Le 20 avril : 70 kg.
Je vais mourir…
Je sais que ça n’a rien de surprenant. Tout le monde meurt... un
jour. Mais moi, je sais quand, comment et où je vais mourir. Les
autres - les chanceux ? - l’ignorent. Ça peut leur arriver
n’importe quand, n’importe où. Ils sortent de chez eux, tout
guillerets, sifflotant le dernier tube à la mode, ils vont
acheter du pain ou promener le chien, une voiture croise leur route,
et... c’est fini. Ou, croyant être en parfaite santé
physique, ils ressentent soudain une douleur inhabituelle dans la
poitrine et, quelques minutes plus tard, ils sont allongés sur
le sol avec un semblant de vie qui agite pendant un instant leur
cerveau, et puis plus rien... le néant. Moi, je n’aurai pas la
chance de mourir d’une manière aussi abrupte, en ignorant
l’échéance fatale cinq secondes avant. Ma mort est
programmée et j’en connais la date à quelques jours
près. Quels que soient les efforts que je fasse, je ne pourrais
gagner qu’un sursis de quelques jours, ou de quelques semaines, presque
rien.
Bizarrement, j’ai l’impression que cette mort, qui devrait pourtant me
sembler terriblement proche, est très lointaine. Les derniers
mois, les derniers jours vont être interminables. Je pourrais
profiter de ces derniers jours pour faire tout ce que je n’ai jamais
osé faire. Je pourrais cambrioler une banque, traverser la
Manche à la nage, gravir l’Everest, aider des villageois
africains à creuser des puits, chercher une mine d’or en Alaska.
Pourquoi ne pas risquer ma vie ? Devenir un héros ? Après
tout, si je devenais un aventurier, la seule chose que je pourrais
perdre c’est la vie, c’est-à-dire pas grand-chose puisque, en
tirant le mauvais numéro, je l’ai déjà perdue.
Mais je n’ai pas envie de faire quoi que ce soit. Je souhaite seulement
que tout s’arrête le plus vite possible. Pourquoi est-ce si long
de mourir ?
Je suis allé consulter le médecin, il y a deux semaines.
Pour une visite de routine. J’étais à peu près en
bonne santé, à part quelques kilos perdus en six mois,
une fatigue persistante, un moral souvent au plus bas. Mais je me
sentais raisonnablement bien. Le médecin me prescrivit quelques
analyses supplémentaires mais son diagnostic était
optimiste, il n’y avait apparemment rien de grave ; peut-être un
manque de vitamines (« Vous n’avez pas une alimentation
suffisamment équilibrée. Consommez des légumes,
des fruits, et vous vous porterez beaucoup mieux »). Un peu
de surmenage et quelques excès aussi (« Mais ne vous
inquiétez pas, c’est la vie moderne, on est toujours en train de
courir derrière quelque chose »). Quant aux kilos
perdus, ça arrive même aux gens bien portants
(« Après tout, ça ne vous fait pas de mal, ces
kilos étaient certainement en trop, et vous avez de la
chance de les avoir éliminés sans effort »).
Les idées noires étaient également normales selon
lui, surtout avant les grandes vacances (« Vous partez
bientôt en vacances ? Oui ? Pendant trois semaines ? Tant mieux.
Rien de tel pour retrouver la santé et le moral »).
Hier, j’ai apporté mes analyses à un spécialiste,
et c’est lui qui m’a appris la nouvelle. Je pourrais dire la triste
nouvelle mais ça ne correspondrait pas exactement à mon
impression. En fait, je ne suis pas triste. Je ne suis pas plus
déprimé qu’avant. Je suis simplement un peu...
pressé. Résigné et impatient. Encore quelques mois
à vivre. De nombreux mois à attendre. Les plus longs mois
de ma vie. Et ils vont être occupés à une seule
chose : attendre. Attendre la mort...
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Le 20 mai : 65 kg.
J’ignore pourquoi je suis retourné voir aujourd’hui mon
spécialiste ès maladies incurables. Pour être
rassuré, peut-être. Je n’ai pas peur de la mort, pas
vraiment, en tout cas pas toujours - parfois je l’attends même
avec impatience - mais j’ai peur de souffrir. Malheureusement, j’ai
constaté que ce brave homme ne pouvait plus rien faire pour moi,
il n’avait plus rien à me dire. J’aurais dû m’en douter.
Malgré son expérience dans ce domaine, il ne peut pas
savoir ce qui se passe dans ma tête. Et moi, je ne peux pas le
lui dire. C’est trop compliqué. Je passe par des moments
d’euphorie et de dépression, de résignation et de refus.
Quelquefois, j’ai le désir de me battre contre cette sale
maladie qui me dévore les entrailles et qui va me
détruire. Et à d’autres moments, je ne souhaite plus
faire d’effort, je me laisse aller, et stoïque comme si ça
ne me concernait pas, j’attends la mort. Alors, qu’est-ce que ce
médecin pourrait me dire pour me réconforter ?
