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- Alexandrie écoute-moi
- Écoute Alexandrie écoute encore une fois le seigneur Antoine
- Je vais mourir Alexandrie
- Je perds la vue je perds la vie je perds la ville que j’aimais
tant mais mon cœur est un cabri qui danse
- Il danse et il rue et il saute et de ses sabots jaillissent des
étincelles
- Mon front est de sueur et ma bouche est de cendre et la
pourriture déjà est sur moi dans le goût du sang et le goût de la
suppuration mais le bonheur est sur moi Alexandrie
- Io ! Alexandrie le bonheur est sur moi comme sur toi la
lumière qui vient de mer et le reflet qui vient des sables
- Je ne te verrai plus Alexandrie
- Je n’entendrai plus rire tes cinèdes dans des jardins
- On dit qu’il y a mille fontaines à Alexandrie
- Io ! Je n’entendrai plus les mille fontaines d’Alexandrie
je ne t’entendrai plus ma ville
- Mais je dis que le bonheur est une épice d’Alexandrie
- Je dis que la joie et l’allégresse et la liesse sont le parfum
d’Alexandrie ils sont l’haleine de sa bouche
- Je dis qu’ils s’achètent et qu’ils se vendent je dis qu’ils
se trafiquent aussi mais si la bourse de l’acheteur et du
commanditaire est vide je dis qu’ils se donnent !
- Car tu me donnes Alexandrie et quel plaisir peut-être plus
grand : celui qui veut si violemment celui qui désire et
espère si violemment s’il ne peut acquérir quel plaisir est plus
grand que de se voir offrir : le sanglot lui monte aux
lèvres
- Et le sanglot me monte aux lèvres ma ville
- Quel homme est plus heureux que moi ma ville : à l’heure
de mourir cette rumeur à mes oreilles de ton plaisir et du plaisir de
m’avoir menti
- Car tu m’a menti Alexandrie ô belle ville décoiffée
- Égypte m’attend tu m’a menti Égypte m’attend et j’entends
ton rire et les bras du bonheur sont sur moi aux bras de quoi tinte le
bracelet de ton rire
- Io ! A l’heure de mourir je ne suis plus Antoine je ne
suis plus seigneur d’Égypte je ne suis qu’un mendiant de tes rues
et dans mon escarcelle tu as déposé l’or et l’abondance
- L’or et l’abondance et je vois ton sein nu sous ta chemise qu’agite
le rire
- Je vois ton sein et la pointe de ton sein elle se dresse de
plaisir et je vois ta cheville aussi et ta cuisse aussi et le secret
de tes cuisses et je vois ta couche aussi dont tu sors à ma rencontre
et tu n’as pas pris le temps de te peigner
- Tu cours et tu trébuches et sous tes lèvres sans fard tes dents
avides brillent et une goutte de sueur à ta tempe est ton seul
ornement
- Et le vent dans tes cheveux il se prend à tes cheveux comme il
se prend à ton haleine et il se prend encore aux plis de ta tunique
et quand il s’évade il est de toi embaumé à en défaillir
- Or je défaille Alexandrie
- Et le vent autour de toi est plein de vent il est plein de sable
et de lumière et de bonheurs
- Bonheur ô bonheur sur toi Alexandrie
- Et le vent encore il est plein de tes cheveux et du parfum de ton
repos et de celui secret de tes aisselles et celui plus secret encore
de la fleur de tes jambes
- Or je défaille Alexandrie et si je meurs c’est de bonheur
- Alexandrie, Alexandrie que tu es belle ô ma beauté dans la
lumière de la mort
- Bonheur ma ville bonheur sur toi
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