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Chœur:
- Paix de lune dans la nuit, blême de lune autour du lit: les bêtes
chassent et s'accouplent et entrecroisent leurs feulements et leurs
gémissements et le sperme, à leur séparation, sur les feuilles
froissées dilapidant leur sève et leur parfum, sèche en fils et en
frissons et en masses menues blafardes -
- paix de lune, lait de lune: les corps jonchent l'abord des forêts:
jonchées et tombées de corps par les clairières et le velu des
champs de blé, où la nuit sonne son gong de cérémonie, jonchées
et chutes et brassées comme tresses de vierge coupées avant
l'initiation jonchant le sol froid du temple -
- jonchées et tressaillements et tressautements et soupirs aux
gosiers velus oints de bave (et la prêtresse aux yeux noirs frappe du
poing le gong) -
- les muscles se relâchent, les étreintes se relâchent, les gueules
cognent une dernière fois d'un cognement de crocs heurtés contre les
gueules là mi-closes (et des fils de salive encore un moment les
joignent comme toiles d'araignées tissées dans l'immobile, et Éros
dans l'épuisement ferme à demi les yeux, renverse un peu la tête
vers l'arrière, souffle et aspire d'un bout de langue la sueur
exsudant à sa lèvre supérieure) -
- paix de lune, effet de lune: disjonction des ombres et des couples
et des copulations dans le craquement des herbes foulées, tandis
qu'un mâle ici panse la morsure que lui imposa à la patte
antérieure la femelle dans leur jeu d'amour, et qu'un arbre, là, il
secoue sa crinière et disperse sa dernière éjaculation séminale
dans un trou de roche à son pied noueux qui frissonne -
- lait de lune, lit de lune, lune alcaline -
- paix de lune et tendresse de lune entre les arbres noirs: la terre
repose gorgée de graines, la terre presse de sa main noire son sein
lourd gonflé de lait de lune, elle croise ses grasses jambes de
rocaille où luit une traînée acide, et donne à boire à ses
enfants -
- un grillon parle pour la paix -
- un crapaud rêve dans la paix -
- les herbes fripées redressent la tête et cherchent le vent et
assistent à leur pied à la génération des mandragores aux cuisses
ouvertes: tant de monstres et de promesses monstrueuses! -
- tant de plaisirs et de plaintes et de soupirs -
- dur des roches et doux de lune -
- moissons massives et masses moussues et, là! quelque chose brille
qui ne fut pas repu et geint -
- ou fut rassasié qui pourtant gémit pour un plus implacable
rassasiement -
- et toute cette eau fuyarde par grand corps précipité -
- cette présence encore confuse et haletante de la terre et de ses
enfants en rut -
- clameur, clameur et murmures, rumeurs et exclamations, et chuchotis
également, et frissons, froissements, effrois -
- la large gorge fendue qui halète! -
- et respire -
- et parle à moindre mot...
- Mais l'époux ici se tait: peut-être est-ce qu'il dort? Il ne dit
rien, l'époux: peut-être ne sent-il pas, à son côté, le désir de
femme qui enfume la chambre et la couche ainsi qu'un feu de nuit sur
la colline, mille brindilles pétillantes avec la cendre légère qui
vole et fait tousser et annonce à tous l'été venu réclamer son
droit de duc? Peut-être ignore-t-il, l'époux, la nuit du vœu de
femme établie dans la première nuit - comme une bûcher encore, et
suave et crépitant, où brûle l'inutile à longs lierres de
flammèches? Peut-être il a fermé les yeux et préféré au parfum
clair de la moisson en feu le parfum autre, et resserré, le parfum
faible et fatigué de ce que Morphée fane et fauche, en confuses
brassées friables? Sa lèvre ne bouge point, sa langue ne bouge
point: l'époux se tient dans le silence et ne voit point, au rond du
ciel de nuit, la ronde lueur du brasier du femme en désir.