« Prenez vos médicaments » ?
« Couchez-vous de bonne heure et reposez-vous le plus
possible, ainsi vous mourrez en bonne santé » ?
« Mourez en paix, mon frère... » ? Qui
sait ce qu’il faut dire à un mourant pour le soulager ?
Moi-même, je ne le sais pas. Peut-être parce qu’il n’y a
rien à dire. Rien ne peut me soulager.
Si, au moins, il me proposait d’abréger mes souffrances... Mais
c’est interdit par la loi. Comme c’est un médecin honnête
et respectueux des lois, il souhaite me maintenir en vie le plus
longtemps possible. Je ne peux pas lui en vouloir. Après tout,
le boulot d’un médecin consiste à guérir ses
patients, et quand il en est incapable, il doit se contenter de
prolonger leurs vies, quitte à prolonger leurs souffrances en
même temps. Et plus longtemps je vivrai, plus son action sera
efficace, et plus il sera considéré comme un bon
médecin. S’il m’aidait à mourir, ce serait un assassin,
il pourrait être condamné, sa carrière serait
brisée. Alors pourquoi prendrait-il ce risque pour moi ? Faute
de mieux, il me soigne avec les moyens dont il dispose. Il me
recommande une bonne hygiène de vie. Il me prescrit des
médicaments, et il veut que je les prenne
régulièrement. Mais je ne veux pas suivre ses conseils.
Je refuse de prendre ses médicaments. Les boîtes sont
là, en rang sur la table, et je les regarde. Je ne les ai pas
ouvertes. Je ne connais ni la couleur, ni la forme, ni le goût
des comprimés. Je n’ai même pas eu la curiosité de
lire les notices comme je l’aurais fait, il y a encore un mois. Un
jour, peut-être, si je m’ennuie, je sortirai les comprimés
de leurs flacons, et je les classerai par couleur ou par taille. Il
n’est pas impossible aussi que j’en goûte un ou deux, pour
découvrir leurs saveurs, ce seront en quelque sorte les derniers
comprimés du condamné. Mais je ne crois pas que j’en
aurai envie.
Le médecin veut que je l’appelle si je constate une
évolution du mal, pour adapter le traitement, pour me faire
admettre éventuellement dans un hôpital, dans une
unité de soins spécialisés. Un mouroir. Pour
être isolé avec les autres malades en « phase
terminale ». Je n’ai pas refusé franchement mais je
sais que je ne l’appellerai pas. Je ne veux pas de ces traitements qui
pourraient retarder artificiellement la fin. Et je ne veux pas qu’on
m’aide à mourir en me tenant la main et en me disant que tout va
bien. Je veux mourir seul, sans personne près de moi. Seul. Je
ne veux pas de témoin larmoyant. Pas d’âme charitable pour
me consoler, pour me soulager. Je ne veux pas entendre leurs paroles
idiotes sensées me faciliter le passage vers le néant :
« Ce n’est pas bien grave, c’est simplement un mauvais
moment à passer ». « Mais non, tu ne vas
pas mourir. Quelle idée ! Avec la médecine moderne, on ne
meurt plus de cette maladie ». « Quand tu seras
de l’autre côté, c’est toi qui seras le plus
heureux ».
Pour me dire ce genre d’absurdités, je n’ai besoin de personne.
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Le 5 juin : 60 kg.
Si le médecin me voyait maintenant, il voudrait m’hospitaliser
en urgence. Quand je me regarde dans le miroir de la salle de bains, je
vois une tête de cadavre sur un corps squelettique. Les pommettes
saillantes, les joues creuses, les yeux éteints enfoncés
dans leurs orbites. Mon corps est déjà un corps de
cadavre. Mes côtes apparaissent de plus en plus sous la peau
livide et avachie de mon torse. Mes membres tremblants sont maigres
à faire peur. Pourtant, je n’ai perdu que 15 kilos. Comment
serai-je quand j’en aurai perdu 30 ou 40 ?
Je suis faible mais je ne me sens pas vraiment mal. Pas encore. Mes
muscles atrophiés me soutiennent difficilement mais je parviens
tout de même à sortir de mon lit sans trop de
difficulté. Je me déplace lentement d’un bout à
l’autre de l’appartement, en posant avec précaution un
pied devant l’autre. Je fais attention à ne pas glisser ou me
cogner contre les meubles car, si je tombe, je ne suis pas sûr
d’avoir la force de me relever. Heureusement, j’ai de moins en moins
l’occasion de quitter mon lit. Je ne vais plus dans la cuisine, je ne
mange plus, je bois peu. Comme je n’ai quasiment aucun déchet
à éliminer, je n’ai besoin d’aller aux toilettes que
très rarement.
