Recherches mathématiques professionnelles

Extraits du livre de Grigori TOMSKI, Géométrie élémentaire de la poursuite, Editions du JIPTO, 2005

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La découverte de l’existence d’un domaine de recherches mathématiques à la portée des élèves des lycées et des collèges à l’époque de la très grande professionalisation des recherches mathématiques est assez inattendue. C’est pourquoi, nous commençons à discuter de la place de la géométrie de la poursuite.
Un portrait d’un « mathématicien idéal » est tracé dans le livre de Philip J. Davis et Reuben Hersh L’Univers mathématiques (Bordas, 1985):
« Par cela, nous n'entendons pas le mathématicien exempt de tout défaut ou de toute limitation. Nous voulons plutôt décrire le mathématicien ressemblant le plus possible à un mathématicien, comme on pourrait décrire le lévrier de pure race, ou le moine idéal du XIIIème siècle. Nous allons tenter de construire un spécimen à l'état pur, afin d'exhiber les aspects paradoxaux et problématiques du rôle du mathématicien ... Le travail du mathématicien idéal est intelligible seulement pour un petit groupe de spécialistes, dont le nombre est de quelques douzaines ou au plus de quelques centaines. Ce groupe n'existe que depuis quelques décennies, et il est très possible qu'il s'éteigne dans quelques autres décennies. Toutefois, le mathématicien regarde son oeuvre comme une part de la structure même du monde, contenant des vérités valables pour toujours depuis le commencement des temps, même dans les coins les plus reculés de l'univers.
Il fonde sa foi sur une démonstration rigoureuse; il croit que la différence entre une démonstration correcte et une démonstration incorrecte est facilement reconnaissable et sans appel. Il va jusqu'à penser qu'il n'y a pas de condamnation plus accablante que de dire d'un étudiant «Il ne sait même pas ce qu'est une démonstration! »Il est cependant incapable de donner une explication cohérente de ce qu'on entend par rigueur, ou ce qui est nécessaire pour faire une démonstration rigoureuse. Dans sa propre oeuvre, la ligne de partage entre ce qui est démontré parfaitement ou imparfaitement est toujours floue, et souvent controversée.
Si peu que nous parlions du mathématicien idéal, nous devons avoir un nom pour son « domaine », son sujet. Appelons-le, par exemple, « les hypercarrés non riemanniens ».
Il est étiqueté par son domaine, par la quantité de ce qu'il publie, et particulièrement par ceux dont il utilise l'oeuvre et dont il suit le goût dans le choix de ses problèmes.
Il étudie des objets dont l'existence n'est soupçonnée que par une poignée de ses collègues. En fait, si un non-initié lui demande ce qu'il étudie, il sera incapable de lui montrer ou de lui dire ce que c'est. Il est nécessaire de passer par un apprentissage ardu de plusieurs années pour comprendre la théorie à laquelle il s'est consacré. C'est seulement à ce moment qu'on sera prêt à obtenir une explication sur l'objet de son étude. Faute de cela, on pourra seulement obtenir une « définition » qui sera si abstruse qu'elle défiera toute tentative de compréhension.
Les objets étudiés par notre mathématicien étaient inconnus jusqu'au xxe siècle; vraisemblablement, ils étaient encore inconnus il y a trente ans. Aujourd'hui, ils sont le principal intérêt dans la vie de quelques douzaines (au mieux, de quelques centaines) de ses compagnons. Ses compagnons et lui-même n'ont jamais mis en doute que les hypercarrès non riemanniens ont une existence réelle aussi définie et objective que celles du rocher de Gibraltar ou de la comète de Halley...
En tout cas, pour lui l'hypercarré non riemannien existe, et il le poursuit avec une dévotion passionnée. Il passe toutes ses journées à le contempler. Sa vie est heureuse dans la mesure où il peut découvrir de nouveaux faits sur ce sujet.
Il a du mal à établir une conversation sensée avec cette importante partie de l'humanité qui n'a jamais entendu parler des hypercarrés non riemanniens. » (Davis et Hersh, p. 35-36 ).
Il est intéressant de comparer ce portrait avec les activités d’un mathématicien réel, c’est pourquoi je vais parler de mon parcours mathématique personnel.
