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CRITIQUES DE DISQUES


Bonnes ou mauvaises, les critiques réunies ici visent avant tout à faire ressortir les caractéristiques de l'interprétation giulinienne. Au gré des enregistrements, de la plume des critiques, de la discographie existante, on découvre les éléments qui séduisent ou qui irritent (ah ! le péché de lenteur). Á dessein, j'ai donc sélectionné des critiques très diverses dans leurs sources, parfois contradictoires. Elles révèlent, d'une part, que la fonction du critique n'est point facile - tendant vers l'objectivité mais souvent subjective car passionnée ! - et, d'autre part, que selon le mot bien connu de Beaumarchais : "Sans la liberté de blâmer, il n'est pas d'éloge flatteur".

BACH

bulletMesse en si mineur BWV 232
Ziesak, Alexander, Van Nes, Lewis, Wilson-Johnson, Ch et Orch Sym de la Radio Bavaroise, Sony, 1994, Live

"Un sentiment d'éternité" affirmait une publicité pour la Messe en si de Giulini. Certes ! L'une des caractéristique de l'éternité étant de durer indéfiniment, cet enregistrement s'en approche singulièrement tant la musique de Bach semble y faire du surplace. D'autres grands chefs ont par le passé tenu des tempos aussi lents, ne seraient-ce que Karajan ou Klemperer, mais le premier ajoutait une ferveur émue au fondu sensationnel du son tandis que le second bâtissait une immense cathédrale, toujours visitable d'ailleurs, grâce à son sens prodigieux de l'architecture. Rien de cela avec Giulini : dès le premier Kyrie, orchestre et choeur s'engluent dans un flux mollasson, dénervé, qui déroule indéfiniment de mièvres volutes. On suppose que le chef italien a voulu donner par sa retenue contemplative une dimension mystique à son approche, mais si les tenues extatiques des sopranos y parviennent presque dans l'Et incarnatus est du Credo, ailleurs (Et in terra pax, fin du Confiteor) les alanguissements confinent à l'enlisement. Même les grands choeurs festifs semblent privés d'énergie (alors que Klemperer réussissait admirablement à nous soulever malgré des tempos guère plus pressés) : écoutez les baisses de tension abruptes dans l'Et resurrexit ou, pire, à la toute fin du Credo et dans un incroyable et flasque Sanctus. Du coup les malheureux choristes bavarois sont mis à rude épreuve. L'auditeur aussi, qui doit supporter un orchestre routinier et des solistes à côté de la question, à l'exception notable de Ruth Ziesak. L'embarras de Roberta Alexander, incapable d'assurer correctement les vocalises et de stabiliser les tenues filées du Laudamus Te, il est vrai, à deux à l'heure, ou encore les dérapages triviaux de Jard Van Nes dans le Qui sedes ( et que son Agnus Dei est terne !) finissent de disqualifier une entreprise dont on ne voit pas bien la nécessité, ce qui nous peine venant d'un chef à l'origine de tant de bonheurs discographiques.
Jean-Luc MACIA, Diapason n° 411, Janvier 1995, 2 Diapasons

BRAHMS

bulletConcerto pour violon
Itzakh Perlman, Orchestre Symphonique de Chicago, EMI, 1976

La réussite du couple Perlman / Giulini est la même dans le Concerto de Brahms que dans le Concerto de Beethoven : l'accord des deux artistes est un accord de pensée et de sensibilité. Giulini ouvre le feu avec un vaste embrasement orchestral indiquant au violon de Perlman à quelle altitude va se dérouler leur confrontation qui est à la fois étreinte, complicité et sain affrontement dans une même trajectoire partagée. Le violon de Perlman est une braise en même temps qu'un baiser et la plasticité lumineuse de son discours ne l'émp$eche pas de se jeter avec fougue dans des figures ardentes. La liberté expressive des deux forces ajoutées, l'orchestre et le soliste, permet cette ferveur. Et si Giulini ramène aussi les ombres, les couleurs du Nord, pour accentuer l'irréalité de cette rencontre, c'est pour mieux donner ua violon de Perlman la possibilité de déployer son lyrisme passionné. On atteint rarement une telle émotion : un disque radioactif !
Alain DUAULT, Le Guide du disque compact classique, Belfond, Le Pré aux Clercs, 1991 

bulletUn Requiem allemand
Bonney, Schmidt, Konzertvereinigung Wiener Staatsopernchor, Wiener Philharmoniker, DG, 1987, Live


Cheminement exemplaire que celui de Giulini à travers l'univers romantique ! Après avoir visité la plupart des chefs-d'oeuvre symphoniques germaniques et les grandes oeuvres religieuses depuis la Missa Solemnis jusqu'au Requiem de Verdi, il lui fallait s'arrêter au Requiem allemand. Ses enregistrements symphoniques brahmsiens nous permettaient de tout espérer : le lyrisme rayonnant, le refus des effets faciles, la variété  des climats dans l'unité de ton. Si ce Requiem va au-delà de nos espérances, c'est sans doute par l'immense impression de générosité qui nous saisit. Générosité dans la sonorité orchestrale, celle des Wiener Philharmoniker aux graves profonds, aux aigus aériens, aux vents inspirés (sublime hautbois), captés sur le vif. Générosité du choeur, large, juste d'intonation et de caractère, précis dans l'articulation du texte. Générosité encore dans le choix de solistes jeunes et valeureux, Barbara Bonney et Andreas Schmidt, l'un et l'autre à l'écoute du maître et du vénérable orchestre, mais sans complexes face à des devanciers autrement prestigieux. Cette simplicité ne pouvait que s'inscrire dans l'esprit profond de l'oeuvre, là où certains cherchent avec génie le grandiose (Klemperer) ou le raffinement le plus subtil (Karajan).
"Je suis réellement possédé de ton Requiem ; c'est là une oeuvre dont la puissance singulière ne peut qu'empoigner l'auditeur comme bien peu d'oeuvres peuvent le faire. Son mélange de gravité et de poésie a de quoi transporter, de quoi apaiser tour à tour. " Ce jugement de Schumann sur l'oeuvre de son jeune ami, ne s'applique-t-il pas à merveille à l'interprétation de Giulini ? 