Malgré ma faiblesse, chaque jour, je m’oblige à prendre
une douche, quoique socialement ça ne serve à rien
puisque je ne quitte plus mon appartement et que personne ne me rend
visite. Sous la douche, je ferme les yeux pour ne pas voir mon corps
que j’ai toujours détesté et que je hais encore plus
maintenant qu’il est en cours de déliquescence. Les yeux
fermés, j’entends l’eau bouillante gicler sur moi mais elle ne
m’apporte plus le réconfort et la jouissance que
j’appréciais naguère. Pourquoi vouloir à tout prix
rester propre ? Malgré l’effort que ça me coûte, je
m’y sens obligé, peut-être par orgueil. Je ne veux pas
être sale et sentir mauvais quand on découvrira mon corps.
Même quand j’étais en bonne santé, j’avais peur que
quelqu’un sente mes odeurs, qu’on découvre une tache de gras sur
mes vêtements, que mes oreilles excrète malencontreusement
une boule de cérumen, que de la morve dégouline de mon
nez. Quand j’étais enrhumé, c’était un cauchemar
quand il fallait me moucher en public. Je retardais ce moment le plus
longtemps possible, en prenant le risque d’éternuer et
d’éclabousser mon entourage. Et lorsque je me décidais
enfin à extraire le plus silencieusement possible du fin fond de
mon intimité cette matière répugnante, face
à des gens dont l’attention était justement
attirée par ma gêne et le faible bruit de mon mouchage, je
sentais les regards des curieux se diriger vers moi, vers mon nez
infecté et rouge et dégoulinant, puis se déplacer
vers le mouchoir et son gluant contenu.
Si j’étais d’humeur à plaisanter, je me consolerais en me
disant que quand je serai mort, je n’aurai plus jamais de rhume... Et
personne n’ouvrira ma tombe pour savoir de quand date ma
dernière douche.
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Le 20 juin : 55 kg.
Je suis de plus en plus faible. Je me déplace comme un
vieillard. Mes muscles sont douloureux. Mais je ne me plains pas.
Finalement, je suis encore en bonne santé pour un mourant.
J’aimerais pouvoir dire que je ne pense plus à rien, ni à
personne, mais ce serait un mensonge. A quoi bon me mentir à
moi-même ? J’écris ce compte-rendu de mes derniers jours,
non pour la postérité, mais pour moi. Ce serait idiot de
me mentir à moi-même. J’ai perdu toute mon énergie
mais je suis encore vivant. Donc je pense. Et je pense à
beaucoup de choses. À ce que je regrette d’avoir fait mais que
j’ai fait parce que j’ai voulu le faire. A ce que je regrette de ne pas
avoir fait, par manque de volonté, par erreur de jugement, ou
parce que j’avais l’impression d’avoir le temps. Le temps... j’ai
toujours pensé avoir le temps... J’ai trop souvent remis
à plus tard ce que j’aurais dû faire immédiatement.
Maintenant, le temps me manque. Je suis coincé dans un compte
à rebours infernal. Je n’aurai jamais plus l’occasion de faire
les innombrables choses que j’ai mises de côté pour plus
tard. De toute façon, je n’ai plus la force, ni le courage, ni
l’envie, ni la curiosité de faire quoi que ce soit. Je ne suis
plus tenté par les nouvelles expériences. Je n’ai plus
envie d’éprouver de nouvelles sensations.
De ma vie, il ne me reste que les regrets. Je pense à tous ces
gens que j’ai aimés. Il y a ceux, peu nombreux, à qui
j’ai su dire mon amour. Ceux que j’ai peut-être trop aimés
pour avoir le courage de le leur dire. Je les vois dans ma tête
comme s’ils étaient face à moi, et ils me rendent triste.
Quel gâchis ! Je revois certaines scènes précises.
C’est comme si j’assistais à la rediffusion de certains
épisodes d’un feuilleton qui s’appellerait « ma
vie ». Je rejoue mon rôle, en essayant de
m’améliorer. Dans telle scène, aurais-je dû dire
quelque chose que je n’ai pas dit ? Dans telle autre scène,
ai-je bâclé une partie de mon dialogue ? Aurais-je
dû être plus convaincant ? Plus astucieux ? Plus
manipulateur ? Plus opportuniste ? Et dans cette scène, n’ai-je
pas bien compris, ou ai-je mal interprété ce qu’untel ou
unetelle me disait ? Aurai-je dû lui demander des explications,
en prenant le risque de passer pour un idiot ? Maintenant, il est trop
tard, mais c’est intéressant de comprendre enfin, après
tant d’années, combien j’ai été nul, indigne de
figurer parmi les vivants. J’ai toujours mal joué les
scènes les plus importantes de ma vie car j’étais un
mauvais acteur, ce qui explique que je suis resté un simple
figurant passif. Je fais partie de ces gens interchangeables dont
personne ne remarque le départ quand ils s’en vont. Et personne
ne les regrette. Est-ce qu’on remarque la disparition d’un
figurant ? Pourquoi regretterait-on la mort d’un individu aussi
terne que moi ?
