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La découverte de lexistence
dun domaine de recherches mathématiques à
la portée des élèves des lycées et
des collèges à lépoque de la très
grande professionalisation des recherches mathématiques
est assez inattendue. Cest pourquoi, nous commençons
à discuter de la place de la géométrie de
la poursuite.
Un portrait dun « mathématicien idéal
» est tracé dans le livre de Philip J. Davis et
Reuben Hersh LUnivers mathématiques (Bordas,
1985):
« Par cela, nous n'entendons pas le mathématicien
exempt de tout défaut ou de toute limitation. Nous voulons
plutôt décrire le mathématicien ressemblant
le plus possible à un mathématicien, comme on pourrait
décrire le lévrier de pure race, ou le moine idéal
du XIIIème siècle. Nous allons tenter de construire
un spécimen à l'état pur, afin d'exhiber
les aspects paradoxaux et problématiques du rôle
du mathématicien ... Le travail du mathématicien
idéal est intelligible seulement pour un petit groupe
de spécialistes, dont le nombre est de quelques douzaines
ou au plus de quelques centaines. Ce groupe n'existe que depuis
quelques décennies, et il est très possible qu'il
s'éteigne dans quelques autres décennies. Toutefois,
le mathématicien regarde son oeuvre comme une part de
la structure même du monde, contenant des vérités
valables pour toujours depuis le commencement des temps, même
dans les coins les plus reculés de l'univers.
Il fonde sa foi sur une démonstration rigoureuse; il croit
que la différence entre une démonstration correcte
et une démonstration incorrecte est facilement reconnaissable
et sans appel. Il va jusqu'à penser qu'il n'y a pas de
condamnation plus accablante que de dire d'un étudiant
«Il ne sait même pas ce qu'est une démonstration!
»Il est cependant incapable de donner une explication cohérente
de ce qu'on entend par rigueur, ou ce qui est nécessaire
pour faire une démonstration rigoureuse. Dans sa propre
oeuvre, la ligne de partage entre ce qui est démontré
parfaitement ou imparfaitement est toujours floue, et souvent
controversée.
Si peu que nous parlions du mathématicien idéal,
nous devons avoir un nom pour son « domaine », son
sujet. Appelons-le, par exemple, « les hypercarrés
non riemanniens ».
Il est étiqueté par son domaine, par la quantité
de ce qu'il publie, et particulièrement par ceux dont
il utilise l'oeuvre et dont il suit le goût dans le choix
de ses problèmes.
Il étudie des objets dont l'existence n'est soupçonnée
que par une poignée de ses collègues. En fait,
si un non-initié lui demande ce qu'il étudie, il
sera incapable de lui montrer ou de lui dire ce que c'est. Il
est nécessaire de passer par un apprentissage ardu de
plusieurs années pour comprendre la théorie à
laquelle il s'est consacré. C'est seulement à ce
moment qu'on sera prêt à obtenir une explication
sur l'objet de son étude. Faute de cela, on pourra seulement
obtenir une « définition » qui sera si abstruse
qu'elle défiera toute tentative de compréhension.
Les objets étudiés par notre mathématicien
étaient inconnus jusqu'au xxe siècle; vraisemblablement,
ils étaient encore inconnus il y a trente ans. Aujourd'hui,
ils sont le principal intérêt dans la vie de quelques
douzaines (au mieux, de quelques centaines) de ses compagnons.
Ses compagnons et lui-même n'ont jamais mis en doute que
les hypercarrès non riemanniens ont une existence réelle
aussi définie et objective que celles du rocher de Gibraltar
ou de la comète de Halley...
En tout cas, pour lui l'hypercarré non riemannien existe,
et il le poursuit avec une dévotion passionnée.
Il passe toutes ses journées à le contempler. Sa
vie est heureuse dans la mesure où il peut découvrir
de nouveaux faits sur ce sujet.
Il a du mal à établir une conversation sensée
avec cette importante partie de l'humanité qui n'a jamais
entendu parler des hypercarrés non riemanniens. »
(Davis et Hersh, p. 35-36 ).
Il est intéressant de comparer ce portrait avec les activités
dun mathématicien réel, cest pourquoi
je vais parler de mon parcours mathématique personnel.
Jai grandi en URSS à lépoque des conquêtes
spatiales (Spoutnik, Gagarine) quand les sciences physiques et
mathématiques avaient un très grand prestige. Les
mathématiques mattiraient beaucoup avec le début
de létude de la géométrie. Heureusement,
dans les collèges et lycées soviétiques,
on enseignait alors la géométrie comme une théorie
mathématique et jai renforcé mon goût
des raisonnements logiques en lisant un livre sur les jeux mathématiques.