J’ai grandi en URSS à l’époque des conquêtes spatiales (Spoutnik, Gagarine) quand les sciences physiques et mathématiques avaient un très grand prestige. Les mathématiques m’attiraient beaucoup avec le début de l’étude de la géométrie. Heureusement, dans les collèges et lycées soviétiques, on enseignait alors la géométrie comme une théorie mathématique et j’ai renforcé mon goût des raisonnements logiques en lisant un livre sur les jeux mathématiques.
Ensuite, j’ai lu un livre sur Archimède du professeur Lourié avec la description détaillée de ses travaux et de ses méthodes. En appliquant les méthodes décrites dans ce livre, j’ai trouvé quelques formules pour les aires et les volumes. Bien sûr, je connaissais l’existence de la notion d’intégrale, qui permet d’obtenir ces formules presque automatiquement, mais les démonstrations des résultats, qui étaient nouveaux pour moi, me passionnaient.
En 1966, je suis devenu étudiant de l’Université de Yakoutsk. Je ne savais pas encore que c’était notre génération qui créerait en Yakoutie les sciences mathématiques avec les Instituts et les Centres de recherches, formerait plusieurs centaines de chercheurs en mathématiques et leurs applications. Une grande surprise m’attendait : il n’y avait à cette époque que quelques docteurs en mathématiques parmi mes enseignants.
En entrant à l’Université de Yakoutsk, je pensais devenir un mathématicien qui ne cède en rien à ses collègues, formés dans les prestigieuses Universités de Moscou, de Leningrad et de Novossibirsk. Il ne restait qu’une solution : travailler beaucoup dans les bibliothèques, chercher et étudier les livres des mathématiciens
célèbres afin de constituer un bon réservoir de connaissances fondamentales. Ainsi j’ai commencé à étudier simultanément avec mes premiers manuels de calcul différentiel et intégral les livres de Bourbaki. Heureusement, il n’y avait personne pour me conseiller de reporter leur lecture pour un peu plus tard. Comme résultat, j’ai entraîné si bien mon cerveau que le programme ordinaire universitaire me paraissait très facile.
J’ai décidé de commencer mes recherches par la théorie des jeux différentiels car ce nouveau domaine des mathématiques m’est apparu
comme intéressant et prometteur. En effet, la théorie des jeux différentiels, qui comprend la théorie de la poursuite optimale, est née des applications militaires et techniques des mathématiques, mais elle est un outil théorique permettant de modéliser de la façon plus adéquate les problèmes des sciences sociales et économiques.
Dans toute l’Union Soviétique il n’existait que quelques spécialistes dans ce domaine à Moscou, Leningrad et Sverdlovsk (actuellement Ekaterinbourg). J’ai écrit mon mémoire consacré à la géométrie des jeux avec la «ligne de vie» à l’Université de Leningrad sous la direction de Léon Petrossian qui m’a invité à continuer mes études dans son école doctorale. Je continuais donc mes études avec les meilleurs étudiants de l’Université de Leningrad, anciens élèves du Lycée physique et mathématique auprès de cette Université, souvent vainqueurs des Olympiades internationales, décorés de la médaille d’or à la sortie du Lycée. J’ai vite remarqué leur handicap majeur : manque d’autonomie. Entourés depuis leur adolescence par les meilleurs enseignants, conseillés par les scientifiques de renommée mondiale, ils avaient perdu en partie l’habitude de se débrouiller seuls et n’avaient pas souvent assez la rage d’effectuer des recherches indépendantes et solitaires. Mes études de Bourbaki ne sont pas restées sans suite. J’ai commencé à développer l’approche axiomatique aux jeux dynamiques.
Les années 1970-1987 voyaient le développement rapide des méthodes de la théorie des jeux différentiels et leur approfondissement. J’ai eu l’honneur de participer activement à ce processus et d’être au cœur des recherches dans ce domaine en URSS. En, 1976, j’ai soutenu ma thèse de Docteur en mathématique et, en 1987, ma thèse de Docteur d’Etat sur la théorie axiomatique des jeux dynamiques et des jeux dans les systèmes généraux.
En 1984 je suis devenu le chef d’une chaire à l’Université de Yakoutsk, en 1989 j’ai créé la chaire de la cybernétique mathématique, mes élèves ont commencé à soutenir leurs thèses. Je dirigeais aussi la division de l’informatique à l’Académie des sciences, ensuite j’ai fondé un Centre qui coordonnait toutes les recherches mathématiques en Yakoutie (République Sakha de la Fédération de Russie). Ainsi je dirigeais les recherches mathématiques en Yakoutie et je coordonnais des recherches pédagogiques sur JIPTO (Jeux Intellectuels de Poursuite de Tomski), inventé comme support de la vulgarisation des mathématiques.
