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Nicola Bouleau souligne dans
son livre Philosophie des mathématiques et de la modélisation
(L’Harmattan, 1999, p. 14) que l’art de la modélisation,
ses enjeux, ses méthodes se comprennent grâce à
des exemples. Nous avons commencé à étudier
les exemples des modèles mathématiques des JIP
et nous pouvons maintenant aborder les discussions sur la modélisation.
Notons d’abord que l’utilisation trop large du terme
« activité mathématique »
est une des causes principales des difficultés conceptuelles
en mathématiques pour les élèves. Citons
Stella Baruk : « Mais ni le berger qui compte les
bêtes d’un troupeau, ni le paysan qui s’assure
que la grandeur d’un terrain permettra une récolte
suffisante ne préparent la théorie des nombres
ou celle des polygones réguliers ; pas plus que le
commerçant qui enregistre un bénéfice ou
un déficit, ou le propriétaire qui vérifie
qu’il n’est pas lésé par un remembrement,
ne font d’algèbre et de géométrie…
Pour désigner l’ensemble très complexe de
ce processus mettant en jeu la quantité, les formes et
les modes qui leur sont liés d’argumentation et de
décision, on manque, au moins, d’un mot. Peut-être
est-il alors possible d’en forger provisoirement un, en
attendant mieux : avec praxis, « pratique des
affaires », « action » - dont
la racine prag -, du grec « faire », a
donné pragmatique, pratique - , et le suffixe – métrie
qui renvoie à l’idée de mesure, on obtient
praximétrie. » (S.Baruk, Dictionnaire de
mathématiques élémentaires, 1992, p.
691).
Baruk se demande ensuite : « Que serait donc
la mathématique ? » et répond à
cette question de la façon suivante :
« D’abord, un tout autre rapport au temps :
si les pratiques praximétriques répondent dans
l’immédiat à des nécessités
de survivre, de vivre ou de bien vivre, on pourrait dire que
par les mathématiques les mathématiciens travaillent
à se survivre. A quoi il pourrait être opposé
qu’elles ne se distinguent donc en rien des arts ou de la
poésie, auxquels il arrive d’ailleurs souvent qu’elles
soient comparées. Elles s’en distinguent par le choix
de leurs objets, qui sont des idées à la permanence
assurée …
Les mathématiques : des idées à partir
desquelles pourront être obtenues d’autres idées,
par l’exercice de la pensée ; soit, dira-t-on,
mais les mathématiques ne se distinguent en rien, alors,
de la philosophie. Eh bien si, les objets, toujours ; et
la possibilité qu’ils donnent de produire des énoncés
éternellement et universellement vrais, et de prouver
la vérité de nouveaux énoncés entraînés
par la considération de ceux déjà produits,
les preuves ne devant emprunter aux formes de discussion ou d’argumentation
que ce qu’elles auront de permanent dans le temps et l’espace. »
(Ibid, p. 694).
Baruk souligne que les praximétries « sont
préoccupations d’adultes ou carrément un métier.
Artificiellement assimilées à des mathématiques,
elles constituent une entrave à la pensée et faussent,
parfois à jamais, la relation qu’un enfant aura à
la fois à l’un et l’autre champ d’activités. »
(Ibid, p. 701).
Pour de nombreux spécialistes des sciences de l’éducation
dont la pensée était faussée « parfois
à jamais » les praximétries sont une
partie des mathématiques. L’art de calculer est ainsi
trop souvent confondu avec l’arithmétique. Pourtant
les Grecs, il y a 2400 ans, les désignaient déjà
par deux mots différents : logistique pour l’art
de calculer et arithmétique pour la science des nombres.
Jean Dieudonné note : « D’abord,
avant 1700 environ, personne n’aurait jamais osé
soutenir cette croyance un peu stupide que seule la technique
est à l’origine des mathématiques. Les Grecs
étaient exactement de l’avis opposé. Des textes
de Platon et d’Archimède foudroient de mépris
les malheureux qui font servir les mathématiques à
des viles besognes de calcul ou de mesure. Archimède lui-même
dit – c’est Plutarque qui le rapporte – qu’il
était honteux des fameuses machines qu’il avait construites
pour le siège de Syracuse, qu’il n’aurait jamais
osé y consacrer un article parce que c’était
de l’application et qu’il méprisait profondément
ceux qui étaient assez vils pour s’occuper de choses
pareilles. Aucun doute donc : l’idée que les
mathématiques proviennent de besoins techniques est extrêmement
récente et – comme je vous l’ai dit – tout
à fait fausse. » (J. Dieudonné, «
Mathématiques vides et mathématiques significatives
» // Penser les mathématiques, Seuil, 1982,
p. 23).