Ensuite, jai lu un livre sur Archimède du professeur
Lourié avec la description détaillée de
ses travaux et de ses méthodes. En appliquant les méthodes
décrites dans ce livre, jai trouvé quelques
formules pour les aires et les volumes. Bien sûr, je connaissais
lexistence de la notion dintégrale, qui permet
dobtenir ces formules presque automatiquement, mais les
démonstrations des résultats, qui étaient
nouveaux pour moi, me passionnaient.
En 1966, je suis devenu étudiant de lUniversité
de Yakoutsk. Je ne savais pas encore que cétait
notre génération qui créerait en Yakoutie
les sciences mathématiques avec les Instituts et les Centres
de recherches, formerait plusieurs centaines de chercheurs en
mathématiques et leurs applications. Une grande surprise
mattendait : il ny avait à cette époque
que quelques docteurs en mathématiques parmi mes enseignants.
En entrant à lUniversité de Yakoutsk, je
pensais devenir un mathématicien qui ne cède en
rien à ses collègues, formés dans les prestigieuses
Universités de Moscou, de Leningrad et de Novossibirsk.
Il ne restait quune solution : travailler beaucoup dans
les bibliothèques, chercher et étudier les livres
des mathématiciens
célèbres afin de constituer un bon réservoir
de connaissances fondamentales. Ainsi jai commencé
à étudier simultanément avec mes premiers
manuels de calcul différentiel et intégral les
livres de Bourbaki. Heureusement, il ny avait personne
pour me conseiller de reporter leur lecture pour un peu plus
tard. Comme résultat, jai entraîné
si bien mon cerveau que le programme ordinaire universitaire
me paraissait très facile.
Jai décidé de commencer mes recherches par
la théorie des jeux différentiels car ce nouveau
domaine des mathématiques mest apparu
comme intéressant et prometteur. En effet, la théorie
des jeux différentiels, qui comprend la théorie
de la poursuite optimale, est née des applications militaires
et techniques des mathématiques, mais elle est un outil
théorique permettant de modéliser de la façon
plus adéquate les problèmes des sciences sociales
et économiques.
Dans toute lUnion Soviétique il nexistait
que quelques spécialistes dans ce domaine à Moscou,
Leningrad et Sverdlovsk (actuellement Ekaterinbourg). Jai
écrit mon mémoire consacré à la géométrie
des jeux avec la «ligne de vie» à lUniversité
de Leningrad sous la direction de Léon Petrossian qui
ma invité à continuer mes études dans
son école doctorale. Je continuais donc mes études
avec les meilleurs étudiants de lUniversité
de Leningrad, anciens élèves du Lycée physique
et mathématique auprès de cette Université,
souvent vainqueurs des Olympiades internationales, décorés
de la médaille dor à la sortie du Lycée.
Jai vite remarqué leur handicap majeur : manque
dautonomie. Entourés depuis leur adolescence par
les meilleurs enseignants, conseillés par les scientifiques
de renommée mondiale, ils avaient perdu en partie lhabitude
de se débrouiller seuls et navaient pas souvent
assez la rage deffectuer des recherches indépendantes
et solitaires. Mes études de Bourbaki ne sont pas restées
sans suite. Jai commencé à développer
lapproche axiomatique aux jeux dynamiques.
Les années 1970-1987 voyaient le développement
rapide des méthodes de la théorie des jeux différentiels
et leur approfondissement. Jai eu lhonneur de participer
activement à ce processus et dêtre au cur
des recherches dans ce domaine en URSS. En, 1976, jai soutenu
ma thèse de Docteur en mathématique et, en 1987,
ma thèse de Docteur dEtat sur la théorie
axiomatique des jeux dynamiques et des jeux dans les systèmes
généraux.
En 1984 je suis devenu le chef dune chaire à lUniversité
de Yakoutsk, en 1989 jai créé la chaire de
la cybernétique mathématique, mes élèves
ont commencé à soutenir leurs thèses. Je
dirigeais aussi la division de linformatique à lAcadémie
des sciences, ensuite jai fondé un Centre qui coordonnait
toutes les recherches mathématiques en Yakoutie (République
Sakha de la Fédération de Russie). Ainsi je dirigeais
les recherches mathématiques en Yakoutie et je coordonnais
des recherches pédagogiques sur JIPTO (Jeux Intellectuels
de Poursuite de Tomski), inventé comme support de la vulgarisation
des mathématiques.