Olivier OPDEBEEK, Diapason n° 341, septembre 1988. Diapason d'Or

bulletSymphonie n° 3 op. 90 + n° 2 op. 73
Orchestre Philharmonia, EMI, 1962

Une version restée incomparable par son ampleur méditative. Giulini atteint des sommets.
Patrick SZERSNOVICZ, Le Monde de la Musique, n° 285 - Mars 2004

bulletSymphonie N° 4 op. 90 + Variations sur un thème de Haydn + Ouverture tragique
Orchestre Symphonique de Chicago, EMI, 1969


Empreinte d'une divine noblesse, cette version est servie par une profondeur de respiration et une intelligence de phrasé des plus audacieuses. L'Ouverture tragique et les Variations Haydn en complément sont de flamboyantes réussites.
Patrick SZERSNOVICZ, Le Monde de la Musique, n° 285 - Mars 2004


BRUCKNER

bulletSYMPHONIE n° 2 en ut mineur (Version 1877, Novak)
Orchestre Symphonique de Vienne, Testament, 1974

[Interprétation] absolument splendide, le fruit manifeste d'un profond amour et d'une grande intelligence de cette musique. Giulini a toutes les qualités requises chez Bruckner - la noblesse, une ampleur mesurée, une énergie rythmique, de l'éloquence sans sentimentalité mais, avant tout, il ressent parfaitement la "spiritualité"  indéfinissable de cette musique, tout comme [Eugen] Jochum, mais sans devoir, comme ce dernier, recourir à des manipulations de tempo pour la mettre en valeur.
Deryck COOKE, Gramophone, 1975 
 
bulletSymphonies n° 7 et  8  Ed. Nowak)
Orchestre Philharmonique de Berlin, Testament

Les deux symphonies de Bruckner (8e  du 11 février 1984 et 7e  du 5 mars 1985) renvoient à l'évidence aux gravures officielles avec les Viennois, presque contemporaines (DG). Deux constatations s'imposent ; d'une part la palette plus sombre à Berlin, avec un poids des cordes graves et des cuivres très important ; d'autre part des tempos semblables à l'exception notable des adagios, pris nettement plus vite en concert. J'avoue pour cette raison rester fidèle aux disques avec les Wiener Philharmoniker même si le choix se situe au niveau le plus élevé, Giulini étant toujours d'une hauteur de vue et d'une noblesse qui forcent l'admiration ; on ne peut donc ignorer ces deux
live berlinois, préférables aux concerts légèrement antérieurs avec le Philharmonia publiés par BBC Legends.
Jean-Claude HULOT, Diapason n° 576, janvier 2010
 
bulletSymphonie n° 8 (2e version 1890, Ed. Nowak)
Orchestre Philharmonique de Vienne, DG, 1983

|...]Ce qui frappe surtout, c'est la lenteur, ou plus précisément l'uniformité dans la lenteur, qui aboutit à gommer les contrastes : ceux par exemple qui doivent opposer le Scherzo au Trio ou à l'Adagio : ou ceux qui, à l'intérieur du Finale, doivent permettre à cette architecture colossale de trouver son élan vital. Une seule explication peut être avancée : un drame privé qui atteint le grand chef dans son âme et fait qu'il n'appartient déjà plus tout à fait au monde d'ici-bas. Il se tourne alors vers Bruckner comme vers un second soi-même, et surtout vers la Huitième, écrite au même âge... Celle-ci devient alors un témoignage, un moment hors du temps, qui doit être reçu comme tel.
Paul-Gilbert LANGEVIN, Diapason, n° 310, novembre 1985 


bulletSymphonie n° 9
Orchestre Philharmonique de Vienne, DG, 1988, Live

En 1976, Giulini avait enregistré la 9e Symphonie de Bruckner avec l'Orchestre Symphonique de Chicago (EMI) ; malgré les mérites incontestables, cette version n'avait pas marqué de façon indélébile une discographie fournie, mais rare en réussites absolues. Depuis, il nous a donné une 8e crépusculaire et une 7 lyrique, avec l'illustre Philharmonie de Vienne, deux enregistrements magistraux (DG) qui ont fait de lui l'un des meilleurs brucknériens actuels, ce que confirme cette nouvelle 9e, reflet d'un concert public donné à Vienne en juin 1988.
Disons-le d'emblée : le résultat est bouleversant. La vision de Giulini frappe immédiatement par son ampleur exceptionnelle : jamais, en effet, le premier et le troisième mouvements n'avaient atteint une pareille dimension (sauf sans doute sous la baguette de Celibidache, mais qui gravera ses prodigieuses interprétations munichoises ?)
Les conflits titanesques qui parcourent l'immense mouvement initial sont poussés à leur paroxysme, tandis que les épisodes lyriques, si difficiles à chanter, sont rendus avec une étonnante beauté. Les grands crescendos se déploient avec une dynamique inouïe, l'ampleur du tempo permettant de faire ressortir tous les contrechants, et l'architecture pourtant complexe de cette page apparaissant d'une évidente clarté.
Par un saisissant contraste, le Scherzo, très rapide, est d'une alacrité et d'une brutalité sarcastiques étonnantes, cependant que l'ambiguïté inquiète  du
Trio renforce encore l'aspect véritablement terrifiant de ce mouvement.
Le recueillement exceptionnel de l'
Adagio l'égale à ceux des deux Symphonies précédentes. La noblesse des phrasés et la hauteur de la conception font que cette page, intensément habitée, devient réellement le plus émouvant des "adieux à la vie" qui se puisse imaginer. Et la violence des conflits qui le parcourent ne fait que renforcer l'apaisement de la coda, d'une beauté sereine admirable.
On n'en restera évidemment que plus frustré de s'arrêter ainsi à la porte du finale que seuls Inbal et surtout l'indispensable Talmi ont osé franchir. Parmi les versions "traditionnelles", celle de Giulini s'impose donc au tout premier plan, servie de plus par la magnificence de l'orchestre, à l'évidence subjugué par une telle baguette (cordes somptueuses, cuivres aux sonorités d'orgue, bois et cors d'une poésie rayonnante, tous seraient à citer) ; à mon sens, la plus belle version de toute l'histoire du disque.
Jean-Claude HULOT, Diapason n° 351, août 1989, Diapason d'Or
bulletDiscographie comparée :  http://vagne.free.fr/kubelik/Bruckner9.htm  : "Confirmation d'une précédente discographie comparée : c'est de loin notre version préférée".

DEBUSSY

bulletLa Mer, Prélude à l'après-midi d'un faune + RAVEL : Pavane pour une infante défunte, Ma mère l'Oye (a)
Orchestre Royal du Concertgebouw, Sony, 1994, Live, (a) 1989 en studio, 

Si les incursions de Giulini dans la musique française se font rares, les quelques témoignages qu'il nous a laissés portent la marque incontestable de sa personnalité et se révèlent bien souvent passionnants. De plus, ce nouvel enregistrement capté sur le vif à Amsterdam bénéficie de la présence d'un orchestre "royal", supérieur aux Philharmonia et Los Angeles Philharmonic des précédentes gravures debussystes et ravéliennes de Giulini. D'une phalange hollandaise dont Haitink obtenait des sonorités pleines de veloutées, même dans Debussy, le maestro italien privilégie la transparence et une luminosité plus latine, cultivée par Chailly depuis son arrivée au pupitre.
Dans
La Mer la direction souple de Giulini fait merveille, donnant une sensation de plasticité liquide qui triomphe avec des Jeux de vagues fluides et multicolores, dans lesquels les bois du Concertgebouw se couvrent de gloire (on a rarement entendu les délicats solos de hautbois aussi bien joués...). On regrettera seulement un léger statisme dans les mouvements extrêmes, par ailleurs d'une intensité et d'un détail de phrasé remarquables. Sans ces quelques lenteurs, on tenait là l'une des très grandes versions de l'oeuvre, animée par un sens du rubato aussi personnel que bienvenu dans ce contexte marin. 
Malheureusement, la suite du programme souffre davantage de ce péché de lenteur si fréquent chez Giulini, qui peut parfois confiner au génie  mais qui ici dénature la musique. Le
Prélude à l'Après-midi d'un faune en devient uniforme, ni frémissant ni sensuel, et sa magie se dilue dans une vision étale dont la seule beauté instrumentale ne parvient pas à captiver. Même sensation dans la Pavane, où l'immobilité du discours fait disparaître le doux balancement et la courbe naturelle des phrases. Reprise d'une session en studio de 1989, Ma Mère l'Oye n'apporte pas grand chose de nouveau, la lenteur de certains numéros en gommant le caractère délicatement dansant, et vaut surtout pour la beauté des timbres du Concertgebouw qu'on ne se lasse pas de déguster. Mais on retournera bien vite les admirer dans cette Mer pleine et lumineuse.

