Ouvrez l’oeil.


 
Ô innocent lecteur, toi qui t'apprêtes à lire ce texte en ne pensant y trouver qu'un bref divertissement sans conséquence. Toi qui espères satisfaire une passagère et saine curiosité à mon encontre pour ensuite m'oublier dès que le mot « FIN » t’invitera à m’abandonner. Toi qui, je n'en doute pas, aimes savourer les joies de la lecture et le doux plaisir de la découverte, ô gentil lecteur, je dois t'alerter du danger qui t'attend si tu te laisses entraîner dans le traître sillage de ma modeste prose. Ne crois pas que ce sera un doux chuchotement que tu vas entendre, ne pense pas que je vais bercer ton âme assoiffée de beauté, n’imagine pas que je vais combler ton besoin d'imaginaire. Mon but, je dois te l'avouer, n'est pas de t'apporter du plaisir et de la joie, je n'ai pas l'intention de t'emporter dans les douces sphères de la poésie, dans les gracieuses circonvolutions de la fiction. Ô charmant lecteur, crois-moi quand je t'avoue que tu as tout à perdre en me lisant, et rien à y gagner. Je vais t'offrir de la tristesse et de la mélancolie, de la détresse et des pleurs, ce sont les seuls compagnons qui me restent fidèles et je n’ai rien d’autre à te proposer. Te sens-tu, malgré tout, le courage de m'écouter ?

L'histoire que je vais te conter est horrible et je pense qu'elle va te faire frémir. Elle est si abominable qu'elle va te glacer d'horreur, si effroyable qu'elle va te figer le sang dans les veines et te faire dresser les cheveux sur la tête. Je vois d'ici les frissons qui vont parcourir ta peau et hérisser tes poils, je vois ton visage pâlir et se décomposer sous l'effet d'une frayeur inimaginable, je vois ton corps trembler et tes jambes molles s'affaisser, je te vois gisant sur le sol, évanoui et presque mort de terreur. Ne me soupçonne pas de te mentir dans le but de t'inciter à continuer cette lecture, je n’essaie pas de grossir un événement banal afin que tu t'apitoies sur mon sort peu enviable. Cette histoire est absolument vraie, elle m'est arrivée il y a quelques mois et, depuis ce temps, je ne suis pas parvenu à l'oublier. Je crains d'ailleurs de ne jamais pouvoir l'oublier. Mon esprit, chaque jour, tente en vain d'échapper à ce terrible cauchemar, je sens mon être tressaillir dès que je me remémore les faits qui ont marqué la fin de mon innocence. Le souvenir de cette terrible journée me poursuivra toujours et partout, jusqu'à ma mort, et peut-être au-delà. Parfois la nuit je me réveille en sursaut, le corps parcouru par la chair de poule, dégoulinant de sueur et tremblant comme si j'avais la fièvre ; alors je tente de fuir le cauchemar en me redressant sur l'oreiller et en essayant de rester éveillé. Malheureusement, quoique je fasse, la fatigue finit toujours par me terrasser, je ferme les yeux, et dès que le sommeil m'emporte, invariablement le cauchemar revient et je revis ce jour maudit, lorsque mon âme a été précipitée dans un monde terrifiant d’où toute évasion est impossible.

Ô lecteur, excuse ce long préambule mais je souhaitais t'avertir dès maintenant afin que tu ne me reproches pas les séquelles que pourrait te laisser la lecture de ce compte rendu. Je le répète car je veux être sûr que tu m'as bien compris : les conséquences pour ta santé physique et mentale peuvent être incommensurables et irrémédiables. Les âmes sensibles, et peut-être aussi celles qui se croient à tort suffisamment fortes pour supporter les plus terribles chocs émotionnels, doivent absolument s'abstenir de lire ce qui va suivre.

Voilà ! Tu as été prévenu et je dégage désormais toutes responsabilités morales ou financières en cas de malheur. Tu es vraiment sûr de vouloir continuer ? Absolument sûr de vouloir tout savoir sur ce qui m'est arrivé, quel qu'en soit le contrecoup pour ta vie ? Tu es prêt ? Alors... je commence.