En 1992, je suis devenu expert de lUNESCO chargé
des programmes de coopération scientifique et éducative
entre lUNESCO et la Yakoutie et autres régions du
Grand Nord. Ces activités ont stimulé mes recherches
pédagogiques. Jai continué, pendant mon travail
à lUNESCO, à diriger mes école doctorales
mathématiques et pédagogiques à lUniversité
de Yakoutsk, à mener les recherches sur la théorie
des jeux différentiels dans le cadre du Centre de la théorie
des jeux de lUniversité de Saint-Pétersbourg
et les recherches sur la Géométrie de la Poursuite.
Maintenant je vais essayer de donner quelques idées plus
précises sur mes recherches mathématiques approfondies
avec lutilisation de la terminologie des mathématiques
dites «supérieures», inévitable dans
ce cas.
Les théorèmes de lexistence de la valeur
des jeux différentiels à somme nulle dans les systèmes
décrits par les équations différentielles
ordinaires on été formulés et démontrés
par N.N. Krassovski, A.I. Soubbotine, A. Friedman et dautres
vers lannée 1970. En 1971, Y.I. Ossipov (actuellement
le Président de lAcadémie des sciences de
la Fédération de Russie) a généralisé
les résultats de Krassovski et Soubbotine pour les jeux
dans les systèmes décrits par les équations
à retard et, en 1975, pour les jeux dans certains systèmes
décrits par les équations aux dérivées
partielles.
Il a été naturel de développer lapproche
axiomatique générale au lieu de continuer les généralisations
successives des résultats fondamentaux pour les jeux dans
les systèmes décrits par les autres types et classes
déquations, commandé de nature diverse. Jai
commencé mes recherches dans ce domaine à partir
de 1972. En 1974-1977, jai démontré des théorèmes
généraux sur linformation des joueurs et
des théorèmes de lexistence des solutions
des jeux dans les systèmes généraux sans
discrimination. Ces résultats ont été accueilli
très favorablement par Krassovski, Ossipov et Soubbotine.
Vu lavancement de mes recherches, le professeur L.A. Petrossian,
devenu doyen de la faculté des mathématiques appliquées
et des processus de contrôle de lUniversité
de Leningrad, ma proposé décrire ensemble
un manuel sur la théorie des jeux dynamiques et différentiels
et leurs applications.
En 1977-78, jai travaillé à lUniversité
de Leningrad sur ce livre qui est devenu le premier manuel sur
les jeux différentiels et le premier livre sur les jeux
dans les systèmes dynamiques généraux.
En 1978-79, pendant mon stage postdoctoral à lUniversité
de Paris Dauphine, jai décidé de commencer
à étudier les jeux différentiels et dynamiques
dans les nouvelles classes de stratégies, plus souples
que les stratégies positionnelles et les stratégies
localement-programmées utilisées par les mathématiciens
soviétiques à cette époque. Cette idée
a été soutenue par les professeurs Pierre Bernhard
et Ivar Ekeland.
Pendant les années 1978-1985, jai ainsi étudié
des jeux dans les classes des E-stratégies, des stratégies
récursives localement-programmées et des stratégies
localement-programmées généralisées,
dans les différentes classes de superstratégies,
etc. Lavantage de ces stratégies consiste en diminution,
souvent considérable, du nombre des corrections des décisions
(contrôles) des joueurs. En 1982, jai publié
le livre «Jeux dans les systèmes dynamiques
(Editions de lUniversité dIrkoutsk, 161 p.).
Jai analysé les méthodes des itérations
programmées (proposée par A.G. Tchentsov, S.V.
Tchistiakov, en 1976-77, pour les systèmes décrits
par les équations différentielles ordinaires et
de nouveaux types) et démontré la possibilité
de leur utilisation pour tous les jeux dynamiques ayant des solutions
dans la classe des stratégies localement-programmées.
Cétait un résultat inattendu, définitif
et valable pour tous les systèmes dynamiques décrits
par les équations à retard, par les équations
aux dérivées partielles, etc.
