je me demande toujours pourquoi les gens courent autant... Pour
garder la forme ? Pour la ligne ?
- Haaaaa raaaaa.
- Et vous, pourquoi vous courez ?
- Haaaaa raaaaa.
- Excusez-moi, c’est peut-être indiscret de vous poser cette
question...
- Haaaaa raaaaa.
- Après tout, je ne vous connais pas, je ne sais rien de vos
problèmes personnels...
- Haaaaa raaaaa.
- Vous avez peut-être une femme que vous souhaitez fuir pendant
quelques heures et, dans ce cas, la course est un bon prétexte.
- Haaaaa raaaaa.
- Moi, je ne cours pas beaucoup, mais je n’ai personne à fuir.
Je n’ai pas d’épouse.
- Haaaaa raaaaa.
- Vous avez vraiment l’air fatigué. Vous ne voulez pas vous
arrêter pour vous reposer ? Ça vous ferait du bien.
- Haaaaa raaaaa.
- C’est bizarre de tellement souffrir pour rester en forme. Vous ne
trouvez pas ? Une petite marche de cinq minutes pour aller au bureau de
tabac, ça devrait suffire.
- Haaaaa raaaaa.
- J’espère que vous avez une voiture qui vous attend à la
fin de votre parcours.
- Haaaaa raaaaa.
- Moi, je n’ai pas de voiture, je n’en ai pas besoin. Je cours un peu
et, quand je suis fatigué, je fais demi-tour.
- Haaaaa raaaaa.
- Et puis, je n’hésite pas à m’arrêter de temps en
temps quand je rencontre quelqu’un d’intéressant.
- Haaaaa raaaaa.
- Heu... j’espère que je ne vais pas vous choquer mais ce sont
surtout les « quelqu’un » du genre féminin
qui m’intéressent.
- Haaaaa raaaaa.
- Heu... j’ai l’impression que je vous ai choqué. Après
tout, je ne suis qu’un mâle normal.
- Haaaaa raaaaa.
- Vous êtes étonné que je vous adresse la parole
alors que vous êtes aussi un mâle ?
- Haaaaa raaaaa.
- Non, il n’y a pas de quoi être surpris. Je ne pense pas qu’au
sexe. Se créer de nouveaux amis, c’est aussi important.
- Haaaaa raaaaa.
- Et vous, vous avez l’air sympa. Alors, quand je vous ai vu, je me
suis dit : celui-là, ce serait bien de m’en faire un copain.
- Haaaaa raaaaa.
- C’est vrai que vous n’êtes pas très causant. Mais ce
n’est pas grave. Entre copains, on peut se comprendre sans avoir besoin
de se parler.
- Haaaaa raaaaa.
- Vous êtes... heu... on peut peut-être se tutoyer
maintenant ? J’ai l’impression qu’on se connaît depuis
très longtemps...
- Haaaaa raaaaa.
- Tu es sûr que tu ne veux pas te reposer un peu ? Tu as vraiment
l’air au bout du rouleau.
- Haaaaa raaaaa.
- Une petite pause, ça fait toujours du bien, tu n’es pas
d’accord ?
- Haaaaa raaaaa.
- Là, j’ai comme l’impression que tu vas de plus en plus mal. Tu
es sûr que c’est pour ta santé que tu cours comme
ça ?
- Haaaaa raaaaa.
- Parce que, là, je te vois mal parti...
- Haaaaa raaaaa.
- Très mal parti...
- Haaaaa raaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaa.
- Hé ! Ho ! Mon pote, relève-toi. Je t’avais bien dit que
ça se terminerait mal, mais tu n’as pas voulu m’écouter.
Jamais personne ne m’écoute, moi. Allez ! Debout ! Respire un
bon coup et ça ira mieux. Hé ! Debout ! Respire ! Merde !
Il ne respire plus. Bah mince alors ! Il a l’air mort. Bah ouais, il
respire plus et à l’odeur, pas de doute, il est mort. La vie est
cruelle quand même ! Je venais juste de me faire un nouveau pote,
et voilà que je le perds un quart d’heure après qu’on a
fait connaissance. Enfin, tant pis, je ne vais pas gémir comme
le font mes congénères. Je vais chercher un autre copain
plus solide. Tiens, celui-là, là-bas, il a l’air costaud
et il court plus calmement. Il ne semble pas commode mais,
malgré tout, je crois qu’il me plaît bien.
- Ouf ouf.
- Bonjour. Ça vous dérange si je vous parle pendant que
vous courez ?
- Ouf ouf.
- Bien, je comprends que ça ne vous dérange pas.
- Ouf ouf. Barre-toi, sale clebs.
- Si je vous ennuie, il faut me le dire.
- Ouf ouf. Je t’ai dit de te barrer, connard de cabot. Faut que je te
le dise à coup de pied au cul ?
- Ouah ouah. Quel malpoli ! Il m’a donné un coup de pied. Ouah
Ouah. Je pourrais lui donner un bon coup de dent mais, quand on mord
les humains, ça fait toujours plein d’histoires. Ouah ouah.
Puisque c’est comme ça, je vais me chercher une chienne. Ouah
ouah. Au moins, si elle m’embête, je pourrais la mordre. Ouah
ouah.
Le
20 août 2006.
Fabrice Guyot.