Bien sûr, Dieudonné ne nie pas que les problèmes
issus du monde réel stimulent le développement
des mathématiques, il souligne seulement qu’une partie
importante des problèmes mathématiques sont « les
problèmes de pure curiosité, les devinettes »
(Ibid, p. 24). Baruk note : « L’art de l’ingénieur
aujourd’hui est typiquement une praximétrie sophistiquée
qui s’est approprié des outils de calcul qui lui
ont été fournis par les mathématiques ou
qu’elle y a suscités » (S.Baruk, Dictionnaire
de mathématiques élémentaires, 1992,
p. 693).
Afin de préciser la notion de la modélisation citons
l’article de Nicolas Bouleau « Sur le rôle des
mathématiques dans la société d’aujourd’hui
», publié sur Internet :
« Les décisions publiques et privées se prennent
dans des situations complexes où non seulement les points
de vue, intérêts, systèmes de valeurs, divergent
et s’affrontent, mais où leur expression fait intervenir
des savoirs techniques. La modélisation comme outil de
représentation, d’analyse et de prospective devient
une langue interdisciplinaire de plus en plus importante...
Distinguons en premier lieu modèle et modélisation.
Le terme de modèle est arrivé en français
de l’italien à la Renaissance. Il désignait
originellement celui ou celle qui pose dans l’atelier du
peintre ou du sculpteur ainsi que les maquettes de bois accompagnant
les plans pour faciliter la conduite des chantiers des édifices
délicats tels qu’en sont conservés pour le
dôme de Florence de Brunelleschi. Puis le mot s’est
vu associer l’idée d’exemplarité, petites
filles modèles, ouvriers modèles, etc. Dans la
science cependant, il prit le sens particulier de schéma
simple qui fait comprendre, proche du paradigme de Kuhn, modèles
de l’atome, modèle d’Ehrenfest, puis, la simplicité
étant finalement affaire relative, modèle standard
en physique quantique, etc. Par
modélisation nous entendrons quelque chose d’assez
différent : la construction d’une représentation
pour l’action et la décision qui n’utilise pas
uniquement le langage ordinaire. C’est donc très
général, et ce n’est pas lié à
une démarche scientifique nécessairement. Nous
avons à l’esprit typiquement les dossiers que réalisent
les ingénieurs qui, le plus souvent, ne disposent pas
d’une théorie générale comme cadre
de leur action...
Par le simple fait que la modélisation utilise en plus
du langage ordinaire des symboles issus directement ou indirectement
des sciences, les mathématiques y jouent un rôle
fondamental : elles sont le lieu de pensée où l’on
peut évaluer que deux modélisations reviennent
au même, ou sont un cas particulier l’une de l’autre,
etc. L’analyse sémantique de la modélisation
relève des mathématiques pour une part importante,
souvent cruciale...
Est-il possible dès le secondaire d’aborder ne serait-ce
que comme sensibilisation le domaine de la modélisation
? Même si son niveau naturel est celui des filières
scientifiques du supérieur, elle est un tel enjeu de société
qu’il est important de familiariser les élèves
à l’idée de représenter grâce
à des outils mathématiques et à communiquer
avec ces représentations. »
Ce livre, basé presque exclusivement sur la notion de
fonction, destiné à montrer qu’on peut aborder
le domaine de la modélisation dès le secondaire.
La modélisation qui « consiste à représenter,
grâce aux symbolismes mathématisés des sciences
et des sciences de l'ingénieur (qui en sont des versions
simplifiées utiles) des situations rencontrées
dans l'industrie, en économie ou dans les questions d'environnement
et de les calculer pour en dégager des propriétés
ou en prévoir l'évolution, grâce à
des procédures algorithmiques » (N. Bouleau, Philosophie
des mathématiques et de la modélisation, L’Harmattan,
1999, p. 14) est souvent, dans la terminologie de Baruk, une
praximétrie sophistiquée. Dans ce livre nous étudions
les modèles mathématiques qui represent et décrivent
des situations réelles dans la langue mathématique
à l’aide des objets mathématiques : fonctions,
équations, ensembles, objets géométriques,
etc.