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Ce jour-là - c'était au mois de janvier - je me suis levé à l'heure habituelle. Je pensais que ce serait une journée ordinaire, du genre « métro-boulot-dodo ». En tout cas aucun signe particulier n'annonçait qu'elle serait ni meilleure ni pire que d'habitude. J'ai pris une douche, je me suis rasé, je me suis habillé, j'ai bu mon bol de café brûlant. C'était un début de journée banal et, si le destin l’avait voulu, la journée entière aurait dû être tout aussi banale.

Je suis parti au travail, résigné à me plier à la routine assommante du quotidien. La matinée m'a semblé s'écouler normalement, j'étais absorbé par un travail ennuyeux mais pas désagréable. C'était une journée comparable aux milliers d'autres journées qui l'avait précédée et aux milliers d'autres qui allaient suivre.

A un moment, je ne sais pas exactement quand, peut-être déjà dans la matinée mais plus sûrement dans l'après-midi, j'ai remarqué vaguement, sans y prêter vraiment attention car j'étais concentré sur mon travail, j'ai remarqué à un moment, dis-je, que les gens me regardaient bizarrement. Leurs regards étaient insistants, pas méchants mais pesants, presque indiscrets. Habituellement, quand je me déplace dans les couloirs ou dans les bureaux, je n'ai droit qu'à des coups d'œil rapides et indifférents, jamais personne ne me regarde aussi longuement sauf pour me demander des renseignements et quérir mes conseils. Mais ce jour-là, je voyais des visages suivre mon déplacement, je rencontrais de multiples yeux qui me fixaient obstinément avant de se détourner rapidement dès que je me tournais vers eux. J’aurais aimé interroger ces gens sur la raison de cette curiosité nouvelle à mon égard mais quand je m’apprêtais à leur en parler, ils semblaient devenir sourds et je me retrouvais devant un mur de regards fuyants et de fronts baissés. Face à cette soudaine marque d’intérêt, je me sentis gêné et ma démarche devint gauche. Bien sûr, je n'ai pas la prétention de croire et de te faire croire, mon cher lecteur, que tout le monde me découvrait tout à coup ce jour-là. En fait, il n'y avait qu'un nombre très limité de personnes qui me fixait bizarrement mais j’étais si retourné par cette attitude que j’avais l’impression que l’univers entier avait pris conscience de mon existence et se penchait sur moi. Je ne prétends pas non plus que ces regards étaient admiratifs ou envieux, en fait ce n'était que des coups d'œil de curiosité, inquisiteurs, un peu sournois, pas vraiment malveillants mais malsains.

Tout en feignant de ne rien remarquer, je dois avouer que j'étais un peu perturbé. Au début, je ne m'en suis pas trop inquiété, j'ai pensé que quelque chose clochait sur mon visage, peut-être un bouton qui avait émergé brutalement et qui formait une repoussante protubérance rouge ou jaune sur le bout de mon nez ou sur le gras de ma joue, ou une mèche de cheveux folâtres qui s'était détachée et qui faisait une sculpture bizarre sur le haut de mon crâne dégarni. Peut-être aussi ma nervosité ou mon anxiété suintait par les pores de ma peau, ce qui donnait naissance à des odeurs corporelles qui incommodaient les nez les plus sensibles. Ou mes chaussures jamais cirées, ma chemise fripée, mes ongles peu soignés, mes oreilles encrassées, toutes ces négligences qui m'étaient pourtant habituelles, m'attiraient les regards de gens très à cheval en matière de normes d'hygiène et de tenues vestimentaires. Mais pourquoi ce jour-là ? Je n'avais pas changé en une journée, la veille j'étais le même, aussi négligé, aussi laid, aussi triste et dépressif.