J’ai essayé de rejouer une des scènes dont je me souviens
comme si elle s’était passée hier. Je me promenais seul,
perdu dans mes pensées. J’avais conscience de croiser des gens
mais ils représentaient si peu pour moi que je les voyais
à peine. Je vis alors deux filles qui se dirigeaient dans ma
direction. Je ne sais pas pourquoi je les ai remarquées plus que
les autres. Peut-être parce qu’elles étaient plus
bruyantes. Ou parce qu’elles étaient plus jolies. Elles
s’avançaient vers moi, je continuais à marcher, et nous
nous sommes croisés. Rien ne s’est passé. Je les
entendais s’éloigner derrière moi. La scène aurait
pu s’arrêter là. Mais, elles se sont mises à
appeler dans mon dos. « Hé ! Ho ! ».
À qui s’adressaient-elles ? À moi ? Peut-être. Ou
peut-être pas. Je continuais à avancer, je ne me suis pas
retourné, je n’ai même pas ralenti mon allure. À
quoi bon me retourner ? Pour être déçu encore ?
Pour constater que ces appels étaient destinés à
quelqu’un d’autre ou qu’ils ne s’adressaient à personne ?
« Hé ! Ho ! ». Elles continuaient à
interpeller quelqu’un. Mais qui ? Peut-être un chien ?
Peut-être cherchaient-elles à se faire remarquer par le
maximum de gens, par goût de la provocation, par exhibitionnisme.
Ou, peut-être, ne s’intéressaient-elles qu’à une
seule personne. Aurais-je dû me retourner ? Me diriger vers elles
? Engager la conversation ? Les inviter à boire un verre ?
À l’époque, je ne l’ai pas fait. Et maintenant, en
revivant cette scène, je constate que je n’en suis toujours pas
capable. Je n’ai jamais été doué pour les
relations humaines, et je me rends compte que même quand il
s’agit de relations virtuelles, alors que tout devrait être
possible et facile, débarrassé de toute inhibition, je
n’y arrive pas.
J’ai quelques regrets, et même beaucoup de regrets, mais je ne me
plains pas. Le manque d’intérêt que j’ai suscité
chez les autres me permet de disparaître en douceur, sans que
personne ne s’en rende compte. J’aurai droit à un enterrement
simple, presque incognito, sans fausse tristesse, sans pleureuse. Il
n’y aura peut-être personne... seulement un grand sac rempli de
viande pourrie jeté dans une fosse… et une armée
d’asticots affamés...
D’ailleurs, moi-même je ne pourrai pas assister à mon
propre enterrement, pour cause d’indisponibilité... Ha ! Ha ! Ha
!
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Le 5 juillet : 50 kg.
J’ai des crampes terribles dans les mollets. Elles surviennent en
général quand je suis allongé. Je dois me lever le
plus vite possible pour atténuer la douleur. Mais je suis trop
faible pour rester debout, je tombe, et il me faut plusieurs minutes
pour me relever. Et pendant ce temps, la douleur me vrille les mollets.
J’ai l’impression que les muscles se tortillent dans tous les sens,
qu’ils vont être arrachés. Lorsque la crampe cesse, les
muscles restent douloureux pendant des heures et des heures, et souvent
une nouvelle crampe remplace la précédente avant que la
douleur ne se soit apaisée, et de nouveau, je sens mes muscles
se déchirer. Depuis plusieurs jours je supporte cet enfer, je
passe de crampe en crampe, et à chaque fois, je me lève,
je tombe, je me relève.
Quand les crampes s’atténuent, c’est la migraine qui prend le
relais. C’est comme un étau qui m’écrase la tête.
Dans les pires moments, j’ai la sensation que les os de mon crâne
vont se briser sous l’effet de la pression, que mon cerveau va gicler
à l’extérieur. Malheureusement, ce n’est qu’une
impression. Si ça se produisait réellement, je n’aurais
plus à m’en faire, je serais mort et débarrassé
pour toujours de ces douleurs insupportables. Quand les migraines ou
les crampes se produisent, quand je suis recroquevillé sur le
sol, trop faible pour ramper vers une chaise ou un meuble qui
m’aiderait à me relever, je n’ai plus envie de rien, je veux
seulement que ça s’arrête... et pas seulement les
douleurs, mais tout... tout... Et je me console en me disant que
bientôt tout ça va vraiment s’achever. Bientôt,
très bientôt... j’espère.
Je dors peu. Dès que les douleurs me laissent un peu de
répit, la fatigue me plonge dans un sommeil léger, mais
les cauchemars ne tardent pas à me réveiller. Avant,
quand j’étais en bonne santé, je ne me souvenais plus de
mes rêves quelques minutes après avoir rouvert les yeux.