Jean Dieudonné écrit :
« Il y a toute une partie importante des mathématiques,
qui a pris naissance pour fournir des modèles aux autres
sciences, et il n’est pas question de la minimiser. Mais
elles ne constituent certainement pas plus de 30 à 40
% de l’ensemble des mathématiques contemporaines,
comme fi est facile de s’en rendre compte en parcourant
la publication mensuelle Mathematical Reviews, qui donne des
analyses sommaires de tout ce qui se publie en mathématiques
et dans les plus importantes de leurs applications. » (
J. Dieudonné, Pour l’honneur de l’esprit
humain : les mathématiques aujourd’hui,
Hachette, 1987, p. 39 ).
Mais il souligne que la raison principale qui pousse un mathématicien
à faire de la recherche, c’est la curiosité
intellectuelle, l’attrait des énigmes, le besoin
de connaître la vérité.
Henri Poncaré explique l’importance des recherches
purement mathématiques dans les termes suivants :
« Sans doute il arrive quelquefois que le mathématicien
aborde un problème pour satisfaire à un besoin
de la physique ; que le physicien ou l’ingénieur
lui demandent de calculer un nombre en vue d’une application.
Dira-t-on que, nous autres géomètres, nous devons
nous borner à attendre les commandes, et, au lieu de cultiver
notre science pour notre plaisir, n’avoir d’autre souci
que de nous accommoder au goût de la clientèle ?
Si les mathématiques n’ont d’autre objet que
de venir en aide à ceux qui étudient la nature,
c’est de ces derniers que nous devons attendre le mot d’ordre.
Cette façon de voir est-elle légitime ? Certainement
non ; si nous n’avions pas cultivé les sciences exactes
pour elles-mêmes, nous n’aurions pas créé
l’instrument mathématique, et le jour où serait
venu le mot d’ordre du physicien, nous aurions été
désarmés. » (H. Poincaré, Science
et méthode, Editions Kimé, 1999, p. 26 ).
En effet, les mathématiciens professionnels s’occupent
des problèmes mathématiques et dans ce sens les
mathématiques sont l’art et la science de construction
et de résolution des problèmes. Les problèmes
mathématiques ont une double origine : d’une part,
problèmes issus de la pratique humaine et des recherches
sur le monde réel, de l’autre, les problèmes
de pure curiosité.
Les problèmes issus de la pratique sont posés au
mathématicien le plus souvent par les scientifiques (physiciens,
économistes, biologistes, etc.) et les spécialistes
de l’industrie ou d’un autre domaine d’activité
humaine. Ces problèmes alors sont formulés le plus
souvent dans des termes non mathématiques et la première
étape consiste à la mathématisation de ces
problèmes, c’est-à-dire de la construction
d’un ou plusieurs modèles mathématiques des
processus étudiés.
Les activités mathématiques commencent après
la construction des modèles mathématiques de base
car les objets de l’activité mathématique
doivent être évidemment des objets mathématiques
abstraits, des idéalités.
Ces activités comprennent : l’étude des propriétés
des modèles construits, la modélisation mathématique
des solutions, la démonstration de l’existence des
solutions proposées, la recherche des algorithmes numériques
ou géométriques, si c’est possible, des expressions
analytiques pour ces solutions, l’étude des solutions
approximatives et de leur convergence satisfaisante vers les
solutions exactes, etc.
Une partie des mathématiques, consacrée à
l’étude des modèles de problèmes issus
de la réalité, est appelée les mathématiques
appliquées. Soulignons que la construction d’un modèle
mathématique de base, par exemple, d’un modèle
JIPTO mathématique, consiste à la création
des objets mathématiques. Avec cette matière première,
le mathématicien crée les autres objets mathématiques,
définit les solutions (stratégies optimales), il
construit ainsi son modèle mathématique qui sera
l’objet de ses activités mathématiques.
Ainsi la construction d’un modèle mathématique,
après l’étape initiale de mathématisation,
qui consiste à l’idéalisation des notions
de base, est une activité purement mathématique.
Cette construction des modèles mathématiques de
processus réels frappe les non spécialistes par
la complexité et la longueur des définitions mathématiques
des éléments de ces modèles, certaines définitions
prennent plusieurs pages de textes.
Après le mathématicien commence l’étude
de son modèle, formule les théorèmes d’existence,
de convergence des approximations, etc. Après plusieurs
mois de travail, il trouve parfois que les solutions voulues
n’existent pas. Il recommence ses efforts en utilisant d’autres
concepts mathématiques inspirés par les réalités
étudiées, ou bien, il renonce à continuer
sa recherche. Même dans le cas d’existence des solutions,
le mathématicien doit effectuer des efforts considérables
avant de trouver une solution ou une méthode numérique.