Dans le courant de l'après-midi, les curieux sont devenus de plus en plus nombreux et leur acharnement ne se démentait pas. Je ressentais une impression très forte d’oppression face à ce harcèlement continuel. Je crois même qu'ils s'enhardissaient, les plus malpolis osant me regarder franchement, droit dans les yeux, en relevant le coin des lèvres de façon méprisante et irrespectueuse. Ils ne détournaient plus le regard quand je passais devant eux et que je les fixais hardiment pour leur faire comprendre qu’ils n’étaient que des sots, que j'avais bien remarqué leur manège et qu'ils ne m'impressionnaient pas. Mais je n’étais pas si sûr de moi quand je les voyais murmurer entre eux comme des comploteurs, quand je les voyais hocher la tête et se lancer des clins d'œil de connivence, quand je les voyais ricaner en me montrant impoliment du doigt. J'avais l'impression d'être redevenu l’adolescent que j’avais été, lorsque j'étais le souffre-douleur et que l’on m’accueillait à l'école, dans le meilleur des cas, par des insultes et des grimaces, ou les jours de malchance, par des coups et des brimades. Mais je n’étais plus un enfant et ces gens du bureau, qui avaient quitté l’enfance depuis longtemps, auraient dû, en toute logique, se comporter en adultes sérieux et responsables. Mais ce n’était pas le cas ce jour-là, ils semblaient s’être métamorphosés, pour une raison que j’ignorais, en gosses cruels capturant un insecte afin de lui brûler pour rire les antennes, puis, comme si cela ne leur suffisait pas, ils lui arrachaient les pattes, une à une, lentement, en le regardant se tordre de douleur et agoniser.

J’étais leur insecte et ils se délectaient de mon angoisse, ils jouissaient ostensiblement de ma détresse. Désormais, il n'y avait plus trace de curiosité ou d’intérêt dans leur attitude. C'était, j’en suis sûr, de la haine qu’ils éprouvaient à mon égard et je sentais cette haine rôder autour de moi, croître et m’envelopper au point de m’étouffer. Mais que leur avais-je donc fait ? Je ne comprenais pas pourquoi ils m'en voulaient autant, ni pourquoi cette haine s'exprimait seulement ce jour alors que je n'étais pas différent des autres jours, alors que je me comportais comme d'habitude, alors que je ne m'étais querellé avec personne. Pourquoi cette haine ? Pourquoi me haïr moi ?

Je suis allé dans les toilettes me regarder dans le miroir mais je n'ai rien vu d'extraordinaire, en tout cas rien qui puisse justifier la méchanceté de gens qui auraient dû consacrer plus de temps à leur travail et moins de temps à me torturer. Le miroir au-dessus du lavabo m'a renvoyé mon image habituelle : j'étais le même individu ordinaire, sans intérêt mais pas plus repoussant que n'importe qui, le crâne grisonnant et un peu chauve, peu soigné à tout point de vue, l'air éternellement las. En surveillant la porte pour éviter qu'on ne me trouve dans une posture ridicule, ce qui n’aurait pas manqué de détériorer encore plus ma réputation, je me suis reniflé sous les aisselles à la recherche de l’odeur qui aurait pu offusquer l’odorat de certains mais je n'ai pas constaté qu'elle était plus forte ou plus désagréable que d'habitude. J’ai ouvert ma braguette pour découvrir d’éventuelles émanations malsaines, mais je n’ai rien senti de particulier. J'ai scruté mon visage, il n'était pas plus rouge que la veille ou l'avant-veille, je n'avais pas plus de boutons disgracieux, pas plus de taches brunes, pas plus de rides.

Bref, ce fut une journée épouvantable, cauchemardesque, et elle m'a marqué de manière indélébile. Même en l'absence de l'évènement qui allait suivre, cette journée aurait été la pire de ma vie. Je me demandais en voyant ces regards de mépris posés sur moi, comment je pourrai désormais me comporter face à ces gens, autrefois si courtois, si gentils, et maintenant si haineux. Ils m'ont humilié cruellement pendant toute une journée et jamais je ne pourrai tirer un trait sur cette façon d’agir indigne et scélérate. Peut-on oublier une telle ignominie ? Je ne pense pas, il ne peut qu'en rester des cicatrices profondes et éternelles. Je ne savais pas encore que l’exécrable moment que j’étais en train de vivre était en fait bien plus horrible que je ne le pensais. Je croyais naïvement passer une journée pénible mais j'ignorais qu'en fait je vivais le pire cauchemar qu'un homme puisse supporter.