En 1992, je suis devenu expert de l’UNESCO chargé des programmes de coopération scientifique et éducative entre l’UNESCO et la Yakoutie et autres régions du Grand Nord. Ces activités ont stimulé mes recherches pédagogiques. J’ai continué, pendant mon travail à l’UNESCO, à diriger mes école doctorales mathématiques et pédagogiques à l’Université de Yakoutsk, à mener les recherches sur la théorie des jeux différentiels dans le cadre du Centre de la théorie des jeux de l’Université de Saint-Pétersbourg et les recherches sur la Géométrie de la Poursuite.
Maintenant je vais essayer de donner quelques idées plus précises sur mes recherches mathématiques approfondies avec l’utilisation de la terminologie des mathématiques dites «supérieures», inévitable dans ce cas.
Les théorèmes de l’existence de la valeur des jeux différentiels à somme nulle dans les systèmes décrits par les équations différentielles ordinaires on été formulés et démontrés par N.N. Krassovski, A.I. Soubbotine, A. Friedman et d’autres vers l’année 1970. En 1971, Y.I. Ossipov (actuellement le Président de l’Académie des sciences de la Fédération de Russie) a généralisé les résultats de Krassovski et Soubbotine pour les jeux dans les systèmes décrits par les équations à retard et, en 1975, pour les jeux dans certains systèmes décrits par les équations aux dérivées partielles.
Il a été naturel de développer l’approche axiomatique générale au lieu de continuer les généralisations successives des résultats fondamentaux pour les jeux dans les systèmes décrits par les autres types et classes d’équations, commandé de nature diverse. J’ai commencé mes recherches dans ce domaine à partir de 1972. En 1974-1977, j’ai démontré des théorèmes généraux sur l’information des joueurs et des théorèmes de l’existence des solutions des jeux dans les systèmes généraux sans discrimination. Ces résultats ont été accueilli très favorablement par Krassovski, Ossipov et Soubbotine.
Vu l’avancement de mes recherches, le professeur L.A. Petrossian, devenu doyen de la faculté des mathématiques appliquées et des processus de contrôle de l’Université de Leningrad, m’a proposé d’écrire ensemble un manuel sur la théorie des jeux dynamiques et différentiels et leurs applications.
En 1977-78, j’ai travaillé à l’Université de Leningrad sur ce livre qui est devenu le premier manuel sur les jeux différentiels et le premier livre sur les jeux dans les systèmes dynamiques généraux.
En 1978-79, pendant mon stage postdoctoral à l’Université de Paris Dauphine, j’ai décidé de commencer à étudier les jeux différentiels et dynamiques dans les nouvelles classes de stratégies, plus souples que les stratégies positionnelles et les stratégies localement-programmées utilisées par les mathématiciens soviétiques à cette époque. Cette idée a été soutenue par les professeurs Pierre Bernhard et Ivar Ekeland.
Pendant les années 1978-1985, j’ai ainsi étudié des jeux dans les classes des E-stratégies, des stratégies récursives localement-programmées et des stratégies localement-programmées généralisées, dans les différentes classes de superstratégies, etc. L’avantage de ces stratégies consiste en diminution, souvent considérable, du nombre des corrections des décisions (contrôles) des joueurs. En 1982, j’ai publié le livre «Jeux dans les systèmes dynamiques” (Editions de l’Université d’Irkoutsk, 161 p.).
J’ai analysé les méthodes des itérations programmées (proposée par A.G. Tchentsov, S.V. Tchistiakov, en 1976-77, pour les systèmes décrits par les équations différentielles ordinaires et de nouveaux types) et démontré la possibilité de leur utilisation pour tous les jeux dynamiques ayant des solutions dans la classe des stratégies localement-programmées. C’était un résultat inattendu, définitif et valable pour tous les systèmes dynamiques décrits par les équations à retard, par les équations aux dérivées partielles, etc.