Ensuite, jai introduit différents types ditérations
programmées transfinies afin détudier les
jeux différentiels dans la classes des epsilon-stratégies
de Pchenithny car son résultat sur la « structure
des jeux différentiels » (1969) restait encore
obscur et isolé. Vers 1985, jai éclairci
ses liens avec les autres résultats fondamentaux des jeux
différentiels. Jai aussi utilisé ces itérations
transfinies pour la démonstration du fait que la fonction
de valeur des jeux dynamiques satisfait toujours à léquation
de Tchentsov-Tchistiakov. Cétait encore un résultat
inattendu, définitif et valable pour tous les systèmes
dynamiques.
Pour les jeux qualitatifs jai développé de
nouvelles constructions rétrogrades pour la construction
et lestimation des zones de captures et des zones desquive
dans différentes classes de stratégies. Jai
utilisé mes résultats et mes constructions pour
létude des jeux différentiels linéaires
dans lespace de Banach, des jeux différentiels à
information imparfaite.
Ces résultats ont été accueillis avec intérêt
par tous les spécialistes concernés qui sont devenus
à cette époque très nombreux car les grandes
écoles scientifiques se sont développées
autours de L.S. Pontryaguine à Moscou, de L.A. Petrossian
à Leningrad, de N.N. Krassovski à Sverdlovsk, de
B.N. Pchenithny à Kiev et des groupes moins importants
dans plusieurs autres villes.
En 1985, jai obtenu lhabilitation de diriger des
thèses. Mes missions scientifiques sont devenues de plus
en plus fréquentes et durables. Pendant trois années,
jai travaillé à lUniversité
de Leningrad et jai publié plusieurs livres.
En 1986, les professeurs Andreï Soubbotine et Alexandre
Tchentsov, intrigués par mes derniers résultats,
mont déclaré que : « Les chercheurs
en théorie des jeux différentiels sont en majorité
des spécialistes des équations différentielles
et de la théorie du contrôle optimal et cest
pourquoi ils ont cessé de comprendre vos résultats
devenus très compliqués et trop abstraits ».
Ils mont recommandé de madresser à
Yuri Erchov, président de lUniversité de
Novossibirsk, le meilleur spécialiste soviétique
de la théorie des ensembles et de la logique mathématique
pour lexpertise de ma thèse de Docteur dEtat
avant sa soutenance.
Erchov, Palutine, Taïmanov et dautres spécialistes
des fondements des mathématiques de lUniversité
de Novossibirsk ont été contents de voir lutilisation
efficace de lapproche axiomatique et des constructions
abstraites et transfinies dans un domaine des mathématiques
appliquées afin dobtenir des résultats pour
les classes des stratégies réalisables. Ils ont
analysé mes démonstrations et ont certifié
leur validité.
A cet instant jai ressenti un sentiment mitigé.
Dune part, cet appel des grands spécialistes de
la théorie des jeux différentiels aux spécialistes
éminents de lUniversité de Novossibirsk afin
de comprendre mes résultats mathématiques témoignait
que ces résultats sont vraiment profonds et compliqués
ce qui a suscité ma satisfaction légitime en tant
que mathématicien professionnel. Dautre part, cette
situation davoir « du mal à établir
une communication sensée avec cette importante partie
de l'humanité qui n'a jamais entendu parler » des
jeux différentiels et davoir même des difficultés
de communication avec mes propres collègues scientifiques
était un peu triste.
En 1987, jai soutenu ma thèse de Docteur dEtat
« Jeux dynamiques à information parfaite et
leurs applications » devant un grand jury
composé dune vingtaine des Docteurs dEtats,
mathématiciens des Universités et des Centres de
recherches de Leningrad, Moscou, Ekaterinbourg, Kiev et Tachkent.
Jai déjà noté que mon école
doctorale à lUniversité de Yakoutsk existe
depuis 1985. Mes élèves S.P. Kaïgorodov, T.I.
Kuzmina, G.P. Permiakov ont appliqué mes méthodes
à létude des jeux différentiels avec
plusieurs joueurs et aux solutions des jeux qualitatifs. R.I.
Egotov a étudié la stabilité des solutions
des jeux dynamiques, S.V. Mestnikov les a appliqués aux
jeux différentiels à information imparfaite. Actuellement
Kaïgorodov travaille sur les applications économiques
de la théorie des jeux et Mestnikov continue à
étudier les jeux différentiels à information
imparfaite. Ils terminent leurs thèses de Docteur dEtat.
En 1980-1987, V.A. Ulanov (Université de Saint-Pétersbourg)
a développé la théorie des jeux dynamiques
avec un nombre infini de personnes, basée sur ma théorie.