Jean-Sébastien VEYSSEYRE, Diapason n° 418, septembre 1995, 4 Diapasons

bulletLa Mer + RAVEL : Ma mère l'Oye, Concerto pour la main gauche
Orchestre Philharmonqiue de Berlin, Testament, 10 janvier 1978 Live

Le 10 janvier 1978, La Mer est à nouveau à l'affiche, précédée de pages de Ravel interprétées avec une sobriété et une plasticité peu ordinaires - remarquable Michel Bock dans le Concerto pour la main gauche. Mieux enregistré cette fois, le chef-d'oeuvre de Debussy semble encore plus flamboyant et peut-être plus ciselé dans les détails. La vision de Giulini surprend par l'ampleur des tempos, la clarté de l'architecture, l'éclairage du tissu polyphonique. Sans être, comme le Philharmonia, en totale adéquatiuon avec la vision fauve et lumineuse du chef, la phalange berlinoise suit ses moindres nuances comme ses plus puissantes envolées.
Patrick SZERSNOWICZ,  Diapason n° 581, juin 2010, 4 Diapasons

DVORAK

bulletSymphonie n° 9 "du Nouveau Monde"
Orchestre Philharmonia, EMI, 1961

La direction : si les derniers enregistrements symphoniques de Giulini frappent par leur profondeur et leur gravité, sa première lecture du Nouveau Monde est celle du grand chef lyrique, du poète, du mage des sons. Cette version est fraîche, spontanée, charmeuse au souffle toujours généreux. I est nerveux, impétueux, joyeux, toujours volontaire et enthousiaste (le finale est cependant un peu trop précipité) ; II : merveilleusement évocateur, on y sent bruire la forêt mais sans trop de mélancolie. III est festif, alerte, d'une humeur printanière. IV, ferme, volontaire, diffuse une exquise impression de liberté. L'âme méditerranéenne du chef lui fait brosser un tableau sensuel, peut-être un peu démonstratif, mais sans véritable excès. L' Orchestre : le Philharmonia répond  à la sensualité gourmande de la direction avec précision et tact, un son velouté et un sens de la couleur d'une irradiante luminosité. Le Bilan : s'il manque dans cette version cette puissance et cette mélancolie slaves qui font la puissance des versions tchèques (entre autres), le climat pastoral, la poésie latine, le naturel de la direction dotent cette Neuvième d'une séduction de tout instant. 
Bruno SERROU, Compact n° 245 septembre 1989

Orchestre Symphonique de Chicago, DG 1977 
Quinze ans après son premier enregistrement de la
Nouveau Monde, Giulini, s'il demeure très lyrique, s'il exalte tout autant le bonheur, se fait plus profond, plus réfléchi, intériorisant davantage, comme dans tous ses enregistrements actuels. Ainsi I (Giulini effectue dans cette version la reprise) s'affirme constamment retenu, l'expression est plus grave que précédemment, moins enjouée, parfois très émouvante. La lecture devient dramatique voire tragique ; tout comme II où les cordes semblent pleurer, alors que le cor anglais se fait très nostalgique. Les violons "tremblent" d'amour, de passion inassouvie (le message est ici très proche de celui de Fricsay, bien que l'Italien intériorise davantage : moins slave, plus pudique). III est étiré, très contenu, mais aussi volontaire. Si la vision chatoie, le propos est grave, contenu et ferme, mais aussi charmeur, dansant avec grâce joyeux pour le "Trio" léger. IV est décidé, énergique, mais moins grandiose que chez Fricsay. Le finale se tend avec la plus déchirante nostalgie. Puis tout vacille, crie de douleur. L'orchestre : le Symphonique de Chicago respire amplement, avec grâce, mais aussi avec une belle "rondeur". On peut cependant relever quelques accents inattendus de la part du somptueux orchestre : alto qui semble "freiner" dans le finale de III, un staccato de basson étonnant dans IV, vibrato trop prononcé des cordes solos dans II. Cependant, l'ensemble sonne clair. Le Bilan : cette Nouveau Monde est le reflet de la dernière période symphonique du chef italien : Giulini fait chanter son orchestre avec un bonheur communicatif ; mais cette "surface" cache en réalité une réflexion d'une saisissante intériorité, parfois douloureuse, souvent déchirante. Giulini s'affirme ici dense et grave.

Bruno SERROU, Compact n° 245 septembre 1989

bulletSymphonies n° 7 et 9 "du Nouveau Monde"
Orchestre Royal du Concertgebouw d'Amsterdam, Sony, 1992-1993

Le grand chef italien Carlo Maria Giulini est un habitué du monde symphonique dvorakien qu'à la manière d'un Bruno Walter il fait visiter avec la chaleureuse bienveillance d'un guide rendant hommage au modèle plus pastoral qu'impérieux de la forme symphonique brahmsienne. Sa lecture de la Symphonie ne ré mineur est aujourd'hui encore plus ralentie que celle de 1976 au pupitre du London Philharmonic (EMI). Chef scrupuleux et inspiré, il fait de Dvorak un héritier direct de la tradition viennoise, du Mozart "jupitérien" comme du Schubert "tragique". Contrairement aux chefs slaves, sa battue procède par larges plages, et se refuse à faire avancer le discours par le seul continuum rythmique à la manière post-wagnérienne d'un Talich, puis de ses successeurs, Neumann (Supraphon) et Belohlavek (Chandos). Malheureusement la magnifique phalange du Concertgebouw d'Amsterdam ne le suit pas toujours avec une parfaite cohérence, comme l'aurait fait celle de l'époque d'E. van Beinum puis de P. Monteux. L'Allegro initial a toute l'ampleur désirable en son maestoso solennel et soutenu, puis la tension se fait moins permanente dans le Poco adagio. Le premier volet du Scherzo, qui doit être rythmé sans hâte, ne fait  plus contraste avec le second, à la netteté discutable. La ligne mélodique du Finale a perdu de son évidence, tandis que sa veine tzigane est par trop atténuée. Sa plastique, presque schubertienne, surprend, la logique du discours, habituellement violemment contrasté, ne repose plus sur la vitalité rythmique.
Ces volontés stylistiques trouvent leur plein aboutissement dans la célébrissime
Symphonie "du Nouveau Monde". Les tempos sont encore plus retenus qu'à Chicago (DG, 1976). Mais Giulini les assume avec une plénitude, un sens de la mélodie continue que seuls peut-être avant lui Kubelik, Walter ou Karajan (parfois) avaient atteints. La partition ne perd rien de sa puissance émotionnelle et s'inscrit alors dans la tradition romantique. Malheureusement quelques petits décalages apparaissent parfois à l'orchestre, tandis que Giulini n'obtient pas toujours la perfection d'articulation que sa conception exigerait. Les timbres sont beaux, mais leur magie ne rayonne que de façon intermittente en une immédiate splendeur.
Une "Nouveau Monde" décantée et généreuse, d'un classicisme inspiré, à éditer séparément tant une telle conception fait défaut au sein d'un catalogue dominé par l'école d'Europe centrale.