Mais maintenant, ils sont trop marquants, trop bizarres, pour que je
les oublie. Je me rappelle celui de cette nuit. J’étais dans une
salle qui ressemblait à une salle de classe. Il y avait beaucoup
de gens. Ils parlaient. Je leur tournais le dos et j’entendais le
bourdonnement incompréhensible de leurs conversations. Je
prenais mon cartable, je l’ouvrais et je sortais des accessoires : une
seringue, une petite cuillère, un cutter, un flacon d’alcool, du
coton hydrophile, du sparadrap, un briquet. Je plaçais ces
accessoires sur le bureau, en les rangeant dans un ordre bien
précis. Tout à coup, je me rendais compte que tout le
monde s’était tu dans mon dos. Je me retournais. Et je voyais
que tous étaient en train de me regarder. Ils essayaient
visiblement de comprendre mon rituel. Je me mettais alors en
colère, et je leur disais brutalement : « Je ne veux
plus entendre le bruit de vos respirations, je veux que vous repreniez
vos conversations. Allez ! Parlez ! Tout de suite ! ». Et
ils se remettaient à parler tandis que moi je leur tournais de
nouveau le dos pour achever d’aligner mes accessoires sur le bureau.
J’ouvrais le flacon d’alcool, je testais le tranchant du cutter, je
vérifiais la pointe de la seringue, je sortais le sparadrap de
son emballage, je prenais une poignée de coton, je nettoyais la
cuillère. Enfin, heureux, j’admirais le résultat de mes
efforts. Tout était bien aligné, prêt à
être utilisé quand... je me suis réveillé,
le corps envahi par les douleurs habituelles.
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Le 15 juillet : 45 kg.
Aujourd’hui, je suis resté au lit toute la journée. Le
téléphone a sonné quelques instants mais je n’ai
pas répondu. D’ailleurs, même si l’appelant avait
insisté plus longtemps, je n’aurais pas pu me lever et
décrocher assez vite, il me faut des heures pour parcourir les
cinq mètres qui séparent mon lit du
téléphone. De toute façon, je n’avais pas envie de
répondre. C’était peut-être un appel publicitaire
pour me vendre des stores « derniers
modèles » ou une cuisine équipée
« super-équipée ». Que ferais-je de
ces stores neufs pour les quelques jours qui me restent à vivre
? Et une cuisine équipée ? Mon dernier repas date de si
longtemps que j’ai presque oublié comment on allume une
cuisinière.
Même si cet appel venait d’un ami, je ne regrette pas de ne pas
avoir répondu. Je veux être seul, je ne veux parler
à personne. Je veux mourir seul, en paix. Je ne veux pas avoir
à me justifier. J’ai choisi de ne pas suivre l’avis du
médecin, je ne veux pas être hospitalisé. C’est mon
choix et je ne veux pas revenir dessus. Je mourrai certainement avec
des douleurs atroces, pires que celles que je connais maintenant, mais
je mourrai dignement, comme disent les gens en bonne santé, en
sachant que je meurs et avec la volonté de mourir. La seule
chose dont j’ai envie en ce moment, c’est d’une cigarette. Mais je n’ai
pas le courage de me lever. Tant mieux, au moins je ne mourrai pas du
cancer du poumon...
J’ai réussi à dormir un peu cette nuit. Je pourrais dire
que j’ai passé une bonne nuit si je n’avais pas encore
été réveillé en sursaut par un cauchemar.
Dans celui-ci, je me regardais dans un miroir. J’avais un bouton sur le
visage, ce genre de bouton gros et horrible, plein de jus
jaunâtre, qu’on a envie de presser pour le vider et le faire
disparaître. Donc, j’ai placé deux doigts sur les bords du
bouton et j’ai appuyé fermement. Le liquide gluant est sorti
violemment en émettant un petit bruit sec. Je me suis
regardé dans le miroir, pour vérifier que le liquide
s’était évacué complètement, et j’ai vu
qu’à l’emplacement du bouton, il y avait désormais un
trou assez grand. Affolé, j’ai frotté la blessure mais,
au lieu de disparaître, le trou s’agrandissait. Il devenait
énorme avec une bordure rouge et dégoulinante. J’ai
ouvert l’armoire à pharmacie et j’ai pris tout ce qui m’est
tombé sous la main, des crèmes, du coton, du sparadrap,
et j’ai tenté de boucher le trou, mais dès que j’essayais
de l’effacer, le trou s’élargissait. Et il grossissait, il
grossissait de plus en plus, et je me demandais quelle taille il allait
atteindre. Il était devenu aussi large qu’un ongle, j’aurais pu
y enfoncer un doigt. Curieusement, je n’avais pas mal, mais le trou
provoquait une démangeaison presque aussi insupportable qu’une
douleur. Ne sachant plus que faire, j’ai enfoncé un doigt dans
la plaie et j’ai senti quelque chose qui frétillait au fond.
J’ai attrapé cette chose visqueuse qui essayait de
m’échapper et j’ai tiré violemment pour l’extraire de la
plaie. Je tenais entre mes doigts une petite larve répugnante
qui se tortillait dans tous les sens, elle voulait certainement
retourner dans le trou béant, là où elle
était bien au chaud. Dégoûté, je l’ai
jeté dans la cuvette des toilettes. Le trou sur mon visage
était maintenant deux fois plus large qu’avant et la
démangeaison n’avait pas cessé. J’y ai introduit alors
deux doigts, le pouce et l’index, en forçant un peu, et j’ai
senti quelque chose de très gros qui bougeait à
l’intérieur, quelque chose qui semblait ramper dans ma chair.
