La femme:

Ô vieilles barbes dans un coin de la pièce ou de ma tête un coin sentencieuses, je ne vous entends pas: j'entends plutôt comme l'émission d'un mauvais vent et je me bouche non les oreilles mais le nez. Ô vieilles bouches édentées, vos phrases coulent de vos bouches comme une incontinence de salive et cette sagesse que vous prétendez instiller en mon entendre, elle ressemble plutôt aux postillons des malappris. Ô vieilles choses tremblotantes, laissez-moi en paix et laissez-moi dans le silence. Je n'ai besoin de rien et n'ai, de vous, nul besoin: le fruit dont vous parlez - vous, qui de fruits ne pouvez plus avaler que les talés et les liquéfiés et les demi pourris: car sans dents, comment mordre la rouge chair résistante et juteuse? - il me parfume encore et il pèse encore, dans ma main, de sa rotondité merveilleuse et de sa promesse merveilleuse, de son goût tout à l'heure dans ma bouche et de son jus, tout à l'heure, de mes lèvres s'évadant pour gâter d'un jet rieur la robe de noces dont on m'a affublée et dont me pèse l'amidon comme un cilice et une prétention. Et ces cheveux encore me pèsent que vous formez de nœuds et tresses et bandeaux, amies, ces cheveux que vous ordonnez comme, entre les cornes tendres encore de la génisse promise en holocauste aux dieux, on place des guirlandes et des couronnes et des rubans: ne suis-je pas l'Échevelée? Ne suis-je pas la Folle et l'Indomptable et la Furieuse? Quittez là vos soins, ô folles empressées de me conformer au sacrifice que vous offrez à la Déesse dans l'espoir bientôt de vous voir, à votre tour, entourées des mêmes soins et victimes, à votre tour, du même holocauste. Ne suis-je pas la Rétive et la Refusante et l'Échappée? Io! Que cela cesse dans l'instant! Je refuse et je réfute et je me cabre et je rue. Io! Éloignez-vous, pauvres femelles trop avides de servir de chair rôtie à l'appétit de l'Étranger, trop serviles étourdies que travaillent le désir non du membre, en vous, de l'homme (et plût aux dieux que votre désir fût tel et si local et si précis et si réel, qu'il fût si pur et si libre et si avidement innocent: alors mon estime vous appartiendrait et se tiendrait, entre vous et moi, comme un fruit que l'on partage en deux égales moitiés dans le rire encore que provoque l'assouvissement du désir, ou sa seule irruption suscitatrice dans l'âme sans assouvissement) mais de l'ordre, autour de vous, décidé par l'homme et de la vie fade et sans souci et sans défi qu'en échange de vous l'homme vous laissera paisiblement à grignoter d'une dent tôt gâtée par l'abus de semblables artificieuses friandises, éloignez-vous, par crainte de ma morsure et de mon coup de sabot!

Trois sentinelles: première sentinelle - 9