Pierre-Emile BARBIER, Diapason,   4 Diapasons

Orchestre philharmonique de Berlin, Testament Live 11 mai 1973

Le sommet de ce bref album est donc la Symphonie n° 7 de Dvorak, partition majeure dont Giulini a laissé une version de référence avec le London Philharmonic Orchestra (EMI). La somptuosité des cordes, des cors mais aussi du hautbois de Berlin lui suggère ici un rubato flexible riche en moments de toute beauté et des accents littéralement inouïs comme cette perspective wagnérienne saisissante qui s'ouvre à la fin du Scherzo. On placera cette lecture devant celle d'Amsterdam, plus tardive et un peu trop retenue (Sony)
Jean-Claude HULOT, Diapason N° 576 janvier 2010 4 Diapasons

 

FALLA 

bullet L'amour Sorcier
Orchestre Philharmonia, Victoria de Los Angeles, EMI, 1957


Nous sommes en présence d'une des plus belles gravures produites pour le disque par Giulini. Il offre de l'Amour sorcier une lecture classique d'une élégance, d'une plénitude de timbre, d'une poésie prégnantes. Los Angeles s'accorde à cette vision sereine, placide preque : nous sommes loin de la gitaneria initiale, mais la perfection hédoniste de cette version tire intelligemment la partition vers un moème d'orchestre d'un fatalisme et d'une mélancolie inoubliables.
Jean-Charles HOFFELE, Manuel de Falla, Ed. Fayard, Paris1992

Carlo Maria Giulini déshispanise au maximum la partition. C'est probablement lui qui pousse le plus loin la recherche purement plastique. On y perd en caractérisation sonore, on ne trouve jamais la noirceur de la version Argenta, ni les sonorités astringentes d'Ansermet. On y gagne en composition d'ensemble. Cet aristocrate latin veut être un grand d'Espagne. Mais nous ne sommes pas à l'Escurial. Les Gitans d'Andalousie ont leur noblesse : ce n'est pas celle-ci.  Comme on pouvait s'y attendre, le Cercle magique  et surtout la Pantomime sont particulièrement réussis et d'une émotion très intériorisée. Victoria de Los Angeles est particulièrement adaptée à cette conception distanciée. Elle n'a rien d'une cantaora et ne force pas sa voix, pas spécialement noire, à devenir ce qu'elle n'a jamais été. Ce faisant, elle manque de caractère et passe à côté de la vraie couleur de la musique.
Jacques BONNAURE, Manuel de Falla, l'Amour sorcier (discographie comparée), Répertoire n° 72, septembre 1994


LISZT 
bulletConcertos n° 1 et 2 pour piano et orchestre 
L. Berman, Orch Symphonique de Vienne, DG, 1976


Sans doute le plus débridé des enregistrements de Giulini (avec le Concerto de Dvorak). Il y a du délire dans cet orchestre survolté, impatient, fou de sonorités à la fois crues (le trompettes du Second Concerto), cocasses (le basson à la fin du premier mouvement du Premier Concerto) ou étonnamment diaphanes (l'aurore presqu'irréelle de l'adagio sostenuto du la majeur où le tissu orchestral se pare d'une limpidité presque ravélienne).
Une interprération tourmentée, excessive, hallucinante de Berman, soutenue par un Giulini complice de tous les coups : mélodie étirée et fascinée du quasi adagio de l'allegretto vivace, scherzo démoniaque et fantastique (du Prokofiev avant la lettre), final plus cosaque que tzigane où les effets les pus échevelés trouvent droit de cité (l'irrésistible rallentando pour l'entrée des cuivres à la fin du
Premier Concerto). Une version qui fascine, exaspère, irrite ou subjugue : un spectacle époustouflant à coup sûr, du grand art aussi.
Serge MARTIN, Carlo Maria Giulini, Discographie critique complète, Harmonie n° 6, février 1981

MOZART   

bulletDon Giovanni
 Ch et Orch Philharmonia, Wächter, Schwarzkopf, Alva, Sutherland, Frick, Sciutti (EMI) 1959
Ch et orch Sym RAI de Rome, Ghiaurov, Bruscantini, Janowitz, Jurinac, Miljakovic, Kraus, Fonit Cetra, Live 1970


On ne discute pas une réalisation Legge aussi mythique que celle-ci : on l'écoute en osant à peine émettre quelques menues réserves. Giulini est au meilleur de son art, non encore statufié, pondéré mais alerte, ferme, nerveux, précis. Et puis un Italien, enfin, attentif à la pertinence du récitatif comme à la transparence orchestrale. Il faut que la magie musicale de cette direction soit enivrante pour nous faire accepter un plateau plutôt inégal. Wächter, en macho mal dégrossi, Taddei capable du meilleur comme de la charge, Alva moins mauvais qu'ailleurs, Cappuccilli maladroit et Frick exotique : il en fallait moins pour tout gâcher. Leurs conquêtes heureusement nous aguichent. Schwarzkopf encore et toujours, en Elvira, irrésistible, Sutherland seule à rendre justice à la coloratura de "Non mi dir", Scutti adorable. Et surtout l'état de grâce comme rarement dans un studio...
La comparaison de l'enregistrement phare de 1959 avec celui de 1970, pimenté des aléas du Iive, serait pertinente si les deux orchestres étaient eux-mêmes comparables. Mais celui de l'Opéra de Rome après le Philharmonia et sans l'équilibrage en studio, voilà qui fausse (littéralement) le jeu. Restent les chanteurs qui, pour la plupart, viennent de chez Karajan et feraient pâlir ceux de la version studio EMI. Ghiaurov, splendide, Janowitz et Kraus presque inchangés depuis 1968. Il est permis de préférer Jurinac en Anna plutôt qu'en Alvira, mais celle-ci brûle d'une irrésistible ardeur quels qu'en soient les problèmes de tessiture et imprime sa personnalité inimitable au personnage. On sera plus réticent devant le Leporello du grand Bruscantini. Ce dernier a toutes les qualités, c'est sûr, sauf la plénitude sonore qui donnerait à son timbre châtié une rondeur que son intelligence seule ne suffit pas ici à lui conférer. Monachesi et Petkov complètent idéalement ce plateau de haute tenue. Reste que les cordes romaines...
Jean CABOURG, Don Giovanni, discographie chronologique, Avant-Scène Opéra N° 172, nouvelle édition,1996