J’ai agrippé maladroitement cette chose et j’ai tiré
très fort. La tête d’une énorme larve a
commencé à sortir du trou. Je ne parvenais pas à
l’extraire complètement, alors j’ai tiré fort,
très fort, encore plus fort. Une des extrémités de
la chose sortait peu à peu, en élargissant le trou, en
craquelant la peau autour du trou. Enfin, j’ai retiré
complètement la bête. Elle était grosse, immense.
Je l’ai jetée n’importe où, le plus loin possible de moi,
elle a fait un flop retentissant en tombant sur le sol, puis j’ai
regardé à nouveau mon visage dans le miroir et... je n’ai
rien vu. En fait, je n’avais plus de visage. A l’emplacement de mon
visage, il n’y avait plus qu’un grand trou. Et... heureusement,
à cet instant, je me suis réveillé.
Heureusement ? J’ai dit heureusement ? J’abandonne un cauchemar pour
tomber dans un autre cauchemar, bien réel celui-là, et je
prétends que c’est le bonheur...
Ces temps-ci, j’ai de plus en plus de crampes et les migraines ne me
quittent plus. Mes muscles sont presque tétanisés. Je
n’ai plus qu’une envie : disparaître le plus vite possible. Mais
il faut que je sois patient. Après tout, si le médecin ne
s’est pas trompé, il ne me reste que quelques jours...
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Le 18 juillet : 40 kg.
Mes doigts sont gourds comme si je les avais maintenus plusieurs heures
dans une glacière. C’est la paralysie qui continue à
s’étendre. Mon écriture est devenue une sorte de
gribouillis infâme et presque illisible. Mais quelle importance ?
Qui va me lire ? Tout le monde m’a oublié. C’est d’ailleurs ce
que je souhaitais. Je ne quitte presque plus mon lit, c’est trop
difficile de me lever. Je ne vais presque plus aux toilettes, et quand
j’y vais c’est en rampant. Je n’ai pratiquement plus de déchets
à éliminer... à part une matière sombre et
sanglante...
Je passe mon temps à attendre, sur mon lit, allongé sur
le dos, prostré. Les journées sont longues. Je vois le
jour se lever, je vois le soleil apparaître, puis il se couche et
c’est une nuit longue et interminable qui commence, puis c’est de
nouveau le jour et une nouvelle journée démarre qui sera
aussi interminable que la précédente. Voir la succession
des jours et des nuits est ma seule occupation.
Pendant la journée, j’entends le ronronnement régulier
des voitures, les motos pétaradantes. Si je fixe mon attention,
j’ai presque l’impression d’entendre les gens parler dans la rue. Ils
rient. Ils sont heureux. Qu’ils en profitent tant qu’ils sont en bonne
santé. Je dis ça mais je ne le pense pas vraiment. Je
hais les gens en bonne santé. Je hais les gens heureux. Pourquoi
ne sont-ils pas à ma place en train d’agoniser ? Qu’ai-je
fait de plus ou de moins qu’eux pour mériter ça ?
Pourquoi moi ? Qu’ils crèvent tous...
Les douleurs sont si atroces que je dors à peine. Et quand je
sombre dans le sommeil, je me réveille, terrorisé,
quelques instants plus tard. Combien de jours me restent-il ? Cinq ?
Dix ? C’est si long...
Dans mon dernier cauchemar, pour me remonter le moral, j’étais
à la fois paralytique et muet. Toute la famille était
là. Nous étions dehors, devant une table, il faisait
beau. Le repas était terminé. J’avais le soleil qui me
chauffait le crâne mais personne ne s’intéressait à
mon inconfort. Il y avait un grand gaillard à côté
de moi. Il parlait fort, il faisait de grands gestes. Je ne comprenais
pas ce qu’il disait mais il n’arrêtait pas de parler. Il devait
dire des choses passionnantes car tout le monde l’écoutait. Sans
s’en rendre compte, en gesticulant, il m’a donné un petit coup
sur la poitrine. J’ai essayé de me défendre, de lever le
bras pour me protéger, mais j’étais paralytique, et je ne
parvenais pas à faire le moindre petit mouvement. Et il
continuait à parler, et il gesticulait, et il parlait.