La journée de travail s'est enfin achevée et je suis rentré chez moi, encore très perturbé par l’ambiance hostile à laquelle je n'avais rien compris. J'ai retiré mon veston et c'est à cet instant que j'ai découvert l'horreur absolue. Je ne sais pas si je vais pouvoir continuer à écrire car j'ai peur de t'effrayer au-delà de toute mesure, mon cher lecteur, et moi-même je ne suis pas sûr de pouvoir supporter l'épreuve de me remémorer les faits et de les relater exhaustivement. Malheureusement, je m'en rends compte seulement maintenant, alors qu'il est trop tard, j'ai eu l'idiotie de commencer ce récit et je ne peux pas l'interrompre en cours de route en te laissant, ô exigeant lecteur, deviner la suite. Je suis condamné à me rappeler tout, à tout écrire, sans omettre aucun détail, même les plus odieux et les plus inavouables. Et toi, mon infortuné lecteur, tu es condamné à me lire jusqu’au bout, au risque d’y perdre le bonheur et la raison. Cependant, je vais essayer, pour ne pas te choquer outre mesure, ô mon délicat lecteur, d'écrire en choisissant les mots avec les plus grandes précautions. Et excuse-moi si je n'ai ni le doigté ni l'intelligence ni la maîtrise de la langue des grands génies.

Après avoir retiré machinalement mon veston, j'ai vu, comment dirai-je, j'ai vu une tache qui en salissait le col. Je ne suis pas particulièrement soigneux avec mes vêtements, je l'ai déjà dit, et je dois avouer que ce n'était pas la première fois que je voyais des cochonneries souiller une veste ou un pantalon ou un manteau. Mais cette tache était bizarre : non seulement elle était de grande dimension mais en plus elle avait une forme et une texture particulière. J'ai rapproché le veston de mes yeux de myope et l'abominable chose maculant mon veston m'a sauté au nez. Sans me vanter, j'estime être un individu courageux, parfois téméraire, je ne suis pas une mauviette prête à défaillir à la moindre contrariété. Mais là, je n'ai pas pu supporter le choc. Horreur ! L'horreur, il n'y a pas d'autre terme. J'avais sous mes yeux, à quelques millimètres de mon nez, la chose la plus abominable qu'un homme puisse voir ou côtoyer. Je ne sais pas comment m'exprimer, la violence de ce souvenir m'empêche de trouver les mots et j'ai peur de te choquer, mon gentil lecteur, en te parlant trop crûment. Mais il faut que je le dise, et tant pis s'il n'y a qu'un mot possible et que ce mot est brutal. Une crotte ! Oui, tu as bien lu, mon cher lecteur : une crotte. J'avais une crotte sur le col de ma veste. J'avais passé toute une journée, sans le savoir, sans me douter de la dangerosité de la situation, à quelques centimètres d'une crotte. Cette crotte, je l'avais peut-être même touchée par inadvertance, je l'avais certainement reniflée sans y prendre garde, j'avais déjeuné avec elle, je l'avais trimballée avec moi dans les lieux les plus intimes et tout le monde avait vu la crotte parasite, sauf moi. Je devrais même dire que tout le monde nous avait vus, moi et ma crotte, ensemble, presque joue contre joue, presque lèvres contre lèvres, pendant toute une journée. Peste ! Une crotte. Un pigeon m’avait crotté mon veston, sans rien me dire, sans me demander mon avis. Et tout à coup, le soir, bien après la fin du combat, je comprenais le comportement méprisant de mes collègues tout au long de cette journée atroce.

J'ai vécu une journée de cauchemar et depuis ce moment, ma vie entière est devenue un cauchemar permanent. Je ne pourrai jamais oublier cette crotte. Elle m'a nargué tout un jour, elle m'a pris par surprise, en se collant sur mon col, dans mon dos, à un emplacement où elle était assurée d’être vue par tous sauf par moi. Elle m'a bien eu, cette crotte issue de l'enfer, elle a dû se moquer de moi, se gausser de ma stupidité, rire de mon embarras face aux regards malveillants. En plus, cette rusée crotte a eu l'intelligence de négocier des alliances avec les gens les plus méchants, et ils se sont tous traîtreusement ligués contre moi, et ils ont ri de bon cœur de la plaisanterie infâme dont j'étais la victime.