Dans les thèses de Docteur dEtat de V.V. Zakharov
(Université de Saint-Petersbourg, 1989) et de N. Danilov
(Université de Kemerovo, 1991) cette théorie est
utilisée pour lanalyse des jeux dynamiques à
plusieurs joueurs et leurs applications aux modèles mathématiques
des problèmes économiques et écologiques,
N.A. Zenkevitch (Université de Saint-Petersbourg) a appliqué
mes résultats aux jeux différentiels à information
imparfaite. Notons que le professeur Zakharov est actuellement
un des candidats à la présidence de lUniversité
de Saint-Pétersbourg.
Jai consacré à certaines de ces applications
les livres Jeux différentiels à information
imparfaite (avec L.A. Petrossian, Editions de lUniversité
dIrkoutsk, 1984, 188 p.) et Jeux dans les systèmes
généraux (avec V. Oulanov, Editions de lUniversité
dIrkoutsk, 1987, 208 p.).
En France, le développement de mes constructions rétrogrades
et leurs applications, par le professeur Pierre Bernhard et ses
élèves, ont permis dobtenir des résultats
très intéressants.
Les itérations programmées et les diverses constructions
rétrogrades donnent des méthodes générales
de solution des jeux différentiels. Leurs applications
se heurtent actuellement au problème de la « malédiction
de la dimension », mais on les utilise pour construire
différentes stratégies et pour lestimation
du résultat de leurs utilisation.
En 1983, jai publié
avec L.A.Petrossian le livre en russe Géométrie
de la poursuite pure (Editions « Naouka »,
143 p.) car nous avons compris que lensemble des propositions
géométriques des jeux différentiels présente
une extension intéressante de la géométrie
classique car dans la théorie de la poursuite sur le plan
on utilise assez souvent des méthodes géométriques
qui permettent parfois de trouver les stratégies optimales.
En 1979-91, jai démontré quelques théorèmes
sur la poursuite optimale avec des démonstrations à
la portée des élèves des lycées et
jai simplifié considérablement les démonstrations
des résultats de Petrossian et de ses élèves
sur la géométrie des jeux de poursuite de la capture
rapide et des jeux avec la « ligne de vie »
qui étaient initialement très compliqués.
Jai été satisfait de pouvoir enfin expliquer
certains de mes résultats mathématiques même
aux élèves doués des collèges.
A cette occasion je cite une des remarques critiques de Didier
Norton:
« Depuis quelques décennies, le nombre de mathématiciens
dans le monde a considérablement augmenté. On estime
qu'il est passé de 3000 en 1900 à plus de 50 000
aujourd'hui. Ce point n'a pas été évoqué
jusqu'ici parce qu'il n'influe pas sur leurs paroles. Parler
se fait en privé ; si je ne suis pas dans le bureau où
se tient la conversation, c'est pour moi comme si elle n'existait
pas ; et le fait que, de par le monde, il y ait des milliers
de bureaux où des milliers de mathématiciens sont
en train de parler n'a pas de conséquences. Il en va tout
autrement en ce qui concerne l'écrit. Même l'article
que je ne lis pas, que je ne vois pas passer tant les articles
sont nombreux, même celui-là a une conséquence
sur mon travail : il contribue à altérer la nature
de la vérité mathématique. Pour comprendre
cette altération, comparons le statut d'un résultat
très ancien, tel le théorème de Pythagore,
et le statut d'un résultat récent, tel le dernier
théorème publié ce matin même dans
une revue de recherche mathématique.
D'un point de vue abstrait de «philosophie pure»,
rien ne les sépare. Ces théorèmes appartiennent
à un seul et même massif. L'un et l'autre sont des
vérités mathématiques, fondées sur
des principes de logique supposés universels. Les milliers
d'années écoulées entre le découverte
du premier et celle du second sont une circonstance somme toute
secondaire, comparée au fait que tous deux bénéficient
de ce statut de «vérité éternelle»
que seules les mathématiques semblent pouvoir offrir à
une oeuvre humaine.