bulletCarlo Maria Giulini flamboie, l'orchestre sachant scintiller le giocoso, ombrer le dramma, courir vers l'abîme avec une sorte de vertige emporté, suspendre le mouvement pour soutenir l'interrogation : il est partenaire de l'action, dans le détail comme dans le geste ouvert d'un bout à l'autre, dans l'arche de l'oeuvre parcourue. Et la distribution est sensationnelle, accordant à chaque personnage sa caractérisation la plus subtile, de l'Elvire calcinée d'Elisabeth Schwarzkopf, poussée au bout d'elle-même, corps et âme emportés, à l'Anna virtuose de Joan Sutherland coulée dans une fureur presque limpide, en passant par le Don Giovanni d'Eberhard Waechter, qui, avec la tranquille évidence de l'Ange dans le fameux film de Pasolini, Théorème, vient bouleverser l'Ordre sans éclat superflu, mais avec un chic admirable. Tous, ils sont tous à leur place, exactement, dans ce tableau sans cesse recolorée par Giulini, maître d'oeuvre qui veille à tout, à l'intensité expressive des sentiments affrontés autant qu'à la tendresse qui passe, l'inquiétude humaine, le trouble - le tout maintenu sans répit dans cette avancée, cette progression, cette chevauchée dramatique qui, à elle seule, inscrit la vérité passionnante et passionnée de ce Don Giovanni exemplaire.
Alain DUAULT, Le Guide du disque compact classique, Belfond, Le Pré aux Clercs, 1991

bulletTotem lyrique, version studio de référence, le Don Giovanni de Mozart enregistré en 1959 par Carlo Maria Giulini pour EMI est un plébiscite, qui valut au chef d'orchestre la rare consécration d'un Disque d'or reçu en 1992 et qui dépasse aujourd'hui les 150 000 exemplaires vendus en France (plus de 1,5 millions dans le monde). D'autres Don Giovanni ont vécu, bu, mangé et aimé, mais celui qui fut réalisé dans les studios londoniens d'Abbey Road reste insurpassable par la qualité d'une distribution somptueuse et équilibrée (Elisabeth Schwarzkopf, qui fut la grande Elvira de son temps) et par la direction incandescente et raffinée de Giulini à la tête du Philharmonia Orchestra. Aux côtés des versions de Fritz Busch (1936), Bruno Walter (1942), Wilhelm Furtwängler (1954), Josef Krips (1955), Dimitri Mitropoulos (1956) et, plus près de nous, Bernard Haitink (1984), Nikolaus Harnoncourt (1989) ou Roger Norrington (2003), la verve de Giulini, sa vitalité, sa noblesse, son sens inné du théâtre et sa frondeuse élégance font de cette version un must inégalé.
Le Monde, article du 25 mars 2004 "Don Giovanni", un classique inégalé



PROKOFIEV

bullet
Concerto pour violon n° 1
Nathan Milstein, violon, Orchestre Phulharmonia EMI
L'extraordinaire qualité du travail d'orchestre, et ses couleurs, ont rendu célèbre la version de Nathan Milstein avec Carlo Maria Giulini et le Philharmonia (octobre 1962 au studio n° 1 d'Abbey Road, Emi). Illustre défenseur de la partition dès la première heure, Milstein subjugue par la pureté, la luminosité, le dépouillement raffiné de son jeu. A son archet infaillible, d'une bouleveresante poésie, répond la perspicacité préventive de Giulini, qui intériorise à souhait le dialogue ou l'illumine d'envolées en symbiose avec la nature à la fois effusive et rythmiquement âpre de l'oeuvre. [...]En concluision, la version Milstein/Giulini, sommet d'équilibre, de précision et d'intelligence musicale, depeure inégalée.
Diapason, discographie comparée par Patrick Szernovicz,  N° 599, février 2012, p. 44-47.

ROSSINI

bulletL'Italienne à Alger
G. Simionato, C. Valletti, M. Cortis, M. Petri, G. Sciutti, M. Masini, E. Campi, Choeur et orchestre de la Scala de Milan, EMI, 1954

Devancée par l'incertaine version russe dirigée par Samosud au début des années cinquante, celle que Giulini grave pour EMI en 1954 a longtemps fait figure de pionnière, voire parfois de référence. Le temps a passé, la musicologie rossinienne a complètement renouvelé notre approche de cette musique et le premier mouvement est aujourd'hui de regarder ces disques avec un rien de condescendance attristée. Il est vrai que Giulini dirige cette partition avec un cartésianisme et une lenteur quelque peu frustrants. La partition est d'ailleurs très lacunaire, calquée sur celle de la première napolitaine de 1815 au Teatro de Florentini : elle est donc élaguée de la deuxième cavatine de Lindoro, "Ah come il cor di giubilo", de l'air d'Haly, "Le femmine d'Italia" ainsi que du choeur patriotique "Pronti abbiam ferri e mani" écarté par la censure locale. Il est également vrai que nous sommes habitués à une instrumentation autrement allégée et pimpante que celle que nous sert un orchestre générique au demeurant précis et élégant. Que Simioniato, qui venait de reprendre le rôle à la Scala, ne soit pas tout à fait chez elle ici est tout aussi évident. Du moins son Isabella sans piquant ni humour particuliers, prudente dans la vocalise (que beaucoup d'autres à l'époque n'osaient même pas regarder en face) mais musicalement impeccable est-elle encore à l'époque en possession d'un timbre égal et plein : la Cenerentola, où elle brillait naguère, fait en revanche mal à entendre neuf ans plus tard à Florence. On connaît des Isabella plus extraverties mais d'autres aussi qu'il nous faudra admirer en dépit de leur absence de fantaisie, une Valentini-Terrani pour ne citer qu'elle. Il serait pareillement injuste d'écraser Cesare Valletti sous le poids de notre toute jeune science du chant rossinien. Dans les limites que lui accorde une partition qui le dispense de briller au deuxième acte et qu'on a quelque peu édulcorée, le ténor, qui dispose alors d'un aigu facile, franc, timbré, radieux et d'une souplesse étonnante pour l'époque, n'a guère de concurrent sérieux dans notre discographie. Excepté Araiza, plus en règle au regard des canons belcantistes mais d'une italianità moins évidente, les cinq autres ne sont que des demis ou des quarts de ténor. Hélas, le reste de la distribution avoue une totale impréparation aux exigences minimales de ce répertoire. Mario Petri offense tout à la fois le diapason, le style et l'oreille avec une voix caverneuse et indisciplinée, moins cependant que l'inexistant Marcello Cortis, acteur soi-disant chanteur, malencontreusement substitué à Bruscantini-Taddeo dans la production de la Scala. La charmante Graziella Sciutti, encore bien verte, est quant à elle une Elvira d'opérette à l'opposé de la vocalité rossinienne. Bilan mitigé, on le voit, pour une version qui tient néanmoins son rang dans l'évolution de l'interprétation rossinienne de ce demi-siècle.
Jean CABOURG, L'Italienne à Alger, discographie, Avant-Scène Opéra n° 157, Janvier 1994

bulletStabat Mater
K. Ricciarelli, L. Valentini Terrani, D. Gonzalez, R. Raimondi, Choeur s et Orchestre Philharmonia, DG, 1982