Maintenant ils doivent tous être en train de parler de moi. « Ha, mais qu'il est bête ! Et il n'a rien vu ! Il ne comprend jamais rien ! C'est vraiment un triste imbécile, mais qu'est-ce qu'il nous fait rire ! S’il n’existait pas, il faudrait l'inventer ». Je les entends s'esclaffer à mes dépens, et leurs rires m'emplissent la tête, me bourdonnent aux oreilles, et je ne peux me concentrer sur rien d'autre, je ne pense qu'à ces rires qui me rabaissent à l'état de bête de cirque. Toute ma vie je les entendrai ces rires, ils ne me laisseront jamais en paix, et le plus difficile à imaginer, le plus insupportable, c’est qu’il n'y a pas de solution pour leur échapper. Quoique... si... peut-être que je connais une solution. Une solution radicale, définitive pour ne plus rien entendre, pour qu'on ne se moque plus jamais de moi, pour qu'on m'oublie pour toujours. J'ai tout ce qu'il faut pour ça, mais je ne sais pas si j'en aurai le courage

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Ô lecteur, puisque je t'ai tout confessé, sans chercher à te dissimuler quoi que ce soit, je peux maintenant te considérer comme un ami fidèle, comme un intime, et je peux me permettre de te donner un conseil. Si tu ne veux pas te retrouver dans le même état lamentable que moi, si tu ne veux pas te transformer en épave, en zombie, si tu ne veux pas devenir une loque juste bonne à jeter à la poubelle, écoute-moi, ô crédule lecteur, écoute-moi et retiens bien ma leçon : si on  te regarde de manière inhabituelle, ne t’imagine pas être devenu soudainement beau et intelligent, ne te prends pas pour un individu rare dont les talents sont universellement enviés, dont la compagnie est sans cesse sollicitée. Non, ce n’est certainement pas pour çà qu'on te dévisage… Regarde plutôt ton veston… Une surprise t'attend peut-être au détour d'un col.

Le coupable
Un pigeon effronté
Photo : MT (c) 2005


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Pour moi, il est malheureusement trop tard. Je suis allongé sur le sol, dans mon appartement exigu, et je regarde le plafond uniformément blanc. Je reste immobile, dans le coin le plus sombre, et je ne respire plus, ou presque plus. Il ne faut pas que les autres me remarquent, qu’ils m’entendent. J’essaye de ne plus penser, je ne veux pas qu’on lise mes pensées, ils se moqueraient de ma peur. Rien ni personne ne me fera sortir de ma torpeur. Je ne bouge pas, je ne veux plus bouger. Je contrôle maintenant suffisamment mon corps pour ne plus trembler, ne plus tressaillir quand des bruits extérieurs viennent troubler le silence. Ma tête, mon torse, mes bras, même le bout de mes doigts, sont paralysés par ma volonté d’inaction. Je ne dois pas attirer l’attention des autres, de mes ennemis, je ne suis pas là, je ne suis plus là, je suis parti, loin, très loin, et je ne reviendrai plus, plus jamais. Je maîtrise assez mon corps pour disparaître comme je l’entends, pour être invisible, inexistant, et je suis fier de moi. On peut sonner à ma porte, me téléphoner, me laisser des messages sur mon répondeur, m’envoyer la police ou les pompiers, tenter de défoncer ma porte, je ne bougerai pas, je ne bougerai plus jamais. Les portes, les fenêtres sont hermétiquement closes. Les volets et les rideaux sont fermés. J’ai peur de toutes ces ouvertures qui me laissent sans défense face au monde extérieur et à sa méchanceté. Je voudrais bâtir un mur de ciment pour fermer totalement ces accès béants et dangereux, pour m’isoler complètement du monde des autres, pour toujours. Quelqu’un, ou quelque chose peut-être, veut me voir, veut entrer dans mon appartement pour me toucher ou me blesser, veut pénétrer dans ma tête pour extraire ou manipuler mes pensées, pour me faire du mal, et me salir, et me détruire. Et je ne veux plus qu’on me fasse du mal, je veux qu’on me laisse tranquille, seul avec moi-même. Seul pour toujours.
 


Le 22 mai 2005.

Fabrice Guyot.