Ensuite, j’ai introduit différents types d’itérations programmées transfinies afin d’étudier les jeux différentiels dans la classes des epsilon-stratégies de Pchenithny car son résultat sur la « structure des jeux différentiels » (1969) restait encore obscur et isolé. Vers 1985, j’ai éclairci ses liens avec les autres résultats fondamentaux des jeux différentiels. J’ai aussi utilisé ces itérations transfinies pour la démonstration du fait que la fonction de valeur des jeux dynamiques satisfait toujours à l’équation de Tchentsov-Tchistiakov. C’était encore un résultat inattendu, définitif et valable pour tous les systèmes dynamiques.
Pour les jeux qualitatifs j’ai développé de nouvelles constructions rétrogrades pour la construction et l’estimation des zones de captures et des zones d’esquive dans différentes classes de stratégies. J’ai utilisé mes résultats et mes constructions pour l’étude des jeux différentiels linéaires dans l’espace de Banach, des jeux différentiels à information imparfaite.
Ces résultats ont été accueillis avec intérêt par tous les spécialistes concernés qui sont devenus à cette époque très nombreux car les grandes écoles scientifiques se sont développées autours de L.S. Pontryaguine à Moscou, de L.A. Petrossian à Leningrad, de N.N. Krassovski à Sverdlovsk, de B.N. Pchenithny à Kiev et des groupes moins importants dans plusieurs autres villes.
En 1985, j’ai obtenu l’habilitation de diriger des thèses. Mes missions scientifiques sont devenues de plus en plus fréquentes et durables. Pendant trois années, j’ai travaillé à l’Université de Leningrad et j’ai publié plusieurs livres.
En 1986, les professeurs Andreï Soubbotine et Alexandre Tchentsov, intrigués par mes derniers résultats, m’ont déclaré que : « Les chercheurs en théorie des jeux différentiels sont en majorité des spécialistes des équations différentielles et de la théorie du contrôle optimal et c’est pourquoi ils ont cessé de comprendre vos résultats devenus très compliqués et trop abstraits ». Ils m’ont recommandé de m’adresser à Yuri Erchov, président de l’Université de Novossibirsk, le meilleur spécialiste soviétique de la théorie des ensembles et de la logique mathématique pour l’expertise de ma thèse de Docteur d’Etat avant sa soutenance.
Erchov, Palutine, Taïmanov et d’autres spécialistes des fondements des mathématiques de l’Université de Novossibirsk ont été contents de voir l’utilisation efficace de l’approche axiomatique et des constructions abstraites et transfinies dans un domaine des mathématiques appliquées afin d’obtenir des résultats pour les classes des stratégies réalisables. Ils ont analysé mes démonstrations et ont certifié leur validité.
A cet instant j’ai ressenti un sentiment mitigé. D’une part, cet appel des grands spécialistes de la théorie des jeux différentiels aux spécialistes éminents de l’Université de Novossibirsk afin de comprendre mes résultats mathématiques témoignait que ces résultats sont vraiment profonds et compliqués ce qui a suscité ma satisfaction légitime en tant que mathématicien professionnel. D’autre part, cette situation d’avoir « du mal à établir une communication sensée avec cette importante partie de l'humanité qui n'a jamais entendu parler » des jeux différentiels et d’avoir même des difficultés de communication avec mes propres collègues scientifiques était un peu triste.
En 1987, j’ai soutenu ma thèse de Docteur d’Etat « Jeux dynamiques à information parfaite et leurs applications » devant un grand jury
composé d’une vingtaine des Docteurs d’Etats, mathématiciens des Universités et des Centres de recherches de Leningrad, Moscou, Ekaterinbourg, Kiev et Tachkent.
J’ai déjà noté que mon école doctorale à l’Université de Yakoutsk existe depuis 1985. Mes élèves S.P. Kaïgorodov, T.I. Kuzmina, G.P. Permiakov ont appliqué mes méthodes à l’étude des jeux différentiels avec plusieurs joueurs et aux solutions des jeux qualitatifs. R.I. Egotov a étudié la stabilité des solutions des jeux dynamiques, S.V. Mestnikov les a appliqués aux jeux différentiels à information imparfaite. Actuellement Kaïgorodov travaille sur les applications économiques de la théorie des jeux et Mestnikov continue à étudier les jeux différentiels à information imparfaite. Ils terminent leurs thèses de Docteur d’Etat.