[...] La version de Giulini réussit le prodige de transformer une partition effectivement très "typée" en une oeuvre religieuse, en en gommant le caractère très rossinien, en l'abordant d'une manière beaucoup plus intérieure, plus recueillie, plus lente aussi, en atténuant le côté bondissant du rythme. Par ailleurs, la version s'impose grâce à une couleur orchestrale (notamment dans l'introduction instrumentale du Cujus animam et du Qu es homo), grâce aussi à un velouté de tissu choral admirable surtout dans Eja Mater, Inflammatus ou encore le quatuor Quando corpus morietur, traité ici pour choeurs et qui y gagne en mystère, avec ses crescendos enveloppants et une présence étonnante même dans les pianissimos à la limite du perceptible ; grâce enfin à un quatuor de solistes qui touche au sublime précisément lorsqu'il chante en quatuor, comme c'est le cas à la fin du Sancta Mater. Superbe également est le duo Valentini Terrani / Raimondi dans ce même Sancta Mater, ou encore le duo de sopranos dans Qui est homo où Giulini réussit encore à transformer un air d'opéra en prière implorante où les voix de Ricciarelli et Valentini Terrani se posent, s'entrecroisent, se déroulent en lenteur avec une souplesse extrême.
En revanche, nous éprouvons parfois une légère réticence à l'égard des solistes pris individuellement, notamment du ténor Gonzalez qui attaque le
Cujus animam ou le Sancta Mater de façon trop extérieur à notre sens par rapport à l'atmosphère de recueillement intense que lui confère Giulini dans l'introduction instrumentale. Légère réticence également à l'égard de Raimondi dans le Pro peccatis où il se veut sobre et refuse de tomber dans le caractère facilement envoûtant  du rythme ternaire ; parti-pris peut-être un peu excessif. En revanche, toute réserve disparaît à l'écoute de Eja Mater où il tisse un superbe dialogue avec les choeurs a cappella. [...]
Annie LIONNET, Diapason n° 275, septembre 1982, 4 Diapasons

SCHUBERT

bulletMesse en mi bémol majeur D.950
Ruth Ziesak, Jard Van Nes, Herbert Lippert, Wolfgang Bünten, Andreas Schmidt, Choeur et Orch Sym de la Radio Bavaroise, Sony, 1995


Les "divines longueurs" de Schubert seraient-elles transformées en langueurs ? Tout le laissait craindre à l'examen du minutage insolite de cet enregistrement : soixante-cinq minutes là où l'expéditif Bruno Weil se contente de quarante-sept ! Passé la première surprise, on se rapporte à la partition : oui, le Gloria est bien un allegro moderato e maestoso, le Credo un moderato, et ainsi de suite. Encore faut-il habiter ces mouvements retenus, et c'est ce que Giulini réussit à merveille. Sans doute sa conception grandiose s'éloigne-t-elle de celle d'un Schubert champêtre et léger. Et si Giulini considérait cette Messe en mi bémol - composée l'année même de la mort du compositeur - comme de Requiem de Schubert ?
Une fois ce postulat accepté, on ne peut que se laisser bercer par des couleurs mordorées et nostalgiques d'une musique sublime interprétée par l'un des grands chefs de notre siècle, au crépuscule d'une brillante carrière. Toute l'humanité profonde du maestro resplendit dans une foule de détails qu'il semble le premier à découvrir, avec le ravissement d'un jeune homme. Toute sa science se met au service de la partition, lui permettant d'oser - et de réussir -  ce que peu peuvent se permettre : ici un
rubato, là un ritardando, plus loin encore une longue finale du choeur bocca chiusa. Jamais non plus les contre-chants sublimes de l'orchestre n'ont été soulignés avec autant d'amour. On sent le Choeur et l'orchestre de la Radio Bavaroise  - tous deux au sommet lorsqu'ils sont dirigés par de grands chefs - prêts à tous les risques pour suivre le maître. C'est sans doute ce qui donne toute sa force à un disque d'une rare émotion. Les solistes emmenés par la lumineuse Ruth Ziesak ont rarement été aussi concernés par leurs interventions. Tout au plus regrettera-t-on le timbre un peu frustre de Herbert Lippert qui force sa voix au lieu de se contenter de chanter dans l'Et incarnatus est". Réserve minime face à un tel monument qui marquera l'interprétation de la musique religieuse de Schubert.
Olivier OPDEBEECK, Diapason n° 430, oct 1996, Diapason d'Or

 

bullet Symphonie n°9 "la Grande" D. 944
Orchestre Symphonique de la Radio Bavaroise, Sony, 1993

Merveilleux interprète des Symphonies "Inachevée" (qu'il enregistra dès janvier 1961) et n° 4 de Schubert, Giulini surprend quelque peu dans la "Grande" Symphonie. En 1977, la parution d'une gravure effectuée à Chicago (DG, indisponible) témoignait d'une approche majestueuse mais non dénuée d'emphase, avec des cuivres dominateurs (envahissant lors de l'Andante con moto), des phrasés appuyés et des tempos retenues, sauf lors de l'introduction, manquant précisément de mystère. Toutefois, à la différence de la plupart des enregistrements actuels du chef italien, accusant les tendances ce des précédentes interprétations (DG), ce concert munichois des 27 et 28 février 1993 nous permet d'apprécier une Symphonie en ut majeur mieux équilibrée. Les nuances tiennent d'abord aux orchestres : très sollicités également, les cuivres de la Radio Bavaroise sont moins outrecuidants que ceux de Chicago, et les cordes répondent avec davantage de transparence et de souplesse au lyrisme de Giulini. En outre, au risque d'une justesse parfois incertaine (on est en public), les bois s'avèrent plus expressifs (mention spéciale pour le hautbois). Certes, en accord avec un ton désespéré, les tempos restent lents, mais le Scherzo n'a plus la démesure de la version de Chicago (comportant trop de reprises), et le deuxième mouvement apparaît plus allant, plus naturel (l'écart n'atteint que quinze secondes mais se ressent nettement). Outre l'introduction, décidément trop rapide (relativement) la présente vision, pensée dans les moindres détails, est riche d'options personnelles : par exemple un déchirant ralentissement empêchant toute rémission après le terrifiant silence de l'Andante, ou le singulier diminuendo sur l'accord final, qui donne à l'oeuvre un parfum d'infini rappelant les conclusions abruptes de la Missa solemnis de Beethoven ou de la 8e Symphonie de Bruckner, et laisse le public apparemment médusé... avant l'usuelle frénésie d'applaudissements.
Une conception aussi sombre et délibérément brucknérienne est-elle légitime ? Sans revenir sur ce débat sans fin, reconnaissons en tout cas qu'elle est suffisamment cohérente pour émouvoir et convaincre.