Emporté par la conversation, sa voix devenait de plus en plus
forte, ses gestes se faisaient plus amples. Et, peut-être
accidentellement, il m’a encore frappé sur la poitrine mais plus
fort. Ce n’était pas trop grave mais, s’il ne se calmait pas, il
risquait de m’éborgner. D’ailleurs, il ne s’en rendait pas
compte, il était trop concentré à exposer ses
idées, et chaque mouvement de ses mains aboutissait violemment
contre ma poitrine, et personne ne voyait ce qu’il était en
train de me faire. Je tentais de parler, de crier, mais j’étais
muet, et aucun son ne sortait de ma gorge. J’essayais de bouger mon
grand corps flasque, pour éviter ses coups, mais j’étais
paralytique, et je ne pouvais pas bouger. J’essayais de jeter alentour
des regards effrayés mais personne ne me voyait, tout le monde
était absorbé par la conversation de plus en plus
enflammée de mon bourreau. Et il continuait à parler, et
à me frapper, doucement ou fort, selon le rythme de sa
conversation et de ses idées. Mes regards de détresse
n’ayant pas réussi à retenir l’attention, j’ai
jeté autour de moi un regard de colère. Mais,
décidément, rien n’y faisait. Même ma fureur
n’était pas suffisante pour m’attirer la moindre parcelle
d’intérêt de leur part. Il n’y avait personne pour voir
mon supplice. Personne pour me protéger. Ils étaient tous
obnubilés, ensorcelés par ce beau parleur. Et je
n’existais pas, je n’existais plus pour eux. Et après... je ne
sais pas ce qui s’est passé : je me suis réveillé.
Dans la vie réelle, il n’y avait pas de tortionnaire pour me
martyriser mais la douleur était tout de même atroce.
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Le 19 juillet : 39 kg.
On ne m’a pas totalement oublié. Aujourd’hui, le
téléphone a sonné plusieurs fois. Cette sonnerie
stridente qui se superposait à ma migraine était
insupportable. Le plus étonnant, c’est que certains de ces
appels n’étaient pas publicitaires. C’était des amis, la
famille. Quelques-uns ont laissé des messages sur le
répondeur. Ils ne sont pas vraiment inquiets à mon sujet,
et c’est tant mieux. En temps normal, je téléphone
rarement, seulement quand c’est indispensable. Alors ils ont pris
l’habitude de ne pas avoir de mes nouvelles pendant de longues
périodes. Et d’ailleurs, pourquoi s’inquièteraient-ils ?
Je ne suis pas allé crier mon agonie sur les toits, et donc
personne ne sait que je vais mourir, à part mon médecin
et moi.
Les messages laissés sur le répondeur étaient
courts et plutôt joyeux. « Alors, comment ça
va ? ». « Que deviens-tu ? ».
« Rappelle-moi, si tu veux ». « Ici,
tout le monde va bien. Et toi ? ». Sans s’en rendre
compte, ils m’ont fait mal. Je comprends qu’ils soient heureux et
insouciants. Et comme ils ignorent ma maladie, je comprends qu’ils ne
prennent pas de gants en me parlant de ma santé. Mais je ne peux
pas supporter toute cette joie quand je pense à tous ces jours
de souffrance qui m’attendent. Je les comprends... mais je ne leur
pardonne pas leur bonheur. Je n’ai répondu à aucun appel.
Je ne peux pas et je ne veux pas. Et je ne rappellerai personne, y
compris les gens que j’aime. Ils finiront par m’oublier. Je
l’espère.
En écoutant les messages de ma famille, je me suis souvenu de
mon enfance, quand on m’accueillait, à la boulangerie ou
à l’épicerie, avec un gentil : « bonjour,
petit ». Et je me rends compte tout à coup qu’on ne
me saluera jamais en me disant « bonjour, papy ».
J’ai oublié ma réaction quand on me disait
« bonjour petit », je devais bafouiller un vague
« b’jour » en rougissant. Mais plus tard,
à l’adolescence, quand ce salut est devenu :
« bonjour, jeune homme », je me souviens
qu’être traité de jeune homme me déplaisait.
Pourquoi « bonjour, jeune homme », alors que les
autres avaient droit à un classique « bonjour,
monsieur » ? Je prenais ce qualificatif de jeune homme comme
une insulte, j’avais l’impression qu’on me considérait comme un
être à part, indigne de figurer parmi les grands. Puis un
jour, je ne sais pas quand, ça a dû se passer de
manière trop progressive pour être perceptible, on a
commencé à me dire « bonjour,
monsieur ». Quelle joie, j’aurais dû éprouver
alors ! Je venais enfin de franchir la barrière qui me
séparait des gens normaux. J’étais enfin un adulte. Mais
au lieu de me rendre heureux, ça m’a fait un effet bizarre. Tout
à coup, je venais de comprendre qu’une étape de ma vie,
celle de l’enfance, s’était achevée. J’entamais
l’étape suivante, la plus longue, celle qui me mènerait
peu à peu jusqu’au déclin. Après, ce serait
l’ultime étape, la vieillesse, au cours de laquelle j’aurais
droit aux sympathiques et inquiétants « bonjour,
papy » ou « bonjour,
grand-père ». Et après, plus rien, la mort...
J’ai décidément de la chance : je vais abréger la
deuxième étape et carrément être
exempté de la troisième...
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Le 20 juillet : 38 kg.
Encore le téléphone, encore des messages. C’est sans
importance.
