Sur l’Heptastade maintenant voici que la foule elle aussi s’avance.
Sur l’Heptastade maintenant, la chaussée est foulée de pas et le vent de tant de manteaux s’emmêle et de lins blancs, tant de tuniques et de guenilles, tant de robes et de vêtures qu’on se croirait jour de lessive ou dans l’antre d’un teinturier : cela bouillonne.
Cela gonfle et s’enfle et bouillonne, cela se tord et se fripe et se froisse, ah !, cela claque et fouette et les chevelures, par-dessus, de toute teinte et de toutes façons, les tresses lourdes poudrées de corail bleu et parfumées de beurre clair, les têtes très rases où s’incruste le sable et d’autres négligées, on y devine la vermine et l’odeur rance de la sueur et d’autres encore à trois rangs ainsi que des tiares, et d’autres encore crépues, où des petits coquillages frénétiquement battent, avec des perles encore de verre coloré et de menus animaux de laiton, et les pas en dessous, de pieds nus ou de sandales de cordes et d’escarpins aussi de cuir très fin au bout de jambes très fines où brille le bracelet de cheville pour la mesure savante de l’avancée, d’enfants et de courtisanes, de vieilles femmes variqueuses et de commerçants, de badauds et de portefaix, d’esclaves aussi et d’artisans – avec les voix, également, pêle-mêle dans le pêle-mêle de la progression où mord la mer les mollets nus ou mis à nu par le vent dans le pêle-mêle des ombres sur les pierres glissantes où le sable est sifflant, les voix rauques et pressées, et d’autres fines telles des fleurs et celles qui crient, et celles qui rient et celles qui grommellent, les voix interrogatrices et les voix de commandement, et celle aussi du vent désordonnée et harcelante, toutes les voix et chacune d’elles par lambeaux et encore aussi par blocs ainsi qu’au jour du marché, tous les marchands ensemble et les acheteurs ensemble discutent le prix de l’agneau ou de l’aubergine ou du lé de coton dans le braiment des ânes et les jacasseries des poules et des canards et des oies encagées qui ouvrent leur bec à dure langue rouge entre les barreaux.
Sur l’Heptastade, mille fois mille mots dans la précipitation et le désastre et la curiosité aussi.
On dit qu’Octave veut ramener Égypte à Rome et la lier par les deux mains après son char dans le balancement des palmes de victoire.
On dit qu’Antoine n’est pas mort.
On dit qu’Égypte n’est pas morte.
Je dis j’ai vu le faucon pourtant je l’ai vu : sa plume est blanche et son œil est vide et de son bec coule le sang.
Nous n’entendrons plus Égypte chanter la voix rauque d’Égypte monter des cours et des nattes monter des chambres et de l’ombre des auvents à l’heure de la sieste à l’heure de dormir et près du fleuve se froissent les roseaux sous le vol lourd des canards.
Nous ne verrons plus d’Égypte la barque d’or glisser vers Antirhodos quand la mer s’ouvre et vois : c’est une fleur !
On dit que le faucon avant que de mourir il a ouvert les ailes il a battu des ailes il a crié.
On dit que.
On dit qu’Antoine est en route vers Égypte on dit qu’un Dieu emporte Antoine dans son char.
On dit qu’une voix a ri sur l’Heptastade.
Nous vendrons nos figues nos fruits frais nos parfums nous vendrons nos filles et nos femmes et notre sagesse à Rome endormie au bord du Tibre.
Mille fois mille bouches mille fois mille mots entre les apostases et les neoria entre la mer et la mer et jusqu’au bord du Phare.
Mille fois mille rumeurs.
On dit qu’Égypte attend son époux.
On dit que tout s’achèvera dans l’île.
Et ce vent.
Nous n’en aurons jamais fini avec ce vent.
Nous n’en aurons jamais fini avec ce vent.
Il vient des enfers dans sa voix grince la balance pour la pesée de l’âme.
Il vient des marais.
Il vient de nos fautes il vient de nos rires il vient de nos bouches il vient de nos cœurs.
Quand en aurons-nous fini avec ce vent.
Il n’y a plus de garde.
Il n’y a plus que le vent.
Le vent.

Trois brèves légendes: première brève légende - 15