- Celui qui parle, voici que le silence l'abrite et l'entoure et
autour de lui dresse ses murailles et poste ses gardes muets et
endormis: et il n'y a que le silence de toutes parts et
essentiellement et comme un mascaret: si ne parle celui qui parle, qui
pour lui et tous prendra à son épaule charge et fourbure du verbe,
et de la parole, et de cette agitation de l'air qui sort de la bouche
comme la source sort du roc et altère les assoiffés (et qui n'a
soif, - de lui et de tous, qui peut se prétendre épargné par la
soif essentielle?), qui pour tous assumera le poids effrayant de ce
qui pèse par poids d'absence? Or c'est à croire que tout se tait,
que tout encore entre dans l'oubli et l'inexistence ainsi qu'on
pénètre, d'un membre puis l'autre, au fleuve, en se tenant d'abord
à la basse branche amicale murmurante, laissant ensuite entre les
doigts filer la branche basse (dont on conservera pourtant un bref
moment aux doigts, moment plein de douceur, l'odeur d'écorce avec
celle aussi de la sève sous l'écorce aigre un peu, et l'odeur
également, empoussiérée, des feuilles autour bruissantes avec
peut-être des chatons, ou des bourgeons, ou la poudre aussi du pollen
irritateur, comme encore l'odeur somptueuse et essentielle de la terre
inférieure où croît le tronc qui porte la branche avec et dans
l'élégance), puis, par corps entier en s'immolant au fleuve alors
qui se referme sur l'offrande et murmure à son tour, mais d'un
murmure autre, et froid, et sans promesse, un murmure inarticulé et
impassible, murmure de masse sur une masse frottée, murmure
d'épaisseur à l'épaisseur mêlée dans l'indivision, et noir aussi,
tandis que la berge s'efface d'un mouvement de branche riveraine, et
l'autre berge demeure dans l'invisible, et la seule odeur demeurante
est celle de cette seule eau primordiale avec obstination
accomplissant son office d'eaux en masses empressées à fuir - odeur
de rien, humidement, odeur de masses humides inconscientes, odeur
aussi excluante d'odeurs autres que la sienne, et impérieuse - à
quoi, lentement, on cède dans la lenteur de sa coulée et sous
laquelle, avec lenteur, on s'offre en oblation à l'intime du fleuve:
or bientôt, à nouveau, il n'y a plus que le fleuve, le fleuve et
seulement lui impavide, avec cette chose en lui qu'il accepta,
roulante et indifférenciée, de part en part par le fleuve investie
et pénétrée.
- Ainsi, tout se tait, dans le murmure seulement du fleuve silencieux.
Tout est tu et noyé. Tout est roulé entre les eaux qui roulent
indifféremment leurs dés sans qu'en importe le total. L'époux se
tait. L'épouse écoute son silence et reçoit l'invitation sans
réplique de son silence. L'épouse bientôt entre à son tour dans
les eaux. La couche bientôt entre dans les eaux. Le ciel et les
champs et les collines, tout se tait, de cette voix parlante qui
refuse son office, - tout est tu, et entre dans les eaux.
- Et l'époux, encore, il entre à son tour avec le reste dans les
eaux: sur la couche nuptiale où attendit l'épouse, voici qu'il n'y a
personne ni rien: voici qu'il n'y a elle ni lui, mais cette trace
humide seule, ce signe seulement du fleuve dévorateur et indifférent
à sa dévoration, voici qu'il n'y a plus, qui brille, mais qui ne
brillera plus bientôt, une larme, et une autre, et cent, et mille, et
par myriades, issues des yeux d'Orphée.
- Voici -
- qu'il n'y a plus que les eaux. Sur tout et rien, les eaux seulement,
originelles, le grand fleuve indifférent originel - les eaux
fugitives frontales, le chef bifrons des eaux confrontatrices dans la
cécité.
- Voici -
- qu'il n'y a plus que les eaux: voici qu'il n'y a plus que le
murmure, non le langage et la séparation et l'existence, mais la
confusion seulement, le fleuve, seulement, et son emportement vers
rien que la continuation de son emportement et de son flux chuchoté.
- Voici -
- qu'il n'y a que les eaux, sans berges, sans rives, sans branche
amicale riveraine, sans la paix de lueur de lune où la vague se
distingue de la vague et de la lune et de la paix.
- Voici qu'il n'y a que les eaux silencieuses, les eaux en labour, les
eaux enlaçantes et refermées.
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