Cela a duré longtemps.
La peur a duré longtemps.
Et, plus longtemps encore, cela qui se tient dans l’au-delà de la peur et dont la peur se nourrit et engraisse et grossit et s’affaisse, dura.
Or, sache, je devins le Roi de ma peur.
Or, encore, sache : je devins le suzerain incontesté du royaume de ma peur. Dans l’odeur immense du cadavre d’âne, sous le dais de cette puanteur où les mouches forment grelots et franges sombres tintinnabulantes, je tiens cour. A mes pieds passe le cortège de la nuit, passent ses fifres, ses buccins, passent ses esclaves musiciens liant aux arbres torturés l’aile des lyres éoliennes, passent ses pages et ses aides de camp, et ses armées passent, et ses écoles de prêtrise avec ses écoles de traîtrises, passent ses formes et ses forces, passent ses monstres et ses masques – et je tiens cour. Jalousement, et dans l’irritation et l’arbitraire, je tiens cour et mon règne n’est par nul discuté, mon règne jaloux et méchant, mon règne de tortures et de crabes, mon règne immémorial sur le trône de la nuit.
Chaque jour, et chaque nuit : dans le cœur même du jour, je tiens cour et le jour se soumet à moi, son genou dans la poussière et mon pied sur sa nuque, avec le bruit de ma peur et celui de la source pour chambellans opinant de la tête à la soumission et de la soumission prenant inscription sur le grand livre des annales de mon règne.
Parfois, il pleut : mais la pluie encore a part à mon règne. La pluie d’ici, elle est colère épouvantable. Elle établit la nuit dans le cœur du jour et elle y imprime ses talons. Elle saisit le jour, elle le piétine, elle le foule et le pétrit et elle en tire le jus mauve de la nuit noire. Sous la pluie, sous son poids, ce qui est n’est que sa peur dans l’odeur écœurée de la sueur, et les grands arbres crient, les herbes crient dans le hurlement du silence outré.
La pluie, ici, elle ne lave rien : elle arrache.
La pluie, ici, elle ne lave rien : elle extirpe et éviscère et elle éventre.
Puis elle secoue son mufle et elle hennit. Sur toutes choses, elle fait passer le vent fou de son hennissement. Et j’ai vu les arbres hurler sous la pluie, et les herbes hurler, et les roches avec les hôtes des arbres, des herbes et des roches, et ceux du ciel également, les intimes du soleil et du vent : la même peur, la même horreur venue de la nuit, venue des dangers de la nuit, des yeux écarquillés qui guettent la moindre faiblesse, le premier faux-pas – le même arrachement hurlant.
Je suis Roi : la pluie a couleur de ma peur, elle est ivre autant que la nuit, et brillante plus que le soleil, et mauvaise plus qu’un fauve mauvais, et ouverte également, plus que toute gueule ouverte prête à mordre dans la crampe et la crispation des muscles tendus.
Chaque nuit, mon royaume s’étendait. Il gonflait, il enflait et se tendait comme une hydropisie. Chaque nuit – et que sais-tu, toi, de l’étendue et de son extension, toi qui ne connais que la façon dont s’étendent, dans la capitale, les ombres sur les rues aux arbres faux, et dans les chambres aux cœurs faux et aux draps blancs ? et la façon encore dont tu étends ta vie entre le mât du juste et l’autre mât de l’injustice où elle bave et rit et craque ainsi qu’une lessive carrée dans sa propreté et sa propriété ? – mille nouveaux sujets me prêtaient allégeance, et, de provinces, mille, et de contrées et de fleuves et de saisons, mille et mille et mille fois, et de collines, et de vergers, et de champs de bataille, de grèves de gravier et d’autres de galets, mille fois plus encore, et de déserts, et de charniers : mille, dans leur nouveauté et leur étendue, dans leur soumission et leur adhésion et leur assimilation. Comme tapis déployés d’un geste de l’épaule avec celui de la main qui l’accompagne et vois ! le bleu ici avec le vert lié, et le presque rose au rebord du presque or, et cette forme complexe ici achevée en plusieurs formes simples de dessin simple, avec le rouge aussi, et l’autre bleu plus bleu que bleu, et le pourtour est de frange ou de galon. Comme –
Chaque nuit, mille sujets nouveaux : mille ronces, mille dragons, mille peurs enfantant des peurs.

Trois brèves légendes: troisième brève légende - 17