En 1980-1987, V.A. Ulanov (Université de Saint-Pétersbourg) a développé la théorie des jeux dynamiques avec un nombre infini de personnes, basée sur ma théorie. Dans les thèses de Docteur d’Etat de V.V. Zakharov (Université de Saint-Petersbourg, 1989) et de N. Danilov (Université de Kemerovo, 1991) cette théorie est utilisée pour l’analyse des jeux dynamiques à plusieurs joueurs et leurs applications aux modèles mathématiques des problèmes économiques et écologiques,
N.A. Zenkevitch (Université de Saint-Petersbourg) a appliqué mes résultats aux jeux différentiels à information imparfaite. Notons que le professeur Zakharov est actuellement un des candidats à la présidence de l’Université de Saint-Pétersbourg.
J’ai consacré à certaines de ces applications les livres “Jeux différentiels à information imparfaite” (avec L.A. Petrossian, Editions de l’Université d’Irkoutsk, 1984, 188 p.) et “Jeux dans les systèmes généraux” (avec V. Oulanov, Editions de l’Université d’Irkoutsk, 1987, 208 p.).
En France, le développement de mes constructions rétrogrades et leurs applications, par le professeur Pierre Bernhard et ses élèves, ont permis d’obtenir des résultats très intéressants.
Les itérations programmées et les diverses constructions rétrogrades donnent des méthodes générales de solution des jeux différentiels. Leurs applications se heurtent actuellement au problème de la « malédiction de la dimension », mais on les utilise pour construire différentes stratégies et pour l’estimation du résultat de leurs utilisation.

En 1983, j’ai publié avec L.A.Petrossian le livre en russe Géométrie de la poursuite pure (Editions « Naouka », 143 p.) car nous avons compris que l’ensemble des propositions géométriques des jeux différentiels présente une extension intéressante de la géométrie classique car dans la théorie de la poursuite sur le plan on utilise assez souvent des méthodes géométriques qui permettent parfois de trouver les stratégies optimales.
En 1979-91, j’ai démontré quelques théorèmes sur la poursuite optimale avec des démonstrations à la portée des élèves des lycées et j’ai simplifié considérablement les démonstrations des résultats de Petrossian et de ses élèves sur la géométrie des jeux de poursuite de la capture rapide et des jeux avec la « ligne de vie » qui étaient initialement très compliqués. J’ai été satisfait de pouvoir enfin expliquer certains de mes résultats mathématiques même aux élèves doués des collèges.
A cette occasion je cite une des remarques critiques de Didier Norton:
« Depuis quelques décennies, le nombre de mathématiciens dans le monde a considérablement augmenté. On estime qu'il est passé de 3000 en 1900 à plus de 50 000 aujourd'hui. Ce point n'a pas été évoqué jusqu'ici parce qu'il n'influe pas sur leurs paroles. Parler se fait en privé ; si je ne suis pas dans le bureau où se tient la conversation, c'est pour moi comme si elle n'existait pas ; et le fait que, de par le monde, il y ait des milliers de bureaux où des milliers de mathématiciens sont en train de parler n'a pas de conséquences. Il en va tout autrement en ce qui concerne l'écrit. Même l'article que je ne lis pas, que je ne vois pas passer tant les articles sont nombreux, même celui-là a une conséquence sur mon travail : il contribue à altérer la nature de la vérité mathématique. Pour comprendre cette altération, comparons le statut d'un résultat très ancien, tel le théorème de Pythagore, et le statut d'un résultat récent, tel le dernier théorème publié ce matin même dans une revue de recherche mathématique.
D'un point de vue abstrait de «philosophie pure», rien ne les sépare. Ces théorèmes appartiennent à un seul et même massif. L'un et l'autre sont des vérités mathématiques, fondées sur des principes de logique supposés universels. Les milliers d'années écoulées entre le découverte du premier et celle du second sont une circonstance somme toute secondaire, comparée au fait que tous deux bénéficient de ce statut de «vérité éternelle» que seules les mathématiques semblent pouvoir offrir à une oeuvre humaine.