Ça fait trois mois aujourd’hui que tout a basculé. C’est
une sorte d’anniversaire. Comment fêter ça ? Avec le
champagne et les petits fours ? Je divague. Je réfléchis
de plus en plus difficilement avec cette migraine et ces crampes et ces
douleurs de toutes sortes. Et ce téléphone qui
n’arrête pas de sonner...
Je ne me lève plus du tout. Le seul décor que je vois est
le plafond blanc. Je le connais désormais par coeur. Je pourrais
décrire la moindre fissure, la moindre bosse, la moindre
craquelure. Je me sens capable de faire une étude
complète sur les nuances de blanc de mon plafond. Moi qui
croyais jusqu’ici que le blanc n’était que du blanc, je sais
maintenant qu’il y a des milliers de sorte de blanc, depuis le blanc
très blanc jusqu’au blanc à la limite du gris. En
regardant bien, je peux même voir des formes au milieu de ces
infimes nuances de blanc. Ici, j’aperçois un cheval, avec une
toile d’araignée pour représenter la queue
frétillante. Là, c’est un chien avec sa gueule ouverte et
sa langue pendante. Plus loin, je vois un enfant sur une
balançoire. Et là-bas, un chat immobile regarde dans un
trou de souris. Comme je n’ai rien d’autre à faire, j’analyse
mon plafond en profondeur, et j’y découvre une vie foisonnante
qui contraste avec ma solitude, mon immobilité.
Je n’écris plus de manière conventionnelle, avec un
crayon et un papier. J’en suis incapable. Mes muscles sont morts. Je ne
peux plus bouger. Je n’écris plus que dans ma tête. Je
suis mon seul lecteur. Et toutes ces pensées disparaîtront
avec moi.
Je me demande quel sera l’état de mon corps, après ma
mort, quand les équipes de secours viendront le chercher pour le
conduire vers la morgue. Combien de temps faudra-t-il pour qu’on
s’inquiète de ma disparition ? Deux semaines ? Trois semaines ?
Ma carcasse n’est pas très belle à voir maintenant, et
elle ne risque pas de s’améliorer avec le temps. Avant qu’on ne
découvre mon corps, les insectes auront eu le temps de
dévorer en partie ma chair pourrissante, mes fluides se seront
échappés par mes orifices béants pour se
répandre sur les draps et s’écouler sur le sol. L’odeur
sera épouvantable. Heureusement que je ne serai pas là
pour me voir et me sentir. Moi qui aime tant la propreté, je ne
laisserai derrière moi qu’une carcasse pourrissante et
nauséabonde. Je pense à ces pauvres gens qui entreront
dans ma chambre et qui verront cette horrible créature gisant
sur le lit. Je vois leurs grimaces quand ils seront incommodés
par cette abominable odeur de charogne. J’espère qu’ils
penseront à mettre un masque afin d’atténuer l’odeur.
Après, ils m’envelopperont dans un sac étanche qu’ils
fermeront, puis ils me soulèveront (ou plus
précisément, ils soulèveront mon corps puisque je
ne serai plus vraiment là à ce moment) et ils
m’emmèneront à la morgue où je séjournerai
quelques temps avec mes semblables avant d’être enterré
puis oublié définitivement.
Je respire mal. Mes poumons ne vont pas tarder à flancher comme
le reste de mon corps. A moins que ce ne soit le coeur qui lâche
en premier. C’est long, de plus en plus long. Je sais que la fin est
proche, quelques heures, au pire un jour ou deux. Mais que c’est long,
long...
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Le 21 juillet : 37,5 kg.
Le téléphone ne sonne plus. Enfin. Je pensais pouvoir
réfléchir plus librement sans cette sonnerie, mais non...
D’ailleurs, à quoi pourrais-je réfléchir ? Et
à quoi bon réfléchir ? Dans quelques heures, ce
sera fini, et les quelques pensées intelligentes que j’aurais pu
assembler disparaîtront en même temps que ma
dernière étincelle de vie.
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Le 21 juillet plus tard : 37,4 kg.
Je n’ai plus mal. Je viens de m’en rendre compte. Plus de crampe, plus
de migraine. Je me sens comme apaisé après une terrible
tempête qui m’a ravagé le corps. Je suis presque bien.
Calme, détendu. Si ça continue ainsi, contrairement
à ce que je pensais, la mort ne sera pas douloureuse. Ce sera
une mort douce, tranquille. Que souhaiter de plus ? Mourir dans son
lit, sans douleur. Tout est pour le mieux. Je nage dans le bonheur,
dans la félicité. L’euphorie me submerge. Je vais passer
enfin de l’autre côté. Et qui sait ? J’y
découvrirai peut-être le paradis. Ou un ailleurs que
j’appellerai un paradis.
Je ne vais peut-être pas vraiment mourir... Il y a
peut-être une vie après... Une sorte de vie...
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Le 21 juillet plus tard : 37,1 kg.
J’ai peur... Je me sens mal... mal... mal...