On ne les trouve très souvent que dans les cas particuliers,
plus faciles à analyser.
Il existe aujourd’hui, sous l’influence de l’industrie
des ordinateurs, la croyance qu’aucune partie du réel
n’échappe à la modélisation mathématique.
Cette croyance est renforcée par la confusion généralisée
des activités mathématiques avec tous les cas de
traitement statistique et de calcul numérique.
Passons aux problèmes de deuxième type, sans rapport
direct avec la réalité. Ce sont les Grecs qui ont
commencé il y a 2500 ans à se poser des problèmes
dont il est impossible d’assigner les éventuelles
origines pratiques :
« De véritables problèmes de mathématiques
étaient ainsi lancés comme des défis, problèmes
qui se révéleront souvent par la suite comme les
points de départ de futures théories mathématiques.
Citons le problème de la duplication du cube, proposé
par l’oracle d’Apollon (à Délos ou à
Chios, selon les versions), résolu successivement, d’une
manière différente à chaque fois, par Ménechme
(IV siècle av. J.-C.), Nicomède et Dioclées
(II siècle av. J.-C.), puis, plus tard, par Descartes
(XVII siècle).
Les Anciens avaient également le goût des paradoxes,
qui exerçaient alors une véritable fascination.
Un exemple célèbre est le paradoxe d’Achille
et de la tortue, dont une autre version est celui de la flèche
de Zénon d’Elée, qui n’atteint jamais
son but. » (M. Criton, Les jeux mathématiques,
Paris, PUF, 1997, p.17).
Les problèmes mathématiques, sans rapport direct
avec la réalité, se perpétuent dans les
branches des mathématiques actuelles telles que la théorie
des nombres, la combinatoire, la théorie des groupes.
Ces deux types de problèmes ne sont que le fondement de
l’édifice mathématique. La solution de certains
problèmes engendrent des méthodes qui peuvent servir
à résoudre les autres problèmes. On commence
alors à raffiner, améliorer et diversifier ces
méthodes.
Il arrive rarement que la solution d’un problème
engendre des idées nouvelles qui dépassent de façon
incommensurable le problème qui leur a donné naissance.
Ces idées révèlent des possibilités
complètement insoupçonnées et ouvrent la
voie à des applications tout aussi insoupçonnées.
Dieudonné explique :
« alors qu’il y a des milliers de problèmes
de ce genre, je ne sais pas si on arriverait à en trouver
une douzaine qui aient donné naissance à des théories
aussi grandioses, aussi fondamentales et aussi profondes …
Donc c’est vraiment l’exception et non la règle.
Que se passe-t-il ensuite ? Eh bien, il faut un temps énorme,
un ou deux siècles en général, pour débrouiller
toutes les idées et mettre sous une forme assimilable
par tout le monde ce que les génies ont vu très
en avance sur leur temps … Puis, progressivement, on réussit
à saisir ce que les génies avaient voulu dire et,
quand on arrive à assimiler leurs idées, à
les enseigner et à les utiliser partout, c’est qu’on
est vraiment entré au paradis. Toutefois, ce paradis évolue
encore pour engendrer ce qu’on appelle les structures …
Si l’on veut savoir utiliser tout ce que l’étude
des grands problèmes révèle, il est indispensable
d’étudier ces structures et d’apprendre à
les manier de mieux en mieux, ce qui entraîne, inévitablement,
une abstraction grandissante. » (J. Dieudonné, «Mathématiques
vides et mathématiques significatives», Penser
les mathématiques, Editions du Seuil, 1982, p.30).
Les choses ne s’arrêtent pas là : on modifie
les axiomes des théories créées et produit
ainsi de nouvelles théories par la pure curiosité
intellectuelle.
En résumé, les
activités mathématiques supposent que les objets
de ces activités sont des objets mathématiques,
qui sont créés par la mathématisation de
la réalité étudiée ou ce sont des
objets mathématiques préexistants. Dans le cadre
de ces activités un mathématicien peut réfléchir,
effectuer les raisonnements logiques et parfois même calculer.
Sans objets mathématiques idéaux on ne peut pas
parler de « situations mathématiques » et
de la « production de la connaissance mathématique
». Ainsi, nous ne pouvons admettre qu’avec une très
grande réserve l’existence des « connaissances
mathématiques quotidiennes » par opposition aux
« connaissances mathématiques scientifiques »,
car il s’agit de choses absolument incomparables et incommensurables. |