Francis DRESEL, Diapason n° 413, mars 1995, 4 Diapasons


TCHAIKOVSKI

bulletSymphonie N° 6 "Pathétique"
Orchestre Philharmonia, EMI, 1959

Giulini, en 1959, est un jeune chef italien encore dans l'ombre de ses maîtres, Victor de Sabata et Arturo Toscanini. Sa première lecture de la "Pathétique" est digne d'un amoureux de Verdi par la fougue et la spiritualité du message, d'un vrai chef lyrique par son sens presque mozartien de la mise en scène. Défilent alors sans souffrance, résignation, éclats, naïveté, nostalgie... et un autoportrait de son auteur. La partition chante de bout en bout sans violence gratuite, ni sentimentalité excessive. Il ne manque que la sérénité finale, l'image du Slave un peu cabotin dans l'Allegro con grazia pour que cette lecture s'impose avec la même évidence que celle de Mravinski.
Pierre-Emile BARBIER, Diapason n° 350, juin 1989, 4 diapasons

  VERDI

bulletFALSTAFF
Renata Bruson, Leo Nucci, Dalmacio Gonzales, Michale Sells, Francis Egerton, William Wildermann, Katia Riccirarelli, Barbara Hendricks, Lucia Valentini Terrani, Brenda Boozer, Los Angles Master Chorale, Orchestre Philharmonique de Los Angeles, DG, 1982, Live

On fait tourner en bourrique un vieux monsieur, comme des enfants peuvent s'amuser, cruellement, avec un vieux matou. Mais le vieux monsieur en question a beau être une sorte de clochard en forme de tonneau, de sacripant un peu satyre, un peu escroc, on ne peut s'empêcher d'éprouver de la sympathie pour lui, pour ce chevalier Falstaff qui nous fait rire - mais c'est au fond pas drôle, émouvant plutôt, touchant dans sa naïveté de gros bébé. Carlo Maria Giulini résume ce paradoxe de Falstaff : "Si les situations sont comiques, les personnages ne le sont pas." Et il le met en oeuvre dans cet enregistrement réalisé en public, ce qui en accroît sans doute encore la dynamique sans rien en ôter de la couleur intime. Feu d'artifice final de Verdi, Falstaff est en effet une oeuvre bien plus complexe qu'il n'y paraît : dans son enjeu d'abord, poétique et "philosophique", mais aussi dans son écriture orchestrale, à la fois mozartienne et déjà projetée vers une modernité alors inouïe. Ce sont toutes ces faces d'une oeuvre qui jette ses feux à multiples carats sur cette fin du XIXe siècle que Giulini éclaire comme personne. Bien sûr, on peut s'étonner des tempi relativement lents, mais on remarque aussitôt qu'ils laissent s'épanouir bien mieux la poésie et l'ambiguïté de l'oeuvre tout en n'altérant en rien sa dynamique (qui n'est pas à confondre avec sa vitesse d'exécution !). En fait Giulini propose un Falstaff automnal, à la gravité amère, plutôt que le ludion ventru et un peu speedé de nombre d'autres interprétations : mais ce parti pris est mené d'un bout à l'autre avec beaucoup de finesse d'exécution, grâce, il faut le dire, à un orchestre particulièrement virtuose dont le jeu de timbres est un permanent régal gourmand. Quant à l'humour il est constamment présent mais avec une légèreté volatile, l'esquisse d'un sourire parfois ombrée de mélancolie, jamais farce bien sûr - à l'exception de l'étourdissante fugue finale. De la distribution, en parfaite adéquation avec ce tissage léger et avec cette "mélodie de timbres" mise en jeu par le Maestro Giulini, on distinguera le Falstaff aux ardeurs écrêtées, comme désenchanté, de Renata Bruson, qui sent déjà la fêlure en lui, et l'Alice éblouissante de verve, de luminosité vocale, de charme pétillant de Katia Ricciarelli. Falstaff est une oeuvre à part de la production de Verdi, un opéra qui en fait n'est pas "verdien" : Carlo Maria Giulini, en mozartien émérite qu'il est aussi, sait jouer de cette subtile ambiguïté pour donner à l'oeuvre sa plus belle parure. En est-ce la "vérité" ? Gardons-nous de l'affirmer, souvenons-nous de l'exhortation finale de Falstaff : "Tout au monde n'est que farce..."
Alain DUAULT, Le Guide du disque compact classique, Belfond, Le Pré aux Clercs, 1991

bulletMESSA DA REQUIEM
Elisabeth Schwarzkopf, Christa Ludwig, Nicolai Gedda, Nicolaï Ghiaurov ; Choeur et Orchestre Philharmonia, EMI, 1964

On ne crie plus, on ne croit plus, on ne prie plus : a-t-on moins peur ? Les Requiem ont disparu : on les ressasse ; on meurt aujourd'hui dans la répétition des anciennes stèles de mots et de sons fichées dans notre mémoire collective. Mais l'émoi qui prend chacun à l'écoute d'un de ces appels aux morts, il s'écrit sur la peau. Chaque époque joue avec ses frissons, touche à sa perdition avec une voix inimitable  ; chaque époque salue ses morts et pose sur eux le regard fondamental qui l'exprime ; chaque époque trouve pour ceux qui reposent le style de ses réquisitions ultimes. La mort, elle, ne se repose pas. Le Requiem de Verdi est donc ce salut aux morts tels qu'on pouvait l'entendre dans l'Italie de 1874, cette Italie du mélodrame et de l'opéra qui lui donne sans doute sa dimension. Avec sa vaste architecture sonore, ses déchirures terrifiantes, ses chuchotis de bord de tombe, l'éclat de son Dies Irae tellurique, la volée de son Sanctus, la pudeur fervente, poignante de son Libera me, c'est un immense mausolée musical bâti  par un Piranèse lyrique et décoré à la fresque par un Giotto, deux Ghiberti et trois Michel-Ange. Carlo Maria Giulini est peut-être le seul chef à donner de ce monument sa projection  à la fois physique et métaphysique, avec une direction d'une sensualité telle qu'elle confine à l'extase spirituelle, ce moment d'ambiguïté qui fait basculer vers la sainteté. La pulsation est ample, la progression sonore et la gradation de souffle inscrites dans le mouvement interne de l'oeuvre, dans cette intégration du temps au déploiement musical : pas un seul instant Giulini ne laisse retomber cette tension qui, jamais exacerbée, est comme l'image audible de la mort douce. Même les éclats spectaculaires du Dies Irae s'inscrivent dans ce battement progressif, comme une anticipation avant que ne reprenne la rongeuse et terrible méditation mortifère. Et le quatuor vocal réuni, volontairement à l'écart des habitués de l'opéra verdien pour pouvoir mieux oublier le théâtre et se recentrer sur la ferveur, est tout simplement le plus beau du monde. On a enregistré beaucoup de Requiem de Verdi, plusieurs dizaines à ce jour. On n'a encore éprouvé avec aucun autre cette émotion de la dilution dans un au-delà entr'aperçu et qui enveloppe. Un Requiem solemnis.
Alain DUAULT, Le Guide du disque compact classique, Belfond, Le Pré aux Clercs, 1991