En revanche, d'un point de vue sociologique, ces théorèmes n'ont rien à voir. Le théorème de Pythagore fait partie d'un patrimoine commun à la plus grande partie de l'humanité. Des Babyloniens aux Grecs, des Chinois aux Arabes, il n'a cessé d'être découvert et redécouvert, interprété et réinterprété, recevant des dizaines de démonstrations différentes, où s'exprime le génie de chaque civilisation. Au contraire, le dernier théorème publié n'est compréhensible que par de rares spécialistes. Il n'a donc, dans les faits, rien d'universel. Et il a toutes chances d'être éphémère. Dans le meilleur des cas, un spécialiste tentera de le raffiner, pour publier à son tour. Suite à quoi, le théorème s'endormira dans les bibliothèques. La chance qu'un prince charmant vienne le réveiller est minime, et, le temps que vous lisiez le paragraphe qui s'achève ici, ce dernier théorème n'est déjà plus le dernier, tant les publications s'amoncellent vite... En 1989, le mathématicien français Pierre Cartier a estimé à 250 000 le nombre de théorèmes produits chaque année ; depuis, le rythme a encore augmenté.
Ainsi, les circonstances entourant le théorème de Pythagore et celles entourant le théorème de ce matin diffèrent de façon si radicale que le sens même de ces théorèmes se trouve affecté. Le théorème de Pythagore a un sens général ; le dernier théorème publié a, sauf exception, un sens particulier.» ( D. Norton, Deux et deux font-ils quatre ? Sur la fragilité des mathématiques, Pour la science, 1999, p. 38-39 ).
Depuis 1988, j’ai pu consacrer plus de temps à la Géométrie de la poursuite. En 1989, j’ai publié avec L.A.Petrossian Problèmes élémentaires de la poursuite et de l’évasion (Editions de l’Université de Yakoutsk, 80 p.) et, en 1991, Des jeux à la créativité » (Novossibirsk : Naouka, 125 p.).
Mes élèves A.I. Golikov, S.P. Kaïgorodov, S.P. Mestnikov, V.G. Sofronov ont aussi étudié les solutions géométriques des problèmes de poursuite. En 1991, nous avons édité un livre, consacré à ces problèmes (Investigations in the geometry of simple pursuit, Yakut State University, Edited by L. Petrossian, G. Tomski, S.Mestnikov, 105 p. ). »
Les résultats de mes élèves, sauf un théorème de Kaïgorodov, ne sont pas inclus dans ce livre car nous n’avons pas encore trouvé leurs démonstrations fondées uniquement sur la géométrie élémentaire. Pour les mêmes raison, je n’ai pas inclus des résultats géométriques obtenus par Nikolaï Zenkevitch de l’Université de Saint-Petersburg sur la poursuite avec information imparfaite à partir de l’année 1985.
Viktor Chiriaev de l’Université de Saransk a consacré sa thèse à la théorie de la poursuite sur le plan. Par exemple, en 1982, il a démontré que, si le «poursuivant» utilise la stratégie de la poursuite simple et si le «fugitif» se déplace avec la vitesse maximale sans changer sa direction, alors les points de capture ponctuelle, correspondant à toutes les directions de déplacement, constituent le «limaçon de
Pascal», ligne qui a été étudiée par Etienne Pascal, père de Blaise Pascal, juriste passionné de mathématiques.

Badir Rikhsiev de l’Université de Tachkent, a étudié, en utilisant les méthodes géométriques élémentaires, les problèmes de la poursuite dans un angle ou avec d’autres restrictions, ainsi qu’avec quelques «poursuivants» ou «fugitifs». Ces démonstrations sont pourtant compliquées avec parfois l’utilisation de la méthode des «joueurs fictifs», inventée par Rikhsiev.
Mon expérience de la simplification des démonstrations de la théorie géométrique de la poursuite laisse espérer qu’on peut trouver de nouvelles démonstrations basée sur les mathématiques élémentaires de la majorité des résultats mathématiques cités.
Les problèmes de la communication des idées mathématiques sont difficiles et demandent de nouvelles approches. A cette fin et pour élargir davantage le domaine des recherches de la géométrie de la poursuite, en 1987, j’ai inventé le JIPTO (Jeux Intellectuels de Poursuite pour Tous) avec des modèles mathématiques élémentaires.
L’existence de dizaines de milliers d’amateurs du JIPTO justifie actuellement les recherches approfondies sur les propriétés des modèles mathématiques des versions les plus intéressantes. Notons qu’André Deledicq, que nous avons cité à quelques reprise dans ce livre, pense que le JIPTO « semble avoir toutes les qualités pour devenir un vrai «classique» comme les échecs, les dames, le jacquet etc. »
Cet aperçu, pourtant bien incomplet, montre la diversité des recherches sur la géométrie de la poursuite.