En revanche, d'un point de vue sociologique, ces théorèmes
n'ont rien à voir. Le théorème de Pythagore
fait partie d'un patrimoine commun à la plus grande partie
de l'humanité. Des Babyloniens aux Grecs, des Chinois
aux Arabes, il n'a cessé d'être découvert
et redécouvert, interprété et réinterprété,
recevant des dizaines de démonstrations différentes,
où s'exprime le génie de chaque civilisation. Au
contraire, le dernier théorème publié n'est
compréhensible que par de rares spécialistes. Il
n'a donc, dans les faits, rien d'universel. Et il a toutes chances
d'être éphémère. Dans le meilleur
des cas, un spécialiste tentera de le raffiner, pour publier
à son tour. Suite à quoi, le théorème
s'endormira dans les bibliothèques. La chance qu'un prince
charmant vienne le réveiller est minime, et, le temps
que vous lisiez le paragraphe qui s'achève ici, ce dernier
théorème n'est déjà plus le dernier,
tant les publications s'amoncellent vite... En 1989, le mathématicien
français Pierre Cartier a estimé à 250 000
le nombre de théorèmes produits chaque année
; depuis, le rythme a encore augmenté.
Ainsi, les circonstances entourant le théorème
de Pythagore et celles entourant le théorème de
ce matin diffèrent de façon si radicale que le
sens même de ces théorèmes se trouve affecté.
Le théorème de Pythagore a un sens général
; le dernier théorème publié a, sauf exception,
un sens particulier.» ( D. Norton, Deux et deux font-ils
quatre ? Sur la fragilité des mathématiques, Pour
la science, 1999, p. 38-39 ).
Depuis 1988, jai pu consacrer plus de temps à la
Géométrie de la poursuite. En 1989, jai publié
avec L.A.Petrossian Problèmes élémentaires
de la poursuite et de lévasion (Editions
de lUniversité de Yakoutsk, 80 p.) et, en 1991,
Des jeux à la créativité »
(Novossibirsk : Naouka, 125 p.).
Mes élèves A.I. Golikov, S.P. Kaïgorodov,
S.P. Mestnikov, V.G. Sofronov ont aussi étudié
les solutions géométriques des problèmes
de poursuite. En 1991, nous avons édité un livre,
consacré à ces problèmes (Investigations
in the geometry of simple pursuit, Yakut State University,
Edited by L. Petrossian, G. Tomski, S.Mestnikov, 105 p. ). »
Les résultats de mes élèves, sauf un théorème
de Kaïgorodov, ne sont pas inclus dans ce livre car nous
navons pas encore trouvé leurs démonstrations
fondées uniquement sur la géométrie élémentaire.
Pour les mêmes raison, je nai pas inclus des résultats
géométriques obtenus par Nikolaï Zenkevitch
de lUniversité de Saint-Petersburg sur la poursuite
avec information imparfaite à partir de lannée
1985.
Viktor Chiriaev de lUniversité de Saransk a consacré
sa thèse à la théorie de la poursuite sur
le plan. Par exemple, en 1982, il a démontré que,
si le «poursuivant» utilise la stratégie de
la poursuite simple et si le «fugitif» se déplace
avec la vitesse maximale sans changer sa direction, alors les
points de capture ponctuelle, correspondant à toutes les
directions de déplacement, constituent le «limaçon
de
Pascal», ligne qui a été étudiée
par Etienne Pascal, père de Blaise Pascal, juriste passionné
de mathématiques.
Badir Rikhsiev de lUniversité de Tachkent, a étudié,
en utilisant les méthodes géométriques élémentaires,
les problèmes de la poursuite dans un angle ou avec dautres
restrictions, ainsi quavec quelques «poursuivants»
ou «fugitifs». Ces démonstrations sont pourtant
compliquées avec parfois lutilisation de la méthode
des «joueurs fictifs», inventée par Rikhsiev.
Mon expérience de la simplification des démonstrations
de la théorie géométrique de la poursuite
laisse espérer quon peut trouver de nouvelles démonstrations
basée sur les mathématiques élémentaires
de la majorité des résultats mathématiques
cités.
Les problèmes de la communication des idées mathématiques
sont difficiles et demandent de nouvelles approches. A cette
fin et pour élargir davantage le domaine des recherches
de la géométrie de la poursuite, en 1987, jai
inventé le JIPTO (Jeux Intellectuels de Poursuite pour
Tous) avec des modèles mathématiques élémentaires.
Lexistence de dizaines de milliers damateurs du JIPTO
justifie actuellement les recherches approfondies sur les propriétés
des modèles mathématiques des versions les plus
intéressantes. Notons quAndré Deledicq, que
nous avons cité à quelques reprise dans ce livre,
pense que le JIPTO « semble avoir toutes les qualités
pour devenir un vrai «classique» comme les échecs,
les dames, le jacquet etc. »
Cet aperçu, pourtant bien incomplet, montre la diversité
des recherches sur la géométrie de la poursuite. |