Selon la légende, la version de Carlo Maria Giulini est sans défaut comme son Don Giovanni ou son Don Carlos... Eh bien , la légende dit vrai ! Le chef italien impose une rigueur, une intensité, une honnêteté et, au final, une humanité qui font de son enregistrement, aujourd'hui encore, la grande référence. Aucune autre version n'est parvenue à une telle évidence dans la caractérisation, une telle majesté dans l'émotion, une telle universalité des sentiments face à la mort. Le secret de Giulini ? Un travail "d'orfèvre" (Bertrand Dermoncourt) pour la mise en place de l'orchestre et des voix, "d'architecte" (Jérémie Rousseau) pour la construction du discours, et un "quatuor idéal" (Philippe Venturini), d'une substance inouïe mais toujours au service de la musique. Cela semble simple. A l'aune de cette écoute, et compte tenu des difficultés de la partition, on parlera plutôt de miracle.
Bertrand DERMONCOURT Classica, Ecoute en aveugle, n° 134 juillet -août 2011, p. 59.

bulletIlva Ligabue (soprano), Grace Bumbry (mezzo), Sandor Kónya (ténor), Raffaele Arié (basse) ; Choeur et Orchestre Philharmonia, BBC Music 2 CD BBCL 4144-2  26 avril 1964, live

Le 90e anniversaire du grand chef Carlo Maria Giulini, en mai dernier, n'a pas donné lieu à des manifestations discographiques à la hauteur du personnage. Il est vrai que son répertoire est restreint et que son legs discographique a largement été disponible ces vingt dernières années. La parution la plus intéressante est le fait de BBC Music, qui a ressuscité un concert d'avril 1964, lors duquel Giulini dirigeait son oeuvre fétiche : le Requiem de Verdi.
Le son est en mono, mais une mono de grande qualité, plus agréable d'écoute à mon sens que la stéréo distordue de l'enregistrement officiel EMI. Et ce n'est pas le seul avantage : le quatuor vocal, également, a les épaules plus larges et plus taillées pour Verdi que les quatre solistes, certes huppés, de la gravure de studio. Le duo Schwarzkopf-Ludwig est ainsi nettement moins en situation que celui formé par Ligabue et Bumbry. Le choeur, remarquable et puissant, placé sous la direction du légendaire Wilhelm Pitz, a mûri la prestation donnée un an auparavant (un concert d'août 1963, édité par BBC Music en 2000). De fait, on trouve ici la plus fidèle représentation sonore de la vision de Giulini de ce chef-d'oeuvre, pour lequel le chef italien parvient à faire agir en symbiose le recueillement et la théâtralité. C'est un Requiem humble et intensément humain que dirige Giulini, une expérience musicale et spirituelle poignante. Si la qualité sonore vous importe plus que tout, repliez-vous, en DDD et en stéréo, sur l'étonnant enregistrement de Gardiner (Philips).
Christophe HUSS, Le Devoir.com 7-8 août 2004



bulletRigoletto 
Pietro Cappuccilli, Placido Domingo, Ileana Cotrubas, Nicolaï Ghiaurov, Elena Obraztsova, Hanna Schwarz, Kurt Moll ; Choeur de l'Opéra de Vienne, Orchestre Philharmonique de Vienne, DG 1979

Rigoletto est le premier jalon de la nouvelle "manière" de Verdi : il y abolit les limites traditionnelles de l'opéra romantique, avec "airs fermés", ritournelles, orchestre de simple accompagnement, et commence à utiliser l'orchestre de façon autonome, jouant des effets de timbre des instruments (de la flûte pour l'air de Gilda au cor anglais pour l'imprécation de Rigoletto). Mais surtout il plie l'écriture vocale aux nécessités du drame sans plus se soucier des formes classiques de construction des airs. L'oeuvre y gagne un élan, un mouvement comme d'un seul tenant - qui culmine au quatrième acte dans le fameux quatuor. Cela explique le choix que je fais de le version dirigée par Carlo Maria Giulini au milieu des dizaines de Rigoletto existant  : le grand maître italien a su comme peu creuser la pâte orchestrale, les textures intérieures, et faire agir cette matière vivante comme élément de la construction musicale. La dynamique orchestrale est un des éléments de cette plus-value expressive : elle permet à Giulini de modeler le son, ou de déclencher de grands feux de cordes avec la même force vive mais toujours hyperconcentrée. La distribution répond d'autre part admirablement aux exigences de Verdi, tant au niveau des timbres, chauds, ronds, bien projetés, qu'à celui du chant, à la fois tissé étroitement à l'orchestre et se souvenant du bel canto, c'est-à-dire pouvant se libérer de la couleur dramatique pour faire briller une efflorescence vocale. Le frémissement de la Gilda d'Ileana Cotrubas, ce froissement de son intimité de jeune fille et cette palpitation de la femme qui rosit sa voix ainsi que la sobriété habitée, pathétique mais sans lourdeur du Rigoletto de Piero Cappuccilli sont sans doute les deux atouts maîtres de cet enregistrement - mais il serait injuste de ne pas réunir tous les autres dans une même couronne : tous participent de la réussite de ce Rigoletto émouvant, d'une beauté grave, manquant peut-être d'un brin de folie, mais d'une noblesse de pensée et réalisation exceptionnelle.
Alain DUAULT, Le Guide du disque compact classique, Belfond, Le Pré aux Clercs, 1991 


bulletLa Traviata
Maria Callas, Giuseppe Di Stefano, Ettore Bastianini, Silvana Zanolli, Luisa Mendelli, Giuseppe Zampieri, Arturo La Porta, Antonio Zerbini, Silvio Maionica, Franco Ricciardi, Orch et Choeur du Théâtre de la Scala de Milan , Live 28 janvier 1955, EMI1990

Voulant rendre les bandes écoutables et offrir à un plus large public cette Traviata, les ingénieurs ont tellement trafiqué le son, tirant au maximum sur les aigus, que l'orchestre ressemble à une harmonie municipale pendant une fête foraine et que la voix de Callas, dont on entend seulement les défauts, paraît complètement défigurée. Le timbre si riche, si coloré, capable de mille accents, de mille nuances est ici sec, âpre, métallique ; ce chant mémorable, incomparable, frise le croassement, surout au premier acte. Je me demande ce qu'en penseront les auditeurs qui n'ont jamais entendu Callas sur le vif ! Quelle idée se feront-ils de la personnalité la plus légendaire du XXe siècle. C'est à un véritable assassinat que l'on assiste, incompréhensible pour une firme qui devrait savoir respecter sa poule aux oeufs d'or.
Sergio SEGALINI, Opéra international n° 144, février 1991
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